Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 91–93
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / a n n p l a
CAS CLINIQUE
Reconstruction par greffe de peau d’un cas inhabituel de perte de substance étendue de la paroi abdominale secondaire à une compression ischémique prolongée Total abdominal wall reconstruction. Management of full-thickness losses of the abdominal wall after a long ischemic compression C.-C. Lazar *, J.-P. Mure, M.-H. Denis, I. Auquit Auckbur, P.-Y. Milliez Unité de chirurgie plastique et reconstructrice–chirurgie de la main, centre hospitalo-universitaire Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Reçu le 17 février 2005 ; accepté le 9 décembre 2005
MOTS CLÉS Greffe de peau ; Lambeau ; Nécrose ; Paroi abdominale ; Prothèse pariétale ; Tensor fasciae latae
Résumé Nous rapportons le cas d’un patient de 70 ans présentant une nécrose cutanéomusculaire partielle étendue sous-ombilicale de la paroi abdominale dans les suites d’une compression ischémique. Le traitement initial a comporté une excision large de la nécrose abdominale emportant toute la paroi musculaire jusqu’au péritoine et la pose d’une plaque prothétique extrapéritonéale. Au bout de quatre semaines d’évolution, après plusieurs reprises chirurgicales d’excision tissulaire nécrotique résiduelle, une couverture de la perte de substance par deux greffes successives de peau mince en filet a pu être réalisée. La prise de greffe a été totale et le résultat de la reconstruction jugé satisfaisant. Aucune complication postopératoire n’a été notée.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Abdominal wall; Flap; Necrosis; Prosthesis; Skin graft; Tensor fasciae latae
Abstract The authors report an original case of a 70-year-old male with large musculocutaneous necrosis area of the abdominal wall following a long ischemic compression. Initial treatment was done using a wide excision of the abdominal wall necrosis and insertion of synthetic prosthesis to protect bowels. After 4 weeks of further surgical revisions, two splits thickness skin grafting were performed. The grafts were placed directly on granulations around and over the mesh and the healing was complete. Postoperative course was uneventful. In our experience, this technique allowed a good cicatrisation and a good esthetical result.
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* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C.-C. Lazar).
0294-1260/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2005.12.004
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C.-C. Lazar et al.
Introduction Les larges pertes de substance de la paroi abdominale ont été décrites le plus souvent après infections [1–3], tumeurs [3], traumatismes [3,4] ou sous la forme de complications postopératoires [5–8]. Les lésions par compression et brûlure restent rares si on en croit la littérature [9–11]. Toutes les étiologies semblent partager la même difficulté du choix de la méthode thérapeutique la plus adaptée. Nous rapportons le cas d’une perte de substance partielle étendue de la paroi abdominale due à une compression ischémique.
Cas clinique Un patient de 70 ans sans antécédents arrive aux urgences après une compression circulaire abdominale de plus de 20 minutes par l’intermédiaire de ses vêtements qui s’étaient pris dans une machine agricole. On note alors des lésions graves s’étendant d’un flanc à l’autre, depuis l’ombilic jusqu’au pubis, la verge et le scrotum. D’aspect cartonné, induré et inflammatoire, elles sont insensibles spontanément et au toucher. Le reste de l’examen clinique, l’ECG et l’échographie abdominale s’avèrent normaux. Le scanner thoracoabdominal met en évidence un hématome pariétal diffus, avec infiltration des muscles droits de l’abdomen et épaississement des fascias, sans pneumopéritoine ou épanchement intrapéritonéal. L’excision de toute la zone cartonnée (Fig. 1A) est réalisée jusqu’à 3 cm sous l’ombilic, mettant en évidence une nécrose des muscles droits de l’abdomen (rectus abdominis) et obliques externes (obliquus externus) qui sont également excisés en grande partie. Il n’existe pas de lésions intestinales associées et le péritoine est respecté (Fig. 1B). Après pose de deux plaques prothétiques pariétales extrapéritonéales de Vicryl fixées au Dexon 3.0, on abaisse de 3 cm et sans traction le lambeau cutané supérieur. Enfin, on excise la nécrose à la face dorsale de la verge et à la face antérieure du scrotum, en mettant à nu les deux cordons spermatiques. Le patient est transféré en réanimation après la pose d’une trachéotomie transitoire. Plusieurs interventions successives permettent d’exciser les zones nécrotiques résiduelles, avant d’entreprendre une cicatrisation dirigée au lit du malade. Après quatre semaines, l’évolution générale du patient permet son transfert dans notre service à l’ablation de sa
Figure 1A
Pièce de nécrosectomie.
Figure 1B Aspect peropératoire après l’excision de toute la paroi abdominale nécrosée.
trachéotomie. Un bourgeon de bonne qualité étant obtenu même sur la plaque pariétale (Fig. 2A), un geste de couverture par deux greffes de peau mince en filet est réalisé à une semaine d’intervalle. La prise des greffes est complète (Fig. 2B), sans aucune complication postopératoire. Le résultat à 20 semaines d’évolution est satisfaisant, le patient ayant retrouvé une certaine autonomie sous réserve de l’obligation de porter une ceinture de contention abdominopelvienne au long cours.
Discussion Devant cette perte de substance supérieure à 1500 cm2, peu de techniques étaient envisageables. Nous avions initialement envisagé par crainte d’une éviscération de recourir à un lambeau bilatéral musculocutané pédiculé de tenseur de fascia lata (tensor fasciae latae), compte tenu de la localisation et de l’étendue des lésions [2,12–14]. Mais la lourdeur de l’acte chirurgical [12,13] et les risques encourus par le patient nous l’ont fait récuser. L’évolution locale, l’absence d’infection ou de lâchage de plaque et l’obtention d’un bourgeon charnu de bonne qualité ont finalement
Figure 2A Bourgeonnement qui recouvre en partie la plaque prothétique après quatre semaines de cicatrisation dirigée.
Reconstruction par greffe de peau d’une perte de substance étendue de la paroi abdominale
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Références [1]
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Figure 2B mince.
Aspect final à sept semaines après greffes de peau
orienté notre choix vers une méthode plus simple de greffe de peau mince.
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Conclusion
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Les pertes de substance étendues de la paroi abdominale restent des lésions graves, dont le pronostic vital et fonctionnel s’est amélioré grâce aux progrès de la réanimation, puisque la mortalité initiale est souvent le fait d’infections ou de défaillances viscérales. La chirurgie de reconstruction, souvent en plusieurs temps, reste un acte difficile : réalisée dans un contexte d’urgence et de fragilité du malade, elle a pour objectifs d’obtenir une couverture complète et stable dans le temps, de restituer une bonne intégrité des aponévroses musculaires et d’aboutir à un résultat esthétique acceptable [15]. Différentes techniques chirurgicales ont ainsi été décrites [12–16]. Dans notre cas, le résultat final et l’absence jusqu’ici de survenue de complications postopératoires nous ont surpris et fait conclure que les gestes simples comme les greffes de peau gardent encore leur place comme interventions de sauvetage pour de telles reconstructions. Il semble donc intéressant de les envisager chez des patients fragiles et tarés chez lesquels on souhaite obtenir une cicatrisation rapide et éviter un risque infectieux, en attendant une éventuelle reconstruction secondaire plus complexe par lambeaux.
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