MISE AU POINT
Ann. Endocrinol., 2004 ; 65, 5 : 459-465 © Masson, Paris, 2004
Signes buccaux de la pathologie endocrinienne O. Ionescu (1), E. Sonnet (1), N. Roudaut (1), F. Prédine-Hug (2), V. Kerlan (1) (1) Service d’endocrinologie, CHU Cavale Blanche, 29200 Brest Cedex. (2) Service d’odontologie, CHU, 29200 Brest Cedex.
Tirés à part : O. Ionescu, à l’adresse ci-dessus.
Oral manifestations of endocrine dysfunction
INTRODUCTION
O. Ionescu, E. Sonnet, N. Roudaut, F. Prédine-Hug, V. Kerlan Ann. Endocrinol., 2004 ; 65, 5 : 459-465 Oral manifestations of endocrine dysfunction often may be observed initially by the dentist. Objective manifestations, such as ophtalmos in hyperthyroidism, signs of hypersecretion of GH in acromegaly, are easly recognized. Dentists should have some knowledge of many other diseases in this category that occasionally come in our attention. The present article will discuss the effects of ove rand under-secretion of each endocrine gland separetly, showing its influence on the developement and maintenance of the health of the teeth and supporting structures. Diabetes mellitus is the most common endocrinological disease, with an incidence of 3%. Periodontitis risk is three time greater in diabetic patients than in general population and it may worsen the diabetes evolution. Periodontitis in diabetic patients needs an rapid diagnosis and treatment. We also presents the oral aspects of thyroid, parathyroid, suprarenalian, growth hormone and female hormones pathology. The incidence of these troubles is less important, but oral manifestations may reveal an endocrine disfunction. Key words: Oral manifestations, diabetes mellitus, endocrine pathology. Signes buccaux de la pathologie endocrinienne Les manifestations buccales des endocrinopathies peuvent être initialement découvertes par le chirurgien dentiste, lors d’une consultation banale. Parfois les manifestations buccales s’accompagnent de signes objectifs généraux faciles à reconnaître. Le chirurgien dentiste doit être avisé afin de reconnaître le tableau clinique et d’évoquer la pathologie endocrinienne sous-jacente. Ce travail présente les effets de l’hypo et de l’hypersécrétion des glandes endocrines sur le développement et le maintien des structures dentaires normales. Le diabète reste la maladie endocrinienne la plus répandue, touchant 3 % de la population. Le risque de parodontite est trois fois plus élevé chez le diabétique, tout en étant directement corrélé au mauvais équilibre glycémique, d’où l’intérêt du diagnostic et du traitement. La pathologie thyroïdienne, parathyroïdienne, surrénalienne, celle liée à l’hormone de croissance, ainsi que les aspects particuliers de la pathologie buccale chez la femme y sont abordés. Leur importance est faible en terme de fréquence, mais les aspects cliniques méritent d’être connus. Mots-clés : Signes buccaux, diabète, pathologie endocrinienne.
Il n’est pas facile d’associer pathologie endocrinienne et pathologie bucco-dentaire. En effet, les troubles métaboliques n’entraînent qu’exceptionellement ces manifestations. Néanmoins, devant des manifestations bucco-dentaires inhabituelles, associées à d’autres signes cliniques, un bilan endocrinologique est justifié. L’association diabète-maladie parodontale représente un chapitre classique. Il ne s’agit pas pour autant de la seule association entre une maladie endocrinienne et la chirurgie dentaire. La pathologie hypophysaire, thyroïdienne, l’anorexie mentale ou la grossesse peuvent entraîner des modifications au niveau de la cavité buccale. Le but de cet article est donc de présenter les signes cliniques buccaux survenant en cas de pathologie endocrinienne.
