Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 316-25 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765899001513/REV
Réunion de neuroanesthésie
Remplissage vasculaire au cours des 24 premières heures après traumatisme crânien grave N. Bruder, F. Gouvitsos Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Timone, bd Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5, France
RE´SUME´ Le premier objectif de la réanimation du traumatisé crânien pendant les 24 premières heures est le maintien d’une pression artérielle normale ou élevée. Un remplissage vasculaire est donc presque toujours nécessaire. L’osmolarité sanguine ne doit pas diminuer, ce qui contre-indique l’utilisation des solutés hypotoniques. L’hyperglycémie est également un facteur aggravant des lésions cérébrales et les solutés glucosés sont contre-indiqués au cours des premières heures de la réanimation. Le sérum physiologique (NaCl à 0,9 %) est le soluté de première intention. Les colloïdes n’ont pas d’avantage par rapport aux cristalloïdes sur la formation de l’œdème cérébral. Ils sont indiqués pour remplacer les pertes sanguines. Quel que soit le soluté utilisé, le traitement de l’hypovolémie et de l’hypotension est l’objectif prioritaire, justifiant d’apporter autant de soluté que nécessaire pour obtenir une stabilité hémodynamique. Les solutés hypertoniques ont un effet expanseur volémique pour un faible volume perfusé et diminuent la pression intracrânienne. Ils ont probablement des indications en phase préhospitalière, mais la preuve de leur efficacité fait encore défaut. Le monitorage du remplissage vasculaire est un élément essentiel du traitement. Le cathétérisme artériel et la mesure de la pression veineuse centrale sont toujours indiqués. Les nouvelles modalités de surveillance, comme la mesure des variations de la pression artérielle systolique ou le doppler transœsophagien, sont à développer. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
ABSTRACT Volume loading in the first 24 hours following severe head trauma. The main goal at the acute phase of head injury is to prevent a decrease in blood pressure, which promotes cerebral ischemia. Volume loading is therefore frequently indicated. A normal or increased plasma osmolarity should be maintained. Thus hypotonic fluids should be avoided. Hyperglycaemia is also a risk factor for brain injury and glucose use has to be restricted in the first hours after trauma. Isotonic saline 0.9% is the first solution to be infused. Lactated Ringer solutions are mildly hypotonic as approximately 114 mL of free water is contained in each litre of the solution. Isotonic colloids are indicated to replace blood losses, but have no advantage over cristalloids, concerning the development of cerebral oedema. Fluid restriction minimally affects cerebral edema. Because of the severe consequences of hypovolaemia and hypotension, fluids should not be restricted until haemodynamic stability is achieved. Hypertonic fluids rapidly restore intravascular volume and decrease intracranial pressure. Although they probably have a place in prehospital intensive therapy, the demonstration of their benefit is still lacking. Monitoring of intravascular volume is essential. Continuous arterial pressure and central venous pressure monitoring are mandatory. New monitoring techniques as the measurement of systolic pressure variations or transoesophageal Doppler echocardiophy will probably find a place in the management of trauma patients in the near future. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
traumatisme crânien / remplissage vasculaire / œdème cérébral
head trauma / volume loading / cerebral oedema
Travail présenté aux XXIes Journées de l’Association de neuroanesthésie-réanimation de langue française, Bordeaux, 18-19 novembre 1999.
