Qu’est-ce qu’une biothérapie ? L’exemple des anticorps monoclonaux

Qu’est-ce qu’une biothérapie ? L’exemple des anticorps monoclonaux

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Biothe´ rapies

Dossier thématique

Mise au point

Presse Med. 2009; 38: 825–831 ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Qu’est-ce qu’une biothérapie ? L’exemple des anticorps monoclonaux Jean-Luc Teillaud

INSERM, U872 ; Centre de recherche des Cordeliers, Université Pierre et Marie Curie– Paris 6 UMRS 872 ; Université Paris Descartes, UMRS 872, F-75006 Paris, France

Correspondance : Jean-Luc Teillaud, INSERM U872, Centre de recherche des Cordeliers, 15 rue de l’école de médecine, F-75270 Paris Cedex 06, France. [email protected]

Key points What is biotherapy? The monoclonal antibody case Biotherapy is the use of molecules derived from living organisms, cells, or even tissues for therapy. It is based on the exploitation of recent new insights of various biological mechanisms and relies heavily on a sophisticated cellular and molecular expertise. One of the major tools of biotherapy is currently monoclonal antibodies and derived products, whose are the subject of the present issue. Monoclonal antibodies have become major therapeutic drugs for treating a number of diseases, thanks to a remarkable molecular engineering. The success of the first generation of monoclonal antibodies opens the way to new challenges such as antibody functional optimization, better control of unwanted side effects, or low cost production at an industrial scale. A new generation of antibodies is now emerging and one can already foresee the future: oligoclonal approaches based on the use of specific antibodies cocktails, selection of eligible patients, antibody production at low costs. . . To date, up to 22 monoclonal antibodies are on the market, with more than two hundred being evaluated in clinical trials.

tome 38 > n85 > mai 2009 doi: 10.1016/j.lpm.2008.12.025

Points essentiels Les biothérapies correspondent à l’utilisation d’une molécule, de cellules, voire de tissus, à des fins thérapeutiques. Elles sont fondées sur l’utilisation de connaissances nouvelles touchant à différents domaines de la biologie et s’appuyant sur une expertise moléculaire et cellulaire sophistiquée. L’un des outils actuels majeurs des biothérapies est les anticorps monoclonaux et leurs dérivés. Les anticorps monoclonaux sont devenus, notamment grâce à une remarquable ingénierie moléculaire, des outils thérapeutiques de premier plan dans des domaines cliniques très divers. Le succès de cette première génération d’anticorps a lancé de nouveaux défis comme la conception d’anticorps aux activités fonctionnelles optimisées et aux effets secondaires mieux contrôlés, ou la production à moindre coût. Une nouvelle génération d’anticorps est en train d’apparaître, et le futur se profile déjà à l’horizon : approches oligoclonales fondées sur l’utilisation de cocktails de différents anticorps monoclonaux, sélection des patients éligibles, production en masse à des coûts moindres. . . À ce jour, 22 anticorps monoclonaux sont sur le marché et plus de 200 sont évalués dans des essais cliniques.

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Disponible sur internet le : 17 mars 2009

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e même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nos ancêtres ont pratiqué les biothérapies en ignorant ce concept, né à la fin du XXe siècle. Les biothérapies correspondent en effet à l’utilisation d’une molécule, de cellules, ou d’organismes issus du vivant, voire de tissus, à des fins thérapeutiques. Il ne s’agit cependant pas de médecine naturelle ou douce utilisant des produits ‘‘bio’’, mais d’une médecine fondée sur l’utilisation de connaissances nouvelles touchant aux différents domaines de la biologie, s’appuyant sur une expertise moléculaire et cellulaire sophistiquée et sur un développement industriel demandant de lourds investissements en R & D, une médecine de plus non dénuée d’effets secondaires. Les premiers biothérapeutes modernes sont certainement Edward Jenner et Louis Pasteur qui, en jetant les bases de la vaccination, ont démontré avec éclat qu’il était possible de détourner au profit de la santé humaine des molécules ou organismes issus du vivant. Les biothérapies ont vu ensuite leur champ d’action s’élargir considérablement avec, d’une part, une maîtrise constamment accrue des greffes d’organes, grâce aux efforts conjoints des chirurgiens et des immunologistes et, d’autre part, la sérothérapie, introduite par Paul Ehrlich et Emil von Behring. La sérothérapie a constitué en fait la première immunothérapie ciblée passive, fondée sur le transfert d’anticorps neutralisants dirigées contre des toxines (en l’occurrence la toxine diphtérique). Les biothérapies modernes sont apparues à la fin des années 1970 en s’appuyant sur deux révolutions technologiques majeures :

