RYTHMES BIOLOGIQUES, NUTRITION ET MI TABOLISME Andre Bogdan a, Yvan Touitou a,,
R6sum6
Les m~canismes gouvernant I'hom~ostase sont loins d'etre les seuls impliqu6s dans les 6quilibres m6taboliques. Tout organisme vivant, quelle que soit sa complexit6, poss6de des rythmes biologiques. Ceux-ci peuvent avoir une p~riode d'environ 24 h (rythmes circadiens) ; inf6rieure ~. 21 h (rythmes ultradiens, de moins d'une seconde & quelques heures) ; ou sup~rieure & 27 h (rythmes infradiens : mensuels, circannuels ou saisonniers). Les rythmes biologiques ont une origine endog6ne (g6n6tique) et sont contr61es par des horloges biologiques, dont la principale est situ6e dans les noyau~ suprachiasmatiques de I'hypothalamus ant6rieur. Les rythmes biologiques sont en outre entrain6s aux conditions de I'environnement par des facteurs exog~nes, tels que I'alternance activit6-sommeil, jour-nuit, etc. d6sign6s sous le nom de synchroniseurs. Le comportement alimentaire spontan6, les diff6rents ph6nom6nes impliqu6s dans la digestion, le m6tabolisme des nutriments sont, comme les autres variables biologiques, sujets & des variations rythmiques, mais le nombre et la nature des oscillateurs impliqu6s dans leur g6n~ration et leur contr61e sont encore imparfaitement cern6s et sujets & controverses en raison du caract6re complexe et multifactoriel du comportement alimentaire. Rythmes circadiens - synchroniseurs - nutriments - ingestion spontan6e. Summary
Homeostatic mechanisms are not the only ones implied in metabolic balances. Any living organism, whatever its complexity, presents biologic rhythms. They can have a periodicity of about 24 h (circadian rhythms) ; shorter than 21 h (ultradian rhythms, less than a second up to several hours) ; or longer than 27 h (infradian rhythms : mensual, circannual or seasonal). Biologic rhythms have an endogenous (genetic.) origin and are driven by biologic clocks, mainly by the suprachiasmatic nuclei of the anterior hypothalamus. Besides, biologic rhythms are entrained to environmental changes by exogenous factors called synchronizers such as the activity-rest cycle and day-night altemance... The spontaneous food intake behavior, the various processes involved in digestion and the metabolism of nutrients are, as all other biologic variables, submitted to rhythmic variations - but the
aServicede biochimiem~dicaleet biologiemol~culaire Facult6de m~decinePiti6-Salp~tri6re 91, boulevardde I'H6pital 75013 Paris * Correspondance. artide re~;u le 4 avrll 2001, accept6 le 9 mai 2001.
© Elsevier,Paris. Revue Fran?aisedes Laboratoires,juin 2001,N° 334
number and nature of the oscillators responsible for their generation and control are still poorly understood and a matter of controversy, because of the complex and multifactorial character of food consumption. Circadian rhythms - synchronizers - nutrients - spontaneous intake.
1. Le concept des rythmes biologiques L
es rythmes biologiques comptent parmi les propri~tes fondamentales de la mati6re vivante. IIs existent dans le monde animal et v~g6tal, & tousles niveaux d'organisation : 6cosyst~mes, populations, individus, syst6mes d'organes, organes isol6s, tissus, cellules et fractions subcellulaires. La chronobiologie ~tudie et quantifie les m~canismes de la structure temporelle biologique. Un rythme biologique peut se d~finir comme une suite de variations physiologiques d~terminant en fonction du temps des oscillations de forme reproductible. II s'agit donc d'un ph6nom6ne p6riodique et pr6visible dont les r~sultats peuvent ~tre pr~sent~s sous forme de courbes (mesures de la variable en fonction du temps) appel6s chronogrammes. Le traitement des valeurs temporelles exp6rimentales peut 6tre, entre autres m6thodes, r6alis6 avec des programmes de calcul utilisant la m6thode des moindres carr~s. On cherche alors & partir d'une s~rie temporelle de mesures exp6rimentales la ou les fonctions sinusdidales qui se rapprochent le plus des oscillations existant dans la s6rie temporelle des mesures [revue en 21]. Cette m6thode dite du Cosinor est utilis6e fr6quemment car elle permet I'estimation des param6tres qui caract6risent un rythme biologique (avec des limites de confiance & 95 0/o). Cette m6thode n'est cependant applicable que Iorsque le rythme 6tudi6 se pr6sente sous forme d'une courbe sinusd/dale. Dans les autres cas, on aura recours & d'autres m6thodes statistiques plus conventionnelles (ANOVA pour mesures r6p6t~es...). 1.1. Param6tres caracterisant un rythme b i o l o g i q u e 1. I. 1. La p 6 r i o d e
