Un abcès périanal inhabituel

Un abcès périanal inhabituel

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés CAS CLINIQUE Gastroenterol Clin Biol 2007;31:91-93 Un abcès périanal inhabituel Marie SOULIER (1...

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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

CAS CLINIQUE

Gastroenterol Clin Biol 2007;31:91-93

Un abcès périanal inhabituel

Marie SOULIER (1), Lucile ANDRAC-MEYER (1), Stéphane BERDAH (2), Stéphane GARCIA (1), Séverine MEUNIER-CARPENTIER (1), Colette TARANGER-CHARPIN (1) (1) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques ; (2) Service de Chirurgie Digestive, Hôpital Nord, Marseille.

SUMMARY

RÉSUMÉ

An unusual perianal abscess

L’angiomyxome agressif est une entité tumorale rare, touchant classiquement la région pelvi-périnéale chez la femme jeune, et se développant au sein des tissus mous. L’angiomyxome agressif a un potentiel de récidive locale important, mais les métastases sont rares. Seulement 130 cas ont été rapportés jusqu’à ce jour. Nous présentons l’observation d’une malade âgée de 58 ans, qui présentait une masse indolore mais gênante de la région pelvienne, chez laquelle avait été initialement évoqué le diagnostic d’abcès anal. Après l’exérèse de la lésion, le diagnostic histologique fut un angiomyxome agressif, dont la classique composante myxoïde et vasculaire ainsi que la positivité au marquage anti-vimentine et antiCD34 avaient permis la caractérisation. Cette observation souligne la difficulté du diagnostic de l’angiomyxome agressif sur le plan clinique devant une masse pelvienne chronique et montre que le délai diagnostique parfois long peut avoir des conséquences négatives.

Marie SOULIER, Lucile ANDRAC-MEYER, Stéphane BERDAH, Stéphane GARCIA, Séverine MEUNIER-CARPENTIER, Colette TARANGER-CHARPIN (Gastroenterol Clin Biol 2007;31:91-93)

Aggressive angiomyxoma (AA) is a mesenchymal tumour occurring in connective tissue of the perineum or lower pelvis with a marked tendency to local recurrence but which usually does not metastasize. Only 130 cases had been reported to date. We report the case of a 58-year-old woman, presenting with a pelvi-perineal mass, which was considered to be an anal abcess. After surgical excision, an AA was diagnosed, with classical histological features (myxoid and vascular components) and which was positive for vimentine and CD34. This case report shows that clinical diagnosis of AA is difficult and that delayed diagnosis can prevent optimal treatment of these tumors.

cularisation au doppler couleur. Un diagnostic d’abcès péri-anal était proposé. Un an plus tard, malgré un traitement médical bien conduit, la masse persistait, motivant une consultation en chirurgie digestive. L’examen clinique retrouvait la masse, discrètement indurée, sans signe inflammatoire en regard. L’écho-endoscopie rectale et le scanner abdomino-pelvien, objectivaient une masse tumorale hétérogène de 6 cm sur la face latérale et antéro-latérale droite du canal anal, au-dessus du muscle élévateur, infiltrant la fosse ischiofessière droite. Une exérèse chirurgicale par voie périnéale était alors difficilement réalisée : de par sa topographie pelvienne et sa mauvaise limitation, la tumeur était enlevée en plusieurs fragments, sans amputation de la marge anale. À l’examen macroscopique, les fragments tumoraux étaient de consistance myxoïde. Le plus volumineux mesurait 10 cm. La tumeur, mal limitée, disséquait le tissu adipeux environnant (figure 1). L’examen histologique mettait en évidence une prolifération myxoïde lâche, peuplée de petites cellules régulières, fusiformes ou stellaires, et d’îlots vasculaires anormaux (figure 2), consistant en de petits pelotons capillaires, des vaisseaux artériels ou veineux dilatés, ou de structures indifférenciées à paroi musculaire mal définie ou hyaline (figure 3). Seules les structures vasculaires exprimaient le CD34. Les cellules du stroma exprimaient la vimentine, faiblement la desmine, l’actine des muscles lisses, et fortement les récepteurs hormonaux œstrogènes et progestérone. L’index de prolifération tumorale était faible, avec un immunomarquage au Ki 67 évalué à moins de 1 %.

