Cahiers de nutrition et de diététique (2009) 44, 97—98
ÉDITORIAL
Quand la politique s’intéresse aux « détails » techniques en nutrition. . . When politics considers technical ‘‘details’’ in nutrition. . .
Le développement de « l’épidémie » d’obésité, notamment infantile, avec ses probables répercussions sur les coûts des systèmes de santé, est sans doute ce qui a conduit les hommes politiques, en France et ailleurs, à s’intéresser à la nutrition et à promouvoir des politiques nutritionnelles. Au niveau européen, cela s’est traduit par une irruption de la nutrition dans le domaine de la réglementation des aliments courants, avec notamment le règlement sur les allégations, qui introduit de grands bouleversements dont les Cahiers se sont fait l’écho à plusieurs reprises. Deux de ces bouleversements ont été particulièrement importants. Le premier concerne le changement complet de perspective concernant les allégations. Auparavant, le contrôle des allégations avait lieu a posteriori et l’opérateur économique devait pouvoir justifier ce qu’il avanc ¸ait ; maintenant, le contrôle est a priori et aucune allégation ne pourra être utilisée si elle n’a pas rec ¸u un avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) et fait l’objet d’une décision d’acceptation communautaire. Le grand nombre d’avis négatifs rendus par l’AESA a été qualifié « d’onde de choc » par l’industrie, avec la crainte que les allégations un peu innovantes ne deviennent réservées qu’aux grands groupes ayant une assise financière suffisante pour conduire une recherche de haut niveau. Le second bouleversement concerne les profils nutritionnels : pour pouvoir porter une allégation, le produit alimentaire devra respecter un certain nombre de critères de composition. Au départ, les choses paraissaient claires et un calendrier précis pour fixer les modalités pratiques avait même été inclus dans le règlement : janvier 2009 pour l’adoption des profils, janvier 2010 pour l’adoption du registre européen des allégations génériques. Il est clair maintenant que ce calendrier était trop optimiste et les dates limites sont d’ores et déjà largement dépassées. . . La collecte des allégations auprès des opérateurs économiques des États membres a été plus riche que ce qui était initialement prévu : plus de 44 000 allégations qui, même après élimination des doublons et des allégations non conformes à la réglementation, laisse plus de 4000 allégations à évaluer par l’AESA dans un délai relativement court. D’autant plus court que l’AESA n’avait même pas été consultée sur la nature des informations qu’elle aurait estimées indispensables pour réaliser cette évaluation et qu’il apparaît maintenant nécessaire de revoir sur de nombreux points le contenu de cette liste ! Mais les difficultés les plus grandes sont venues de la définition des profils nutritionnels. Ce qui devait être un acte technique élaboré selon les principes traditionnels de la
0007-9960/$ — see front matter © 2009 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.cnd.2009.06.001
98 comitologie (par le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale) est en train de prendre une dimension éminemment politique. En interne à la Commission, l’opposition résolue de différentes directions générales (agriculture, industrie, recherche. . .) à la proposition initiale de la DG Sanco (protection et santé des consommateurs) a fait remonter le sujet sur la table du président de la Commission, ce qui est un fait exceptionnel pour un document a priori très technique. En France, ces mêmes documents ont donné lieu au vote d’une résolution sénatoriale, première application d’une procédure d’analyse de documents européens très récemment introduite dans le droit constitutionnel. La lecture de ce document sénatorial (no 1603, accessible sur le site Internet du Sénat www.senat.fr) montre que, au-delà des impacts économiques potentiels (« une menace pour la filière laitière » et notamment les fromages) et des impacts sur les consommations alimentaires (« Un impact sanitaire qui pourrait s’avérer négatif »), il se fait jour une prise de conscience des dimensions culturelles des approches régulatrices concernant la nutrition : « Une tentative d’uniformisation des modes de vie des citoyens européens politiquement inacceptable », d’autant plus inacceptable qu’elle est fondée sur un modèle anglo-saxon très éloigné du modèle alimentaire que la France souhaite inscrire au patrimoine de l’humanité. Les sénateurs ne vont pas cependant jusqu’à remettre en cause, contrairement à d’autres, la notion même des
Éditorial profils, mais constatent que le projet « n’aurait pas pour seul effet de priver les producteurs de la possibilité de communiquer positivement sur les produits traditionnels ou artisanaux mais. . . ouvrirait en outre une voie royale pour les produits industriels formatés », le tout sur des bases scientifiques considérées comme limitées tout autant que réductionnistes. Sachant que d’autres pays ont aussi considéré les propositions actuelles de profil comme une menace pour certaines de leurs productions, on comprend aisément que la proximité des élections européennes de juin 2009 ait convaincu tout le monde qu’il était urgent d’attendre ! La disparition pure et simple des profils ne serait sans doute pas une bonne nouvelle pour le consommateur, ni pour les nutritionnistes : indubitablement, s’il n’existe pas de bons ou de mauvais aliments, certains facilitent plus que d’autres l’atteinte de l’équilibre nutritionnel et de la couverture des besoins. Espérons que la réalisation du légitime souhait de ne pas pénaliser des filières entières ne se fasse pas aux dépens de la santé publique. Le défi reste entier de trouver un compromis acceptable par tous et dans un délai raisonnable. Ambroise Martin Adresse e-mail :
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