L’Encéphale (2010) 36S, D48—D58
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ÉPIDÉMIOLOGIE
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France Use of services and treatment adequacy of Major Depressive Episodes in France X. Briffault a,∗, Y. Morvan b, F. Rouillon c, R. Dardennes d, B. Lamboy e a
Césames CNRS (UMR 8136), Inserm U611, université Paris-Descartes, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France ED261, CMME, institut de psychologie, hôpital Sainte-Anne, université Paris-Descartes, Paris, France c CMME, hôpital Sainte-Anne, université Paris-Descartes, Paris, France d CMME, hôpital Sainte-Anne, université Paris-Descartes, Paris, France e Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), Saint-Denis, France b
Rec ¸u le 27 novembre 2007 ; accepté le 24 octobre 2008 Disponible sur Internet le 10 juin 2009
MOTS CLÉS Dépression ; Prévalence ; Recours aux soins ; Adéquation des traitements ; Secteur de recours
∗
Résumé Savoir à qui les personnes dépressives s’adressent pour obtenir de l’aide et les traitements qu’elles rec ¸oivent est essentiel pour améliorer la proportion de traitements adéquats. L’objectif de cet article est de mieux comprendre les recours aux soins et l’adéquation des traitements des personnes présentant un épisode dépressif majeur (EDM) en fonction des différents professionnels consultés, en utilisant les données d’une enquête épidémiologique nationale en population générale réalisée en 2005 (Baromètre santé 2005, n = 16883) par l’Institut National de prévention et d’éducation pour la santé. 7,8 % des personnes ont présenté un EDM dans l’année. Six sur dix ont eu recours aux soins ; 1/3 d’entre elles rec ¸oivent un traitement adéquat (21 % des EDM). Parmi les personnes qui ont eu recours aux soins, 2/3 ont eu recours à un professionnel soit 1/3 des EDM, la proportion restante (soit 21,4 % des EDM) ayant eu recours à des psychotropes sans avoir déclaré de recours à un professionnel pour raison de santé mentale. La quasi-totalité des recours le sont à un « professionnel compétent (PRC) » (soit 34,6 % des EDM). Au sein des PRC, le recours le plus important concerne les médecins généralistes (MG) (61 %, soit 21,1 % des EDM), le recours aux psychiatres (PCT) étant de 38,4 % (soit 13,3 % des EDM) et celui aux « psys » non psychiatres (PNP) de 27,8 % (soit 9,6 % des EDM). Les proportions les plus faibles de traitements adéquats sont observées chez les EDM qui déclarent ne pas avoir eu recours à un professionnel. Chez celles ayant eu recours à un PRC, la proportion la plus faible de traitements adéquats est observée pour le recours à un MG : 37,2 %. Les proportions les plus élevées s’observent pour le recours à un PCT (65,1 %) et en particulier pour le recours à un PCT et à un MG (79,7 %). Les proportions d’usage des différents types de traitements (antidépresseurs [ATD] et psychothérapie [PT]) sont très différentes. Pour les EDM, 33,4 % ont eu recours
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (X. Briffault).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2008.10.011
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France
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à des ATD (parmi lesquels 58,4 % ont également eu recours à des anxiolytiques [AXL]). 26,9 % ont eu recours à des AXL, 7,5 % sans prise d’ATD ; 10,8 % des EDM ont eu recours à la PT, 8,1 % ayant eu recours à la PT et aux ATD. © L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS Depression; Prevalence; Use of services; Treatment adequacy; Sector of recourse
Summary Introduction. — Though depressive disorders are major problems of public health, general population data about use of services and treatment adequacy are scarce in France. The literature suggests that the percentage of people suffering from mental disorders who are adequately treated is low. Aim of the study. — The objective of this study was to estimate the 12-month use of services in the French general population suffering from major depressive episodes (MDE) and levels of treatment adequacy. Method. — This analysis was conducted on data from the Health barometer 2005, an epidemiological survey concerning several health topics. Thirty thousand five hundred and fourteen individuals from 12 to 75 years old were interviewed by telephone from October 2004 to February 2005. Depressive disorders were assessed by a standardized tool, the CIDI-SF, according to DSM-IV classification. Results. — The mental health questions were answered by 16,883 individuals; i.e. by 60% of individuals aged 15 or older. One year prevalence of MDE was 7.8%. In this group, 58.2% used services in a 12-month period, though only 21% of the service users received adequate treatment. Amongst those who used services, 2/3 consulted health care professionals (i.e. 1/3 of people presenting a MDE). The remaining percentage — 21.4% — of people presenting a MDE used psychotropic drugs without mentioning any use of services for mental health problems. The vast majority of individuals with MDE who used services (34.6% of those with MDE) consulted a professional trained to treat depression (general practitioner, psychiatrist, psychologist and psychotherapist). Only a small proportion (19.9%) of those consulting a professional went to a non-specialist professional as well; and even less (6%) consulted only a non-specialist professional. Amongst trained professionals, most consultations (61%, or 21.1% of the MDE group) concern general practitioners; another 38.4% (13.3% of the MDE group) involved psychiatrists; and 27.8% (9.6% of the MDE group) went to psychologists or psychotherapists. Amongst the psychologists and psychotherapists, most consultations were with psychologists (74.1%). The proportion with adequate treatment differed according to the type of professional. Consulting a general practitioner is associated with the lowest levels of adequate treatment (37.2%, and for general practitioners only, 21.5%). Consulting a psychiatrist is associated with higher proportions of adequate treatment (65.1%, and for consulting a psychiatrist only, 60.7%). Consulting both a general practitioner and a psychiatrist is associated with the highest levels of adequate treatment (79.7%). Antidepressants (ATD) are used far more frequently than psychotherapy (PT): 33.4% of individuals with MDE used ATD, and among the latter, 58.4% had also used anxiolytic drugs (AXL). Finally, 26.9% of the MDE group used AXL, 7.5% without any use of ATD. For PT, 10.8% used PT, and 8.1% used PT and ATD. Discussion. — Improving use of professionals and treatment adequacy are two primary objectives from a public health perspective. Since most adequately treated people used an antidepressant therapy (90%), and only 30% a PT, use of psychotherapeutic approaches might be improved. Moreover, levels of treatment adequacy are very low in people presenting an MDE who did not consult for ‘‘mental health reasons’’. Improving the recognition of symptoms of depression might contribute to better treatment adequacy. © L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction L’importance des troubles psychiques et de leur bonne prise en charge est de mieux en mieux reconnue [9] or, on sait peu de choses en France sur les recours aux différents types de soin, les traitements rec ¸us et leur adéquation en fonction des professionnels consultés. Ces données sont importantes pour comprendre le recours aux soins en santé mentale et en tirer des conséquences sur les politiques à mettre en œuvre en termes de formation des professionnels, d’organisation du système de soin et d’information des publics concernés.
