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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 482–485
Jurisprudence
Recherche sur les cellules souches et but thérapeutique Safar Haji Safar 37, rue Marc-Bloch, 69007 Lyon, France Disponible sur Internet le 20 novembre 2013
Résumé La recherche sur les cellules souches n’est possible que dans le strict respect de la loi, et le critère déterminant celui du but thérapeutique. Dans une matière où la jurisprudence est encore peu abondante, un arrêt rendu par la Cour administrative de Lyon, le 4 juillet 2013 éclaire sur la difficulté d’appréciation. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Par sa décision no 2013-674 DC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la constitution sur la loi tendant à modifier la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Selon la disposition emblématique de celle loi, aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Celle-ci est soumise à différentes conditions : notamment cette recherche doit avoir une finalité médicale et il doit être impossible, en l’état des connaissances scientifiques, de la mener sans recourir à ces embryons ou cellules souches embryonnaires. En outre, cette recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conc¸us in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. Elle est subordonnée à un consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus ou du membre survivant de ce couple. L’Agence de la biomédecine ne peut accorder une autorisation de recherche que si l’ensemble des conditions fixées par la loi sont réunies. Le Conseil constitutionnel a jugé que, si le législateur a modifié certaines des conditions permettant l’autorisation de recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires à des fins uniquement médicales, afin de favoriser cette recherche et de sécuriser les autorisations accordées, il a entouré la délivrance de ces autorisations de recherche de garanties effectives. Il a jugé que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Adresse e-mail :
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Une affaire jugée peu de temps auparavant montre tout l’acuité du débat, dès lors que la donnée éthique se confronte avec la pratique. Dans cette affaire, jugée par la Cour administrative de Lyon, le 4 juillet 2013 (no 12LY01194)1,2 , l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) avait donné une autorisation. . . avant de la retirer au motif d’absence de « fins thérapeutiques ». 1. Faits Une société a développé un projet économique tendant à ce que des dents humaines, extraites par des dentistes ou des stomatologues, soient traitées, en exploitant des brevets internationaux dont elle détient les droits, pour extraire de la pulpe des cellules souches, conservées pour une utilisation thérapeutique ultérieure par les personnes auxquelles ces dents ont été extraites, en contrepartie du règlement d’un montant correspondant à ses prestations. En mai 2009, elle a présenté auprès de l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), un dossier de déclaration d’activité de fabrication de matières premières à usage pharmaceutique, mais l’agence a répondu que ce projet ne relevait pas de ce régime législatif. Le 20 mai 2010, elle a adressé à l’AFSSAPS une demande d’autorisation en vue d’exercer des activités de conservation et de distribution de suspensions tissulaires extraites à partir de pulpes dentaires pour un usage autologue ultérieur et également, aux fins d’autorisation d’exportation de suspensions tissulaires issues de pulpes dentaires, vers une banque de conservation située en Allemagne. Après instruction, l’agence, par décision du 14 juin 2011, a informé la société qu’elle était autorisée à exercer les activités de préparation et de conservation de suspensions tissulaires, mais par décision du 7 octobre 2011, elle a rejetée la demande d’autorisation d’exportation. Puis, par une décision du 14 octobre 2011, l’agence a retiré l’autorisation qui avait été accordée le 14 juin, et pour deux motifs : la mise en œuvre d’activités de préparation et de conservation de suspensions tissulaires en méconnaissait le principe de non patrimonialité des éléments et produits du corps humain et il n’existait pas de finalité thérapeutique avérée. Ces dispositions étant d’ordre public, le retrait de la décision s’imposait. Par jugement du 13 mars 2012, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la requête, et la société interjette appel. 2. Le droit applicable 2.1. Les textes Trois textes entrent en jeu. Aux termes de l’article L. 1243-1 du CSP :
1 Un an après la loi no 2012–300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (JO 6 mars) qui a réformé profondément la loi dite « Huriet » du 20 décembre 1988, et la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. 2 Voir aussi : CAA Paris, 10 mai 2012, Fondation Jérôme Lejeune, no 10PA05827, AJDA 2012. 1600, note B. Vanlerberghe.