On sait depuis plusieurs années que l’hypotension est fréquente au cours des 24 premières heures posttraumatiques. Elle est constatée chez 11 à 33 % des patients lors de l’admission à l’hôpital et elle aggrave significativement le pronostic neurologique
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[1, 2]. Dans la série de la Traumatic Coma Data Bank, portant sur 1 030 patients consécutifs étudiés de manière prospective, l’hypotension hospitalière multipliait la mortalité par un facteur 2,5 [2]. L’hypotension peropératoire est tout aussi délétère, augmentant la mortalité de plus de 300 % [3]. C’est probablement pendant les 24 premières heures après le traumatisme que le maintien d’une pression de perfusion cérébrale (PPC) élevée est le plus nécessaire. Il a été montré que les valeurs les plus basses du débit sanguin cérébral (DSC) sont mesurées dans les huit premières heures post-traumatiques [4]. C’est à cette période que le risque d’ischémie cérébrale est le plus élevé. Au-delà de la 24e heure, la majorité des patients ont un tableau d’hyperhémie cérébrale et un risque ischémique cérébral moindres. Une étude récente chez 21 traumatisés crâniens (TC) graves dans les premières heures suivant le traumatisme a confirmé ces données [5]. L’augmentation de la pression de perfusion cérébrale (PPC) de 52 ± 14 mmHg à 77 ± 10 mmHg augmente la valeur de la saturation veineuse jugulaire en oxygène (SjO2) de 57 ± 11 % à 73 ± 9 %, témoignant d’un meilleur rapport consommation/apport en oxygène cérébral. Il est donc recommandé « le maintien ou le rétablissement d’une stabilité tensionnelle, d’une PPC ainsi que d’un transport de l’O2 adéquat » [6]. La question des moyens permettant la restauration de cette PPC n’est pas clairement résolue. Le remplissage vasculaire est certes toujours la thérapeutique de première intention. En revanche, les quantités à administrer, le type de soluté, et la durée du remplissage vasculaire sont toujours l’objet de controverses. Il n’y a certainement pas de réponse unique à ces questions. Le raisonnement doit s’appuyer d’une part sur les données récentes sur le remplissage vasculaire des polytraumatisés et d’autre part sur les relations entre remplissage vasculaire et risque d’œdème cérébral. EFFETS DU REMPLISSAGE VASCULAIRE SUR LA CIRCULATION ET L’ŒDÈME CÉRÉBRAL Remplissage vasculaire et hémorragie non contrôlée Lorsque l’hémorragie est limitée (fracture osseuse par exemple), le remplissage vasculaire permet le
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plus souvent de rétablir un état hémodynamique satisfaisant. Mais dans les hémorragies sévères, un remplissage vasculaire excessif peut être à l’origine de complications. Expérimentalement, dans des modèles de choc hémorragique non contrôlé, la mortalité des animaux est augmentée lorsque le remplissage vasculaire vise à maintenir une pression artérielle élevée [7]. Ceci est lié à une hémorragie plus importante [8] en partie liée à la majoration des troubles de la coagulation par dilution des facteurs de la coagulation, lorsque le remplissage vasculaire augmente [9]. En outre, un remplissage vasculaire rapide pourrait aggraver le déficit immunitaire après choc hémorragique par rapport à un remplissage vasculaire plus lent [10]. Ces résultats expérimentaux montrant une aggravation du pronostic par augmentation de la vitesse ou de la quantité du remplissage vasculaire ont été retrouvés dans quelques études cliniques. Dans une étude prospective et randomisée, chez 598 patients traumatisés, le groupe de patients recevant un remplissage vasculaire avait une mortalité significativement plus élevée que celui des patients n’ayant pas bénéficié d’un remplissage jusqu’à l’arrivée à l’hôpital [11]. Ceci pourrait être lié à un taux de complications plus important, notamment d’origine respiratoire ou infectieuse. Déterminants de l’œdème cérébral Cerveau sain Les facteurs déterminant les mouvements d’eau sont radicalement différents au niveau des capillaires cérébraux et au niveau des capillaires périphériques. À la périphérie, les mouvements d’eau sont déterminés par la loi de Starling : Q = K . S共 Pc − Pi 兲 − s共 pc − pi 兲 K et s : constantes ; S : surface capillaire ; Pc : pression hydrostatique capillaire ; Pi : pression hydrostatique interstitielle ; pc : pression oncotique capillaire ; pi : pression oncotique interstitielle. Ce sont donc les pressions hydrostatiques et oncotiques qui déterminent l’apparition d’un œdème interstitiel au niveau du capillaire périphérique. Ceci n’est pas vrai au niveau des capillaires cérébraux, en raison des caractéristiques particulières de la barrière hématoencéphalique (BHE). Celle-ci possède des pores très étroits (7 à 9 Å versus 65 Å pour le capillaire périphérique). Cette taille des pores empêche
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Figure 1. Contenu en eau du cerveau. La gravité spécifique de la matière cérébrale est d’autant plus basse que son contenu en eau est élevé. Dans cette étude sur le cerveau sain, le contenu en eau du cerveau est significativement augmenté par la diminution de l’osmolalité, mais pas par celle de la pression oncotique (d’après Zornow et al. [15]).