Glossaire AcM ADCC ADN AMM CDC CDRs EGF-R FDA GlcNAc H HAMA IL-2 L LFB

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LLC LNH MCB RIT scFv V

anticorps monoclonaux antibody dependent cell cytotoxicity acide désoxyribonucléique autorisation de mise sur le marché complement dependent cytotoxicity complementarity determining regions récepteur de l’epidermal growth factor Food and drug administration N-acétyl-glucosamine chaîne lourde human anti-mouse antibody interleukine-2 chaîne légère Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies leucémie lymphoïde chronique lymphome non Hodgkinien master cell bank radio-immunothérapie single chain Fv domaine variable

le clonage ou la synthe`se artificielle d’un acide de´soxyribonucle´ique (ADN) codant une prote´ine d’inte´reˆt the´rapeutique issue du vivant et sa production a` une e´chelle industrielle en conditions GMP ; le premier exemple en fut l’insuline, obtenue par ge´nie ge´ne´tique presque simultane´ment par Herbert Boyer (co-fondateur de Genentech) et par Walter Gilbert (cofondateur de Biogen) ;  la ge ´ ne´ration d’anticorps monoclonaux de spe´cificite´ pre´de´finie, a` l’aide de la technique des hybridomes de´veloppe´e par Georges Ko¨hler et Ce´sar Milstein [1]. Parallèlement, la maîtrise de la culture de cellules humaines ex vivo et de leur ré-injection à des patients, fondée sur une caractérisation phénotypique et fonctionnelle de ces cellules de plus en plus précise in vitro, a permis d’explorer de nouvelles approches de thérapie cellulaire. Celle-ci s’applique désormais à différents champs cliniques, comme la fécondation in vitro, la vaccination et l’immunothérapie, notamment antitumorale, la greffe de moelle osseuse, ainsi que l’utilisation de cellules-souches pour d’éventuelles reconstructions tissulaires. Le champ des biothérapies est désormais vaste et leur utilisation, soit en combinaison avec d’autres thérapies soit en monothérapie, est promise à un développement important, touchant des pathologies de plus en plus diverses, fréquentes ou rares. Nous nous limitons ici à présenter l’un des outils actuels majeurs des biothérapies, les anticorps monoclonaux (AcM) et leurs dérivés, en excluant les facteurs de croissance hématopoïétiques comme l’érythropoïétine ou le G-CSF, les interférons et les cytokines comme l’interleukine-2 (IL-2), ainsi que les différentes biothérapies cellulaires auxquelles il vient d’être fait allusion. 

Anticorps monoclonaux et évolution moléculaire Les anticorps monoclonaux à usage thérapeutique ont généré des revenus de l’ordre de 26 milliards de dollars en 2007, certains de ces anticorps ayant été utilisés chez plus de 800 000 patients depuis leur mise sur le marché. L’histoire des AcM est relativement récente puisque c’est en 1975 que Köhler et Milstein ont montré qu’il était possible de générer des hybridomes produisant de façon stable des anticorps ayant une spécificité prédéfinie [1]. Ces anticorps sont appelés anticorps monoclonaux (AcM) du fait de la nature clonale des cellules les produisant. En 1982, le premier cas de rémission complète a été observé chez un patient présentant un lymphome B, après traitement avec un AcM de souris dirigé contre les immunoglobulines exprimées à la surface des cellules tumorales [2]. Les premiers travaux cliniques utilisant des AcM chez l’Homme ont cependant rapidement montré d’une part la nécessité de définir des cibles pertinentes, conduisant à des réponses cliniques significatives, mais n’entraînant pas d’effets secondaires incontrôlables mettant en danger la vie des patients, et, d’autre tome 38 > n85 > mai 2009