DIABÈTE SUCRÉ Les premiers signes cliniques du diabète incluent les sensations de sécheresse buccale, brûlures et douleurs buccales. L’examen de la cavité buccale est généralement normal, mais une dépapillation de la muqueuse linguale peut apparaître, voire même avec des signes inflammatoires [24]. Des études anciennes montrent l’incidence élevée des troubles du métabolisme glucidique parmi les patients qui présentent une sécheresse ou des brûlures de la bouche [3]. Concernant la maladie parodontale, il existe une corrélation entre la
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sévérité de la perte d’attache, la durée et la gravité du diabète. Selon Heinrich et al., le risque de parodontite destructrice est trois fois plus élevé chez le diabétique [7]. En même temps, l’existence d’une maladie parodontale entraîne une augmentation des besoins en insuline, qui diminuent après un traitement parodontal efficace [7, 17]. Le diabète entraîne une perturbation des facteurs immunitaires (altération du chimiotactisme cellulaire et des polynucléaires neutrophiles) par le biais des produits dérivés du glucose. Les modifications vasculaires secondaires à l’hyperglycémie gênent la diffusion de l’oxygène. Le mauvais contrôle glycémique augmente le risque d’infection, en diminuant le chimiotactisme et la phagocytose [14]. L’hyperglycémie prolongée limite le nombre des facteurs de croissance au niveau de la plaie et favorise la destruction du collagène et de certaines protéines à ce niveau, en perturbant la cicatrisation. La conjonction hyperglycémieinfection-cicatrisation perturbée explique la fréquence importante de la maladie parodontale chez le diabétique. La recherche d’une maladie parodontale doit être systématique chez tout diabétique, surtout s’il est mal équilibré, le traitement et la stabilisation de l’atteinte parodontale facilitant l’équilibration du diabète. Inversement, la découverte d’un état parodontal altéré doit orienter le chirurgien dentiste vers la suspicion d’une atteinte diabétique. 460
ACROMÉGALIE Le prognathisme dû à la croissance exagérée de la mandibule est un des signes typiques rencontrés chez l’acromégale. L’augmentation du volume osseux engendre des préjudices fonctionnels et esthétiques (fig. 1). Les dents gardent leurs dimensions normales, ce qui entraîne une augmentation des espaces inter-dentaires, avec des difficultés à la mastication. Une correction chirurgicale peut être appliquée une fois l’excès en GH contrôlé. La macroglossie classiquement décrite par tous les traités d’endocrinologie entraîne des troubles fonctionnels, mais ne demande pas de sanction chirurgicale.
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Figure 1 : Hyperplasie gingivale chez un acromégale (Collection F. Prédine-Hug, CHU Brest). Figure 1: Gingival hyperplasia in acromegaly (collection of F. PrédineHug, Brest).
cet ensemble sa cohérence. L’examen maxillo-facial retrouve des anomalies médio-faciales mineures ou majeures. Le tableau I présente les principales anomalies dentaires et du massif facial associées à une insuffisance hypophysaire dans le cadre de ces anomalies congénitales.
Tableau I Anomalies cliniques de la face associées à une insuffisance hypophysaire (d’après Liapi, modifié [14]). Table I Clinical facial anomalies associated with pituitary insufficiency (after Liapi, modified [14]). Anomalies dentaires Incisives supérieures Agénésie Incisives surnuméraires Anomalies de l’émail Autres dents Agénésie
L’INSUFFISANCE HYPOPHYSAIRE ET EN GH Les malformations dento-faciales peuvent s’associer à l’insuffisance hypophysaire dans le cadre des anomalies congénitales. Les insuffisances hypothalamo-hypophysaires peuvent s’inscrire dans une malformation plus complexe des structures du prosencéphale, incluant le plancher du IVe ventricule et les voies optiques [26]. Leur rattachement à une même anomalie embryologique étendue aux différentes régions de l’encéphale et de la face qui dérivent du bourgeon naso-frontal primitif donne à
Anomalies de l’émail Anomalies du massif facial Superficielles Fente labio-nasale Aplasie frontale Angiome plan naso-frontal Profondes Fente velo-palatine Atresie des choanes
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La fréquence des agénésies des incisives supérieures est estimée dans l’étude de Liapi et al. à 10 % des insuffisances hypophysaires congénitales, largement supérieure à la population générale [14]. Selon le même auteur, les agénésies des incisives témoignent de l’absence de certains contingents cellulaires des crêtes neurales prosencéphaliques, tandis que les défauts de structure de l’émail correspondent à des anomalies d’interduction. Dans la même série, les anomalies du massif facial sont présentes chez 10 % des patients, soit une fréquence supérieure à la population générale. En pratique, devant la découverte des anomalies de la face et/ou dentaires chez un enfant de petite taille, il est légitime de demander un bilan endocrinien. On peut retrouver des anomalies beaucoup plus discrètes du complexe dento-facial chez les enfants qui ont un déficit en GH, qu’il soit congénital ou acquis. Ces modifications intéressent surtout la morphologie du visage, avec notamment une diminution de la croissance de la mandibule et de la base crânienne postérieure, ainsi qu’une diminution de la hauteur faciale inférieure. La calcification dentaire est ralentie [26]. Le syndrome de Silver-Russel associe une petite taille par retard de croissance intra-utérine avec asymétrie des membres, du tronc ou de la tête, 5e doigt court, clinodactylie, une cryptorchidie et des anomalies orales. Ainsi, on peut voir une hypoplasie mandibulaire, une microdontie avec des variations du schéma éruptif, des agénésies des incisives latérales supérieures et des secondes prémolaires (fig. 2) [26]. Le traitement par hormone de croissance entraîne une normalisation de la croissance mandibulaire et de la
Figure 2 : Agénésie incisive latérale supérieure gauche et nanisme de l’incisive latérale supérieure droite (Collection F. Prédine-Hug CHU Brest). Figure 2: Agenesia of the left superior lateral incisive and nanism of the right superior lateral incisive (collection of F. Prédine-Hug, Brest).