non seulement le passage des protéines, mais aussi celui des ions entre le secteur vasculaire et le secteur interstitiel cérébral. La BHE se comporte comme une membrane osmotique, à travers laquelle les mouvements d’eau sont déterminés par la pression osmotique régnant de part et d’autre de cette membrane [12, 13]. Celle-ci est liée au nombre de molécules en solution. On parle d’osmolarité quand on exprime le pouvoir osmolaire par litre de soluté et d’osmolalité quand on l’exprime par kilogramme de soluté. Les protéines ont un poids moléculaire élevé, mais sont peu nombreuses, ce qui explique que leur osmolalité dans le sang soit seulement de 1,2 mOsm⋅kg–1, alors que celle des ions en solution est d’environ 285 mOsm⋅kg–1. La pression osmotique générée par ces ions est puissante. Théoriquement, un gradient de 19,3 mmHg peut être généré pour chaque milliosmole de différence de chaque côté de la BHE, c’est-à-dire pratiquement autant que la totalité de la pression oncotique vasculaire (24 mmHg) [14]. Ces calculs théoriques ont été validés par plusieurs études animales. Zornow et al. [15] ont pratiqué des plasmaphérèses chez des lapins pour modifier séparément la pression oncotique ou l’osmolalité plasmatique. Alors qu’une diminution
de l’osmolalité de 13 mOsm⋅kg–1 augmentait significativement le contenu en eau du cerveau et la pression intracrânienne (PIC), une baisse de la pression oncotique de 50 % ne modifiait pas ces variables (figure 1). Cerveau traumatisé Un traumatisme crânien provoque toujours des lésions hétérogènes, comprenant des zones cérébrales où la BHE est normale, des zones où la rupture de la BHE est complète et, peut-être, des zones où la BHE, partiellement lésée, se comporte comme le capillaire périphérique; mais ceci n’a pas été démontré. Chez l’animal soumis à une lésion cérébrale thermique reproduisant une lésion traumatique, une réduction de 50 % de la pression oncotique augmente significativement la quantité d’eau au niveau du muscle ou du jéjunum. En revanche, la baisse de la pression oncotique n’a aucun effet sur la PIC, ou la quantité d’eau cérébrale mesurée au site de la lésion, à sa périphérie ou à distance [16]. Le type de liquide de remplissage iso-osmolaire utilisé (macromolécules, sang, cristalloïdes) n’a pas d’influence sur le contenu en eau du cerveau lésé bien que les pressions oncotiques des solutés soient très
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différentes [17]. On peut donc conclure que sur le cerveau sain autant que sur le cerveau lésé, la pression osmotique est le déterminant essentiel des mouvements d’eau du secteur vasculaire vers le secteur interstitiel ou intracellulaire. La pression oncotique joue un rôle très faible, voire nul. Effets de l’hémodilution sur la circulation cérébrale La baisse de l’hématocrite étant proportionnelle à la quantité de solutés perfusés, les effets de l’hémodilution sur la circulation cérébrale sont importants à prendre en compte. L’hémodilution a été largement utilisée dans le traitement de l’ischémie cérébrale focalisée. En effet, il est clair que le DSC augmente quand l’hématocrite diminue [18]. Cette augmentation peut être mise en évidence soit par la mesure vraie du DSC, soit plus simplement grâce au doppler transcrânien, qui montre une augmentation des vitesses circulatoires cérébrales [19]. Deux mécanismes peuvent expliquer la relation entre la baisse de l’hématocrite et l’augmentation du DSC. Le premier est un mécanisme d’autorégulation métabolique visant à maintenir un apport en oxygène constant lorsque le contenu en oxygène artériel baisse. Le second est un mécanisme rhéologique lié à la baisse de la viscosité sanguine qui est parallèle à celle de l’hématocrite. Il persiste une controverse sur l’influence respective de ces deux mécanismes. La diminution de la pression tissulaire en oxygène est le principal mécanisme responsable de l’augmentation du DSC jusqu’à un hématocrite d’environ 25 %. En dessous de cette valeur, la vasodilatation cérébrale est maximale et l’augmentation du DSC est proportionnelle à la baisse de la viscosité sanguine. Mais