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Figure 1 Schéma représentant le passage d’un anticorps monoclonal de souris à un anticorps chimérique et à un anticorps humanisé (AcM : anticorps monoclonal ; V : domaine variable ; CDRs : complementarity determining regions).

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forme de fragments d’anticorps [Fab et single chain Fv (scFv)] (phage display) [7] ;  l’obtention de souris ‘‘humanise ´ es’’ dont le ge´nome contient une grande partie des ge`nes codant les chaıˆnes lourdes et le´ge`res humaines [8,9]. Ces quatre approches ont toutes conduit à la génération d’AcM à usage thérapeutique (figure 1). Quelle que soit l’approche initiale, les AcM actuellement sur le marché sont produits dans des cellules eucaryotes [cellules de myélome de souris (NS1), cellules d’ovaire de hamster chinois (CHO-DG44), cellules de rétine humaine (PER.C6). . .]. Les séquences d’ADN correspondant aux chaînes lourdes (H) et légères (L) de chaque anticorps sont insérées in fine dans un/des vecteurs plus ou moins sophistiqués afin de permettre la production la plus importante possible de l’anticorps. On parle pour cette raison d’anticorps recombinants. Ce/ces vecteurs sont alors introduits dans les cellules productrices. Après clonage des cellules et étude de leur stabilité, ainsi que d’un certain nombre de paramètres physicochimiques et fonctionnels de l’anticorps produit, ces cellules sont finalement stockées sous forme d’une master cell bank (MCB) et cultivées dans des bioréacteurs pouvant atteindre plusieurs milliers de litres (jusqu’à 20 000 L) pour produire l’anticorps. La production en masse d’un anticorps recombinant à usage thérapeutique et sa purification posent un certain nombre de problèmes spécifiques, notamment de coûts, qui ne sont pas abordés ici.

Anticorps monoclonaux en clinique Le premier AcM mis sur le marché (en 1986) a été le muromonab-CD3 (Orthoclone OKT3W), un anticorps de souris dirigé

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part, la nécessité de mettre au point des AcM de seconde génération. L’utilisation d’anticorps de souris chez l’Homme induit en effet l’apparition d’anticorps humains anti-anticorps de souris (‘‘HAMA’’, ou Human anti-mouse antibody), s’accompagnant d’une diminution d’efficacité et d’effets secondaires indésirables. De plus, les propriétés effectrices [activation du complément, engagement des récepteurs Fcg (RFcg) exprimés par les cellules de l’immunité des patients] des anticorps injectés (IgG), sont médiocres. Enfin, les IgG de souris présentent une demi-vie plasmatique plus courte chez l’Homme que leurs équivalents humains. L’obtention d’AcM plus « humains » ou totalement humains est donc devenue un objectif central au cours des années 19801995. Quatre approches d’ingénierie moléculaire ont été utilisées :  la construction d’anticorps chime´riques constitue´s des domaines variables (VH et VL) de souris, le reste de la mole´cule e´tant d’origine humaine (la plupart du temps une re´gion Fc d’IgG1 humaine et la re´gion Ck humaine) (figure 1) [3,4] ;  la construction d’anticorps « humanise ´ s » par greffe des re´gions hypervariables d’un AcM de souris (re´gions directement implique´es dans le site de fixation a` la mole´cule cible) sur des re´gions charpentes (Frameworks, FR) VH et VL humaines (CDR grafting) (figure 1) [5], ou par une approche consistant a` donner un « profil » humain a` un domaine variable de souris en changeant certains acides amine´s des re´gions charpentes (resurfacing) [6] ;  la construction de banques combinatoires de domaines VH et VL humains, exprime´s a` la surface de bacte´riophages sous

