Rev M6.d Interne 2001 ; 22 Suppl 1 : 26-8 © 2001 l~litions scientifiques et m6dieales Elsevier SAS. Tous droits r~serv6s
Les rythmes biologiques en m decine
Rythmes biologiques et environnement chez l'homme : travail post6 et jet lag O. Van R e e t h Centre d'~tudes des rythraes biologiques, facultd de ra~decine, h@ital l~rasme, Universitd Libre de Bruxelles ; Centre de mddecine du sommeil et de la vigilance, Institut mddical Edith Cavell, Bruxelles, Belgique
Pendant des mill6naires, nous nous sommes lev6s et couch6s avec le soleil, vivant ainsi en parfaite harmonie avec notre horloge biologique. Notre horloge interne, responsable de nos rythmes circadiens, nous permet d'adapter nos aetivit6s et de les synehroniser sur les variations joumali~res de l'environnement impos6es par la rotation de la terre sur son axe. En permettant l'extension artificielle de la dur6e du <>,l'av6nement de r6clairage 61eetrique puis l'explosion des nouvelles technologies ont compl6tement boulevers6 l'organisation temporelle de nos soci6t6s industrialis6es. Lorsque nous profitons de l'opportunit6 qui nous est donn6e d'&re aetifs la nuit (c'est-~-dire quand notre horloge biologique nous dit de dormir) et de dormir le jour, nous nous mettons alors en conflit avec notre horloge biologique. Une telle situation conflictuelle se rencontre par exemple chez les travaiUeurs de nuit ou Ahoraire tournant, ou chez les voyageurs changeant rapidement de fuseau horaire et qui d6veloppent alors un syndrome du <>. LE TRAVAIL DE NUIT
OU A HORAIRES VARIABLES Un nombre croissant d'entreprises et de prestataires de services sont op6rationnels 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Une telle structure temporelle de fonctionnement implique la mise en place d'horaires tournants et/ou d'horaires de nuit pour une proportion croissante du personnel (plus de 36 % de la force de travail en Belgique). Les propri6t6s de l'horloge biologique humaine ne permettent cependant pas ~tl'organisme de s'adapter ind6finiment ~tce type d'horaires. Le travail ~thoraire variable s'accompagne de complications m&licales et socio-familiaies, dont l'importance d6pend d'une s6rie de d6terminants biologiques et socio-6conomiques. Contrairement aux troubles classiques d'initiation et de maintien du sommeil, les troubles du sommeil li6s aux troubles circadiens ne se manifestent pas forc6ment par des
anomalies dans l'architecture ou la qualit6 du sommeil, mais bien par l'incapacit~ de s'endonnir et/ou de se tenir 6veill6 au moment souhait~. Ces troubles du sommeil et de l'6veil sont dus au contr61e exere6 par le syst~me eircadien sur le timing et les stades du sommeil. Ce contr61e est tel que notre propension ~ l'6veil ou au sommeil varie de mani~re significative au tours du nycth6m~re. L'existence de cette interd6pendance entre le syst~me cireadien et le sommeil a 6t6 d6montr6e ~ttravers une s6rie d'exp6riences au cours desqueUes des volontaires maintenus en isolation temporelle pouvaient choisir librement leurs horaires de veille et de sommeil. Ces sujets s'endormaient pr6f6rentiellement h eertaines phases de leur rythme de temp6rature corporelle (un des marqueurs les plus fiables de 13orloge biologique), et notamment lorsque leur temp&ature corporelle atteignait sa valeur la plus basse (entre minuit et 5 heures du matin selon les individus). Ces 6tudes ont 6galement montr6 que la longueur d'un 6pisode de sommeil d6pend plus de la phase du cycle de 24 heures ~ laquelle il d6bute que de la dur6e de la l~riode d'6veil qui ra pr6c6d6. Ces observations exp6rimentales soulignent tr~s clairement rexistence d'un contr61e puissant exert6 par rhorloge biologique sur les 6tats de veille et de sommeil, et nous 6clairent sur le pourquoi