Introduction L’angiomyxome agressif est une tumeur mésenchymateuse rare, survenant classiquement chez la femme, et se développant aux dépens des tissus mous de la région périnéale et pelvienne [1, 2]. Ce type de tumeur présente un haut risque de récidive locale mais son potentiel métastatique est faible [1]. La lignée de différenciation de ce type de tumeur est encore assez floue, mais une origine myofibrobalstique a été proposée. L’angiomyxome agressif est une tumeur qui reste sous-diagnostiquée, en particulier lorsque la localisation ou les caractéristiques épidémiologiques classiques de cette tumeur ne sont pas présentes [3]. Nous proposons de rapporter ici l’observation d’une malade présentant une masse péri-rectale chronique, ayant fait suspecter initialement un abcès péri-rectal.

Observation Une femme de 58 ans, ayant eu deux grossesses, deux enfants, et des antécédents d’hystérectomie par voie basse un an auparavant, consultait son gastro-entérologue pour l’apparition d’une masse péri-anale droite. Au toucher rectal, cette masse apparaissait homogène, s’étendant sur les parois antérieure et latérale droite du rectum. Une échographie pelvienne mettait en évidence une masse hypoéchogène, avec une discrète hypervas-

Discussion

Tirés à part : M. SOULIER, Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital Nord, Chemin des Bourrelys, 13915 Marseille Cedex 20. E-mail : [email protected]

L’histoire clinique, la topographie et l’examen anatomopathologique font évoquer un angiomyxome agressif. 91

M. Soulier et al.

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Fig. 1 – Examen macroscopique : aspect gélatineux et mal limité de la tumeur, qui dissèque le tissu adipeux environnant. Macroscopic examination: gelatinous appearance and poorly circumscribed tumour which invades the surrounding adipose tissue. Fig. 2 – (HES, obj X 10) : Îlots vasculaires anormaux au sein d’un stroma myxoïde lâche. Abnormal vascular areas in the loose myxoid stroma. Fig. 3 – (HES, obj X 40) : Stroma myxoïde paucicellulaire peuplé de petites cellules fusiformes. Paucicellular myxoid stroma with small fusiform cells.

Cette tumeur maligne d’origine myofibroblastique, initialement décrite en 1983 [1], est rare : 130 cas ont été rapportés en vingt ans [2]. Elle touche principalement la femme entre 20 et 60 ans, avec un pic de fréquence autour de 35-40 ans. Sa topographie, pelvienne ou périnéale, est le plus souvent vulvaire. Cliniquement, elle se présente comme une masse vulvaire. Le diagnostic d’abcès vulvaire, principal diagnostic différentiel, est souvent posé, retardant le diagnostic définitif [3]. Sa taille varie entre 1 et 60 cm. En règle, elle dépasse les 10 cm. Macroscopiquement, l’angiomyxome agressif est une tumeur molle, mal limitée, gélatineuse à la coupe, pouvant comporter des zones kystiques.

tement les récepteurs à l’œstrogène et la progestérone [5]. Le second contingent est vasculaire : hétérogène, il regroupe des capillaires en pelotons, des structures artérielles ou veineuses, ou des vaisseaux de différenciation incertaine, à parois épaissies ou hyalines. Ces structures vasculaires expriment le CD34. Sur le plan immunohistochimique, ces tumeurs sont donc classiquement marquées par les anti-vimentine et anti-CD44 [6]. Cette tumeur d’évolution lente se caractérise par une extension locorégionale, sans pour autant provoquer de compression des organes abdomino-pelviens. Les récidives locales sont habituelles. La malignité de cette tumeur reste discutée, car les localisations secondaires sont exceptionnelles. Cependant, deux cas de métastases pulmonaires ont été rapportés [7]. Le traitement consiste en une exérèse chirurgicale la plus complète possible, rendue difficile par la topographie et la mauvaise limitation tumorale. L’adjonction d’une hormonothérapie semble efficace pour les tumeurs ou les récidives de petite taille [6].

Sur le plan radiologique, de manière classique en tomodensitométrie, la tumeur est bien limitée, déplaçant les structures adjacentes, et plutôt hypodense par rapport au muscle sur les coupes scannographiques. En résonnance magnétique, il s’agit le plus souvent d’une tumeur iso-intense par rapport au muscle en T1, hyper-intense en T2 et très rehaussée par le gadolinium avec un aspect interne classique en « tourbillon » [4]. L’imagerie par RMN permet de bien définir l’extension locale de la tumeur et de préciser ses relations avec le plancher pelvien.