La p~riode (d~sign~e par la lettre grecque "~) est la dur~e d'un cycle complet de la variation rythmique 6tudi6e. En fonction de leur p6riode, les rythmes sont appel6s ¢ i r c a d i e n s (du latin circa -- environ, et dies = jour) si leur p6riode est d'environ 24 heures (24 + 4 heures). Ce sont les rythmes dont 1'6tude chez I'homme a ~t6 la plus approfondie. Des rythmes de fr6quence autre que circadienne ont 6galement 6t~ mis en evidence. Un rythme u l t r a d i e n (ultra = au-del&) est un rythme dont la fr6quence fait apparaitre plus d'un cycle dans les 24 heures (ECG, EEG, sdcr6tions hormonales pulsatiles, etc). Leur p6riode va de la milli-seconde & 20 heures. Enfin, les rythmes infradiens sont ceux dont la p6riode est comprise entre 28 heures et 1 an ou plus. Ainsi un rythme circannuel (saisonnier) est un rythme dont la variation se reproduit avec une fr~quence d'environ 12 mois. 59
Nutr#t#on
1.1.2. Le m~sor
Le mesor (M) est le niveau moyen ajuste du rythme. II co'fncide avec la moyenne arithmetique Iorsque les donnees (prelevements sanguins par exemple) sont equidistantes et couvrent un cycle complet. 1.1.3. L'amplitude
L'amplitude (A) du rythme correspond & la moitie de la variabilite totale. C'est donc la moiti6 de la difference entre le pic et le creux de la fonction etudiee. Un rythme est detecte quand son amplitude est differente de z~ro avec une securite statistique de 95 0/o. I'amplitude peut ~tre exprimee en valeur brute ou en pourcentage du niveau moyen du rythme.
1.1.4. L'acrophase L'acrophase (designee par la lettre grecque 4)) est la Iocalisation du sommet de la fonction (sinusdl'dale par exemple) utilisee pour I'approximation du rythme. Pour un rythme circadien, I'acrophase correspond & I'heure du pic dans I'echelle des 24 heures ; pour un rythme circannuel, I'acrophase est representee par le jour et le mois dans I'annee. Ces Iocalisations sont donnees avec teurs limites de confiance pour une securite statistique de 95 O/o. 1.2. C o m p o s a n t e s
des rythmes biologiques
On peut considerer qu'un rythme, circadien par exemple, est constitue de deux composantes. Notre vie est rythmee par des facteurs exogenes, c'est-&-dire les facteurs de I'environnement ; les rythmes ont donc une composante exogene, mais c'est notre code genetique qui regle nos rythmes ; ceux-ci ont donc une origine endogbne (composante endogene). En realite, facteurs endogenes et exogenes interviennent de fa?on conjointe.
1.2.1. Composante exog~ne Les parambtres qui caracterisent un rythme biologique d~pendent pour une part de facteurs de I'environnement tels que les alternances lumiere-obscurite, veille-sommeil, chaud-froid, I'alternance des saisons, etc. Ces facteurs ne creent pas les rythmes mais les modulent. On les appelle synchroniseurs ou agents entra~nants ou agents donneurs de temps (Zeitgeber). Les synchroniseurs preponderants chez I'homme sont de nature socio-ecologique et sont represent6s par les alternances lumibre-obscurite et veille-sommeil entre autres. Le rSle du sommeil est fondamental et la privation de sommeil est capable de modifier les rythmes biologiques. De m~.me les conditions de travail particulibres telles le travail de nuit, le travail post6, le travail en situation confinee sont egalement susceptibles de modifier les rythmes circadiens. On salt egalement que les situations d'isolement entraTnent des rythmes en libre cours de la m~me mani~re que chez les aveugles pour qui des modifications de rythmes biologiques de la temperature et de la melatonine ont ete mises en evidence.