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contre la molécule CD3, exprimée par les lymphocytes T, pour la prévention du rejet aigu des allogreffes rénales (tableau I). Ce n’est qu’en 1994 qu’un second AcM, chimérique, l’abciximab (ReoproW) dirigé contre la molécule GPIIb/IIIa, a obtenu également une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la prévention de la formation de thrombus à la suite d’opérations cardiovasculaires. Le premier AcM humanisé, le daclizumab (ZenapaxW), dirigé contre la chaîne alpha du récepteur de l’IL-2 (CD25), pour la prévention des rejets aigus des allogreffes rénales, a été mis sur le marché en 1997. Enfin, le premier AcM complètement humain à obtenir une AMM fut l’adalimumab (HumiraW), en 2002, dirigé contre le TNFa et utilisé pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (tableau I). À l’heure actuelle, 22 AcM ont une AMM de la FDA (Food and drug administration) aux États-Unis. Quatre d’entre eux sont des anticorps ou des fragments d’anticorps de souris, 5 des

anticorps chimériques, 11 des anticorps humanisés, et 2 des anticorps complètement humains. Enfin, 2 autres anticorps humains [zanolimumab (anti-CD4) et ofatumumab (antiCD20)] ont reçu un statut de médicament orphelin. Les anticorps monoclonaux ont tous un nom générique contenant un préfixe choisi par les inventeurs ou développeurs et un suffixe, « mab » (pour monoclonal antibody). Ce nom générique contient aussi des radicaux définissant la nature moléculaire de l’anticorps (o pour souris, xi pour chimérique, zu pour humanisé, u pour humain. . .), ainsi que la cible initiale de l’anticorps (li, pour système immunitaire, tu pour tumeur, ba pour bactérie, ki pour interleukine, vi pour virus. . .). Par exemple, le nom « rituximab » (MabtheraW) désigne un anticorps monoclonal (mab), chimérique (xi), et dirigé contre une molécule (CD20) exprimée à la surface de cellules tumorales (tu) B.

Tableau I Anticorps monoclonaux à usage thérapeutique sur le marché (FDA) (décembre 2008) Nom

Date

Isotype

Cible

Indication

Muromonab (Orthoclone OKT3 )

Souris

1986

IgG2a

CD3

Prévention de rejets aigus d’allogreffes

Chimérique

1994

Fab

GPIIb/IIIa

Prévention des thrombus post-chirurgicaux

Capromab pendetide

Souris

1996

Fab

Prostate Ag

Imagerie (cancer prostate)

Daclizumab (ZenapaxW)

Humanisé

1997

IgG1

CD25

Prévention de rejets aigus d’allogreffes

Rituximab (MabtheraW)

Chimérique

1997

IgG1

CD20

LNH*, Arthrite rhumatoïde

Basiliximab (SimulectW)

Chimérique

1998

IgG1

CD25

Prévention de rejets aigus d’allogreffes

Palivizumab (SynagisW)

Humanisé

1998

IgG1

RSV **

Infection à RSV

Trastuzumab (HerceptinW)

Humanisé

1998

IgG1

HER2/neu

Cancer du sein métastatique

Infliximab (RemicadeW)

Chimérique

1998

IgG1

TNFa

Arthrite rhumatoïde, maladie de Crohn

Gemtuzumab-ozogamicin (MylotargW)

Humanisé

2000

IgG4

CD33

Leucémie myéloïde aiguë

Alemtuzumab (MabcampathW)

Humanisé

2001

IgG1

CD52

Leucémie lymphoïde chronique B (LLC-B)

Adalimumab (HumiraW)

Humain

2002

IgG1

TNFa

Arthrite rhumatoïde

90

Souris

2002

IgG1

CD20

LNH *

Omalizumab (Xolair )

Humanisé

2003

IgG1

IgE(Fc)

Asthme allergique

Efalizumab (RaptivaW)

Humanisé

2003

IgG1

CD11a

Psoriasis

131

Souris

2003

IgG2a

CD20

LNH *

Cétuximab (Erbitux )

Chimérique

2004

IgG1

EGF-R

Cancer colorectal Méta.

