Quelles raisons pour un traitement probiotique chez les nourrissons allergiques ?**

Quelles raisons pour un traitement probiotique chez les nourrissons allergiques ?**

Rev Fr Allergol Immunol Clin 2001 ; 41 : 624-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0335745701000855/FLA Qu...

31KB Sizes 0 Downloads 74 Views

Rev Fr Allergol Immunol Clin 2001 ; 41 : 624-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0335745701000855/FLA

Quelles raisons pour un traitement probiotique chez les nourrissons allergiques ?* E. Isolauri** Department of Paediatrics, University of Turku, 20520 Turku, Finland

Résumé Dans l’ensemble, les facteurs sous-jacents aux maladies allergiques sont la susceptibilité génétique, et des anomalies de la barrière épithéliale cutanée et des tractus gastro-intestinal et respiratoire ainsi qu’une dysrégulation de la réponse immunitaire aux antigènes ubiquitaires de l’environnement. La prévalence des maladies atopiques a augmenté progressivement dans les sociétés occidentales. Il est peu probable que des facteurs génétiques puissent expliquer l’émergence d’une réponse immunitaire de type atopique envers des antigènes dérivés des aliments (l’allergie alimentaire est fréquemment la première manifestation de l’atopie). Les deux facteurs qui doivent être pris en compte sont l’altération de l’hygiène et la nutrition. L’hypothèse hygiéniste suppose que l’augmentation rapide de l’atopie est liée à une diminution de l’exposition aux microbes au début de la vie. La source d’exposition microbienne la plus précoce et la plus massive est associée à l’établissement de la flore intestinale. Le régime peut également avoir une action essentielle sur la composition et l’activité de la flore intestinale. On estime que les nourrissons allaités au sein ont une prédominance naturelle de bifidobactéries ; ceux nourris au biberon ont un profil microbien plus complexe et comparable à celui de l’adulte. La flore intestinale régule la réponse immune systémique et locale ce qui inclut la diminution de réponse aux antigènes dérivés des micro-organismes et des aliments ; c’est la raison pour laquelle la modulation de la flore intestinale est devenue une cible thérapeutique dans les maladies allergiques. Il a en effet été montré que les altérations de la flore intestinale néonatale précédaient le développement de l’atopie, ce qui suggère que l’équilibre des bactéries endogènes intestinales joue un rôle essentiel dans la maturation de l’immunité vers le mode non atopique chez l’être humain. Les probiotiques sont des suppléments alimentaires microbiens vivants ou des composants de bactéries dont on a démontré les effets bénéfiques sur la santé chez l’homme. Les probiotiques créent les conditions optimales pour réorienter la réponse immunitaire allergique vers un équilibre favorable et pour contrôler les phénomènes inflammatoires allergiques systémiques et locaux avant que la structure et la fonction des organes cibles ne soient altérées. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS atopie / allergie alimentaire / nourrissons

Summary – The rationale of probiotic therapy in allergic infants. The underlying denominators in allergic disease may be outlined as genetic susceptibility, aberrant barrier functions of skin epithelium and the gastrointestinal and respiratory tracts, and dysregulation of the immune response to ubiquitous environmental antigens. The prevalence of atopic diseases has been progressively increasing in Western societies. Genetic factors are unlikely to explain the emergence of the atopic type of immune responsiveness to antigens such as those deriving from food, *Traduit par P. Scheinmann. **Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (E. Isolauri).

Traitement probiotique chez les nourrissons allergiques

625

food allergy being frequently its first manifestation. Two candidate explanatory factors include altered hygiene and nutrition. The hygiene hypothesis conceives the rapid increase in atopy to be related to reduced exposure to microbes at an early age. The earliest and most massive source of microbial exposure is associated with the establishment of the gut microflora. Diet can also have a major effect on the composition and activity of the gut microflora. In infants, it is thought that those who are breastfed have a natural predominance of bifidobacteria while the formula-fed have a profile which is more complex and similar to the adult microflora. Since the gut microflora directs the regulation of systemic and local immune responsiveness, including hyporesponsiveness to antigens derived from microorganisms and food, modulation of the gut microflora has been taken as a treatment target in allergic disease. Indeed, differences in the neonatal gut microflora were shown to precede the development of atopy, suggesting a crucial role of the balance of indigenous intestinal bacteria for the maturation of human immunity to a nonatopic mode. Probiotics are live microbial food supplements or components of bacteria, which have been demonstrated to have beneficial effects on human health. Probiotics may create optimal conditions to redirect the allergic immune responsiveness to a healthy balance, and to control local and systemic allergic inflammation before altered structure and function in the target organ develops. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS atopic disease / food allergy / infant