1.2.2. Composante endog~ne En contr61ant les composantes exogenes des rythmes biologiques, on peut mettre ainsi experimentalement en evidence leurs composantes endogenes. II est possible en effet de contr61er les alternances lumibre-obscurite, les alternances veille-sommeil, I'heure et la composition des repas, notamment Iors d'experience dites, hors du temps ~ realisees, soit dans des laboratoires specialement amenages, soit au cours d'exp6ditions de spel6ologie, et d'etudier les rythmes biologiques dans ces conditions. Lorsqu'un sujet se soumet & des conditions de vie sans aucun rep~re temporel et libre de ses actions, ses rythmes biologiques sont conserves, ~ ceci pres que la periode est legerement differente de 24 heures. De tels rythmes ne suivant plus la periode de nos synchroniseurs de 24 heures, lumibre-obscurite, etc., sont appeles rythmes en libre cours. Dans le but de s'abstraire des composantes endogbnes tout en conser60
vant le contr61e des conditions experimentales, certains protocoles d'etude sont bas~s sur le principe de la <qui code pour la periode. Les pacemakers qui contr61ent les rythmes circadiens sont Iocalises dans des sites anatomiques specifiques chez quelques esp~ces, par exemple les noyaux suprachiasmatiques de I'hypothalamus des mammiferes. Des recherches actuellement en cours s'attachent & I'identification de types cellulaires specifiques qui g6n6rent des oscillations entretenues, ainsi qu'& la genetique moleculaire des elements de I'horIoge [16, 52]. Un certain nombre de revues generales sur les rythmes biologiques ont ~te publiees [4, 34, 35].
2. Rythmes de I'ingestion spontanee La prise alimentaire n'est pas continue dans les 24 heures, mais n'est pas non plus distribuee au hasard dans cet espace de temps. Le comportement alimentaire de I'homme adulte varie de fa?on periodique circadienne et s'organise en repas pendant la periode d'eveil. II faut garder & I'esprit que cette organisation est etroitement liee& des facteurs ethniques, culturels et sociaux, qui tous conditionnent en grande partie la frequence mais aussi la composition qualitative des repas qui de ce fait sont bien moins spontanees qu'elles ne sont supposees I'~.tre. ,/k ce rythme de la prise alimentaire sont associes des rythmes de la motilite de I'appareil digestif, de la secretion des sucs digestifs et de I'absorption des nutriments digeres, aboutissant aux rythmes des concentrations sanguines des glucides, lipides et acides amines [28, 29, 31,46]. L'etude de ces structures temporelles montre ~ I'evidence leur etroites relations avec les habitudes individuelles et avec les normes sociales ; cela n'exclut pas qu'elles traduisent egalement des rythmes endog~nes gouvernes par des oscillateurs internes. Uetude d'un (ou plusieurs) sujet(s) place(s) en isolement temporel et social ne suffit pas & discriminer rythmes endog~nes et comportement acquis, car la frequence et la composition des repas continuent d'etre gouvernees par les habitudes socialement acquises et la prise alimentaire est toujours bien plus conditionnee par la routine (, il est temps ,, de manger, et & tel repas dans leur ordre de succession correspond tel type d'aliment) qu'au reel besoin d'absorber des aliments de telle ou telle nature & ce moment-I& [5].