en situation d’ischémie cérébrale, la vasodilatation est déjà maximale et la baisse de la viscosité permet d’augmenter le débit sanguin. Ceci explique pourquoi, dans des modèles d’ischémie cérébrale chez l’animal, l’hémodilution (hématocrite = 30 %) permet de limiter la taille de l’infarctus cérébral [20]. Chez l’homme, l’hémodilution augmente le DSC dans les zones ischémiques, le transport en oxygène en aval d’une sténose carotidienne serrée [21], et améliore le score neurologique des patients. De plus, après une thrombose carotidienne, le volume de l’infarctus cérébral est corrélé à la valeur de l’hématocrite [18]. Cet effet protecteur de l’hémodilution
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sur l’ischémie cérébrale est attribué à l’augmentation de la circulation collatérale liée à la baisse de la viscosité sanguine. Il existe donc de nombreuses données théoriques, expérimentales et cliniques permettant de penser que l’hémodilution jusqu’à un hématocrite de 30 à 35 % améliore la circulation cérébrale en situation d’ischémie. Cependant, les études multicentriques sur l’effet de l’hémodilution à la phase aiguë d’un accident vasculaire cérébral n’ont pas montré d’amélioration des patients grâce à cette technique. Ces études ont été critiquées en raison d’une baisse trop lente de l’hématocrite en plusieurs jours, d’une hémodilution insuffisante (hématocrite supérieur à 35 %), ou de patients inclus trop tardivement dans l’étude (48 heures après l’accident vasculaire). Chez le patient traumatisé crânien, il n’existe certainement aucun inconvénient à maintenir l’hématocrite à 30 %, voire 25 %. Hyperglycémie et lésion cérébrale Il est bien établi expérimentalement que l’hyperglycémie avant ou pendant un épisode d’ischémie cérébrale aggrave le pronostic neurologique. Une équipe a montré chez le primate que la perfusion de quantités de glucose assez faibles (50 mL de soluté glucosé à 5 %) aggravait sévèrement le score neurologique des animaux après 17 minutes d’ischémie cérébrale globale, bien que la glycémie des animaux recevant le glucose soit peu augmentée (1,81 versus 1,40 g⋅L–1) [22]. Les mécanismes de cette aggravation liée à l’apport de glucose ne sont pas complètement élucidés. En clinique, quelques études rétrospectives ont montré une relation nette entre le niveau de la glycémie des patients à l’arrivée à l’hôpital et le pronostic neurologique [23]. Le seuil de 11 mmol⋅L–1 est habituellement retenu comme facteur aggravant du pronostic. Cependant, il n’est pas possible de savoir si cette hyperglycémie est la cause de l’aggravation des lésions cérébrales ou seulement un marqueur de la gravité du traumatisme. SOLUTÉS DU REMPLISSAGE VASCULAIRE Cristalloïdes isotoniques Les cristalloïdes ont par définition une pression oncotique nulle mais une osmolarité entre 0 et environ 1 000 mOsm⋅L–1. D’une façon générale, tous les
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solutés contenant du glucose sont hypotoniques, car celui-ci est métabolisé et il persiste une certaine quantité d’eau libre. La perfusion de 500 mL de sérum glucosé à 5 % est équivalente à l’apport de 500 mL d’eau pure. Les cristalloïdes isotoniques sont représentés principalement par le Ringer lactate et le sérum salé à 0,9 %. L’osmolarité du sérum salé est de 308 mOsm⋅L–1 et l’osmolalité de 304 mOsm⋅kg–1. Il s’agit donc d’un soluté très légèrement hyperosmolaire (osmolalité plasmatique = 285 mOsm⋅kg–1). En revanche l’osmolarité du Ringer lactate est de 273 mOsm⋅L–1 et l’osmolalité de 255 mOsm⋅kg–1, ce qui en fait un soluté légèrement hypotonique. Ceci veut dire que 114 mL d’eau libre sont apportés par chaque litre de Ringer lactate. Ceci peut avoir des conséquences sur la formation de l’œdème cérébral, lorsque de grandes quantités de liquides sont perfusées. Colloïdes Du fait de l’absence de relation entre pression oncotique et œdème cérébral, on peut s’attendre à ce qu’il existe peu de différence entre les cristalloïdes et les colloïdes pour la réanimation du TC. La grande majorité des études expérimentales n’ont effectivement pas pu trouver de différence