Quelles représentations de la rémission pour le psychiatre ? J.-C. PASCAL (1)
Les représentations de la rémission pour les psychiatres ont été abordées à travers un questionnaire, réalisé par le Professeur P.-M. Llorca, de 9 questions posées à 329 psychiatres libéraux et hospitaliers. La définition de la rémission reste une question ouverte : s’agit-il d’un retour à l’état antérieur ? s’agit-il d’une absence de rechute ? faut-il considérer la rémission complète avec un niveau d’exigence aussi élevé que dans le DSM-IV (retour au fonctionnement prémorbide) ? Le terme de guérison lui-même reste également difficile à définir. Le terme français de « rétablissement » pourrait rendre compte de façon plus satisfaisante du concept de rémission complète. Le concept de rémission relève plus d’une inscription dans le temps que d’un état symptomatique donné. On peut rappeler que les critères symptomatiques et psychosociaux de Strauss et Carpenter en 1972 (3) pour la rémission sont une durée de non-hospitalisation pour trouble mental, des contacts psychosociaux non professionnels, une occupation régulière ou un emploi professionnel, et l’absence de symptômes dans le mois précédent.
RÉMISSION COMPLÈTE OU GUÉRISON Les critères implicites de guérison ou de rémission complète étaient, selon P. Berner en 1982 (1), l’absence d’hospitalisation, l’absence de signes positifs, et une adaptation sociale et familiale. Une analyse de 14 études sur la rémission (3) a montré que, entre 20 % et 30 % de patients étaient évalués en rémission complète c’est-à-dire avec un retour complet au fonctionnement prémorbide. À la question « peut-on parler indifféremment de rémission complète ou de guérison dans la schizophrénie »,
91,8 % des psychiatres interrogés répondent par la négative, 7 % par l’affirmative. À la question « un retour à l’état antérieur pré-morbide chez certains patients schizophrènes est-il observé ? », 54,1 % des psychiatres répondent négativement, 44,7 % répondent affirmativement. Les psychiatres qui ont répondu par l’affirmative situent néanmoins à un niveau faible la proportion de leurs patients qui parviennent à un retour à l’état prémorbide : 48 % pensent que cela concerne moins de 10 % de leurs patients, 28 % pensent que cela concerne entre 10 et 20 % de leurs patients ; moins de 20 % pensent que cela concerne entre 20 et 50 % de leurs patients ; enfin, 3,4 % des psychiatres évaluent la proportion de leurs patients concernés à plus de 50 %. À la question de la définition générale de la rémission en terme de pratique quotidienne, 33,4 % des psychiatres retiennent la proposition d’une disparition totale des symptômes, 37,1 % celle d’une réduction d’un score à une échelle d’évaluation symptomatique pendant une période de temps donnée ; 62,3 % retiennent une absence de rechute dans un délai donné, et 70,2 % une réinsertion sociale effective. On retrouve ainsi chez les praticiens une perception « opératoire » de la rémission, qui place la réinsertion des patients bien avant la disparition des symptômes. Pour John Kane et al. (2), la rémission fonctionnelle est plus proche de la guérison que la rémission symptomatique. Cet auteur établit trois niveaux d’exigence pour la rémission : – un niveau d’exigence fondamentale : la diminution des symptômes positifs ; – en seconde ligne, apparaît l’amélioration de la cognition et de la désorganisation, et une diminution des symptômes négatifs et des symptômes dépressifs ; – enfin, le troisième niveau d’exigence concerne la relation avec les autres, la capacité à vivre indépendant, et la qualité du fonctionnement social, professionnel, et d’apprentissage.
(1) EPS ERASME, 143, avenue Armand Guilleaud, 92160 Antony. Retranscription par C. Spadone. L’Encéphale, 2005 ; 31 : 11-2, cahier 2
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La définition de la rémission fonctionnelle, ou de la guérison (recovery), requiert que les trois lignées de critères précédents soient remplies de façon simultanée. Selon J. Kane et les experts ayant participé à « The Expert Consensus Guidelines Series 2003 » (2), la rémission symptomatique est caractérisée par l’absence ou la présence légère des troubles pendant 3 mois, et le terme de « recovery » est employé lorsqu’il y a persistance d’une amélioration syndromique pendant au moins un an et d’indicateurs fonctionnels positifs (emploi, relations sociales…) durant au moins 15 à 17 mois.