L'animal de laboratoire, Iorsque la possibilite lui est offerte de selectionner separement glucides, lipides et protides, privil6gie les glucides en debut de periode d'activite et les lipides et protides vers la fin de cette periode [47]. Chez rhomme adulte, un tel choix a egalement ete rapporte [13] et, bien que I'on ne puisse exclure la part des comportements socialements imposes, il semble bien que cela corresponde & des besoins physiologiques : la consommation de glucides en debut de la periode d'activite permet en effet de repondre aux besoins energ~tiques immediats, alors que la consommation de lipides et protides au fur et mesure que la journee avance constitue une ingestion anticipatoire de RevueFran?aisedes Laboratoires,juin 2001, N° 334
la mise en r~serve des nutriments pour la periode de repos et les biosyntheses metaboliques qui lui sont associees. De plus, il a ete note que I'affinite sensorielle pour les differents types de saveurs et de textures varie dans la journee. Les textures requerant peu d'efforts masticatoires et stimulant la secretion salivaire sont preferes le matin alors que I'attraction pour les aliments & texture plus ferme et requerant plus d'efforts croit avec le temps dans la journee [45]. le rlouveau-ne, qui & 1'evidence n'a encore subi aucune impregnation socio-culturelle quant & la frequence de la prise alimentaire, la demande spontanee suit un rythme de 90 minutes [18, 19]. D~s I'&ge de un mois, cette fr~quence passe & 3 heures, puis & 6 heures. La demande alimentaire chez le nouveau-ne s'accompagne d'augmentation du rythme cardiaque et de la tension arterielle ainsi que du comportement actif [54]. Pour d'evidente raisons ethiques, aucune etude de modification de la fr~quence et/ou de la composition des repas n'a 6t~ entreprise pour elucider I'origine de cette demande spontanee : simple compensation des pertes 6nerg~tiques ou contrele par un oscillateur interne. Chez
Les etudes de Debry et al. [14] chez I'enfant d'environ 4 ans ont donne des resultats allant souvent & I'encontre des idees re?ues. Quatre groupes d'enfants (un pour chaque saison de I'annee) ont ete constitues. Tous suivaient le m~me rythme de vie tout au long de I'annee : lever ~ ? h et coucher & 18 h 30. Les repas etaient servis & heure fixe, 8 h, 11 h, 14 h et 18 h, et si les aliments proposes ~taient toujours les m~mes toute I'annee, les enfants avaient toute libert~ de choix en quantit~ et nature ; une dieteticienne enregistrait precisement ce qui avait ete consomm~ par chacun. Ce protocole a ete applique pendant 7 jours pour chaque groupe apres un temps d'adaptation. Ceci a montr~ que pour chaque variable (glucides, lipides, protides et valeur calorique) il existait un rythme circadien. Les consommations spontan~es les plus importantes ont ete enregistrees pour les repas de 8 h et 18 h plutbt qu'~. 11 h et 14 h. De plus, en etudiant les moyennes de 24 h, il a ete mis en evidence un rythme saisonnier dans le choix de la nature des aliments : le pic de la consommation de lipides se situant au wintemps et le pic de la consommation des glucides et des calories se situant en etC. II semble bien qu'il existe des differences entre enfants et adultes en ce qui concerne les variations saisonni~res de la prise alimentaire spontanee : en effet chez ces derniers davantage d'energie serait consommee en automne et en hiver [44]. Le meme phenom~ne a ete observe entre rats jeunes et adultes [11]. Nombre de travaux sugg~rent que, chez le rat, le rythme circadien de la prise d'aliment et de boisson est principalement sous le contrSle des noyaux suprachiasmatiques (NSC) de I'hypothalamus ant~rieur. En effet, leur lesion ou destruction chez I'animal entra~ne la disparition de plusieurs rythmes biologiques dont ceux de la prise d'aliments et d'eau [48], mais un certains nombre de faits experimentaux tendent & montrer que d'autres oscillateurs seraient capables de prendre le relais des NSC Iorsque ceux-ci deviennent dysfonctionnels. Le rble probablement central jou~ par les NSC dans le contrSle du comportement alimentaire tient & leur situation de lieu de convergence de voles nerveuses impliquant, outre la perception lumineuse, des neuromediateurs tels que la serotonine et le neuropeptide Y dont les propri~tes, respectivement orexig~ne et anorexig~ne, sont bien connues. Bien que des travaux aient ete men~s sur leur importance comme d~terminants physiologiques des choix alimentaires [revue en 47], peu d'~tudes se sont attach~es & I'aspect rythmique de leur action sur les NSC. Parmi cellesci, il a 6te rapport6 que chez des rats ayant un choix de trois regimes riches en nutriments (glucides, lipides, protides), la perfusion de serotonine pendant ? jours dans les NSC supprimait la prise de protides et d'eau [50] ; en revanche, I'administration de neuropeptide Y dans les NSC, pourvu qu'elle soit faite au d~but de la p~riode de repos des animaux, stimulait la prise glucidique et 6nergetique totale [49]. II reste donc beaucoup & decouvrir sur les facteurs qui determinent la prise alimentaire et les horloges biologiques qui la gouvernent. RevueFran?aisedes Laboratoires,juin 2001, N° 334