entre cristalloïdes et colloïdes sur le transport artériel en oxygène ou l’œdème cérébral [24]. Il persiste une incertitude sur les effets cliniques respectifs des deux types de solutés du fait de l’absence d’étude clinique prospective comparant ces solutés de remplissage vasculaire chez le traumatisé crânien. Solutés hypertoniques Mannitol Le mannitol est le soluté hypertonique le plus connu et le plus utilisé. Il existe en solution à 10, 20 ou 25 % (osmolarité de 549, 1 098 et 1 372 mOsm⋅L–1). L’hémodilution et le remplissage vasculaire dus au mannitol ont pour effet d’augmenter le DSC. Initialement le mannitol possède un pouvoir d’expansion volémique supérieur au volume perfusé [25]. Cet effet est transitoire (30 minutes à 1 heure) en raison de l’élimination rénale du mannitol et de l’hypovolémie consécutive à la diurèse osmotique. Il faut donc compenser la diurèse liée à l’utilisation du mannitol. De plus, le mannitol diminue la PIC à la
fois par un mécanisme rhéologique [26] et par son action osmotique. Un effet secondaire du mannitol est une hypotension de durée brève (quelques minutes) lors d’une perfusion rapide qui serait due à une vasodilatation systémique. Un effet secondaire théorique du mannitol est la possibilité de son accumulation intracérébrale lors d’administrations répétées, conduisant à une augmentation de l’osmolalité intracérébrale et donc à une aggravation de l’œdème cérébral. Ceci a été montré chez l’animal, chez qui l’administration de cinq bolus de mannitol provoque une augmentation de 3 % du contenu en eau de la substance blanche [27]. Cet effet secondaire n’a pas été retrouvé de manière convaincante chez l’homme. L’administration de fortes doses comporte également un risque d’insuffisance rénale par nécrose tubulaire. Ce risque augmente en présence d’une hypovolémie et d’une osmolarité sanguine supérieure ou égale à 320 mOsm⋅L–1. La compensation de la diurèse et la surveillance de l’osmolarité sanguine sont donc des paramètres importants lors d’un traitement par du mannitol. Autres solutés hypertoniques Effets hémodynamiques L’intérêt des solutés hypertoniques est un effet de remplissage important sous un faible volume. Expérimentalement chez le chien, la perfusion d’un volume de NaCl à 7,5 % égal à seulement 10 % du volume de sang perdu permet de restaurer rapidement une pression artérielle et un débit cardiaque normaux [28]. Dans ce type d’étude, la survie des animaux est de 100 % après perfusion de sérum hypertonique et de 0 % après perfusion du même volume de sérum physiologique. Les effets du sérum salé hypertonique sont transitoires, mais la perfusion simultanée d’une solution colloïde hypertonique permet de prolonger les effets hémodynamiques (figure 2). L’effet des solutés hypertoniques sur la pression artérielle est dû à plusieurs mécanismes. L’effet expanseur-volémique correspond à trois à quatre fois le volume perfusé. L’augmentation du débit cardiaque est également due à une augmentation de la fréquence et de la contractilité, ainsi qu’à un effet vasodilatateur artériolaire favorisant l’éjection systolique. La diminution de la viscosité sanguine, liée à l’hémodilution, diminue aussi la postcharge ventriculaire. À charge osmolaire égale,
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l’effet du sérum salé hypertonique sur la PIC paraît comparable à celui du mannitol (figure 3) [29]. Expérimentalement, la PIC est plus basse et le transport cérébral en oxygène plus élevé après correction du choc hémorragique par des solutés hypertoniques que par du soluté isotonique [30]. Cependant, les études multicentriques n’ont pas montré de bénéfice clinique de l’administration de soluté salé hypertonique (250 mL à 7,5 %) dans le cadre de la réanimation préhospitalière [31, 32]. Globalement, la mortalité n’est pas diminuée, mais dans deux sous-groupes (patients nécessitant une intervention chirurgicale et TC), le soluté hypertonique paraît bénéfique. Pour les traumatisés crâniens, la survie passe de 16 % (sérum isotonique) à 32 % (sérum hypertonique) mais la différence n’est pas statistiquement