Parmi les troubles mentaux, la dépression unipolaire est certainement l’un de ceux qui a le plus d’impact social, économique et personnel : risques de chronicisation élevés, conséquences morbides à différents niveaux [17,19,24]. En France, l’épisode dépressif majeur (ou caractérisé, EDM dans le reste du texte), défini selon les critères actuels du DSM-IV-TR [4], est un trouble qui concerne chaque année 7,8 % de la population, soit environ trois millions de personnes [14,20,29]. Les traitements de la dépression ont été largement évalués et l’efficacité de nombreuses techniques a été démontrée (par exemple, [26] pp. 66-134). Plusieurs
D50 recommandations de bonne pratique en matière de prise en charge des épisodes dépressifs ont été publiées [5,21,25]. En France, une recommandation a été produite en 2002 par la HAS [12]. Elle préconise pour les épisodes d’intensité légère à modérée, un traitement par psychothérapie ou par antidépresseurs. Dans les dépressions sévères, la prise d’antidépresseurs est recommandée, l’association avec une psychothérapie également. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’absence de traitements adéquats chez les personnes présentant un EDM. Les personnes souffrant de dépression peuvent ne pas avoir recours au soin et donc ne pas recevoir de traitements. Il se peut également que bien qu’ayant consulté un professionnel, les personnes ne se voient pas proposer de traitement, que celui-ci ne soit pas adéquat, ou qu’il ne soit pas accepté [18]. Dans le cas où un traitement a été proposé et accepté, son observance peut alors être problématique et conduire in fine à un traitement non adéquat [15]. En France, le soin en santé mentale et en psychiatrie implique plusieurs types de professionnels. Cinq sont réputés pour avoir des compétences spécifiques dans le traitement de la dépression. Il s’agit des médecins généralistes (MG), des psychiatres, des psychologues, des psychothérapeutes et des psychanalystes. D’autres professionnels non spécialisés dans la prise en charge des questions de santé mentale y participent également de facto en fournissant des soins, tels que les spécialistes des « médecines douces » non médecins ou les spécialistes de médecines « traditionnelles ». D’autres professionnels y participent en tant que recours possible, mais ils ne fournissent pas de soins au sens médical ou psychothérapeutique du terme : travailleurs sociaux, infirmier(e)s, intervenants religieux... Actuellement, seuls les trois premiers titres (MG, psychiatre, psychologue) font l’objet d’une réglementation et de formations assurées par le système universitaire. Les effectifs de ces professionnels sont très différents. Les MG sont au nombre de 80 000 [13,27]. Il y a environ 13 000 psychiatres, dont plus de la moitié en pratique privée. On compte 36 000 psychologues, dont 5000 seulement travaillent en santé mentale — dont 80 % dans le secteur privé — et 51 000 infirmier(e)s travaillant en institution psychiatrique (qui n’ont pas de pratique libérale et ne peuvent donc être consultés qu’en hôpital) [31]. Les titres de psychothérapeute et de psychanalyste n’étant pas réglementés, il est particulièrement difficile d’en connaître le nombre exact. On peut estimer que le nombre de psychothérapeutes « ni psychologues—ni médecins » (regroupés dans deux grandes fédérations —AFFOP, FF2P-) se situe entre 3000 et 5000 personnes [8]. Pour les psychanalystes, sur la base des annuaires publiés des principales institutions psychanalytiques [10], on peut estimer leur nombre à un minimum d’environ 2000.
Cadre et objectifs de l’étude Cette étude s’inscrit dans le cadre de la conception d’un programme national d’intervention en santé publique, en France. Des actions visant à améliorer la prise en charge des personnes souffrant de dépression ont été planifiées dans le cadre de la loi de santé publique 2004 et du plan national « Psychiatrie et santé mentale 2005—2008 ». Dans
X. Briffault et al. ce contexte, une enquête épidémiologique nationale en population générale de grande envergure a été réalisée en 2005 (le Baromètre santé 2005) par l’Institut National de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). L’objectif de cet article est d’analyser les données de cette enquête épidémiologique franc ¸aise pour déterminer quelles sont les proportions de traitements adéquats selon les recommandations de bonne pratique chez les personnes présentant un EDM en fonction des différents professionnels consultés.
Méthode Les données analysées dans cet article sont issues du Baromètre santé 2005, une enquête de santé en population générale récurrente, réalisée en France tous les cinq ans par l’INPES. En 2005, l’enquête a été réalisée auprès de 30 514 personnes âgées de 12 à 75 ans parlant le franc ¸ais. Les données ont été recueillies par téléphone du 10 octobre 2004 au 12 février 2005 par des enquêteurs préalablement formés. Les numéros de téléphones ont été générés de manière aléatoire afin d’obtenir une base contenant des numéros de foyer disponibles sur les annuaires (listes blanches) ou non (listes rouges) ou de personnes ne disposant que d’un téléphone mobile (mobile exclusif). Une fois le foyer contacté, l’individu interrogé a été sélectionné selon la méthode anniversaire1 . L’enquête s’est déroulée tous les jours de la semaine (sauf le dimanche) de 16 heures à 21 heures et de dix heures à 18 heures le samedi. La durée moyenne du questionnaire a été de 40 minutes. Une société de surveillance était présente durant l’enquête afin de vérifier la bonne passation du questionnaire et la régularité de la procédure de sélection des individus au sein du ménage. Les données présentées ont ensuite été redressées selon les données du recensement national INSEE 1999 sur les variables sexe, âge, région et taille d’agglomération [14]. Les données utilisées dans cet article sont issues de deux des 17 sections thématiques (« Santé mentale » et « Consommation de soins ») du Baromètre santé 2005. Les questions de la section santé mentale ont été posées à un sous-échantillon aléatoire représentant 60 % des personnes âgées de plus de 15 ans (n = 16883, 16 710 après redressement). Les variables portant sur les EDM présents dans les 12 mois précédant l’enquête, ont été déterminées à partir des questions du CIDI-SF, version courte du CIDI développée par l’OMS en 2002 [1] et des critères du DSM-IV [4]. L’intensité des EDM a été évaluée à partir du nombre de symptômes et du retentissement sur les activités habituelles selon les critères du DSM-IV (par exemple, EDM sévère : un minimum de six symptômes dont au moins un symptôme majeur et un retentissement jugé comme important). Concernant le « recours aux soins », deux questions portant sur le recours à des professionnels ont été posées, l’une portant spécifiquement sur les motifs « psychologiques » et l’autre sur les motifs de « problèmes liés aux substances » : • « au cours des 12 derniers mois, avez-vous consulté un professionnel comme un médecin, psy, thérapeute,