3. La prise alimentaire en tant que synchroniseur Cette notion reste encore un sujet de controverses, bien qu'un certain nombre de travaux concourrent & etablir que, pour un certain nombre de variables biologiques, la prise alimentaire peut constituer un synchroniseur. II a ete montre chez I'animal, rongeur en particulier, que la restriction d'acces & la nourriture etait capable de modifier de fa?on certaine les rythmes de I'activite Iocomotrice (apparition d'une activite motrice anticipatoire du moment de disponibilite des nutriments) et de la temperature corporelle [revue en 33]. Les influences diverses, selon les parametres biologiques etudies, de I'effet de la programmation des apports alimentaires temoignent en fait de la competition entre les synchroniseurs et des differences de sensibilite que presentent ces parametres biologiques et leur systeme de regulation aux differents synchroniseurs. Le probleme est particulierement debattu pour I'espece humaine chez laquelle les synchroniseurs sociaux sont particuli~rement nombreux et relativement puissants. Chez I'enfant, on a evoque la secretion de melatonine maternelle (cette hormone lipophile passant dans le lait) comme facteur de synchronisation du nourrisson eleve au sein [43]. Cette ~ventualite n'a pas ete scientifiquement etudiee, mais elle presuppose que les NSC et la structure circadienne de I'enfant soient suffisamment developpes pour pouvoir integrer ce signal hormonal. En outre, le rele relationnel et social de la tetee, ainsi que la regularite de sa repetition dans les 24 h, peuvent tout aussi bien que le contenu hormonal du lait ingere constituer I'element synchroniseur. Chez I'homme adulte, I'un des mecanismes par lequel la prise alimentaire pourrait constituer un synchroniseur a ete suggere par la balance des acides amines plasmatiques suivant un repas riche en glucides ou en protides [30]. En effet, les repas riches en glucides augmentent le rapport tryptophane/tyrosine dans le plasma, alors que c'est I'inverse pour les repas riches en protides ; or ces acides amines sont respectivement precurseurs de la serotonine et des catecholamines. II ressort des nombreuses etudes traitant des effets de I'heure de la prise alimentaire [1, 2, 42] une grande variete de modifications des rythmes des variables biologiques. Par exemple, dans un protocole consistant ~. dispenser la totalite de la ration quotidienne soit & 8 h soit & 20 h, I'insuline, le glucagon et le fer serique ont vu leur acrophase decalee de 8 & 12 heures entre les deux situations, alors que les acrophases du cortisol, de I'hormone de croissance, des lymphocytes et des neutrophiles plasmatiques ne se depla?aient que d'environ 3 heures et qu'enfin d'autres variables ne subissaient aucun decalage temporel [17]. Enfin, I'~tude des rythmes biologiques pendant le mois du Ramadan nous a permis de mettre a profit un module pr~sentant le triple avantage de la dur~e, de presenter une quasi-inversion de I'horaire des repas sans modifications excessives des autres rythmes sociaux (dont celui de I'activite), de concerner une fraction importante de la population humaine et d'etre par essence dietetiquement tres codifie. • Une p r e m i e r e e t u d e [23] menee avant, pendant et un mois apr~s la fin du Ramadan sur le pH gastrique, I'insuline, le glucose le calcium et la gastrine plasmatiques a montre un certain nombre de faits. - Toutes les variables etudiees subissaient une modification de leur profil circadien : certaines d~s 10 e jour de jeCme diurne (pH, insuline, gastrine, glucose), d'autre awes le 24 e jour (calcium). - Le profil circadien de I'insuline restait alt~re un mois awes la fin du Ramadan, c'est-&-dire 30 jours apr~s que les horaires des repas soient redevenus identiques & la situation d'avant le Ramadan. - Toutes les variables biologiques, sauf I'insuline, montraient une modification de leur valeur moyenne des 24 h, le pH gastrique restant significativement abaiss6 un mois apres la fin du Ramadan. 61
Nutrition
- [_'ensemble de ces modifications ainsi que leur persistence, pour certaines variables, un mois apres le r6tablissement du nombre et des horaires des repas & leur valeur du jour experimenta ,, avant Ramadan ~ constitue un element objectif de la qualit6 de synchroniseur de la prise alimentaire. • Une seconde 6tude [9] menee avant et pendant le mois de Ramadan sur les taux circulants de m61atonine, d'hormones sterdides et hypophysaires a montre egalement un certain nombre de modifications pendant le mois de Ramadan : - abaissement et retard probable du pic nocturne de melatonine, - decalage du debut de la secretion du cortisol et de la testosterone, - augmentation du pic vesperal de la prolactine, - diminution de I'amplitude du rythme de la TSH. Ces donnees recentes confortent I'hypothese d'un effet synchroniseur chez I'homme, dans certaines conditions, de la programmation des apports alimentaires.