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base crânienne postérieure, avec augmentation de la longueur de la branche montante de la mandibule permettant de rétablir les proportions normales du visage. Néanmoins, les déséquilibres maxillo-mandibulaires peuvent augmenter lors du traitement, nécessitant un suivi régulier par l’orthodontiste (tous les 6 mois) pendant toute la durée du traitement.
SYNDROME DE TURNER Les données de la littérature sont assez pauvres. Toutefois, deux études récentes comparant les caractères odontologiques des patientes turneriennes à ceux de groupes contrôle retrouvent une fréquence moindre des caries chez les filles atteintes du syndrome de Turner [16, 25]. On peut supposer que la carence oestrogénique protège contre l’apparition des caries. En effet, l’étude des animaux gonadectomisés montre que l’administration des œstrogènes augmente l’incidence des caries [25]. Les anomalies morphologiques dentaires sont fréquentes et comprennent hypoplasies dentaires, diminution de la couronne dentaire ou des racines, racines bifides, etc. Étant donnée la présence sur le chromosome X des gènes impliqués dans la croissance, on peut supposer que ces gènes influent sur le développement dentaire, donc l’absence d’un gène X conduit aux anomalies mentionnées [16]. En ce qui concerne les anomalies orthodontiques (anomalies de l’occlusion dentaire, prognathisme, etc.), dans une étude hongroise, 100 % des patientes turneriennes en avait au moins une, contre 43 % dans le groupe contrôle [25]. Les gènes de l’émail dentaire du chromosome X pourraient être impliqués dans le développement occlusal [6, 12]. Mise à part la voûte palatine ogivale, qui représente un des éléments diagnostiques du syndrome de Turner, on rencontre des modifications des arcs maxillaire et mandibulaire qui reflètent une croissance faciale non-harmonieuse [12]. Les maladies touchant l’articulation temporomandibulaire sont plus fréquentes dans cette catégorie de la population [16]. La découverte de ces anomalies chez une fille de petite taille doit attirer l’attention quant à la possibilité de l’existence d’un syndrome de Turner. Le traitement par hormone de croissance a une influence sur le développement cranio-facial, sans pour autant aggraver les disproportions faciales. On note une augmentation du périmètre crânien, ainsi que de la branche montante de la mandibule, avec normalisation de la distance entre le maxillaire et la selle turcique [26]. Comme pour le traitement du déficit en GH, les patientes nécessitent un suivi orthodontique rapproché.
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HYPOTHYROÏDIE Les hormones thyroïdiennes ont un rôle important dans la croissance pré et post-natale. L’insuffisance thyroïdienne entraîne des modifications dentaires variables en fonction de l’âge d’apparition. L’hypothyroïdie congénitale est caractérisée par un retard généralisé de la croissance. Les os du crâne et de la face connaissent une ossification prématurée, notamment la mâchoire et les os du nez. L’éruption dentaire est tardive, les dents présentent des anomalies morphologiques. Il existe une discordance entre les dimensions des arcades dentaires (trop courtes) et celles des dents, qui paraissent trop grandes, même si celles-ci ont des dimensions normales. Les dents sont irrégulières et l’on peut voir des dents surnuméraires, voire même des doubles rangées de dents [13]. La fréquence des caries est plus importante que dans la population générale. L’hypothyroïdie de l’adulte est moins riche en manifestations dentaires. On note seulement la fréquence accrue des caries et des inflammations gingivales [13].
