formation |thérapeutique
Risques infectieux et anticorps monoclonaux utilisés pour le traitement des maladies systémiques ou hématologiques Les nouvelles molécules issues des biothérapies (anticorps monoclonaux ou récepteurs à la surface de cellules) ont révolutionné le traitement des maladies systémiques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Toutefois, ces molécules s’accompagnent d’un risque élevé d’infections opportunistes, majoré pour l’anti-TNF alpha, et justifient d’un dépistage précoce des infections latentes et la mise en place de traitements prophylactiques pour en limiter la morbidité.
L
es biothérapies utilisant des anticorps monoclonaux dirigés contre des cytokines ou des récepteurs à la surface des cellules ont révolutionné le traitement des maladies systémiques, de certaines hémopathies et de la sclérose en plaques. Leur mode d’action consiste en une inhibition des réponses immunes cellulaires ou humorales ou en l’inhibition directe de cytokines impliquées dans la physiopathologie de ces maladies. La classification actuelle de ces biothérapies distingue les anticorps monoclonaux et les protéines analogues ou antagonistes des récepteurs (tableau I).
Les anti-tumor necrosis factor α
Les anti-tumor necrosis factor α (anti-TNFα) ont la capacité de bloquer le TNFα. Trois molécules sont commercialisées, qui sont soit des anticorps monoclonaux : infliximab (Remicade®), adalimumab (Humira®) ; soit un récepteur soluble couplé à une partie constante d’immunoglobuline : étanercept (Enbrel®).
Tableau I. Classification des nouvelles biothérapies Anticorps anti-TNFα (Remicade®, Humira®) Anticorps anti-CD20 (Mabthera®) Anticorps LFA (Raptiva®) Anti-CD52 (MabCampath®) Anti-intégrine α 4 (Tysabri®) Protéines analogues Récepteur soluble du TNF (Enbrel®) ou antagonistes de Analogue de l’IL-1 RA (Kineret®) récepteurs Protéine de l’antigène CTLA4 des lymphocytes (Orencia®)
Anticorps monoclonaux
Tableau II. Affections déclarées dans le cadre du RATIO Infection opportuniste
Infection bactérienne grave nécessitant une hospitalisation Lymphome
14
Tuberculose ou mycobactériose atypique Mycose systémique Listériose Légionellose Salmonellose Parasitose opportuniste Virose opportuniste Toute autre infection opportuniste Septicémie Arthrite septique Fasciite nécrosante Méningite
Les données de tolérance de ces molécules sont plutôt bonnes, avec toutefois une augmentation modérée du risque d’infections bactériennes sévères et un risque accru de tuberculose, en particulier de réactivation d’une tuberculose latente (risque relatif de l’ordre de 7 à 17 par rapport à la population générale). Ce risque est plus élevé avec les anticorps monoclonaux qu’avec l’étanercept. Des recommandations sur la prophylaxie antituberculeuse et l’utilisation de ces molécules ont été réévaluées par l’Assaps en France en 2005 (figure 1). Un registre national regroupant tous les cas d’infections opportunistes, d’infections bactériennes graves et de lymphomes a été établi (registre RATIO). Ce registre, dont les objectifs sont de décrire les infections opportunistes survenant chez les patients sous anti-TNFα, d’étudier les facteurs de risque et d’estimer l’incidence des infections opportunistes, regroupe tous les patients entre février 2004 et février 2007 (tableau II). Pendant la période 2005-2007, 57 711 patients-année ont été traités en France par anti-TNFα (49 % étanercept, 33 % infliximab, 18 % adalimumab) ; 276 cas d’événements liés au traitement ont été notifiés (169 infections opportunistes, 70 infections bactériennes graves, 37 lymphomes) (tableau III).
1*/!&*&/&"-0**/& %"40*,/&"*/*3*/')&.6/6/-&/6 +0 )+&.-),& &*",+0-/0"- 0(+." " %"- %"-*/6 6!"*/!"/0"- 0(+." +*/$" "/-!&+!0,+0)+* )) /-!&+!0,+0)+**+-)(" 60/"-*/&
7 )) *. +0 ( &5 /&+* ) 0$".
0$".
-+,%3(2&"*/& )+&.
-&/")"*/!"/0"- 0(+." 7 )+&.
#6-"-!".")&*". (*/& | Figure 1. Recommandations de prophylaxie antituberculeuse, Afssaps 2002 (actualisées en 2005) IDR : intradermoréaction – RIF : rifampicine – INH : isoniazide
OptionBio | Lundi 23 février 2009 | n° 413
thérapeutique
Tableau III. Infections bactériennes sous anti-TNFα Incidence d’infection bactérienne Pneumopathie/sinusite Cellulite/tissus mous Bactériémie /sepsis Infection urinaire Infection postopératoire Infection sur cathéter Arthrite septique Infection abdominale Sinusite Ostéomyélite
Anti-TNFα 2,7 % 25 23 7 8 7 6 4 2 3 13
Méthotrexate 2% 23 17 8 10 5 4 4 8 0
Étude rétrospective sur 2 933 patients. Suivi médian : 17 mois. Curtis JR et al. Risk of serious bacterial infections among rheumatoid arthritis patients exposed to tumor necrosis factor alpha antagonists. Arthritis Rheum. 2007 ; 56 (4) : 1125-33.