4. Rythmes du metabolisme des nutriments Les variations circadiennes, voire circannuelles, des metabolismes des nutriments ou de variables associees dependent des processus physiologiques endogenes impliques, hormonaux et enzymatiques. Ainsi, chez le rat [36, 41], on a pu montrer un decalage de I'acrophase du glycogene h~patique par I'ingestion programmee des protides. Chez I'homme, parmi les phenom6nes les plus connus, on peut citer les variations de la glycemie et de I'insulinemie ainsi que celles de la tolerance au glucose. M~jean et al. [31 ] ont demontre I'existence d'un rythme ultradien ('[ = 6 h) de la glycemie avec 4 pics dans les 24 h, dont trois correspondant bien sQr aux repas mais le quatrieme 6tant situe en fin de repos nocturne, d'o~ I'attribution du nom d e , phenomene de raube ,, (dawn phenomenon). Ce phenomene serait en grande partie attribuable a la secr6tion nocturne de I'hormone de croissance [3, 6]. Contrairement & la glycemie, I'insulinemie presente, outre un rythme ultradien de 6 h, un rythme circadien. De plus, il faut noter que la reponse insulinique post-prandiale n'est pas uniforme, puisqu'elle est significativement plus importante apr6s le repas de milieu de journee compar~e & ceux du matin et du soir [31 ]. I 'origine de ces variations de I'insulinemie a et6 recherchee dans deux directions : rythme endogene des cellules ~ du pancreas, rythme du nombre des recepteurs de I'insuline et de la liaison du ligand au recepteur. Un certain nombre de publications [22, 2"7, 38, 51] sont en faveur de la premiere hypothese alors que d'autres [?, 40, 56] viennent & I'appui de la deuxi6me.
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Les epreuves de charge en glucose sont egalement soumises a des variations : la reponse en terme de glycemie est en effet majoree Iorsque le test est pratique rapres-midi au lieu du matin & 8 h, ce phenomene n'etant influence ni par I'&ge, la duree du je£me avant le test, la composition du repas prec6dent, ou la charge de glucose [8, 12, 1O, 24, 25, 26, 57]. Ce rythme circadien de la reponse & I'hyperglycemie provoquee n'est pas non plus due & des variations de I'absorption, puisqu'il se retrouve quelle que soit la vole employee, orale ou intra-veineuse [37, 55]. Enfin, toujours dans le cadre de I'hyperglyc6mie provoquee orale, il a ~te demontre un rythme circannuel de la r~ponse insulinique & la charge de glucose pratiquee & 8 h le matin, les pics plasmatiques de I'hormone observes en automne etant & la fois plus pr~coces et plus 61ev6s que ceux releves au printemps [15, 20, 32].
5. Apports alimentaires et travail poste On estime & environ 20 o/0 la part de la population active exercant sous le r6gime du travail poste. II existe des indices epidemiologiques d'une frequence accrue d'ulc6res gastriques, de difficult~s digestives et d'irregularites de transit dans cette population [53]. Outre une relative perte d'appetit, cette population est sujette & une augmentation du tabagisme, de la consommation de cafe et d'alcool et une propension au ,, grignotage ,, qui se surajoutent au fait que les repas sont pris hors de phase avec les rythmes de I'appareil digestif. C'est ainsi que I'on etabli une pr6valence de I'ob~site chez les personnels infirmiers des equipes de nuit [39]. ,/k I'evidence, maintenir I'hygiene alimentaire des travailleurs de nuit constitue un probleme difficile, & composantes multiples, pratiques, sociales comme familiales - tant sont grandes les contraintes et le poids des habitudes.
6. Conclusion L
es implications des rythmes dans I'alimentation sont nombreuses et participent de multiples niveaux : g6netique, metabolique, ethnoculturel, socio-professionnel, psychologique. Malgre cette complexite du comportement alimentaire, le nombre croissant des etudes entreprises dans ce domaine laisse entrevoir une meilleure comprehension des facteurs nutritionels impliques dans la commande des rythmes biologiques et leur possible prise en compte dans I'abord des processus pathologiques et leur therapeutique.
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Revue Fran~aisedes Laboratoires,juin 2001, N° 334
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