LA RÉPONSE IMMUNITAIRE DE TYPE ATOPIQUE La prévalence des maladies atopiques, eczéma atopique, rhinite allergique et asthme, a augmenté progressivement durant les dernières décennies. La plupart des aberrations de la régulation immunitaire favorisant la sensibilisation aux dépens de la tolérance surviennent chez le nourrisson. Pendant un temps variable après la naissance, les phénomènes d’exclusion antigénique intestinaux de régulation immunitaire et d’élimination restent incomplets, prédisposant ainsi à une captation aberrante d’antigènes [1]. L’immaturité de la barrière intestinale peut faciliter un transfert antigénique aberrant et des réactions inflammatoires excessives envers les antigènes endoluminaux. Pendant la grossesse, le profil de cytokines s’écarte de l’immunité à médiation cellulaire (de type TH1) et est orienté vers l’immunité humorale (de type TH2) afin de protéger le développement du fœtus [2]. Ainsi le phénotype de réponse TH2 est universel en début de vie [3]. La réponse préférentielle TH2 envers les antigènes ubiquitaires de l’environnement accroît la synthèse d’interleukine (IL-4 et IL-5) ce qui favorise la production excessive d’immunoglobulines E (IgE), l’éosinophilie et les maladies allergiques. L’histoire allergique est inaugurée par l’eczéma atopique. À un âge précoce, les antigènes sensibilisants sont souvent issus de l’alimentation. Les réac-

tions allergiques aux aliments s’observent couramment en lieu et place de l’induction naturelle d’une tolérance orale, c’est-à-dire d’une non-réponse à des antigènes non pathogènes rencontrés sur les surfaces muqueuses [4]. À l’âge scolaire, la plupart des enfants deviennent tolérants aux antigènes alimentaires et c’est la sensibilisation aux pneumallergènes qui prédomine. Cependant, l’allergie alimentaire et même l’allergie au lait de vache existent chez l’adulte [5, 6]. FLORE INTESTINALE ET MALADIES ALLERGIQUES : LE RÔLE DU RÉGIME À la naissance, le tractus gastro-intestinal est stérile. L’établissement de la flore intestinale est un processus systématique qui se poursuit tout au long des premières années de la vie [7]. Il s’agit d’une période critique de la vie pendant laquelle la réponse immunitaire aux antigènes ubiquitaires se constitue. La flore normale se définit comme l’ensemble des microorganismes vivant normalement dans le tractus gastro-intestinal [8]. Malgré son importance immunologique, les recherches sur la flore normale ont été handicapées par des difficultés méthodologiques. En effet, presque la moitié des bactéries de cette flore ne peut être cultivée bien qu’elle soit viable. Des études récentes utilisant des méthodes ne nécessitant pas de culture ont amélioré notre compréhension de la composition de la flore intestinale chez le sujet sain et le

626

E. Isolauri

sujet malade [9, 10]. La colonisation initiale est déterminée par le contact avec l’environnement. À ce stade, les souches dominantes sont des anaérobies facultatives comme les entérobactéries, coliformes et lactobacilli. Le régime peut avoir un impact majeur que la composition et l’activité de la flore intestinale. On pense qu’il existe une prédominance naturelle des bifidobactéries chez les nourrissons nourris au sein. En revanche, chez ceux qui sont nourris au biberon, il existe un profil plus complexe et comparable à celui de l’adulte avec des entérobactéries, des lactobacilli, des Bacteroides, des clostridia, des bifidobactéries et des streptocoques [9]. Après le sevrage, la composition de la flore change progressivement pour devenir de type adulte [9]. Au cours de l’inflammation de type allergique, l’interaction entre l’hôte sain et le microbe est altérée [11, 12]. L’inflammation s’accompagne alors d’un déséquilibre de la flore intestinale de telle sorte qu’une réponse immunitaire peut être induite par les bactéries résidentes. L’objectif du traitement probiotique est de remédier au déséquilibre de la flore endogène grâce à des souches spécifiques de flore intestinales saines. L’ingestion de probiotiques pourrait briser le cercle vicieux de la réaction allergique inflammatoire : normalisation de la perméabilité intestinale excessive et de la microécologie intestinale altérée, amélioration des fonctions de barrière immunologique de l’intestin et diminution de la réponse intestinale inflammatoire [13]. ALIMENTS « FONCTIONNELS » PROBIOTIQUES Le concept d’aliment fonctionnel repose sur la possibilité de certains constituants alimentaires, de réduire le risque de maladie en modulant certaines fonctions de l’organisme. Les probiotiques se définissent comme des ingrédients alimentaires microbiens vivants favorisant la santé [9]. Le traitement probiotique repose sur le concept d’une flore normale saine. Les bactéries endogènes ont parfois été classées en potentiellement pathogéniques ou en bactéries favorisant la santé [9]. Les probiotiques font partis des bactéries bénéfiques de la flore intestinale saine. Pour qu’une souche soit classée probiotique, il faut que ses effets bénéfiques aient été scientifiquement démontrés. Les espèces remplissant le plus souvent les critères de probiotiques sont les lactobacilli et les bifidobactéries.