Bevacizumab (AvastinW)

Humanisé

2004

IgG1

VEGF

Cancer colorectal

Natalizumab (TysabriW)

Humanisé

2004

IgG4

a4

Sclérose en plaques

Zanolimumab ***

Humain

2005

IgG1

CD4

Lymphome cutané T

Ofatumumab ***

Humain

2005

IgG1

CD20

LNH*, LLC-B

Ranibizumab (Lucentis )

Humanisé

2006

Fab’

VEGF

Dégénérescence maculaire liée à l’âge

Panitumumab (PanitumumabW, VectibixW)

Humain

2006

IgG2

EGF-R

Cancer colorectal

Eculizumab (SolirisW)

Humanisé

2007

IgG1

C5

HPN ****

Y-Ibritumomab tiuxétan (ZevalinW) W

I-Tositumomab W

W

*

Lymphome B non hodgkinien.

**

Virus respiratoire syncytial.

***

Statut de médicament orphelin en Europe et aux États-Unis.

****

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Type

Abciximab (ReoproW)

W

Hémoglobinurie paroxystique nocturne.

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Mode d’action des anticorps monoclonaux à usage thérapeutique Les AcM à usage thérapeutique actuellement sur le marché ont différents modes d’action, parfois non mutuellement exclusifs :  neutralisation de l’action d’une mole ´ cule soluble proinflammatoire comme le TNFa [infliximab (RemicadeW) et adalimumab]. La neutralisation du TNFa soluble est e´galement obtenue avec la prote´ine de fusion e´tanercept. Des diffe´rences d’action semblent cependant exister puisque l’on soupçonne que les diffe´rences de re´ponse observe´es chez certains patients traite´s par les anticorps anti-TNFa ou par l’e´tanercept pourraient eˆtre lie´es a` la capacite´ des anticorps a` cibler e´galement le TNFa membranaire. Il est a` noter que la neutralisation d’une autre mole´cule pro-inflammatoire, l’IL1a, est obtenue en utilisant une prote´ine recombinante, l’IL-1-RA, antagoniste du re´cepteur de l’IL-1a ;

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neutralisation d’un facteur soluble de croissance de l’endothe´lium vasculaire (VEGF), afin de pre´venir la ne´o-angiogene`se tumorale [bevacizumab (AvastinW)] ; inhibition de la migration cellulaire par blocage de l’adhe´rence cellulaire [natalizumab (TysabriW)] ; blocage par compe´tition de l’inhibition de l’activation de mole´cules de costimulation (abatacept). Un AcM anti-CTLA-4 est actuellement en cours d’essais cliniques ; blocage par compe´tition de re´cepteurs membranaires de facteurs de croissance comme le re´cepteur de l’epidermal growth factor (EGF-R) [ce´tuximab (ErbituxW), panitumumab (PanitumumabW, VectibixW)], ou le re´cepteur de haute affinite´ de l’interleukine-2 (IL-2) [daclizumab et basiliximab (SimulectW), anti-CD25]. Il est a` noter que le blocage de l’activation spontane´e de l’un des re´cepteurs de l’EGF, sans ligand connu (HER2/Neu ou ErbB2), dont le ge`ne est amplifie´ dans environ 20 % des tumeurs du sein, est obtenu avec un AcM [trastuzumab (HerceptinW)] ; induction d’un programme de mort cellulaire, apre`s fixation a` une mole´cule membranaire (rituximab) ; inhibition de l’entre´e d’un virus dans les cellules cibles (virus respiratoire syncitial) [palivizumab (SynagisW)] ; activation de me´canismes effecteurs : fixation du C1q (premier composant de la voie classique du comple´ment), conduisant a` la lyse des cellules cibles (CDC ou complement dependent cytotoxicity) et/ou fixation aux RFcg exprime´s a` la surface de cellules de l’immunite´, conduisant e´galement a` une lyse des cellules cibles (ADCC ou antibody dependent cell cytotoxicity) ou a` leur phagocytose. Chez l’homme, l’ADCC, la phagocytose et la CDC sont des fonctions effectrices exerce´es par les anticorps d’isotype IgG1 et IgG3. C’est pour cette raison que la plupart des anticorps sur le marche´, qu’ils soient chime´riques, humanise´s ou humains sont des IgG1 (tableau I). Il existe seulement sur le marche´ deux anticorps ayant des Fc appartenant a` une autre sousclasse humaine : le gemtuzumab (IgG4) et le panitumumab (IgG2). L’objectif ouvertement recherche´ est que ces anticorps n’engagent pas les me´canismes effecteurs de l’immunite´.

