Formation médicale continue Chronique génomique
Ann Dermatol Venereol 2007;134:299
Quoi de neuf sur les kératines ? O. DEREURE
U
n certain nombre de travaux récents se sont intéressés aux kératines et à leurs mutations, permettant d’éclairer quelques secteurs mal connus de la physiopathologie moléculaire des génodermatoses. Ainsi, la maladie de Dowling-Degos, génodermatose autosomique dominante caractérisée par une hyperpigmentation réticulée progressive des plis associée à des lésions comédoniennes de même localisation, a peut-être été identifiée sur le plan génétique grâce aux travaux d’une équipe allemande. Après analyse de liaison à l’échelle du génome entier réalisée sur deux familles, le gène en cause a été localisé à proximité d’un marqueur polymorphe voisin du « cluster » des gènes codant pour les kératines, gènes qui ont alors été séquencés les uns après les autres à la recherche de mutations. C’est en fait sur le gène codant pour la kératine 5 que les auteurs ont mis en évidence des mutations entraînant une perte de fonction de la protéine et ceci chez tous les membres atteints des deux familles, mais également chez six autres patients atteints de maladie de Dowling-Degos et qui n’avaient pas de lien de parenté [1]. Il semble donc bien que cette entité soit liée à un mécanisme d’haplo-insuffisance pour le gène de la kératine 5, c’est-à-dire que la quantité de kératine 5 produite sous l’influence de l’allèle non muté n’est plus suffisante pour permettre le maintien d’un phénotype normal. Il s’agit apparemment du premier cas de mécanisme d’haplo-insuffisance dans les génodermatoses dépendant des gènes des kératines. Sur le plan physiopathologique, il apparaît que ces filaments intermédiaires, qui jouent bien entendu un rôle majeur dans l’organisation du cytosquelette des cellules épithéliales et notamment des kératinocytes, ont également à voir avec la pigmentation, peut être en influençant l’adhésion inter-cellulaire, le captage de mélanosome, ou encore le transport intra-cytoplasmique des organelles. Enfin, rappelons que le gène de la kératine 5 a déjà été mis en cause dans une autre génodermatose, l’épidermolyse
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bulleuse congénitale simplex, mais les mutations ne touchent apparemment pas les mêmes domaines, puisque les régions mutées dans l’épidermolyse bulleuse sont essentiellement situées dans les domaines hélicoïdaux et entraînent des altérations de l’hétérodimérisation de la kératine 5 avec son partenaire, la kératine 14. De plus, il s’agit d’une génodermatose à transmission autosomique récessive qui ne répond pas aux mécanismes d’haplo-insuffisance décrits dans la maladie de Dowling-Degos. L’hyperkératose épidermolytique est habituellement considérée comme une génodermatose autosomique dominante, liée à des mutations des gènes codant pour les kératines 1 ou 10, aboutissant à des anomalies fonctionnelles plus ou moins importantes du réseau des tonofilaments des kératinocytes en cours de différenciation. Toutefois, cette transmission ne résume pas l’ensemble de la maladie puisqu’une équipe germano-helvétique a décrit récemment une famille où cette hyperkératose épidermolytique se transmet manifestement de façon autosomique récessive. L’analyse des deux gènes habituellement en cause a révélé la présence de mutations nonsens homozygotes du gène de la kératine 10 chez tous les membres atteints de la famille, avec apparition d’un codon stop prématuré, dégradation rapide de l’ARN messager et absence de production de la kératine 10 dans l’épiderme et dans les kératinocytes cultivées à partir des patients porteurs de la mutation à l’état homozygote, comme l’ont démontré les analyses en RT-PCR semi-quantitatives et en western blot [2]. Cette mutation « nulle » de la kératine 10 entraîne l’apparition d’un phénotype clinique plus sévère que la moyenne, cliniquement très proche de l’hyperkératose épidermolytique « habituelle » autosomique dominante mais qui en diffère par les images d’agrégation des filaments intermédiaires de kératine en ultrastructure.
Références 1. Betz RC, Planko L, Eigelshoven S, Hanneken S, Pasternack SM, Bussow H, et al. Loss-of-function mutations in the keratin 5 gene lead to Dowling-Degos disease. Am J Hum Genet 2006;78:510-9. 2. Muller FB, Huber M, Kinaciyan T, Hausser I, Schaffrath C, Krieg T, et al. A human keratin 10 knockout causes recessive epidermolytic hyperkeratosis. Hum Mol Genet 2006;15:1133-41.
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