L’âge moyen était de 54 ans ; 63 % des patients étaient des femmes. Le délai entre le début du traitement et l’apparition des symptômes des infections opportunistes était en moyenne de 53 semaines (2-192). Dix-huit pour cent des cas ont justifié une hospitalisation en réanimation et 5 % de décès ont été enregistrés. Malgré la prophylaxie, le risque de tuberculose persiste (69 cas en 3 ans) avec une atteinte extrapulmonaire dans 55 % des cas. L’incidence de la tuberculose chez les patients traités par anti-TNFα est estimée à 39,2/100 000 (6,0/100 000 sous étanercept, 71,5/100 000 sous adalimumab et infliximab). Des infections à germes à multiplication intracellulaire sont également décrites, en particulier la légionellose (26 cas survenus en 3 ans, tous d’origine communautaire). L’incidence de la légionellose dans la population générale est de 2/100 000. Elle est nettement plus élevée chez les patients sous antiTNFα, avec un risque relatif compris entre 16,5 et 21/100 000. Il semblerait que la prise en compte de ce risque justifie d’emblée chez les patients sous anti-TNFα et développant une pneumonie un traitement par les fluoroquinolones. Concernant les autres biothérapies disponibles et également utilisées dans les maladies systémiques et hématologiques, très peu d’études ont été effectuées.
L’alemtuzumab L’alemtuzumab (MabCampath®) est un anticorps monoclonal humanisé anti-CD52 spécifique d’une glycoprotéine CD52 exprimée à la surface des lymphocytes périphériques. Il induit une déplétion lymphocytaire importante et prolongée, s’accompagnant d’un risque élevé d’infections opportunistes. L’utilisation de cette molécule impose chez les patients une prophylaxie de la pneumocytose.
Le natalizumab Le natalizumab (Tysabri®) est un anticorps monoclonal antiintégrine α1-4. Cette molécule est indiquée en monothérapie dans le traitement des formes très actives de sclérose en plaques. Depuis la commercialisation de ce médicament, 5 cas de LEMP ont été déclarés chez 17 000 patients traités. Bien qu’il soit difficile d’établir des chiffres précis sur l’incidence, la survenue de ces cas montre que même si elle est très rare, les prescripteurs doivent être alertés afin de dépister tôt cette infection très grave. À côté des anticorps monoclonaux, d’autres agents synthétisés par génie génétique sont disponibles.
L’anakinra L’anakinra (Kineret®) est un antagoniste de LEMP sous natalizumab compétitif de l’IL-1 utilisé dans la polyarthrite rhumatoïde. Son efficacité paraît aussi bonne que celle de l’anti-TNFα, mais cette molécule semble augmenter le risque de pneumonie.
L’abatacept L’abatacept (Orencia®) agit sur la costimulation entre les lymphocytes T et les cellules présentatrices d’antigène (module de façon sélective la costimulation et bloque l’activation des lymphocytes T). Cette molécule est utilisée dans la polyarthrite rhumatoïde, en cas d’échec des anti-TNFα. D’après les premières études de phase 2 et de phase 3, la prise de cette molécule ne semble pas augmenter le risque d’infections pulmonaires.
En conclusion
L’anti-CD20
Source Communication de D. SalmonCéron, 9 e Colloque Maurice Rapin, Infections chez l’immunodéprimé, 17 octobre 2008, Paris.
| formation
L’anti-CD20, rituximab (Mabthera®), est un anticorps monoclonal chimérique recombinant qui cible les lymphocytes B. Il entraîne une lymphopénie B sanguine profonde et prolongée et, à plus long terme, une hypogammaglobulinémie qui peut être sévère. Cette molécule est indiquée dans le traitement des lymphomes non hodgkiniens en association à une chimiothérapie, dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde sévère ou réfractaire et hors AMM (autorisation de mise sur le marché) au cours de certaines maladies systémiques (vascularites ou lupus érythémateux disséminé, LED). La prise de rituximab majore le risque d’infection. Des infections sévères à germes pyogènes ont été décrites ainsi que de très rares cas de leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) (<1/10 000).
Ces nouvelles molécules issues des biothérapies ont toutes un rapport bénéfice/risque positif. Elles sont amenées à se développer dans les années à venir. Le risque infectieux n’est pas négligeable pour certaines d’entres elles (risque plus élevé avec les anticorps monoclonaux qu’avec les récepteurs solubles et clairement majoré sous anti-TNFα). Des mesures simples, visant à dépister et à traiter toute infection latente avant de débuter le traitement, et à évoquer une infection opportuniste devant tout syndrome infectieux chez un patient traité, permettent le plus souvent d’éviter une morbidité importante par ces infections. |
OptionBio | Lundi 23 février 2009 | n° 413
CHANTAL BERTHOLOM professeur de microbiologie École nationale de physique-chimie-biologie, Paris (75)
[email protected]
15