Conclusion et perspectives Les anticorps monoclonaux et les protéines de fusion actuellement sur le marché ont conduit au cours de la dernière décennie à des résultats cliniques encourageants, principalement lorsqu’ils ont été utilisés en combinaison avec d’autres molécules issues de la recherche pharmaceutique, comme le méthotrexate, la fludarabine, ou l’irinotecan (CamptoW) par exemple. Les efforts se portent désormais sur la conception d’anticorps de seconde et troisième génération, bénéficiant des connaissances récemment acquises sur la structure des anticorps, leurs interactions avec l’antigène, la fixation au C1q et aux différents RFcg activateurs et

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La plupart des anticorps (18) mis sur le marché sont des anticorps ‘‘nus’’, c’est-à-dire des anticorps dont le mode d’action repose uniquement sur leurs propriétés intrinsèques de fixation à la cible et/ou aux effecteurs moléculaires (complément) et cellulaires (cellules RFcg+). Trois anticorps utilisés en oncologie à des fins thérapeutiques sont en revanche utilisés pour « vectoriser » des molécules au site de la tumeur, molécules préalablement couplées chimiquement à ces anticorps (l’on parle alors ‘‘d’immunoconjugués’’). L’un de ces anticorps [le gemtuzumab (MylotargW), anti-CD33) est couplé à un antibiotique provoquant des cassures de l’ADN (la calichéamicine), tandis que les 2 autres anticorps [le tositumomab et l’ibritumomab tiuxetan (ZevalinW), anti-CD20] sont couplés à des radionucléides (Iode131 et Ytrium90, respectivement), permettant d’effectuer une radio-immunothérapie (RIT). Enfin, un anticorps de souris conjugué à l’Indium111 est utilisé pour le diagnostic des cancers de la prostate chez des patients ayant des risques de métastases dans les ganglions pelviens. Une autre classe de protéines recombinantes, dont la structure est proche de celle des anticorps, a été artificiellement construite par ingénierie moléculaire. Ces molécules sont regroupées sous le nom de protéines de fusion. Trois d’entre elles ont reçu une AMM de la FDA. Elles contiennent une région Fc dérivée des IgG1 humaines, fusionnée à un ectodomaine de protéines principalement membranaires : celui du récepteur du TNFa de type I (p75) [étanercept (EnbrelW)], celui de la molécule LFA-3 (alefacept) et celui de la molécule CTLA-4 [abatacept (OrenciaW)]. Ces molécules, homodimériques du fait de la présence d’une région Fc, servent de leurre (decoy), en bloquant l’interaction des ligands naturels du récepteur du TNFa, de la molécule CD2 et des molécules CD80 et CD86, respectivement, et sont donc à ranger dans la catégorie de molécules immunomodulatrices.