1 Personne dont la date d’anniversaire à venir est la plus proche de la date de l’entretien téléphonique.
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France infirmière, assistante sociale, religieux. . .etc. pour des problèmes émotifs, nerveux, psychologiques ou des problèmes de comportement ? Si oui, lequel ou lesquels ? » ; • « au cours des 12 derniers mois, avez-vous consulté un professionnel comme un médecin, psy, thérapeute, infirmière, assistante sociale, religieux. . .etc. pour des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ? Si oui, lequel ou lesquels ? ». Une réponse positive à l’une ou l’autre des deux questions définit le recours au professionnel mentionné « pour raison de santé mentale ». Concernant les traitements, le recours à la psychothérapie a été évalué par les questions suivantes : « Au cours des 12 derniers mois, vous avez demandé de l’aide pour des problèmes émotifs, nerveux, psychologiques ou des problèmes de comportements. Quel type d’aide avez-vous rec ¸u ? ». Dans le cas ou l’aide rec ¸ue est une psychothérapie : « Poursuivez-vous une psychothérapie encore actuellement ? Depuis combien de temps dure-t-elle / Combien de temps a-t-elle duré ? » Les traitements psychotropes consommés ont été évalués par les questions suivantes : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous déjà pris des antidépresseurs, des anxiolytiques, des thymorégulateurs, des somnifères ou hypnotiques, des neuroleptiques ? Si oui, lesquels ? », « En prenez-vous toujours actuellement ? (Depuis) Combien de temps en (prenez-vous) avez-vous pris ? ». Une liste précodée non exhaustive a été utilisée dans le questionnaire du Baromètre santé 2005 pour les antidépresseurs et les anxiolytiques. Les noms de médicaments suivants étaient listés : anafranil, athymil, deroxat, divarius, floxyfral, laroxyl, prozac, seropram et « autres » pour les antidépresseurs ; buspar, lexomil, témesta, valium, xanax et « autres » pour les anxiolytiques. Les personnes déclarant avoir eu recours à des traitements psychotropes sans pour autant déclarer de recours à un professionnel pour raison de santé mentale durant la période considérée ont été incluses dans une définition élargie du recours aux soins, qui inclut donc les personnes ayant eu recours à un professionnel pour raison de santé mentale et celles ayant eu recours à des psychotropes sans recours à un professionnel pour raison de santé mentale déclarée. Cette dernière population est constituée de personnes qui ont consommé des psychotropes mais soit : • ont consulté un professionnel durant la période considérée, mais ne se reconnaissent pas dans la formulation « pour raison de santé mentale » ou refusent de répondre ; • ont eu recours à un professionnel avant les 12 mois considérés dans l’enquête et ont poursuivi le traitement prescrit durant cette période (par exemple, prescription pour une durée de trois mois) ; • ont consommé des psychotropes en automédication, qu’ils aient obtenus les produits auprès de proches, ou par des moyens détournés (achat sur Internet). Ainsi, le recours aux soins a été opérationnalisé comme étant le recours pour raison de santé mentale à un professionnel quel qu’il soit dans l’année de l’enquête ou la prise d’un psychotrope sans recours à un profes-
D51
sionnel pour raison de santé mentale déclarée sur la même période. Les différents types de professionnels auxquels les personnes souffrant de dépression ont eu recours ont été regroupés de la manière suivante : le recours à un professionnel quelconque est défini comme le recours à un « professionnel compétent » (infra) ou à un « professionnel non-spécialiste de la dépression ». Le recours à un professionnel compétent est défini comme le recours à « un médecin généraliste », « un psychiatre » ou « un « psy » non-psychiatre » (psychologue ou psychothérapeute ni psychologue ni médecin2 ). Le recours à un professionnel non-spécialiste de la dépression est défini comme le recours à un « professionnel diplômé d’État d’une autre discipline » (autre médecin spécialiste, infirmière, kinésithérapeute, travailleurs sociaux, autres professions de santé) ou le recours à un « professionnel non diplômé d’État » (spécialiste non-médecin des médecines douces, médecine traditionnelle, religieux, autres thérapeutes, NSP). Dans cet article, le « recours à un professionnel », quel qu’il soit, s’entend toujours « pour raison de santé mentale », le fait de n’avoir pas eu « recours à un professionnel » selon cette définition n’impliquant pas pour autant qu’aucun professionnel n’ait été consulté (supra). Concernant les durées des traitements, certaine études [11,32] ont utilisé une définition de l’adéquation très minimaliste au regard des recommandations actuelles. Les recommandations franc ¸aises, par exemple, sont en effet de poursuivre le traitement antidépresseur au moins six mois après la rémission des symptômes [12]. Par ailleurs, les traitements psychothérapiques qui ont démontré leur efficacité dans les troubles dépressifs, en particulier au suivi à moyen terme, sont plutôt de l’ordre de 16 à 20 semaines que de huit ([26] p. 132 et p. 80). Les auteurs ne mettent pas en évidence de différences d’efficacité entre psychothérapie et antidépresseurs pour le traitement de la dépression, ce qui est cohérent avec la définition de Fernandez et al. [11] qui considèrent comme adéquat un traitement psychothérapique ou pharmacologique. Nous adoptons donc la définition utilisée dans les études NCS-R et ESEMED [11,32], mais avec des critères plus stricts concernant la durée des traitements : six mois, pour les antidépresseurs comme pour la psychothérapie. Dans cette étude, le traitement adéquat de la dépression sera donc défini comme la prise d’un traitement antidépresseur dans l’année des troubles pendant une durée minimum de six mois ou le suivi d’une psychothérapie dans l’année des troubles pendant une durée minimum de six mois. Les effectifs et les proportions de recours aux soins, aux professionnels et de traitements adéquats ont été obtenus à partir de tableaux croisés, au sein de la population des EDM. Les calculs ont été réalisés en utilisant SPSS 15. Les données sont présentées sous la forme de tableaux ou de graphes de transition, selon le format le plus synthétique.