Les diagnostics différentiels histologiques de l’angiomyxome agressif sont des lésions myxoïdes bénignes telles que le myxolipome, le lipome à cellules fusiformes, le neurofibrome myxoïde, le léiomyome myxoïde, ainsi que la fibromatose pelvienne, et des tumeurs myxoïdes malignes telles que le myxofibrosarcome et surtout le liposarcome myxoïde. Dans notre observation, le diagnostic différentiel avec un abcès périanal et le délai entre l’apparition de la masse pelvienne

L’examen histologique retrouve deux contingents. Le premier est myxoïde, lâche paucicellulaire, peuplé de petites cellules fusiformes exprimant la vimentine, et de manière inconstante, la desmine et l’actine des muscles lisses. Ces cellules expriment for92

Un abcès périanal particulier

et le diagnostic, faisant suite à l’exérèse chirurgicale montre un aspect classique de la difficulté diagnostique devant une masse périnéale. Ainsi, en 2003, Bracey et al. rapportaient les cas de trois malades présentant une masse pelvi-périnéale évocatrice d’un abcès rectal, pour laquelle l’étiologie s’était par la suite révélée tumorale : un cas d’adénocarcinome mucineux primitif, au potentiel de malignité élevé, et dans les deux autres cas, respectivement un leiomyome et un angiomyxome agressif [8].

RÉFÉRENCES

1. Steeper TA, Rosai J. Aggressive angiomyxoma of the female pelvis

and perineum. Report of nine cases of a distinctive type of gynecologic soft-tissue neoplasm. Am J Surg Pathol 1983;7:463-75.

2. Behranwala KA, Thomas JM. ‘Aggressive’ angiomyxoma: a distinct clinical entity. Eur J Surg Oncol 2003;29:559-63.

3. Gungor T, Zengeroglu S, Kaleli A, Kuzey GM. Aggressive angiomyxoma of the vulva and vagina. A common problem: misdiagnosis. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2004;112:114-6.

De plus, sur le plan histologique, il ne faut pas confondre l’angiomyxome agressif avec le liposarcome myxoïde, puisque les conséquences thérapeutiques sont très différentes. Le diagnostic d’angiomyxome agressif, tumeur dont la taille est parfois importante, doit conduire à une exérèse chirurgicale la plus limitée possible, quitte à recourir à une hormonothérapie par un agoniste de la gonadotropin-releasing hormone (GnRH), comme cela a été proposé et évalué pour réduire la taille de cette tumeur [9].

4. Jeyadevan NN, Sohaib SA, Thomas JM, Jeyarajah A, Shepherd JH,

Fisher C. Imaging features of aggressive angiomyxoma. Clin Radiol 2003;58:157-62.

5. Amezcua CA, Begley SJ, Mata N, Felix JC, Ballard CA. Aggressive

angiomyxoma of the female genital tract: a clinicopathologic and immunohistochemical study of 12 cases. Int J Gynecol Cancer 2005;15: 140-5.

6. Shinohara N, Nonomura K, Ishikawa S, Seki H, Koyanagi T. Medical

management of recurrent aggressive angiomyxoma with gonadotropin-releasing hormone agonist. Int J Urol 2004;11:432-5.

Dans notre observation, il semble utile de souligner que le diagnostic d’abcès périanal ne doit pas être un diagnostic de facilité. Une exploration chirurgicale s’impose pour éliminer une autre pathologie, dans ce cas, une tumeur rare mais curable

7. Blandamura S, Cruz J, Faure VL, Machado P, I, Ninfo V. Aggressive

angiomyxoma: a second case of metastasis with patient’s death. Hum Pathol 2003;34:1072-4.

En conclusion, dans notre observation la confusion avec un abcès et le délai entre l’apparition de la masse pelvienne et le diagnostic, permis par l’exérèse chirurgicale, illustrent la difficulté diagnostique des masses pelviennes. L’angiomyxome agressif est une tumeur rare et de faible malignité, il semble toutefois indispensable de connaître cette entité.

8. Bracey EE, Mathur P, Dooldeniya M, Joshi A, Dawson PM. Unusual

perianal tumours masquerading as abscesses. Int J Clin Pract 2003;57: 343-6.

9. McCluggage WG, Jamieson T, Dobbs SP, Grey A. Aggressive angiomyxoma of the vulva: Dramatic response to gonadotropin-releasing hormone agonist therapy. Gynecol Oncol 2006;100:623-5.

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