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inhibteurs, leur demi-vie et leur biodistribution. Les objectifs principaux de ces efforts sont évidemment d’accroître leur efficacité, de mieux contrôler les effets indésirables qu’ils provoquent, mais aussi d’abaisser le coût des traitements par patient (allant actuellement de quelques milliers d’euros jusqu’à 50 000 euros par an), en diminuant les doses requises tout en atteignant une bonne efficacité thérapeutique. De nombreuses études ont notamment montré le rôle essentiel joué par les RFcg dans l’activité des AcM. ADCC et phagocytose sont en effet activées à la suite de l’engagement des RFcg exprimés par les cellules NK, les monocytes, les macrophages, les cellules dendritiques et les polynucléaires. L’importance de l’interaction Fc-RFcg dans l’activité antitumorale d’AcM in vivo chez l’Homme a d’ailleurs été mise en évidence pour la première fois par Cartron et ses collègues, qui ont montré que la réponse au rituximab chez des patients présentant un lymphome se corrélait au polymorphisme du RFcgIIIA [10]. L’activité thérapeutique des AcM, notamment en oncologie, pourrait donc s’améliorer en manipulant leur région Fc afin d’augmenter leur affinité pour les RFcg activateurs et les rendre notamment plus cytotoxiques. Des mutations ponctuelles de la région Fc, permettant d’augmenter la fixation à tout ou partie des RFcg activateurs ont été identifiées in vitro. Certains de ces mutants ont montré une ADCC fortement accrue [11]. Par ailleurs, la Nglycosylation des IgG1 humaines participe au maintien de la structure tertiaire des domaines CH2, nécessaire à leurs fonctions effectrices. D’une part, la présence de résidus N-acétylglucosamine (GlcNAc) intermédiaires permet aux IgG1 humaines de se lier plus fortement aux RFcgIIIA et d’induire une ADCC accrue [12]. D’autre part, une absence de fucose [13] ou un faible taux de ce sucre [14] permet également une fixation accrue aux RFcgIIIA et une meilleure ADCC.

Cette capacité des IgG peu fucosylées à lier plus fortement le RFcgIII a permis de sélectionner un AcM humain anti-D pour la prévention de l’allo-immunisation foeto-maternelle [14]. Cet anticorps a montré une excellente capacité de clairance dans un essai de phase I chez l’Homme [15] et est actuellement en cours de développement en France au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB). Par ailleurs, des anticorps anti-CD20, présentant peu (R603) [16] ou pas (GA101) de fucose sont actuellement testés dans des essais de phase I et de phase II chez des patients présentant une leucémie lymphoïde chronique (LLC) ou un lymphome non Hodgkinien (LNH). Enfin, l’utilisation d’anticorps optimisés en ce qui concerne leur capacité à activer la voie classique du complément est également explorée. Il a été suggéré que la diminution du Koff des anticorps permet d’aboutir à un tel résultat [17]. Quelques anticorps optimisés, reposant sur ce principe, sont à l’étude, notamment un anticorps anti-CD20 (ofatumumab) (tableau I). En conclusion, les prochaines années nous diront si l’optimisation des propriétés effectrices des anticorps permet effectivement l’obtention de meilleures réponses cliniques, sans induire d’effets secondaires plus importants. Si c’était le cas, cela représenterait un grand succès de l’immunothérapie ciblée et, plus généralement, des biothérapies, et un encouragement à explorer de nouveaux champs cliniques à l’aide de telles approches. Conflits d’intérêts : Jean-Luc Teillaud était consultant du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) au moment des études concernant les anticorps monoclonaux anti-D et anti-CD20. Remerciements : L’auteur remercie ses collègues du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) et de l’Unité INSERM 872 (Centre de recherche des Cordeliers) qui participent ou ont participé à certains des travaux mentionnés, en particulier Mlle Charlotte Boix, Mme Emmanuelle Gélizé, Mme le Dr. Sophie Sibéril, M le Dr. Charles-Antoine Dutertre, M Riad Abès, ainsi que le Pr. W.H. Fridman pour ses conseils scientifiques et son soutien.

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Qu’est-ce qu’une biothérapie ? L’exemple des anticorps monoclonaux

tome 38 > n85 > mai 2009

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