2 La catégorie « psychanalyste » n’était pas explicitement citée. En France, l’assimilation de la psychanalyse (des psychanalystes) à une psychothérapie (des psychothérapeutes) reste très débattue. Il est donc possible qu’une proportion (non évaluable) de personnes ayant consulté un psychanalyste ni médecin ni psychologue ne se soient pas reconnues dans la formulation « psychothérapeute ».
D52 Tableau 1
X. Briffault et al. Taux de refus dans l’enquête.
Taux. . .
Liste blanche/orange (%)
Liste rouge (%)
Mobile exclusif (%)
De refus ménage De refus individu D’abandon De refus global
27,0 5,2 7,5 34,7
37,8 7,3 9,6 45,2
18,1 3,0 4,2 43,0
Résultats Les différents taux de refus sont présentés dans le Tableau 1. Pour les ménages uniquement équipés de mobiles, ils sont peu élevés et surestimés dans la mesure où, parmi les refus, un certain nombre de foyers n’étaient pas éligibles en raison de la présence d’une ligne fixe au domicile (le refus s’étant opéré avant que l’enquêteur ne puisse poser de questions sur la possession d’une ligne fixe par l’enquêté). Par ailleurs, les taux ménages et individus sont exprimés à partir de bases de données différentes, les taux ne sont donc pas cumulables. Un indicateur global a été calculé pour chaque catégorie de contact (listes blanche, orange, rouge et mobile). La structure sociodémographique de l’échantillon est donnée dans le Tableau 2. Les deux premières colonnes présentent la structure de l’ensemble de l’échantillon ayant répondu aux deux sections « Santé mentale » et « Consommation de soins » et les deux dernières la sous-population des personnes ayant présenté un EDM, sur lesquelles porte cet article. La prévalence de ces épisodes dans cette enquête est de 7,8 % [14]. Le pourcentage d’EDM adéquatement traité (Tableau 3) est de 21 % ; 29,8 % chez les EDM sévères (donnée non présentée). Parmi les EDM, le pourcentage de personnes ayant eu recours aux soins est de 58,2 % ; 70 % pour les EDM sévères (donnée non présentée). Une importante part de la proportion de traitements non adéquats chez les EDM (41,8 %) est donc liée au simple fait de n’avoir eu aucun recours. Au sein des EDM ayant eu recours aux soins, les traitements se répartissent de la fac ¸on suivante : 10,6 % des traitements n’ont pu être qualifiés (traitements encore en cours, durées non spécifiées) ; 53,3 % sont non adéquats ; 36,1 % sont adéquats (Fig. 1 ; Tableau 3). Si l’on s’intéresse aux différents types de recours (Tableau 3), on observe qu’au sein de l’ensemble des EDM, la proportion de personnes n’ayant pas eu recours à un professionnel pour raison de santé mentale est de 63,2 %. Au sein de cette catégorie, la quasi-totalité (89,4 %) a eu
Figure 1
recours à un généraliste et seuls 6 % ont eu recours à un « psy » (psychiatre, psychologue, psychothérapeute, psychanalyste), pour des raisons autres que de « santé mentale ». Chez ceux qui n’ont pas eu non plus recours à des psychotropes, 87,3 % ont eu recours à un généraliste et 3,9 % à un « psy » pour des raisons autres que de santé mentale (données non montrées). Parmi les personnes qui ont eu recours aux soins, 63,2 % ont eu recours à un professionnel quelconque (soit 36,8 % des EDM). La proportion restante (soit 21,4 % des 58,2 % d’EDM ayant eu recours aux soins) ayant eu recours à des psychotropes sans avoir déclaré de recours à un professionnel pour raison de santé mentale. La quasi-totalité des recours à un professionnel le sont à un « professionnel compétent » (94 % soit 34,6 % des EDM). Seule une faible proportion a eu recours à un professionnel non spécialiste (19,9 % des recours à un professionnel) et une plus faible encore uniquement à ce type de professionnel (6 %). Au sein des professionnels compétents, la proportion la plus importante de recours est associée aux MG (61 % soit 21,1 % des EDM), le recours aux psychiatres étant de 38,4 % (soit 13,3 % des EDM) et celui aux « psys » non psychiatres (PNP) de 27,8 % (soit 9,6 % des EDM). Au sein des PNP, ce sont les psychologues qui représentent le recours le plus important (74,1 %), tandis que le recours aux psychothérapeutes est de 32,9 %. 21,7 % des recours à un professionnel compétent est un recours conjoint entre un généraliste et un professionnel du secteur spécialisé (soit 7,5 % des EDM) : généraliste et psychiatre seulement (9,1 %) ; généraliste et PNP seulement (8,8 %) ; les trois à la fois (3,8 %). Les proportions de traitements adéquats varient de fac ¸on importante en fonction du type de recours (Tableau 3). Les proportions les plus faibles sont observées chez les EDM qui déclarent ne pas avoir eu recours à un professionnel quel qu’il soit pour raison de santé mentale durant la période considérée. Il existe chez ces personnes une proportion de traitements adéquats de 8,6 % due à la proportion non négligeable d’entre elles (36,8 %) qui ont eu recours à un psychotrope. La proportion de traitements
Décomposition des proportions de recours, d’adéquation, et de motifs d’adéquation des EDM.