LES PRINCIPAUX CRITÈRES DE RÉMISSION Lorsqu’on demande aux psychiatres quels sont pour eux les critères fondamentaux pour dire qu’un patient est en rémission, la qualité de la réinsertion sociale est placée en première position (près de 70 % des réponses), devant la disparition des symptômes de désorganisation (65 %) et des symptômes positifs (60 %). L’expression du patient quant à son bien-être, l’absence de ré-hospitalisation ou de rechute pendant une période donnée, et l’existence d’une durée minimale d’amélioration clinique étaient cités chacun dans environ 50 % des réponses, la disparition des symptômes négatifs et le sentiment de l’entourage sur la santé du patient dans environ 40 % des réponses. La dé-institutionnalisation du patient, sa réinsertion professionnelle et l’évaluation des soignants quant à la disparition des symptômes étaient cités chacun dans 22 à 23 % des cas, et les critères quantifiés d’évaluation dans seulement 13 % des réponses. À la question de la durée d’observation nécessaire pour parler de rémission, les psychiatres répondent que celleci doit être de 6 mois à un an pour 35 % d’entre eux, et de 1 à 5 ans pour 41 % d’entre eux ; 6,7 % des psychiatres pensent qu’une durée inférieure à 6 mois est suffisante, et 8,8 % qu’il faut plus de 5 ans ; enfin, moins de 6 % pensent qu’il faut plus de 10 ans. Le niveau d’exigence des praticiens français apparaît donc un peu plus élevé que celui du consensus d’expert international (2).
QUE REPRÉSENTE LA RÉMISSION POUR LES PSYCHIATRES ? À la question « Que représente la rémission en terme d’objectif thérapeutique ? », 64 % des psychiatres consi-
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dèrent qu’il s’agit d’un objectif de première ligne, 51 % comme un objectif thérapeutique secondaire après la réduction initiale des symptômes schizophréniques, et 84 % comme le résultat d’une évolution favorable (plusieurs réponses étaient possibles). En ce qui concerne la lecture « thérapeutique » de la rémission, celle-ci est la résultante d’une combinaison thérapeutique pour 95,7 % des psychiatres ; elle est une conséquence du traitement pharmacologique pour 74 % des psychiatres, et une condition de la réhabilitation psychosociale pour 71 %. Lorsqu’on cherche à préciser les différentes composantes de l’action thérapeutique en jeu, on constate que le traitement pharmacologique est cité par 96 % des psychiatres, les abords psychothérapiques par 86,6 %, la réhabilitation psychosociale ou professionnelle par 79,3 %, le cadre institutionnel par 66,3 %, l’approche psycho-éducationnelle familiale par 65 %, et la désinstitutionnalisation par 47,1 %. Lorsqu’on demande aux psychiatres de comparer l’effet des neuroleptiques conventionnels et des antipsychotiques atypiques sur la rémission, 53,8 % pensent que la rémission est plus présente avec les antipsychotiques atypiques qu’avec les conventionnels, 25,8 % pensent qu’ils sont équivalents, et 4,3 % pensent que la rémission est moins présente avec les antipsychotiques atypiques qu’avec les neuroleptiques conventionnels (39,8 % ne se prononcent pas). Tant sur la façon d’obtenir la rémission que sur la question même de la rémission par rapport à la guérison, de nombreuses questions restent néanmoins sans réponse…
Références 1. BERNER P. Évolution et pronostic des schizophrénies. Encycl Med Chir Paris, Psychiatrie, 37285, A10, 9-1982. 2. KANE JM et al. The Expert Consensus Guideline Series. J Clin Psychiatry 2003 ; 64 (Suppl 12) : 5-19. 3. STRAUS JS, CARPENTER WT Jr. The prediction of outcome in schizophrenia. I. Characteristics of outcome. Arch Gen Psychiatry 1972 Dec ; 27 (6) : 739-46 4. TIGNOL J et al. Évolution et pronostic des schizophrénies. Encycl Med Chir Paris, Psychiatrie, 37-290-A30, 1993.