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« A l’exception des produits sanguins labiles, sont des produits cellulaires à finalité thérapeutique les cellules humaines utilisées à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques, quel que soit leur niveau de transformation, y compris leurs dérivés. » « Lorsque ces produits cellulaires à finalité thérapeutique sont des spécialités pharmaceutiques ou d’autres médicaments fabriqués industriellement, ils sont régis par les dispositions du titre II du livre Ier de la cinquième partie. Dans les autres cas, ce sont des préparations de thérapie cellulaire régies par les dispositions du présent chapitre, y compris lorsque les cellules humaines servent à transférer du matériel génétique ». Aux termes de l’article L. 1243-2 du CSP : « Peuvent assurer la préparation, la conservation, la distribution et la cession, à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques, des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements et les organismes autorisés à cet effet, après avis de l’Agence de la biomédecine, par l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé qui s’assure du respect des dispositions du titre Ier du présent livre ». Aux termes du premier alinéa de l’article L. 1245-5 du CSP : « Seuls peuvent exercer l’activité d’importation et d’exportation à des fins thérapeutiques des tissus, de leurs dérivés, des cellules issus du corps humain, quel que soit leur niveau de préparation, et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements ou les organismes autorisés par l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé en application de l’article L. 1243-2 et qui obtiennent pour cette activité une autorisation spécifique. Cette autorisation est délivrée par l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé après avis de l’Agence de la biomédecine ». 2.2. L’interprétation de la cour Au vu de ces textes, le Cour pose le principe d’analyse suivant : « Le législateur, en adoptant les dispositions de l’article L. 1243-2 du CSP selon lesquelles seuls peuvent assurer la préparation, la conservation, la distribution et la cession, “à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques”, des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements et les organismes autorisés à cet effet, et les dispositions également du premier alinéa de l’article L. 1245-5 du CSP selon lesquelles seuls peuvent exercer l’activité d’importation et d’exportation “à des fins thérapeutiques” des tissus, de leurs dérivés, des cellules issus du corps humain, et ce quel que soit leur niveau de préparation, et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements ou les organismes autorisés par l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé en application de l’article L. 1243-2 ». Pour la cour, le législateur n’a pas entendu autoriser les activités de préparation, de conservation, de distribution, de cession des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire ni celles d’importation et d’exportation de ces éléments « en dehors d’une finalité thérapeutique avérée »3 .
3 Selon l’article 3 de la Convention d’Oviedo, qui lie désormais le législateur franc ¸ ais, « l’intérêt et le bien-être de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ».
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3. Analyse Selon la Cour, la société n’allégit pas l’existence d’un but précis. Il n’était dit pas que ses activités, d’une part, de conservation et de distribution de suspensions tissulaires et, d’autre part, d’exportation de suspensions tissulaires issues de pulpes dentaires, vers une banque de conservation située en Allemagne, seraient exercées pour une finalité thérapeutique avérée, car la société voulait se placer sur une interprétation autre. En défense, la société avait souligné la difficulté de prouver, dans ce secteur, la notion de « finalité thérapeutique avérée ». Elle faisait état d’un rapport d’états généraux de la bioéthique, du 1er juillet 2009, traitant de la difficulté d’assigner une finalité à la recherche scientifique. De plus, elle relevait que des autorisations auraient été délivrées à des banques de cellules souches issues du sang du cordon et des banques de sang, au titre d’un autre régime, et soulignait que l’arrêté du 3 février 2003 fixant le contenu du dossier accompagnant la demande d’autorisation faisait état d’une mention « indications thérapeutiques proposées ». La Cour rejette ces arguments, cette mention sur les « indications thérapeutiques proposées » n’étant pas de nature à contredire sérieusement l’exigence d’une « finalité thérapeutique avérée ». Dès lors, le directeur général de l’AFSSAPS a pu légalement retirer l’autorisation, au motif que le projet de la société ne comportait aucune justification « précise et immédiate de l’utilisation des tissus et préparations de thérapie cellulaire en cause à des fins thérapeutiques avérées ». L’argument tiré de l’atteinte au principe de non patrimonialité des éléments et produits du corps humain, plus fragile au vu des modalités du dossier, et n’a pas été examiné par la cour, dès lors que la confirmation de l’annulation était acquise que fait de l’absence de finalité thérapeutique avérée du projet. Pour en savoir plus Mary Warnock, rapport de la commission d’enquête « Fécondation et embryologie humaines » (Report of the Committee of Inquiry into Human Fertilization and Embryologie, London, 1984), trad. I. Espalieu, La Documentation Franc¸aise, Paris, 1985. Comité Consultatif National d’Ethique, « Avis sur les prélèvements de tissus d’embryons ou de fœtus humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques ou scientifiques », 22 mai 1984. Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, La Documentation franc¸aise, 2009. Pierre-Louis Fagniez, « Cellules souches et choix éthiques », rapport au Premier ministre, La Documentation Franc¸aise, 2006. Alain Claeys et Claude Huriet, « Clonage, thérapie cellulaire et utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, 23 février 2000. « Les cellules souches adultes. Quel droit pour quelles perspectives ? », Actes du colloques organisé par le Master 2 Droit des biotechnologies, Université d’Évry-Val-d’Essonne, 2 février 2007, Revue générale de droit médical, numéro 24, septembre 2007, ed. Les Études Hospitalières. Yann Mens, « Bioéthique : que faut-il autoriser ? », Alternatives internationales, no 42, mars 2009, p. 48-59. Ruwen Ogien, L’Éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Gallimard, coll. « Folios essais », 2007. Dominique Folscheid, Brigitte Feuillet-Le Mintier, Jean-Franc¸ois Mattéi, Philosophie, éthique et droit de la médecine, Thémis Philosophie, PUF, 1997. René Frydman, Dieu, la médecine et l’embryon, éditions Odile Jacob, octobre 1999. MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, Rapport sur la recherche sur les cellules souches, 8 juillet 2010, no 2718/652. M. Alain Graf, Etats généraux de la bioéthique, Rapport final, 1er juillet 2009, cf. notamment pp. 31 et 32. Avis no 112 du CCNE, 21 octobre 2010. Sylvia-Lise Bada, « La loi autorisant la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires franchit avec succès l’épreuve du contrôle de constitutionnalité » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 27 août 2013.