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France Tableau 2
D53
Structure sociodémographique de l’échantillon. Total (non redressé)
% colonne
EDM (non redressé)
% colonne
Classe d’âge 15—25 ans 26—35 ans 36—45 ans 46—55 ans 56—65 ans 66—75 ans
16,883 2,393 3,366 3,217 3,118 2,800 1,989
100,0 19,0 19,4 19,6 18,5 12,5 11,0
1404 222 277 337 285 183 100
100,0 21,8 19,4 24,5 18,2 9,5 6,7
Sexe Homme Femme
16,883 7,078 9,805
100,0 49,2 50,8
1404 389 1015
100,0 32,6 67,4
Situation professionnelle Travail Études Chômage Retraite Autres inactifs Au foyer Invalide Congé longue durée Congé parental Autre réponse Nsp/refus
16,883 18,937 1810 1249 3531 1356 694 232 63 207 142 18
100,0 53,4 14,1 7,2 18,0 7,3 51,2 17,1 4,6 15,3 10,5 1,3
1404 736 164 151 189 164 65 49 11 18 20 1
100,0 51,1 15,0 11,1 11,4 11,3 39,6 29,9 6,7 11,0 12,2 0,6
Niveau de diplôme 0—11 (nsp, aucun, cap, bep) =12 (bac, BP) 13—16 (1er /2nd cycle sup.) > 16 (3e cycle sup.)
16,883 8,988 2833 3730 1332
100,0 52,9 17,4 21,6 8,1
1404 719 270 336 79
100,0 51,6 19,6 23,3 5,5
Revenus nets par mois du foyer < 1000 D De 1000 à 2000 D De 2000 à 3000 D > 3000 D NSP/refus
16,883 1860 5,143 4036 3273 2571
100,0 8,1 26,7 24,8 23,1 17,4
1404 188 481 342 237 156
100,0 9,5 30,0 26,0 20,5 14,0
Statut marital Vie maritale Veuf, divorcé, séparé Célibataire
16,853 8,362 2647 5,844
100,0 54,0 10,0 36,0
1404 523 339 542
100,0 43,0 16,9 40,2
Région Uda Région parisienne Bassin parisien Nord Ouest Est Sud-ouest Centre-Est Mediterannée
16,764 2328 2693 1243 2694 1350 2059 2222 2175
100,0 19,3 17,5 6,9 13,4 8,8 10,5 11,9 11,7
1397 218 206 116 180 111 160 191 215
100,0 21,5 16,0 7,8 10,5 8,5 9,6 12,5 13,5
adéquats au sein de ces personnes est de 25,4 %. Cependant, lorsqu’elles déclarent y avoir eu recours « souvent », cette proportion passe à 42,8 %. Chez les EDM ayant eu recours à un professionnel, quel qu’il soit, la proportion de traitements adéquats est de 42,4 %, de 43,9 % chez celles ayant eu recours à un « professionnel compétent », et de 42 % chez celles ayant eu recours à un « professionnel non spécia-
liste » (19,1 % chez celles n’ayant eu recours qu’à ce dernier type de professionnel). Chez les EDM ayant eu recours à un « professionnel compétent », la proportion la plus faible de traitements adéquats est observée chez celles qui ont eu recours à un médecin généraliste : 37,2 % ont eu traitement adéquat (21,5 % dans le cas d’un recours uniquement à un généraliste). La proportion la plus élevée de traitements
D54 Tableau 3
X. Briffault et al. Recours et adéquation des traitements en fonction du type de recours. Recours
Adéquation
Effectif et % de référence
n (non redressé)
%j
Effectif et % de référence
n (non redressé)
%j
Recours aux soins Oui
1404 soit 100 %a
868b
58,2
Non
idem
536
41,8
1404 soit 100 %a 868 soit 100 %b 536 soit 100 %
323 323 0
21,0 36,1 0
548c 548c 856
36,8 63,2 63,2
548 soit 100 %c
204
42,4
856 soit 100 %
80
8,6
517d 517d 438 110e 31 79
34,6 94,0 80,1 19,9 6,0 13,9
517 soit 100 %d 438 soit 100 % 110 soit 100 %e 31 soit 100 % 79 soit 100 %
237 194 49 6 43
43,9 42,5 42,0 19,1 51,9
318 318 211 203 203 126 132f 132f 63 48 40 10 19 107 107
21,1 61,0 39,3 13,3 38,4 23,8 9,6 27,8 13,5 9,1 8,8 1,7 3,8 7,5 21,7
318 soit 100 % 211 soit 100 %
121 51
37,2 21,5
203 soit 100 % 126 soit 100 %
133 79
65,1 60,7
132 soit 100 %f 63 soit 100 % 48 soit 100 % 40 soit 100 % 10 soit 100 % 19 soit 100 %
72 30 35 23 7 12
49,3 40,7 79,7 55,6 69,0 55,9
107 soit 100 %
65
65,7
132 soit 100 %f idem idem idem idem
96 87 45 36 9
74,1 67,1 32,9 25,9 7,0
96 soit 100 % 87 soit 100 % 45 soit 100 % 36 soit 100 % 9 soit 100 %
49 44 28 2353,4 5
47,8 49,4 48,9
Professionnel non spécialiste de l’EDM Diplômé 110 soit 100 %e dont uniquement idem Non diplômé idem dont uniquement idem Les deux idem
80 51 59 30 29
71,5 44,0 56,0 28,5 27,5
80 51 59 30 29
38 23 26 11 15
43,4 41,6 42,3 38,4 46,4
Traitements adéquats de la dépression ATD ou PT 1404 soit 100 %a Antidépresseurs (ATD) idem Psychothérapie (PT) idem Les deux idem
537g 493 170 126
36,1 33,4 10,8 8,1
537 493 170 126
323 278 110 104
58,2 54,8 63,5 80,7
Anxiolytiquesi Anxiolytiques (AXL) dont uniquement
427 117
26,9 7,5
427 soit 100 % 117 soit 100 %
212 0
47,5 0
Professionnel quelconque pour raison de santé mentale Oui 1404 soit 100 %a 868 soit 100 %b Non 1404 soit 100 %a Type de professionnel Compétent dont uniquement Non spécialiste de l’EDM dont uniquement Les deux
1404 soit 100 %a 548 soit 100 %c idem idem idem idem
Professionnel compétent pour raison de santé mentale Généraliste 1404 soit 100 %a 517 soit 100 %d dont uniquement idem Psychiatre 1404 soit 100 %a 517 soit 100 %d dont uniquement idem PNP 1404 soit 100 %a 517 soit 100 %d dont uniquement idem Généraliste et Psychiatre idem Généraliste et PNP idem Psychiatre et PNP idem Les trois idem Secteur primaire et spécialisé 1404 soit 100 %a 517 soit 100 %d « psy » non-psychiatre (PNP) Psychologue dont uniquement Psychothérapeute dont uniquement Les deux
1404 soit 100 %a idem
soit soit soit soit soit
100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