des anomalies de la veille et du sommeil rencontr6es dans les troubles circadiens. Les horaires de travail prestos par ees travailleurs sont donc le plus souvent incompatibles avec les propri6t6s de rhofloge biologique et les prineipes circadiens qui en d6coulent. Des 6tudes ont en effet montr6 que rhorloge biologique de ces travailleurs s'adapte tr~s mal, voire pas du tout, ~tleurs horaires de travail. Ne b~n6ficiant d'ancune stabilit6 circadienne, ils passent done la plupart de leur temps ~t courir derriere leur horloge biologique. La privation chronique de sommeil et la d6synchronisation horloge-environnement qui en r6sulte sont responsables des troubles de la vigilance, de la baisse des niveaux de performance et de productivit6 et de la fr&luence 61ev6e
Rythmesbiologiquesen environnementchez l'homme : travailpost6et jet lag d'accidents de travail pr6sent6s par ces travailleurs. ,~ ce propos, on se souviendra de quelques catastrophes industrielles r6centes (accidents de rExxon Valdez, de Bh6pal, de Three Miles Island et de Tchernobyl), cons6quences dramatiques d'erreurs humaines toutes survenues en fin de nuit, c'est-ix-dire lorsque le niveau de vigilance des responsables 6tait au plus bas. Le travail ix horaire tournant est 6galement associ6 ixune fr6quence plus 61ev6e de troubles gastro-intestinaux et cardiovasculaires, ix des probl~mes de st6rilit6 et de perte de libido, et ix une forte pr6disposition iXralcoolo-tabagisme. Le traitement individuel vise avant tout ix minimiser l'instabilit6 circadienne et la privation de sommeil pr6sent6es par ces patients, et fait avant tout appel aux r~gles habituelles d'hygi~ne de sommeil. En cas d'6chec et de persistance de la symptomatologie, il est conseill6 de chercher ixr6orienter ces patients vers des postes de travail ixhoraires plus r6guliers. Une approche plus globale, consistant en une action pr6ventive au niveau de l'entreprise, doit 6galement 8tre envisag6e. Du ressort de chronobiologistes sp6cialis6s, cette action vise ix r6organiser la structure temporelle de fonctionnement de rentreprise, en tenant compte des principes circadiens dict6s par les propri6t6s de rhorloge biologique. Cette action devrait aboutir au remplacement des horaires de travail aberrants (et dont la raison d'&re est le plus souvent inconnue surtout de ceux qui les ont instaur6s !) par des horaires de travail plus ~ physiologiques >>. Notre exp6rience et celle d'autres groupes pratiquant ce type de travail de ~ consultance ~> nous indiquent clairement que rutilisation des principes circadiens dans rorganisation des horaires de travail est b6n6fique pour le travailleur. I1 s'adapte alors mieux ix ce type de travail, augmente son niveau de satisfaction au poste de travail et ses performances, et est alors moins en proie aux effets secondaires nocifs du travail ix horaire tournant. De mani~re g6n6rale, cette restructuration des horaires visera ix une diminution de la fr6quence des rotations d'horaire (une rotation toute les 2 ou 3 semaines au maximum, ou au contraire des rotations tr~s courtes de 2-3 jours ne permettant pas une accumulation trop importante de la dette de sommeil), elle favorisera les rotations dans le sens horaire (matin > apr~s midi > soir) plut6t qu'antihoraire (matin > soir > apr~s midi). Enfin, des 6tudes r6centes simulant en laboratoire des conditions de travail ix horaire tournant ont montr6 qu'une exposition bien programm6e ixde la lumi~re intense sur le lieu de travail (et le maintien d'une obscurit6 absolue pendant le sommeil) permettent d'encore augmenter radaptation aux conditions de travail ix horaire tournant. Le chronobiologiste peut proposer la mise en place, dans l'entreprise, d'une s6rie de contre-mesures visant ix minimiser les effets n6fastes de ce type de travail : modification des horaires, siestes, exposition ix la lumi~re forte, traitements pharmacologiques exp6rimentaux, exercice. Le lieu
