Cancer/Radiothérapie 17 (2013) 771–773
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Cas clinique
Radiothérapie et dispositifs médicaux implantables : exemple des pompes diffuseurs Radiotherapy and implantable medical device: Example of infusion pumps S. Abrous-Anane a,∗,b , S. Benhassine a,b , S. Lopez a,b , K. Cristina a,b , J.-J. Mazeron a,b a b
Service de radiothérapie, groupe hospitalier Pitié Salpêtrière–Charles-Foix, AP–HP, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France Université Pierre-et-Marie-Curie Paris 6, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 19 octobre 2012 Rec¸u sous la forme révisée le 10 septembre 2013 Accepté le 26 septembre 2013 Mots clés : Radiothérapie Dispositif médical implantable Pompe diffuseur
r é s u m é L’indication d’une radiothérapie externe est parfois posée chez des patients porteurs d’un dispositif médical implantable comme les pompes diffuseurs. La tolérance à l’irradiation de ce type de dispositif est peu, voire pas étudiée. Nous rapportons ici le cas d’une patiente que nous avons traitée par irradiation pelvienne pour un cancer du col utérin et qui avait un dispositif médical implantable dans la fosse iliaque. Nous avons aussi fait des tests sur cinq pompes paramétrées, qui ont montré que ces dispositifs ont une bonne tolérance à l’irradiation. © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Radiotherapy Implantable medical device Infusion pump
Indication for radiotherapy is often questioned for patients equipped with implantable medical devices like infusion pumps as the radiation tolerance is poor or not known. We report here on the case of a patient who we treated with pelvic radiotherapy for cervical cancer and who had an infusion pump in iliac fossa. We conducted a series of tests on five identical pumps that insured that the treatment protocol is harmless to the implanted device. © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction L’indication d’une radiothérapie externe est parfois posée chez des patients porteurs d’un dispositif médical implantable. Avec les progrès conjugués de la médecine et de la technologie, une nouvelle gamme de dispositifs a vu le jour ces dernières années ; parmi lesquels on compte les pompes diffuseurs implantables, dispositifs permettant l’administration de médicaments à des doses et débits programmables. En radiothérapie, le dispositif médical le plus connu reste le stimulateur cardiaque, avec les premières recommandations publiées en 1994 par l’American Association of Physicists in Medicine. D’autres publications ont suivi et convergent toutes vers les mêmes recommandations : déplacer le stimulateur cardiaque lorsqu’il se
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Abrous-Anane).
trouve dans le faisceau direct d’irradiation et le contrôler régulièrement [1,2]. L’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a aussi émis récemment des recommandations où il a été noté que le stimulateur/le défibrillateur doit être protégé de l’irradiation et ne doit en aucun cas recevoir une dose cumulée supérieure à 5 Gy [3]. Les autres dispositifs restent méconnus, et traiter un patient qui en est porteur peut être problématique vu l’absence de données publiées. Nous avons été amené à traiter dans notre service une patiente porteuse d’un dispositif médical implantable dit pompe baclofène dont le cas est exposé ici. 2. Observation Le baclofène (Liorésal® ) est un relaxant musculaire et un antispasmodique. Le baclofène intrathécal est indiqué dans le traitement de la spasticité sévère chez les patients victimes d’une lésion de la moelle épinière ou atteints de sclérose en plaques ne
1278-3218/$ – see front matter © 2013 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2013.09.005
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répondant pas au baclofène administré par voie orale, ou chez lesquels des doses orales efficaces provoquent des effets indésirables inacceptables. L’injection de baclofène intrathécal, qui transporte le médicament directement à son site d’action, permet d’atteindre, dans le liquide céphalorachidien, des concentrations jusqu’à 30 fois supérieures à celles obtenues lors d’une thérapie par baclofène oral, avec des concentrations sériques minimales. Les patients rec¸oivent le baclofène en perfusion intrathécale continue par ce système de pompe implantée chirurgicalement, la pompe miniaturisée est implantée sous la peau de l’abdomen et contient une membrane tournée vers la peau qui ferme le réservoir ; celui-ci peut ainsi être rempli régulièrement. L’appareil, qui délivre le produit par doses programmées, est relié à l’espace intrathécal par des cathéters. La pompe peut être interrogée par un lecteur externe afin de vérifier le débit et le changer si besoin, ce lecteur permet aussi de préciser le