Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 857-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801005093/SCO
Cas clinique
Rupture traumatique de l’isthme aortique révélée par un infarctus mésentérique F. Ben Salem1*, H. Gamra2, M. Louzi1, L. Grati1, M. Gahbiche1 1
Service d’anesthésie-réanimation, centre hospitalo-universitaire de Monastir, avenue du 1er Juin, 5000 Monastir, Tunisie ; 2service de cardiologie, centre hospitalo-universitaire de Monastir, avenue du 1er Juin, 5000 Monastir, Tunisie
RE´SUME´ La rupture traumatique de l’isthme aortique est une complication grave des accidents à haute vélocité avec décélération brutale. Lorsque la lésion ne provoque pas la mort immédiate du patient, les signes cliniques initiaux sont parfois très discrets. Les auteurs rapportent le cas d’un patient de 23 ans victime d’un accident de la voie publique engendrant une rupture traumatique de l’isthme aortique. Le diagnostic a été posé après la survenue d’un infarctus mésentérique. Le mécanisme de l’ischémie mésentérique est discuté avec une référence particulière à la précocité nécessaire du diagnostic et du traitement d’une lésion aortique chez un blessé pour éviter ce type de complications. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS infarctus mésentérique / polytraumatisme / rupture aortique
ABSTRACT Traumatic rupture of the aortic isthmus revealed by mesenteric infarct. The traumatic rupture of the aortic isthmus is one of the worst complication due to high speed motor vehicle accidents. When death is not the immediate consequence of this lesion, the initial clinical signs are not very clear. The present article demonstrates the case of a 23– year-old patient, victim of a car accident. A traumatic aortic rupture was actually diagnosed after the unusual discovery of a mesenteric infarct. In this case report, the mesenteric infarct mechanism can be controversed, and an emphasis should be put on an early aortic lesion diagnosis and repair
Reçu le 26 mars 2001 ; accepté le 19 septembre 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Ben Salem).
in order to avoid any ischaemic complications. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS aortic rupture / mesenteric infarction / trauma
Les ruptures de l’isthme aortique sont des lésions particulièrement graves des traumatismes violents avec décélération brutale [1-3]. Les rares survivants admis à l’hôpital peuvent avoir des signes cliniques discrets dans un contexte de polytraumatisme [4]. Le cas rapporté est celui d’un patient victime d’une rupture traumatique de l’isthme aortique (RTIA) révélée de façon exceptionnelle par un infarctus mésentérique. OBSERVATION Un homme de 23 ans, sans antécédent particulier, a été amené aux urgences suite à un accident de la voie publique par choc fronto-latéral entre deux voitures. Le blessé, passager avant et sans ceinture de sécurité, a été évacué par un transport non médicalisé. À l’arrivée, il était conscient sans détresse vitale, notamment cardiovasculaire. Le bilan lésionnel initial mettait en évidence une fracture de l’ulna droite et une fracture-luxation du cotyle fémoral droit avec paralysie sciatique. L’échographie abdominale n’a pas montré d’épanchement intrapéritonéal. Alors que la radiographie du thorax montrait un élargissement du médiastin supérieur avec effacement du bouton aortique, ce cliché a été jugé normal vu l’absence de fractures de côtes et sa qualité en position couchée. Le patient a été amené au bloc opératoire pour réduction de la luxation de la hanche associée à une traction transcondylienne et plâtre pour la fracture de
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F. Ben Salem et al.
Figure 1. TDM abdominale sans injection de produit de contraste 11 h après le traumatisme. Coupe transversale au niveau du foie montrant une aéroportie (flèche).
Figure 2. Artériographie de l’aorte thoracique de face 20 h après le traumatisme montrant une rupture de l’isthme aortique, avec extravasation limitée du produit de contraste et un blocage de la sonde au niveau du faux anévrysme (flèche).