significative. Une analyse rétrospective suggère une amélioration possible du pronostic grâce à l’utilisation du sérum salé hypertonique chez les traumatisés crâniens avec hypotension, mais ceci doit être confirmé par une étude prospective [33]. Il existe donc des arguments théoriques et cliniques pour perfuser du soluté salé hypertonique dans le cadre de l’urgence chez les patients traumatisés crâniens hypovolémiques. À plus long terme, l’intérêt du soluté hypertonique paraît moins clair. Une accumulation de sodium au niveau de la lésion pourrait aggraver l’œdème cérébral, ce qui a été montré dans une étude comparant le NaCl à 7,5 % au mannitol [34]. Ensuite, contrairement à celui-ci, il n’existe pas d’étude en réanimation montrant un bénéfice de l’administration répétée de soluté salé hypertonique. Un des problèmes majeurs est l’apparition rapide d’une hypernatrémie. Il est clairement démontré qu’une natrémie supérieure à 170 mmol⋅L–1 entraîne des effets délétères importants [35]. Enfin, l’adaptation cérébrale à l’hypernatrémie « chronique », au-delà de 24 heures, fait courir un risque d’œdème cérébral lorsque la natrémie diminue rapidement, même si, en valeur absolue, celle-ci reste élevée. Des solutés hypertoniques autres que le NaCl à 7,5 % sont en cours d’investigation, mais semblent apporter peu de bénéfice supplémentaire. Effets immunitaires Les solutés hypertoniques semblent interférer de manière significative avec la fonction immunitaire à la fois in vitro et in vivo. Ceci est important, car les complications infectieuses sont fréquentes après TC.
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Figure 2. Pouvoir d’expansion volémique des solutés hypertoniques. L’apport de dextran permet de prolonger l’effet d’expansion.
Dans une étude multicentrique regroupant 734 patients, 41 % d’infections pulmonaires et 10 % de septicémies ont été observées [36]. In vitro, le soluté salé hypertonique diminue l’adhésion leucocytaire sur l’endothélium et augmente la prolifération de lymphocytes T. In vivo, le choc hémorragique, traité par des solutés isotoniques, s’accompagne d’une augmentation des concentrations circulantes d’interleukine 4 (IL4) et de prostaglandine E2 (PGE2), probablement à l’origine d’une inhibition de la prolifération des lymphocytes T. Le traitement du choc par le sérum hypertonique normalise les taux d’IL4 et de PGE2 et la prolifération lymphocytaire [37]. Chez la souris soumise à une péritonite par ligature et ponction cæcale et à un choc hémorragique, la mortalité est de 77 % après perfusion de Ringer lactate et de 14,3 % après soluté hypertonique, pour des quantités perfusées comparables en termes d’expansion volémique. Cette différence est expliquée par une diminution du nombre des cultures bactériologiques positives et l’amélioration des scores histopathologiques pulmonaires [38]. Produits sanguins Compte tenu du faible retentissement de la pression oncotique sur l’œdème cérébral, l’albumine ou le plasma n’ont pas d’indication spécifique en neurotraumatologie. Les concentrés globulaires ne sont indiqués que lorsque l’hématocrite chute en dessous de 30 %, pour augmenter le transport d’oxygène
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l’augmentation du transport en oxygène [41] et pourraient permettre de tolérer des hématocrites très bas [41-43]. D’autres effets des solutés d’hémoglobine pourraient contribuer à leur action favorable. D’une part, l’hémoglobine fixe le NO qui aurait des effets délétères dans le cadre de l’ischémie. D’autre part, ces solutés ont un effet vasoconstricteur périphérique qui augmente la PPC. REMPLISSAGE VASCULAIRE EN PRATIQUE Évaluation de la volémie
Figure 3. Évolution dans le temps de l’osmolalité sanguine et de la PIC après infusion de sérum salé ou de mannitol hypertonique dans un modèle de lésion cérébrale traumatique. À charge osmolaire égale (∆Osmol⋅kg–1), l’évolution de la PIC par rapport à la valeur de base (∆PIC) est similaire dans les deux groupes d’animaux et significativement plus basse que la PIC des animaux recevant du sérum isotonique (d’après Zornow et al. [29]).