soit soit soit soit
100 %g 100 % 100 % 100 %
32,2
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France
D55
Tableau 3 (Suite) Recours
Adéquation
Effectif et % de référence
n (non redressé)
%j
Effectif et % de référence
n (non redressé)
%j
idem 537 soit 100 %g
310 310
19,5 58,4
310 soit 100 %
193
59,8
398 242 324h 225 266 180
76,9 44,8 63,1 41,3 48,5 31,9
398 242 324 225 266 180
soit soit soit soit soit soit
100 % 100 % 100 %h 100 % 100 % 100 %
196 172 196 172 146 131
47,6 70,0 58,0 76,1 52,9 70,0
Traitements adéquats de la dépression chez un professionnel compétent ATD ou PT 517 soit 100 %d 364 70,2 Antidépresseurs (ATD) idem 324h 63,1 Psychothérapie (PT) idem 164 30,2 Les deux idem 124 23,1
364 324 164 124
soit soit soit soit
100 % 100 %h 100 % 100 %
237 196 106 102
62,5 58,0 63,3 80,5
163 0 146
59,3 0 63,1
80 52 79 51 44 34
25,4 42,8 48,7 62,9 26,8 42,3
Coprescription ATD + AXL Coprescription ATD + AXL
Psychotropes chez un professionnel compétenti Psychotropes 517 soit 100 %d Psychotropes souvent idem ATD idem ATD souvent idem AXL idem AXL souvent idem
Anxiolytiques chez un professionnel compétenti Anxiolytiques (AXL) 517 soit 100 %d dont uniquement idem Coprescription ATD + AXL idem Coprescription ATD + AXL 324 soit 100 %h
266 45 221 221
48,5 7,8 40,6 64,4
266 soit 100 % 45 soit 100 % 221 soit 100 %
Psychotropes chez les personnes sans recours aux professionnels pour raison de santé mentale déclaréei Psychotropes 1404 soit 100 %a 320 21,4 868 soit 100 %b 320 36,8 320 soit 100 % Psychotropes souvent idem 123 12,5 123 soit 100 % ATD idem 162 19,1 162 soit 100 % ATD souvent idem 82 9,2 82 soit 100 % AXL idem 152 16,4 152 soit 100 % AXL souvent idem 72 7,7 72 soit 100 % a
population des EDM. EDM ayant recours aux soins. c EDM ayant recours à un professionnel quelconque pour raison de santé mentale. d EDM ayant eu recours à un professionnel compétent pour raison de santé mentale. e EDM ayant eu recours à un professionnel non spécialiste pour raison de santé mentale. f EDM ayant eu recours à un « psy » non psychiatre (PNP) pour raison de santé mentale. g EDM ayant rec ¸u un traitement adéquat de la dépression (antidépresseur ou psychothérapie) sans prise en compte de la durée du traitement. h EDM ayant rec ¸u un traitement antidépresseur et ayant eu recours à un professionnel competent. i les % de traitements adéquats concernent dans ce cas uniquement les traitements antidépresseurs. j Les colonnes % dans ce tableau représentent les résultats obtenus à partir de l’échantillon redressé. b
adéquats s’observe chez les personnes ayant eu recours à un psychiatre (65,1 %, 60,7 % pour le recours uniquement à un psychiatre), en particulier chez celles qui déclarent avoir eu recours durant la période considérée à un psychiatre et un généraliste (79,7 %). Globalement, le recours conjoint généraliste/secteur spécialisé est associé à une proportion plus élevée de traitements adéquats (65,7 %). Chez les EDM ayant eu recours à un « psy » non-psychiatre, la proportion de traitements adéquats est de 49,3 % (40,7 % pour le recours uniquement à ce type de professionnel, 55,6 % pour celles ayant eu également recours à un généraliste, 69 % pour celles ayant eu également recours à un psychiatre). Les proportions de traitements adéquats sont similaires chez les psychologues et les psychothérapeutes
(47,8 et 48,9 % respectivement). Les proportions d’usage des différents types de traitements considérés (antidépresseurs et psychothérapie) sont très différentes (Tableau 3). Au sein de l’ensemble des EDM, 33,4 % ont eu recours à des antidépresseurs (parmi lesquels 58,4 % ont également eu recours à des anxiolytiques sur la période considérée). 26,9 % ont eu recours à des anxiolytiques, 7,5 % y ayant eu recours sans prendre de traitement antidépresseur. 10,8 % des EDM ont eu recours à la psychothérapie, 8,1 % ayant eu recours à la psychothérapie et aux antidépresseurs. Au sein des EDM ayant eu recours à un professionnel compétent, 63,1 % ont eu recours à des antidépresseurs (41,3 % « souvent ») ; 30,2 % ont eu recours à la psychothérapie ; 23,1 % ont eu recours aux deux. 48,5 % ont eu recours à des anxiolytiques (31,9 % à
D56 des anxiolytiques « souvent ») ; 7,8 % y ayant eu recours sans antidépresseurs sur la période considérée. Au sein des EDM n’ayant pas déclaré de recours à un professionnel pour raison de santé mentale durant la période considérée, 36,8 % ont tout de même consommé des psychotropes et la proportion de traitements adéquats y est de 25,4 % (12,5 % déclarant en avoir consommé souvent avec une proportion de traitement adéquat de 42,8 %). Parmi elles, 19,1 % ont consommé des antidépresseurs (9,2 % « souvent ») et 16,4 % ont consommé des anxiolytiques (7,7 % « souvent »). Ces personnes ont très majoritairement eu recours à un généraliste (92,8 %) et 9,4 % ont eu recours à un « psy » pour une raison autre que de « santé mentale ». Au sein de ceux qui ne rec ¸oivent pas de traitement adéquat, 72,1 % n’ont pas pris d’antidépresseurs, pourcentage le plus élevé de tous les types de recours (données non présentées).