HYPERTHYROÏDIE
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L’hyperthyroïdie per se n’entraîne pas de modifications dentaires. Le traitement de la thyréotoxicose par antithyroïdiens de synthèse (Néomercazole, Propylthiouracile) a comme principal effet secondaire potentiel une leucopénie, voire même une agranulocytose par toxicité médullaire directe ou secondaire à un phénomène immunoallergique. Les manifestations buccales représentent des circonstances fréquentes de découverte, à côté de la fièvre, de la dysphagie et des éruptions cutanées. Le tableau clinique inclut des ulcérations orales, des lésions de nécrose gingivale, accompagnées d’une pharyngite et d’une amygdalite infectieuses [21, 28]. Les lésions gingivales et palatines sont couvertes d’une membrane grisâtre. Les femmes sont plus souvent atteintes que les hommes [8]. La prévalence de l’agranulocytose parmi les hyperthyroïdiens traités au Méthimazole (anti-thyroïdien de choix aux États-Unis) est estimée à 0,5 %, avec une mortalité entre 0,3 et 0,6 % [8]. Néanmoins, il faut souligner que la cause de décès la plus fréquente est l’infection à germes opportunistes, ayant comme point de départ la cavité buccale. Le suivi de ces patients comprend une surveillance régulière de la numération globulaire tous les 10 jours pendant les 2 premiers mois de traitement, sachant que le risque d’apparition d’une agranulocytose est plus important en début de traitement. L’apparition d’un tableau clinique avec fièvre, maux de gorge, ulcérations
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buccales doit immédiatement alerter le médecin et faire rechercher une agranulocytose. La numération globulaire se normalise après l’arrêt des antithyroïdiens de synthèse, car la toxicité médullaire disparaît au bout de une à deux semaines [8]. Le traitement local inclut des mesures d’hygiène orale, des irrigations sub-gingivales à l’eau oxygénée et au gluconate de chlorhéxidine, ainsi que le nettoyage des lésions nécrotiques à l’eau oxygénée. L’utilisation des bains de bouche à la chlorhéxidine 0,2 % est également recommandée, étant donnée son efficacité vis-à-vis des germes gram-positifs et gram-négatifs [8].
HYPOPARATHYROÏDIE L’hypoparathyroïdie auto-immune s’accompagne parfois de lésions dentaires, dans le cadre plus vaste du syndrome APECED (autoimmune polyendocrinopathy-candidiasisectodermal dystrophy) lié à une mutation du gène AIRE 21q22.3. La manifestation initiale la plus fréquente est la candidose orale. Les anomalies dentaires sont beaucoup plus rares et ne semblent pas être liées à l’hypoparathyroïdie [1]. Ainsi, l’hypoplasie de l’émail dentaire semble être plutôt une composante de la dystrophie ectodermale. En effet, l’hypoplasie de l’émail peut se développer avant l’installation de l’hypocalcémie ou pendant le traitement de substitution calcique [27]. Les autres anomalies dentaires du tableau clinique sont : éruption dentaire retardée, hypodontie, racines dentaires courtes [27]. Même si l’on ne peut pas exclure d’une façon formelle l’intervention d’autres facteurs endocriniens, il est évident que la parathormone joue un rôle clé dans le développement dentaire, indépendamment de celui joué dans la régulation de l’homéostasie calcique.
HYPERPARATHYROÏDIE Les manifestations dentaires apparaissent tardivement dans l’évolution de l’hyperparathyroïdie et sont actuellement de plus en plus rares, étant donné le diagnostic précoce grâce au dosage de la calcémie plasmatique. Il s’agit le plus souvent d’une hyperparathyroïdie négligée, l’excès de PTH conduisant à l’apparition des lésions lytiques osseuses disséminées. L’atteinte mandibulaire est tardive et comprend la disparition de la lamina dura, déminéralisation osseuse et l’apparition des tumeurs à cellules géantes [24]. La fréquence des caries est semblable à la population générale [13]. Les manifestations dentaires peuvent exceptionnellement représenter le premier signe d’hyperparathyroïdie primaire.