Dans un premier temps, c’est l’effet suppressif sur la prolifération lymphocytaire et la synthèse in vitro d’IL-4 qui a été soulignée en ce qui concerne le rôle régulateur des probiotiques dans les maladies allergiques [14, 15]. Ultérieurement, on a montré que les probiotiques diminuaient les réponses immunoinflammatoires aux antigènes alimentaires chez les sujets allergiques en partie grâce à l’hyperproduction de cytokines anti-inflammatoires telles l’IL10 [16] et le transforming growth factor beta [17] et en partie grâce au contrôle des réactions allergiques inflammatoires dans l’intestin [18]. L’eczéma atopique a été significativement amélioré chez les nourrissons dont les régimes d’élimination étaient enrichis en probiotiques [17, 18]. Les potentialités préventives des probiotiques dans les maladies allergiques ont récemment été mises en évidence grâce à une étude en double insu contre placebo [19]. La prévalence de l’eczéma atopique a été moitié moindre chez les nourrissons ayant reçu en post-natal (six mois) des probiotiques que chez les nourrissons ayant reçu le placebo. Dans l’ensemble, les études cliniques récentes démontrant une interaction entre la flore intestinale et l’allergie permettent de conclure que la composition de la flore intestinale constitue un traitement novateur des maladies allergiques, en particulier chez les nourrissons atopiques allergiques alimentaires. La tolérance et les propriétés spécifiques immunomodulatoires des souches probiotiques doivent faire l’objet de protocoles de surveillance stricte visant au développement de ces produits alimentaires. RE´ FE´ RENCES 1 Sanderson IR, Walker WA. Uptake and transport of macromolecules by the intestine : possible role in clinical disorders (an update). Gastroenterology 1993 ; 104 : 622-39. 2 Piccinni MP, Beloni L, Livi C, Maggi E, Scarselli G, Romagnani S. Defective production of both leukemia inhibitory factor and type 2 T-helper cytokines by decidual T cells in unexplained recurrent abortions. Nat Med 1998 ; 4 : 1020-4. 3 Prescott SL, Macaubas C, Smallacombe T, Holt BJ, Sly PD, Holt PG. Development of allergen-specific T-cell memory in atopic and normal children. Lancet 1999 ; 353 : 196-200. 4 Weiner HL, van Rees EP. Mucosal tolerance. Immunol Lett 1999 ; 69 : 3-4. 5 Sampson HA. Food allergy. Part 1. Immunopathogenesis and clinical disorders. J Allergy Clin Immunol 1999 ; 103 : 717-28. 6 Bengtsson U, Nilsson-Balknäs U, Hanson LÅ, Ahlsedt S. Double blind, placebo controlled food reactions do not correlate to IgE allergy in the diagnosis of staple food related gastrointestinal symptoms. Gut 1996 ; 39 : 130-5. 7 Benno Y, Mitsuoka T. Development of intestinal microflora in humans and animals. Bifidobacteria Microfi 1986 ; 5 : 13-25.

Traitement probiotique chez les nourrissons allergiques

8 Berg RD. The indigenous gastrointestinal microflora. Trends Microbiol 1996 ; 4 : 430-5. 9 Salminen S, Bouley C, Boutron-Ruault MC, et al. Gastrointestinal physiology and function – targets for functional food development. Br J Nutr 1998 ; 80 (suppl) : S147-S71. 10 Kalliomäki M, Kirjavainen P, Eerola E, Kero P, Salminen S, Isolauri E. Distinct patterns of neonatal gut microflora in infants in whom atopy was and was not developing. J Allergy Clin Immunol 2001 ; 107 : 129-34. 11 Björkstén B, Naaber P, Sepp E, Mikelsaar M. The intestinal microflora in allergic Estonian and Swedish 2-year-old children. Clin Exp Allergy 1999 ; 29 : 342-6. 12 Apostolou E, Pelto L, Kirjavainen PV, Isolauri E, Salminen SJ, Gibson G. Differences in the gut bacterial flora of healthy and milk-hypersensitive adults, as measured by fluorescence in situ hybridisation. FEMS Immunol Med Microbiol 2001 ((in press)). 13 Isolauri E, Sütas Y, Kankaanpää P, Arvilommi H, Salminen S. Probiotics : effects on immunity. Am J Clin Nut 2001 ; 73 (suppl) : S444-S50.

627

14 Sütas Y, Soppi E, Korhonen H, et al. Suppression of lymphocyte proliferation in vitro by bovine caseins hydrolysed with Lactobacillus GG-derived enzymes. J Allergy Clin Immunol 1996 ; 98 : 216-24. 15 Sütas Y, Hurme M, Isolauri E. Downregulation of antiCD3 antibody-induced IL-4 production by bovine caseins hydrolysed with Lactobacillus GG-derived enzymes. Scand J Immunol 1996 ; 43 : 687-9. 16 Pessi T, Sütas Y, Hurme M, Isolauri E. Interleukin-10 generation in atopic children following oral Lactobacillus rhamnosus GG. Clin Exp Allergy 2000 ; 30 : 1804-8. 17 Isolauri E, Arvola T, Sütas Y, Salminen S. Probiotics in the management of atopic eczema. Clin Exp Allergy 2000 ; 30 : 1605-10. 18 Majamaa H, Isolauri E. Probiotics : a novel approach in the management of food allergy. J Allergy Clin Immunol 1997 ; 99 : 17986. 19 Kalliomäki M, Salminen S, Kero P, Arvilommi H, Koskinen P, Isolauri E. Probiotics in primary prevention of atopic disease : a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2001 ; 357 : 1076-9.