Limites L’étude est transversale et ne permet pas d’analyser les séquences temporelles. L’enquête par entretien téléphonique a exclu les personnes sans téléphone. L’échantillon ne comprend pas les personnes âgées de moins de 15 ans ou de plus de 75 ans. Les données recueillies sur l’utilisation des services et des traitements sont déclaratives et des biais de remémoration ou d’erreurs sont donc possibles. Seuls 44,9 % des EDM déclarant avoir pris un antidépresseur dans l’année ont déclaré un nom de médicament de la liste précodée (anafranil, athymil, deroxat, divarius, floxyfral, laroxyl, prozac, séropram) et seuls 52,5 % des EDM déclarant avoir pris un anxiolytique dans l’année ont déclaré un nom de médicament de la liste précodée (buspar, lexomil, témesta, valium, xanax). Les traitements pris n’étant donc pas connus avec précision en raison de cette importante marge d’incertitude, les noms des médicaments n’ont pu être utilisés pour déterminer l’adéquation des traitements. Des erreurs d’attribution des classes médicamenteuses sont donc possibles, ce d’autant que les patients peuvent confondre un antidépresseur avec une benzodiazépine. Cependant, ces erreurs potentielles d’attribution ne portent que sur les 50 % environ de déclarations dont les noms de médicaments n’ont pas été donnés. Par ailleurs, aucune information relative sur les doses effectivement prises n’était disponible. En raison de ces deux biais, on peut estimer que la proportion des traitements adéquats est surévaluée dans cette étude. Seuls les EDM ont été évalués dans notre enquête. Cela implique que parmi les personnes qui ne présentent pas ces épisodes, certaines peuvent répondre aux critères d’autres troubles qui ne sont pas évalués ici. La population non dépressive selon nos critères n’est donc pas nécessairement une population sans troubles et peut présenter des comorbidités psychiatriques non détectées [2], ce qui est susceptible d’influencer les recours et les traitements [13], dans le sens d’une surévaluation du recours pour raison de dépression spécifiquement. L’instrument diagnostique utilisé, le CIDI-SF est plus sensible, mais moins spécifique que le CIDI [23], ce qui tend à surévaluer la prévalence des EDM. Il n’a pas été mis en œuvre de protocole d’analyse des refus ou des non-réponses. Les informations spécifiques aux professionnels ont été évaluées uniquement par leur statut.
X. Briffault et al. Or, d’autres variables telles que les conditions d’exercice ou l’expérience des professionnels peuvent intervenir dans l’adéquation des traitements délivrés. Les recours conjoints observés ne résultent pas nécessairement d’une démarche s’inscrivant dans le cadre d’un travail collaboratif entre deux secteurs plutôt que d’une démarche autonome du patient. De plus, la bonne adéquation d’un traitement observée chez un professionnel donné ne suppose pas nécessairement que celle-ci soit la résultante de l’action de ce seul professionnel. Elle peut, par exemple, être liée aux différents types de patientèles que rec ¸oivent ces professionnels [6]. L’équivalence faite entre prévalence des troubles et besoin de soin tend à surévaluer le besoin réel de soin. On pourrait considérer que le besoin ne concerne que les troubles qui durent (durée des épisodes et/ou récurrence). À partir de données prospectives, on observe que la moitié des personnes touchées par un épisode guérissent en moins de trois mois et 76 % en moins de 12 mois [28]. Nos résultats pourraient donc surestimer le besoin de soin, en considérant des troubles spontanément résolutifs comme devant être traités. Cependant, des données rétrospectives ont investigué des amplitudes temporelles plus importantes. Ainsi, l’étude Depres-II met en évidence, sur un échantillon de personnes souffrant de « dépression » au sens large (dépression majeure, dépression mineure, symptômes dépressifs) et ayant eu recours aux soins pour cela, que le début des troubles remontait en moyenne à 45 mois avant l’évaluation [30]. Par ailleurs, la présence des troubles pouvait être estimée à 20 % du temps de vie des personnes qui en souffrent [3] avec un risque important de récurrence des épisodes [7]. L’observation ponctuelle d’une rémission spontanée ne peut donc être utilisée comme seul indicateur du besoin de soin. Enfin, il faut garder à l’esprit que la définition critériologique des troubles dépressifs utilisée ici, comme dans toute étude épidémiologique, ne rend que partiellement compte de l’entité clinique qu’est la dépression [22]. De plus, l’adéquation des traitements est évaluée ici de fac ¸on « minimaliste », en ne prenant en compte que la durée du traitement selon les recommandations de bonnes pratiques cliniques. Les modalités précises de mise en oeuvre des traitements (par exemple posologie des antidépresseurs, techniques psychothérapeutiques utilisées) ne sont pas prises en consideration. Pour résumer, nos résultats auront donc plutôt tendance à surestimer la prévalence des EDM, le besoin de soins et la proportion de traitements adéquats.