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MALADIE D’ADDISON L’insuffisance surrénalienne chronique apparue dans l’enfance peut s’accompagner d’un retard de l’éruption dentaire [13]. L’hyperpigmentation cutanéo-muqueuse fait partie du tableau de l’insuffisance surrénalienne chronique. La présence des taches ardoisées au niveau des muqueuses orales (muqueuse jugale, palais, gencives, luette) est inconstante et doit être interprétée en fonction du contexte racial. Ces taches sont normalement rencontrées chez les noirs et chez les sujets natifs du bassin méditerranéen, sans avoir une valeur pathologique (fig. 3). Cependant, il est impératif d’éliminer l’existence d’une maladie d’Addison avant de procéder aux manœuvres invasives, car une extraction dentaire sur ce terrain peut avoir des conséquences catastrophiques.
PUBERTÉ PRÉCOCE L’accélération de l’éruption dentaire peut survenir chez les enfants ayant une puberté précoce, intéressant la denture temporaire et définitive [13]. Dans la littérature, on rencontre des cas rapportés avec denture complète à l’âge d’un an et apparition des dents définitives à la fin de la 3e année de vie [23].
SYNDROME DE KALLMANN DE MORSIER Cette pathologie associe un hypogonadisme hypogonadotrophique, une anosmie, des anomalies rénales,
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neurologiques et des défauts de la ligne médiane : fente labiale, palatine, aplasie du cartilage nasal, colobome irien, etc. L’existence d’un syndrome de Kallmann est d’autant plus probable qu’il coexiste une macroskélie, voire un aspect eunuchoide associés à une anosmie chez un adolescent ayant dans ses antécédents une intervention pour la correction d’un « bec de lièvre ».
ANOREXIE MENTALE Les manifestations orales comprennent des érosions dentaires, une hypersensibilité de la dentine, une xérostomie et l’hypertrophie parotidienne. Les érosions dentaires sont le résultat du processus de déminéralisation secondaire au contact prolongé entre l’acide gastrique et la surface dentaire suite aux vomissements. Ces lésions touchent surtout la surface palatine du bloc incisivo-canin supérieur. L’hypersensibilité de la dentine est la conséquence logique de cette déminéralisation. La xérostomie est en partie liée au traitement par antidépresseurs, neuroleptiques, mais elle est aussi le reflet des troubles de la balance hydro-électrolytique secondaires à l’abus de diurétiques et laxatifs, entraînant une diminution des sécrétions salivaires [18]. L’hypertrophie des glandes parotides est asymptomatique, intermittente, uni ou bilatérale. Sa sévérité est proportionnelle à la fréquence des vomissements. D’ailleurs, les patients qui ne vomissent pas ne présentent pas d’hypertrophie des parotides [18].
PARTICULARITÉS DE LA PATHOLOGIE DENTAIRE CHEZ LA FEMME La fréquence accrue de la pathologie gingivale pendant la grossesse, ainsi que son apparition chez les femmes qui prennent des œstro-progestatifs ont soulevé la question de l’implication pathogénique des hormones féminines. La puberté, la contraception, la grossesse et la ménopause s’accompagnent chacune de son cortège de manifestations dentaires (tableau II).
Figure 3 : Hyperpigmentation ethnique-liséré gingival (Collection F. Prédine-Hug CHU Brest). Figure 3: Ethnic gingival hyperpigmentation (collection of F. PrédineHug, Brest).
La puberté L’augmentation des taux des hormones féminines à l’âge de la puberté est associée à une fréquence accrue de la gingivite et de la périodontite.
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Tableau II Maladies périodontales chez la femme (d’après Ferris G.M., modifié [5]). Table II Periodontal diseases in women (after Ferris. G. M., modified [15]). ÂGE
CONDITIONS ASSOCIÉES
FACTEURS ÉTIOLOGIQUES
Pré puberté
Périodontite prépubére Génétiques Défaut neutrophiles/monocytes
Puberté
Gingivite pubertaire
Production œstrogènes, progestérone Bacteroides
Périodontite juvénile
Génétiques Défaut neutrophiles Prolifération bactérienne
Grossesse
Production œstrogènes, progestérone, hCG Bacteroides
Contraceptifs
Apport exogène œstrogène, progestérone Bacteroides
Périodontite
Diminution production oestrogènes
Ostéoporose
Diminution apports calcium Pertes rénales calcium
Âge adulte
Ménopause
464 Les mécanismes expliquant potentiellement la gingivite pubertaire sont la colonisation buccale par Bacteroides ainsi que une réponse accrue aux irritants, les deux trouvant leur explication dans la modification du profil hormonal spécifique à l’âge [5, 19, 20]. La périodontite juvénile semble avoir une composante génétique, probablement liée au chromosome X, traduite par une dysfonction de l’activité des monocytes et des neutrophiles [5]. Dans les deux situations, le traitement repose sur des mesures d’hygiène locale.