stock de médicament restant dans le réservoir. Un dysfonctionnement grave de ces pompes diffuseurs peut exposer à un surdosage ou à un sevrage brutal en baclofène qui peuvent menacer le pronostic vital immédiat. Ces mêmes pompes diffuseurs sont utilisées dans d’autres indications avec d’autres médicaments, notamment dans le traitement de la douleur chronique et invalidante qui nécessite de fortes doses de traitement antalgique. Notre patiente était âgée de 54 ans au moment du traitement et était atteinte d’une sclérose en plaque évoluant depuis 1998, compliquée d’une tétraplégie spastique dont la prise en charge a nécessité la pose d’une pompe baclofène en fosse iliaque gauche. Par ailleurs, la patiente avait eu une cystectomie totale de type Bricker en raison de cystites récidivantes avec retentissement rénal. L’histoire carcinologique a débuté en janvier 2011 par l’apparition de métrorragies dont les différentes investigations ont amené au diagnostic d’un carcinome épidermoïde du col utérin de stade IIb selon la classification de la Fédération internationale de gynécologie obstétrique (Figo) pour lequel une décision de radiothérapie exclusive à été posée en réunion de concertation pluridisciplinaire [4]. Il a été prévu de délivrer un premier temps de radiothérapie externe dans le pelvis à la dose de 45 Gy en 25 fractions suivie d’une curiethérapie utérovaginale. En raison des antécédents chirurgicaux de la patiente le traitement a été initialement planifié avec l’appareil de tomothérapie dans un but d’épargne du tube digestif [5]. Le constructeur qui a été contacté afin de connaître les contraintes de doses sur la pompe ne disposait d’aucune donnée ; Un seuil théorique de 0,5 Gy dose moyenne à nous a été fixé. Après dosimétrie tomothérapie avec une énergie de 6 MV, la courbe histogramme dose–volume nous a montré que la pompe, située à proximité immédiate du volume cible prévisionnel, recevrait une dose moyenne de 12,5 Gy. Même en considérant la pompe comme un organe à risque, permettant de contraindre le logiciel à supprimer les faisceaux d’entrée en regard de celle-ci, la dose moyenne n’a pu être abaissée en dessous de 10 Gy (Fig. 1). En revanche, avec une radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle classique, la dose moyenne est descendue à 1,16 Gy, ce qui restait toujours au-dessus des seuls fixés par le constructeur (Fig. 2). Étant donné l’absence de données dans la littérature concernant ces pompes et le retard de traitement qu’aurait pu engendrer un déplacement de la pompe [6], nous avons opté pour une radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle utilisant un mixte d’énergie (8 et 18 MV) sur un accélérateur linéaire type Clinac en excluant totalement la pompe des faisceaux directs d’irradiation. Plusieurs précautions ont été prises tout au long du traitement : • hospitalisation au cours du traitement ;
Fig. 1. Coupe dosimétrique tomothérapie. Pompe baclofène en fosse iliaque gauche. Tomotherapy dosimetry section. Lioresal® pump in left ilia fossa.
• surveillance clinique neurologique quotidienne à la recherche de signe de surdosage ou de « sous-dosage » ; • surveillance bihebdomadaire de la pompe par un matériel dédié fourni par le constructeur afin de vérifier le débit et le stock de médicament restant ; • conduite à tenir établie en fonction de l’apparition de signes cliniques de « sous- dosage » ou de surdosage avec les numéros d’urgences notés dans le dossier de la patiente. Il n’a pas été signalé d’incidents de dysfonctionnement majeur de la pompe au cours du traitement il a été constaté un seul épisode de « lecture muette » survenant lors d’un contrôle deux heures après la séance de radiothérapie et qui a duré moins de deux heures. La patiente a eu sa première consultation de suivi six semaines après la fin de son traitement, puis des consultations tous les quatre mois. Aucun incident n’a été noté concernant la pompe les mois ayant suivi le traitement. Plus de 16 mois après la fin de son traitement, la patiente était en situation de rémission clinique et radiologique. En parallèle et grâce au constructeur, nous avons pu avoir à notre disposition cinq pompes paramétrées qui ont pu être testées par notre unité de physique. Ces tests ont été réalisés en exposant les pompes (placées en cuve à eau) à des faisceaux directs de 18 MV, à des doses allant de 2 à 40 Gy, par paliers croissants de 2 Gy pour les deux premières, et paliers croissants plus importants de 4 à 16 Gy pour les trois dernières (la dernière pompe testée à rec¸u 8 Gy en une fraction plus 2 fois 16 Gy). Ces tests ont révélé une excellente tolérance de ces pompes, qui restaient interrogeables, avec une
Fig. 2. Coupe dosimétrique tridimensionnelle. Pompe baclofène en fosse iliaque gauche. 3D dosimetry section. Lioresal pump in left iliac fossa.