Discussion Le niveau d’adéquation des traitements des EDM en France est à un niveau préoccupant. Seules 21 % des personnes ayant présenté un tel épisode ont en effet eu un traitement adéquat selon la définition utilisée. La véritable proportion de traitements adéquats est probablement légèrement plus élevée, si l’on considère que parmi les traitements dont l’adéquation n’a pu être qualifiée (10,6 %), une certaine proportion aboutira à des traitements adéquats. Bien que cette proportion ne puisse être formellement évaluée, il est raisonnable de penser que le rapport traitements adéquats/traitements non adéquats est le même au sein des traitements non qualifiables qu’au sein des traitements
Recours aux soins et adéquation des traitements de l’épisode dépressif majeur en France qualifiables. Ces résultats confirment la nécessité, soulignée par les objectifs de santé publique, en France, d’intervenir pour améliorer la proportion d’EDM adéquatement traités. Le recours aux soins, avec la définition élargie que nous utilisons, concerne près de trois EDM sur cinq, chiffre sensiblement plus élevé que celui des analyses préliminaires de ces données (38,3 %), qui ne comprenait que le recours aux professionnels pour raison de santé mentale [14]. Au sein de notre définition du recours aux soins, un tiers est un recours à des psychotropes sans recours à un professionnel pour raison de santé mentale déclarée, deux tiers sont des recours à des professionnels pour raison de santé mentale déclarée, soit 36,8 % des EDM. Dans notre enquête, la quasi—totalité des recours sont des recours à des « professionnels compétents », la part de recours au secteur informel ne concernant que 7,3 % des EDM et le recours uniquement à ce secteur seulement 2,2 % des EDM. Près des deux tiers des recours à des professionnels compétents sont des recours à un généraliste (soit 57,3 % des recours à un professionnel quelconque), ce qui est cohérent avec les résultats de l’enquête DEPRESI pour l’échantillon franc ¸ais de l’étude (60,5 %) [16]. Plus d’un tiers des recours à des professionnels compétents sont des recours aux psychiatres (soit 36,1 % des recours à un professionnel quelconque) et plus d’un sur quatre à un PNP (soit 26,1 % des recours à un professionnel quelconque). Ces résultats diffèrent de ceux de l’enquête DEPRES-I. Toutefois, la comparabilité des données avec l’étude DEPRES-I est limitée dans la mesure où les données de recours aux professionnels dans l’enquête DEPRES-I concernent des personnes qui ne souffrent pas uniquement d’un EDM mais également de dépressions mineures et de symptômes dépressifs, ce qui tend à minorer le recours aux professionnels du secteur spécialisé. Par ailleurs, chez les 58,2 % de personnes ayant eu recours aux soins, la proportion de traitements adéquats reste faible, à 36,1 %. La faible proportion de traitements adéquats de la dépression s’explique donc tout autant par la faiblesse du recours aux soins que par la faible proportion de traitements adéquats après recours aux soins. Améliorer le recours et améliorer l’adéquation des traitements après recours sont donc deux cibles d’importance similaire pour améliorer la proportion globale d’EDM adéquatement traités. Concernant les EDM, nos résultats confirment que les antidépresseurs sont le principal traitement de la dépression en France : parmi les personnes adéquatement traitées, près de neuf personnes sur dix ont eu un traitement antidépresseur, trois personnes sur dix une psychothérapie et une personne sur dix une psychothérapie sans prise d’antidépresseurs. Globalement, ce sont 33,4 % des EDM qui ont eu recours à des antidépresseurs contre seulement 10,8 % à une psychothérapie. Parmi les personnes qui ont eu recours à un professionnel compétent, ces pourcentages sont de 63,1 et 30,2 % respectivement. En termes de recommandations, l’incitation à la prise d’un traitement, si elle doit viser l’ensemble des traitements, peut viser plus particulièrement la psychothérapie, dont la marge de progression semble importante. L’un des intérêts de cette étude est que la définition du recours utilisée intègre les personnes ayant eu recours aux professionnels pour raison de santé mentale, mais également celles qui ont fait usage de psychotropes sans avoir déclaré de recours à un professionnel pour ce motif. Au
D57
sein de cette population, la proportion de traitements adéquats est très faible (25,4 %). Pourtant, la quasi-totalité a consulté un généraliste, voire pour une très faible proportion un « psy », pour des raisons déclarées autres que de santé mentale. Globalement, au sein de la population qui n’a pas eu recours à un professionnel pour raison de santé mentale, la proportion de traitements adéquats est extrêmement faible (8,6 %). Ces résultats indiquent d’une part que la population ayant eu recours à des psychotropes sans avoir eu recours à un professionnel pour raison de santé mentale n’y a très probablement pas recours sur le mode de l’automédication, puisque la quasi-totalité a en fait eu recours à un généraliste. D’autre part, ils semblent montrer l’importance d’avoir recours aux soins « pour raison de santé mentale » dans le fait de recevoir un traitement adéquat. En termes de communication, il est donc essentiel de porter à la connaissance du public et des professionnels les informations nécessaires à l’identification des troubles dépressifs, en termes non seulement syndromiques (définition critériologique), mais également en termes de vécu expérientiel, pour favoriser tant l’identification que la reconnaissance des troubles. Nos résultats montrent que la proportion de traitements adéquats est bien meilleure chez les spécialistes que chez les généralistes. Ce constat est d’autant plus préoccupant que les généralistes sont les professionnels les plus consultés par les EDM. L’importante différence observée dans nos résultats entre les MG et les professionnels spécialisés, en particulier les psychiatres, amène à s’interroger sur les raisons de cette différence qui ne peut être imputée aux seuls professionnels, en raison du caractère systémique et multifactoriel de l’accès à un traitement adéquat. Si l’on peut supposer que les spécialistes de la santé mentale sont logiquement mieux formés que les MG pour prendre en charge des troubles psychologiques, on peut aussi penser qu’ils rec ¸oivent des patients différents, socialement, cliniquement, mais aussi en termes de reconnaissance des troubles, de représentations sur la maladie, les attributions et les compétences du professionnel consulté. Les principaux résultats de cette étude sont : • que le faible niveau d’adéquation des traitements de la dépression en France tient tant à la relative faiblesse du recours aux professionnels, tout particulièrement aux professionnels considérés comme compétents, qu’à la faiblesse d’une prise en charge adéquate chez les personnes ayant eu recours ; • qu’il existe une importante différence dans le niveau de recours selon que sa définition inclut ou non le motif de recours pour raisons de santé mentale ; • qu’il existe une importante différence dans la proportion de traitements adéquats, selon que les personnes consultent pour raison de santé mentale ou non ; • qu’il existe d’importantes disparités dans l’adéquation des traitements rec ¸us en fonction des professionnels consultés, le recours aux professionnels spécialisés et plus encore le recours conjoint au secteur primaire et spécialisé, étant celui qui offre aux personnes dépressives les meilleures chances de bénéficier d’un traitement adéquat.
D58
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