cérébral. Sur les lieux de l’accident, ou lors des hémorragies massives, il est rare de disposer immédiatement des quantités nécessaires de produits sanguins. Les solutés purifiés d’hémoglobine, en cours d’étude, pourraient être intéressants, car ils augmentent le transport de l’oxygène sans comporter les risques immunologiques et infectieux de la transfusion sanguine et seraient immédiatement disponibles. Expérimentalement, ces solutés sont plus efficaces que les colloïdes, mais moins que le sang pour la correction du choc hémorragique [39, 40]. En outre, ces solutés auraient un effet protecteur cérébral lié à
Une hypovolémie est souvent présente chez le TC, en raison des lésions associées. Une fracture du fémur par exemple occasionne une hémorragie de 1 000 à 1 500 mL. Une plaie du scalp peut également occasionner des pertes sanguines massives. Il est cependant difficile d’évaluer la volémie. Après un traumatisme, l’hypotension artérielle et la tachycardie sont d’origine multifactorielle et d’interprétation difficile. De plus, les variations de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle ne sont pas corrélées à l’importance de l’hémorragie. La mesure de la pression veineuse centrale est habituelle en cas d’hypovolémie. La pression dans l’oreillette droite est assimilée à la pression veineuse centrale et, chez les sujets à cœur sain, il existe une corrélation entre la pression auriculaire gauche et la PVC [44]. Mais cette relation statistique est très variable d’un patient à l’autre, expliquant qu’à PVC donnée normale correspond une pression capillaire basse, normale ou élevée. La mesure de la pression d’occlusion de l’artère pulmonaire (PAPO) par cathéter de Swan-Ganz, associée à la mesure du débit cardiaque, apporte une information plus précise pour le monitorage de la volémie. Mais ces mesures ne sont pas exemptes de critiques méthodologiques et sont rarement possibles à la phase aiguë du traumatisme. De plus, les risques liés au cathétérisme artériel pulmonaire limitent ses indications. L’évaluation du débit cardiaque par la mesure, au moyen d’un doppler œsophagien, de la vitesse des hématies dans l’aorte thoracique descendante peut être une méthode intéressante du fait de son caractère peu invasif [45]. En plus des variations du débit cardiaque, la forme du spectre doppler est modifiée par l’hypovolémie (figure 4). Une étude a montré
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Stratégie du remplissage vasculaire
Figure 4. Représentation schématique du spectre doppler dans l’aorte descendante obtenue par voie transœsophagienne. Outre la diminution du débit cardiaque, l’hypovolémie modifie le spectre et les valeurs de durée d’éjection et de pic de vélocité.
que l’optimisation du remplissage vasculaire guidée par cette méthode chez des patients opérés d’une fracture du fémur permettait de diminuer la durée d’hospitalisation [46]. Cependant, les études réalisées dans le cadre de la réanimation du patient traumatisé sont insuffisantes pour évaluer le bénéfice clinique réel de cette méthode. Les variations respiratoires de la pression artérielle systolique (PAS) en fonction de la volémie sont connues de longue date et connaissent actuellement un regain d’intérêt. Le niveau de référence est la pression systolique de fin d’expiration mesurée lors d’une apnée brève. L’augmentation de la PAS lors du cycle respiratoire est appelé le delta up et sa diminution le delta down. Une étude récente a montré que celui-ci est un indicateur plus fiable de l’hypovolémie que la PAPO ou que la mesure de la surface télédiastolique ventriculaire gauche par échographie transœsophagienne chez des patients septiques [47]. Dans cette étude, une valeur de delta down supérieure à 5 mmHg avait une valeur prédictive positive de 95 % pour prédire l’augmentation de l’index cardiaque par le remplissage. Si ces résultats sont confirmés chez les patients traumatisés, l’intérêt est évident du fait du monitorage quasi systématique de la pression artérielle après TC grave. Enfin, la valeur de la pression partielle de CO2 de fin d’expiration (PETCO2) et le gradient alvéoloartériel en CO2 peuvent être des indicateurs d’hypovolémie. Ces modifications sont dues à la diminution du débit cardiaque qui provoque une augmentation de l’espace mort alvéolaire et une diminution de la production de CO2 par hypométabolisme [48, 49].