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de travail est certainement un terrain d'investigation id6al, qui, grace ixla collaboration active des m6decins du travail, des ergonomistes et des chronobiologistes, devrait permettre le d6veloppement de recommandations quant ix l'organisation temporelle de l'outil de travail capables d'am61iorer la sant6 et le bien ~tre de ceux qui y sont employ6s. LE SYNDROME DU ~ J E T L A G ~, Ce syndrome r6sulte de trois ph6nom~nes concomitants : 1) la fatigue et le stress du voyage, 2) la privation de sommeil et 3) la d6synchronisation entre les signaux temporels g6n6r6s par rhorloge biologique (encore 1"6g16esur le pays d'origine) et ceux originaires du lieu de destination. Sa symptomatologie est multiple: fatigue, difficult6s d'endormissement, r6veils pr6coces, somnolence diurne, pertes de m6moire, troubles de la concentration, c6phal6es, inapp6tence, troubles digestifs... Fort variable d'un sujet ix l'autre, son intensit6 d6pend d'une s6rie de facteurs, notamment de l'amplitude du changement horaire et de sa direction, nos rythmes se resynchronisant plus vite apr~s un trajet vers l'Ouest (__.90 min/j) que vers l'Est (_ 60 mirdj). Les personnes fig6es s'adaptent plus mal que les jeunes, les ~ sujets du matin >>souffrent moins des trajets vers l'Est que les ~ sujets du soir >>,etc. C O M M E N T D I M I N U E R OU S U P P R I M E R LES EFFETS NI~FASTES DU J E T L A G ? Les voyageurs qui d~s leur arriv6e passent beaucoup de temps ix l'ext6rieur et adoptent d'embl6e les habitudes culturelles locales s'adaptent plus vite. A l'arfiv6e, on d6conseille les repas lourds, l'exc~s de boissons caf6in6es, et surtout la pratique de longues siestes. Notre horloge biologique 6tant sensible aux effets resynchroniseurs de la lumi~re de forte intensit6, on peut recommander une expositionprogrammde ixla lumi~re forte fournie par un palmeau de lumi~re blanche ou le port d'un casque ix lumi~re. EXISTE-T-IL UN T R A I T E M E N T PHARMACOLOGIQUE ? Le jet lag est certainement une des indications d'un traitement de quelques jours par la m61atonine ou par les benzodiaz6pines ix courte dur6e d'action ou les 6quivalents r6cents non-benzodiaz6piniques. ]k doses pharmacologiques, la m61atonine a des effets resynchronisateurs sur l'horloge biologique, et des propri6t6s hypnos6datives particuli~res. Administr6e lorsque les taux circulants de m61atonine endog~ne sont anormalement bas, elle provoque de la somnolence, r6duit la latence d'endormissement et allonge la dur6e du sommeil. La direction de ses effets de d6phasage (avance ou retard) sur l'horloge d6pend de l'heure d'administration. Les benzodiaz6pines semblent
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6galement agir sur l'horloge biologique, et elles ont l'avantage de diminuer la privation de sommeil reneontrte dans le jet lag. Enfin, nos rtsultats exlMrimentaux ehez ranimal et chez rhomme dtmontrent qu'un exerciee physique programrad provoque des d~phasages des rythmes biologiques. Uexerciee physique pourrait done reprtsenter une nouvelle facette du traitement non pharmaeologique du jet lag : ~ quand l'installation de vtlos ergonomiques ou de tapis roulants dans les avions ? RI~F~RENCES BIBLIOGRAPHIQUES A_rcndtJ. Melatonin and the pineal gland. London : Chapman and Hall ; 1995. p. 331. Van Reeth O, Turek FW. Stimulated activity mediates phase shifts in the hamster circadian clock induced by dark pulses or benzodiazepines. Nature 1989 ; 339 : 49-51.
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