La menstruation La muqueuse gingivale souffre des modifications cycliques témoignant de l’influence hormonale à ce niveau [5]. On note des saignements, une inflammation gingivale et une discrète augmentation de la mobilité dentaire dans les jours précédant les règles. Ces modifications ont été interprétées dans le contexte hormonal particulier, avec augmentation des concentrations de l’œstradiol et de la progestérone, facteurs qui favorisent l’inflammation gingivale [15]. Par ailleurs, les phénomènes sont plus marqués chez les patientes qui ont déjà une gingivite. Le traitement inclut des mesures d’hygiène orale.
Les contraceptifs oraux Les utilisatrices de contraceptifs oraux sont sujettes à une destruction périodontale plus importante, du fait de leur réponse exagérée à la plaque dentaire. L’amplitude des manifestations varie en fonction du contraceptif utilisé [11]. L’incidence de la gingivite est également plus importante. La réponse gingivale apparaît dans les trois premiers mois de traitement. Il existe une action synergique œstroprogestative sur la prolifération bactérienne gingivale, notamment sur le métabolisme des Bacteroides [9]. Chez les utilisatrices des contraceptifs oraux, certains recommandaient de pratiquer les manœuvres invasives (extractions, chirurgie périodontale) entre les jours 23 et 28 du cycle, afin de minimiser le risque d’ostéite et d’hémorragie [9]. Ces recommandations étaient valables pour les œstro-progestatifs normo-dosés utilisés dans les années 70.
La grossesse Les phénomènes inflammatoires gingivaux sont plus significatifs pendant la grossesse. Ils s’installent à partir du 2e mois et le pic de fréquence est observé à la moitié du 3e trimestre, touchant entre 30 et 75 % des femmes [4]. Les concentrations plasmatiques élevées d’œstradiol et de progestérone stimulent la production locale de prostaglandines médiatrices de la réponse immune. La progestérone diminue la résistance gingivale aux agressions, en inhibant la production d’Il 6. Les modifications des réponses immunitaires favorisent l’apparition de processus inflammatoires. Le profil hormonal particulier favorise le développement des espèces bactériennes comme Bacteroides spp et Prevotella intermedia, impliquées dans l’apparition des gingivites [19, 20]. La gingivite de la femme enceinte est caractérisée par un tableau aigu, avec érythème, œdème, saignements gingivaux, hyperplasie (fig. 4). Les facteurs impliqués sont mixtes : prolifération bactérienne et imprégnation hormonale œstro-progestative [10]. Les lésions orales peuvent emprunter un tableau plus dramatique, avec hyperplasie gingivale importante d’aspect pseudo-tumoral (épulis). L’apparition de cette tumeur hypervascularisée pendant la grossesse suggère l’implication des facteurs hormonaux [2].
La ménopause Les problèmes dentaires posés par la ménopause sont liés à l’apparition de l’ostéoporose. La perte osseuse et l’augmentation de la mobilité osseuse qui lui succède favorisent la maladie périodontale et justifient la supplémentation en calcium et vitamine D [22].
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Figure 4 : Gingivite chez une femme enceinte (Collection F. PrédineHug, CHU Brest). Figure 4: Gingivitis in a pregnant woman (collection of F. PrédineHug, Brest).
La xérostomie et la gingivite sénile atrophique sont parfois soulagées par l’administration de suppléments nutritionnels contenant de la vitamine C et le complexe des vitamines B [5].
CONCLUSION Même si à la première vue il n’y a que très peu de connexions entre les pathologies endocrinienne et buccale, une démarche plus approfondie permet de retrouver des liens entre les deux. Il est important de reconnaître certaines manifestations dentaires qui entrent dans un contexte endocrinien, afin d’entamer une démarche diagnostique et bien souvent thérapeutique.
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