Volume à administrer Lors de la prise en charge initiale du TC, il n’y a pas lieu de limiter les apports volémiques, tant que l’état hémodynamique est instable. L’attitude consistant à restreindre le remplissage, pour limiter l’hémorragie par le biais de l’hypotension, n’est pas recommandable en raison du risque d’aggravation des lésions cérébrales. Par la suite, le remplissage vasculaire doit viser à maintenir une volémie normale, ce qui pose à nouveau le problème du monitorage. En pratique, le remplissage vasculaire est souvent la solution de facilité afin d’éviter les risques de l’hypovolémie, mais ceux d’un remplissage vasculaire excessif sont sous-estimés. Outre les troubles de la coagulation liés à l’hémodilution, potentiellement très délétères en cas de lésion cérébrale, l’hyperhydratation peut aggraver un œdème cérébral ou pulmonaire. Un œdème pulmonaire neurogénique pourrait être présent chez 10 % des TC reçus dans une unité de soins intensifs, ce qui représenterait 41 % des causes d’hypoxie dans les 12 heures qui suivent le traumatisme [50]. Soluté à administrer Le soluté de remplissage de première intention est le soluté salé isotonique (NaCl à 0,9 %). Il a peu d’effets secondaires, est très bon marché, et disponible en poches plastiques pouvant être perfusées sous pression. Si l’état initial du patient suggère la présence d’une hypertension intracrânienne, du mannitol peut être associé. L’effet recherché est un effet osmotique et de remplissage vasculaire. Les pertes urinaires liées à son utilisation doivent être compensées volume pour volume. L’hydroxyéthylamidon à 6 % peut également être utilisé pour compenser les pertes sanguines jusqu’à une dose maximale de 33 mL⋅kg–1. L’avantage par rapport aux cristalloïdes est de posséder un pouvoir d’expansion volémique plus important et plus durable. En effet, chez le sujet sain, seulement 20 % des cristalloïdes perfusés restent dans le secteur vasculaire. Une expansion volémique de 1 litre nécessite donc environ 1 litre d’hydoxyéthylamidon et 5 litres de NaCl à 0,9 %. Le soluté salé hypertonique à 7,5 % a probablement une place dans la réanimation initiale du TC en état de choc hémorragique. Ses modalités d’utilisation et la confirmation de son efficacité doivent
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encore être apportées pour en recommander l’utilisation en pratique clinique de routine. Lorsqu’il est utilisé, il est impératif de surveiller l’osmolarité qui doit rester inférieure à 320 mOsm⋅L–1. Le seuil de transfusion des concentrés globulaires n’est pas connu, mais se situe probablement entre un hématocrite de 25 à 30 %. Il est important de corriger rapidement les troubles de la coagulation par l’apport de plasma lors des hémorragies sévères du fait du risque d’hémorragie cérébrale à la phase aiguë du traumatisme.
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CONCLUSION 11
Les solutés isotoniques ne contenant pas de glucose peuvent tous être utilisés pour la réanimation hydroélectrolytique du TC. Les colloïdes n’ont pas d’avantage par rapport aux cristalloïdes sur la formation de l’œdème cérébral. Quel que soit le soluté utilisé, le traitement de l’hypovolémie et de l’hypotension est l’objectif prioritaire, justifiant d’apporter autant de soluté que nécessaire, pour obtenir une stabilité hémodynamique. Les solutés hypertoniques associant dextran et soluté salé ont probablement des indications en phase préhospitalière, mais la preuve de leur efficacité fait encore défaut. Dès l’admission à l’hôpital, la mise en place d’un monitorage associant au minimum le cathétérisme artériel et la mesure de la PVC est indispensable lorsque l’état hémodynamique est instable.
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