l’ulna. Une douleur abdominale s’est installée progressivement après le réveil de l’anesthésie, associée à une défense. L’échographie et surtout l’examen TDM abdominal sans injection de produit de contraste ont montré une distension des anses digestives avec une aération de la paroi de l’intestin grêle et du système porte (figure 1). La laparotomie décidée à la 12e heure post-traumatique a révélé un infarctus mésentérique avec nécrose du grêle étendue sur 2 m environ, épargnant 1 m de jéjunum et 10 cm d’iléon terminal. Une résection du grêle infarci et une double iléostomie ont été pratiquées. L’examen anatomopathologique a confirmé la nécrose ischémique de la muqueuse, alors que la sous-muqueuse présentait de nombreux vaisseaux thrombosés et un infiltrat inflammatoire. On évoquait la possibilité d’une lésion aortique. L’examen TDM thoracique a suspecté la rupture de l’isthme aortique, que l’aortographie a confirmé au niveau de la lésion de l’aorte descendante juste en dessous de l’isthme, avec extravasation limitée du produit de contraste et image de striction de l’aorte empêchant la sonde de progresser (figure 2). À noter que cet examen a été pratiqué par voie humérale droite en raison de la réduction d’amplitude des pouls fémoraux par rapport à ceux des membres supérieurs. Un gradient de PAS a été trouvé à 70 mmHg entre l’artère radiale (130 mmHg) et l’artère fémorale (60 mmHg) en période préopératoire immédiate. La réparation sous CEC partielle fémoro-fémorale a consisté en une résection d’environ 5 cm d’aorte sous-isthmique avec interposition d’un greffon en
Dacront avec clampage aortique de 15 minutes. La ventilation artificielle a été maintenue pendant la première semaine postopératoire, en raison d’une pneumopathie nosocomiale. L’évolution ultérieure a été favorable avec rétablissement de la continuité digestive et correction de la fonction rénale. COMMENTAIRES La RTIA est une lésion de décélération qui peut se voir en dehors de toute atteinte de la cage thoracique [5]. Elle réalise un faux anévrysme sousadventiciel quand la lésion intéresse à la fois l’intima et la média, alors que l’adventice permet le maintien de la continuité vasculaire. La rupture des trois tuniques est possible, entraînant alors une hémorragie massive foudroyante souvent incompatible avec la survie, et dont le diagnostic est parfois fait à l’autopsie [6]. La rupture traumatique de l’aorte, souvent localisée à la région isthmique, est différente d’une dissection aortique non traumatique qui peut s’étendre à toute l’aorte et atteindre l’artère mésentérique supérieure [7]. L’ischémie intestinale associée à une RTIA n’a été signalée à notre connaissance qu’à deux reprises dans la littérature. Dans le premier cas [8], l’ischémie intestinale, associée à une atteinte médullaire et rénale, était secondaire au clampage de l’aorte sousisthmique par le faux anévrysme lui-même. Le deuxième cas rapporté s’apparentait plus à notre observation du fait d’une atteinte isolée et segmentaire de l’intestin [9]. La chute de la perfusion intes
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RTIA et infarctus mésentérique
tinale entraînée par l’hypotension en aval d’une rupture aortique peut expliquer l’ischémie mésentérique. Cependant, un infarctus mésentérique isolé pourrait aussi s’expliquer par une embolie fibrinocruorique. Les infarctus mésentériques parfois observés après chirurgie des anévrysmes de l’aorte thoracique se rapprochent de ce cadre [10]. Le faux anévrysme sousadventiciel est le plus souvent le siège d’un flux turbulent rapide, mais un large chenal peut présenter des zones de stagnation sanguine propices à la formation d’emboles cruoriques. La présence d’un « flap » intimal barrant la lumière du faux anévrysme dans le cas des ruptures partielles peut être source de formation d’agrégats fibrino-plaquettaires susceptibles d’emboliser les artères d’aval. CONCLUSION Les infarctus mésentériques compliquant ou révélant les RTIA sont exceptionnels. Nous rapportons une observation de RTIA révélée par un infarctus mésentérique 12 h après le traumatisme initial. La possibilité d’un tel accident nous incite à accorder plus d’attention au bilan primaire d’un traumatisme, en particulier lors de la lecture d’une radiographie du thorax pratiquée à titre systématique et en dehors de tout signe d’appel clinique. Un examen TDM partiel des blessés est à notre sens une perte de temps et de
chance, si l’on veut éviter les complications ischémiques et la mortalité dues à ce type de lésion. RE´ FE´ RENCES 1 Fisher RG, Hadlock F, Ben-Menachem Y. Laceration of the thoracic aorta and the brachiocephalic arteries by blunt trauma. Report of 54 cases and review of the literature. Radiol Clin N Am 1981 ; 29 : 91-110. 2 Parmley LF, Mattingly TW, Manion WC, Jahnke EJ. Non penetrating traumatic injury of the aorta. Circulation 1958 ; 17 : 1086101. 3 William JS, Graff JA, Uku JM, Steinig JP. Aortic injury in vehicular trauma. Ann Thorac Surg 1994 ; 57 : 726-30. 4 Finkelmeier BA, Mentzer RM, Kaiser DL, Tegtmeyer CJ, Nolan SP. Chronic traumatic thoracic aneurysm. Influence of operative treatment on natural history : an analysis of reported cases 1950-80. J Thorac Cardiovasc Surg 1982 ; 84 : 257-66. 5 Lee J, Harris JH, Duke JH, William JS. Non-correlation between thoracic skeletal injuries and acute traumatic aortic tear. J Trauma 1997 ; 43 : 400-4. 6 Binet JP, Nottin R, Belhaj M, Conso JF, Langlois J. Les ruptures fraîches traumatiques de l’isthme aortique. J Thorac Cardiovasc Surg 1982 ; 84 : 257-66. 7 Vignon P, Guéret P, Vedrinne JM, Lagrange P, Cornu E, Abrieu O, et al. Role of transesophageal echocardiography in the diagnosis and management of traumatic aortic disruption. Circulation 1995 ; 92 : 2959-68. 8 Aubert M, Letoublon C, Rambaud JJ, Alibeu JP, Jacquot C, Terraube R, et al. Rupture traumatique de l’isthme aortique compliquée d’ischémie mésentérique. J Chir (Paris) 1980 ; 117 : 183-7. 9 Tissot E, Lomessy A, Karo G, Motin J. Rupture traumatique de l’isthme aortique et ischémie mésentérique. J Chir (Paris) 1982 ; 119 : 679-80. 10 Crawford ES, Rubio PA. Reappraisal of adjuncts to ischemia in the treatment of aneurysms of descending thoracic aorta. J Thorac Cardiovasc Surg 1973 ; 66 : 693-704.