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programmation inchangée, malgré les doses élevées des faisceaux directs. 3. Discussion La radiothérapie chez un patient porteur d’un dispositif médical dont les contraintes de doses ne sont pas connues est problématique pour l’oncologue radiothérapeute et pour le patient dont le traitement peut être retardé ou annulé de craintes de dysfonctionnement du matériel. En dehors des stimulateurs cardiaques, il existe peu de publications sur les pompes implantables. L’effet des radiations sur les pompes diffuseurs externes a été étudié par Lacerna et al. [7]. Cette étude a montré que, même placées en dehors des faisceaux d’irradiation, les pompes externes peuvent être déréglées après radiothérapie ; ce dérèglement peu se manifester par un arrêt total de la machine, ou un changement de débit non toujours détectable, d’où le rapport publié en 2012 concernant les précautions chez les patients irradiés avec des diffuseurs externes, notamment de mettre ces pompes en dehors du champ de traitement et d’utiliser de faibles énergies (inférieures à 8MV) afin de réduire l’exposition des pompes aux neutrons, qui peuvent les dérégler [8]. En ce qui concerne les pompes baclofène, qui sont quant à elles implantées dans le patient, notre expérience montre que ces dispositifs tolèrent des doses élevées d’irradiations. Leurs parois en titane (densité de 4,51g·cm3 ), ont un effet atténuant sur la dose. En utilisant les données de l’équipe internationale qui s’est intéressée de fac¸on plus rapprochée aux prothèses de hanche en titane [9], et en considérant une énergie comprise entre 15 MV et 20 MV avec une épaisseur de titane de 3 mm, le coefficient d’atténuation calculé est de l’ordre de 4 %. Cela implique une dose rec¸ue par l’électronique à l’intérieur de la pompe de l’ordre de 19 Gy pour une dose initiale de 20 Gy. La qualité du matériel électronique semble donc aussi expliquer la résistance de ces pompes aux radiations. 4. Conclusion Une meilleure compréhension de la nature des dispositifs médicaux et des matériaux les composant peut aider à évaluer la tolérance à la radiothérapie. L’irradiation pelvienne semble possible chez les patient porteurs de dispositifs médicaux implantables type pompe baclofène.
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La dosimétrie doit essayer tant que possible de placer ces diffuseurs en dehors des champs d’irradiation ; si le diffuseur se situe à proximités du volume cible prévisionnel, il n’existe pas de contraintes de doses justifiant un « sous-dosage » de ce volume. Dans tous les cas il faudrait disposer lors du traitement du matériel nécessaire pour vérifier le débit en temps réel en cas de doute sur un dysfonctionnement au vu des risques inhérents à un surdosage ou un « sous-dosage » médicamenteux, par ailleurs l’établissement d’une conduite à tenir en cas d’urgence avec les différents intervenants à contacter si dysfonctionnement rend l’équipe plus sereine et plus adhérente à la démarche de soins. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Lambert P, Da Costa A, Marcy P, Kreps D, Angellier G, Marcié S, et al. Pacemaker, défibrillateur et radiothérapie : propositions de conduite à tenir en 2010 en fonction du type de stimulateur cardiaque, du pronostic et du site du cancer. Cancer Radiother 2011;15:238–49. [2] Menard J, Campana F, Kirova KM, Bollet MA, Dendale R, Fournier-Bidoz N, et al. Radiothérapie pour un cancer du sein et stimulateur cardiaque. Cancer Radiother 2011;15:197–201. [3] Di Donato P. Interactions entre dispositifs médicaux implantables actifs et dispositifs médicaux 2005. Saint-Denis: Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps); 2005 http://ansm.sante.fr/var/ansm site/ storage/original/application/0792db7b6f52d8721e07dd2a07fcf7ed.pdf [4] Sobin LH, Gospodarowicz MK, Wittekind C. TNM Classification of Malignant Tumours. Oxford: Wiley-Blackwell; 2009. [5] Portelance L, Clifford Chao KS, Girsby PW, Bennet H, Low D. Intensity-modulated radiation therapy (IMRT) reduces small bowel, rectum, and bladder doses in patients with cervical cancer receiving pelvic and para-aortic irradiation. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2001;51:261–6. [6] Girinsky T, Rey A, Roche B, Haie C, Gerbaulet A, Randrianarivello H, et al. Overall treatment time in advanced cervical carcinomas: a critical parameter in treatment outcome. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1993;27: 1051–6. [7] Lacerna MD, Sharpe MB, Robertson JM. The effect of radiation on an ambulatory chemotherapy infusion pump. Cancer 1999;86:2150–3. [8] Bak K, Costa S, Durkin L, Gutierrez E, Green E, Hertz S, et al. Use of continuous infusion pumps during radiation treatment. Recommendation report. Toronto: Cancer Care Ontario; 2012 https://www.cancercare.on.ca/common/ pages/UserFile.aspx?fileId=134758 [9] Reft C, Alecu R, Das J, Gerbi BJ, Keall P, Lief E, et al. Dosimetric considerations for patients with HIP prostheses undergoing pelvic irradiation. Report of the AAPM Radiation Therapy Committee Task Greoup 63. Med Phys 2003;30: 1162–82.