Silicose pulmonaire et lupus érythémateux disséminé chez l’homme. À propos de deux observations

Silicose pulmonaire et lupus érythémateux disséminé chez l’homme. À propos de deux observations

FAIT CLINIQUE Rev Rhum [E´d Fr] 2002 ; 69 : 76-9 Pulmonary silicosis and systemic lupus erythematosus in men: a report of two cases – Joint Bone Spin...

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FAIT CLINIQUE

Rev Rhum [E´d Fr] 2002 ; 69 : 76-9 Pulmonary silicosis and systemic lupus erythematosus in men: a report of two cases – Joint Bone Spine 2002; 69: 68-71 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833001002605/SCO

Silicose pulmonaire et lupus érythémateux disséminé chez l’homme. À propos de deux observations Lilian Tereza Lavras Costallat*, Eduardo Mello De Capitani, Lair Zambon Département de médecine, division de pneumologie et division de rhumatologie, université des Sciences médicales, université d’État de Campinas, Sao Paulo, Brésil (Reçu le 7 février 2001 ; accepté le 12 juin 2001)

Résumé – Nous rapportons deux cas d’association entre silicose pulmonaire et lupus érythémateux disséminé (LED). Les deux hommes atteints de LED avaient été exposés à la silice pendant 20 ans. L’hypothèse d’une association entre l’exposition à la silice et la survenue de diverses maladies autoimmunes, incluant le LED, a été discutée au cours de la dernière décennie, mais peu de cas d’association entre LED et silicose pulmonaire ont été rapportés. Notre but a été d’attirer l’attention sur l’hypothèse qui semble de plus en plus probable, selon laquelle la silice peut aussi entraîner ou déclencher un LED, ainsi que sur la nécessité d’étudier plus à fond le rôle de l’exposition professionnelle, principalement chez les hommes atteints de LED. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS lupus érythémateux disséminé / maladie professionnelle / silicose pulmonaire Summary – Pulmonary silicosis and systemic lupus erythematosus in men: a report of two cases. We report two cases of coexistence of pulmonary silicosis and systemic lupus erythematosus (SLE). The patients are two men with SLE exposed to silica for 20 years.The hypothesis that silica exposure is linked to a wide variety of known or suspected autoimmune diseases, include SLE, has been discussing in the last decade but few cases of pulmonary silicosis and SLE were reported. Our purpose was to bring attention to the increasing evidence that silica may also cause or stimulate SLE, and to suggest that the researchers looked for the occupational exposure, mainly in male SLE patients. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS pulmonary silicosis / occupational disease / silica / systemic lupus

L’exposition professionnelle à la silice a été impliquée dans le développement de maladies inflammatoires du tissu conjonctif. Son association avec la sclérodermie *Correspondance et tirés à part : Departemento de Clinica Médica, Faculdade de Ciencas Médicas UNICAMP, Campinas Sao Paulo CEP 13083-970, Brazil.

systémique est bien reconnue (syndrome d’Erasmus) comme l’est celle avec la polyarthrite rhumatoïde (syndrome de Caplan) [1, 2]. La fréquence des associations entre exposition à la silice et maladies auto-immunes est en augmentation dans les études épidémiologiques [3]. La compréhension des mécanismes de ces associations reste incomplète. On peut observer chez des patients

Silicose et lupus érythémateux disséminé

atteints de pneumoconiose, des signes d’activation du système immunitaire, comme une hypergammaglobulinémie, la production de facteurs rhumatoïdes (FR), la production d’anticorps antinucléaires (AAN) et d’autres complexes immuns. Cette stimulation du système immunitaire pourrait conduire au développement de connectivites. Les particules de silice peuvent agir sur les macrophages et augmenter la production et la sécrétion d’interleukine 1 qui peut lui-même entraîner une activation et une prolifération des fibroblastes dans le cadre d’une silicose ou d’autres maladies pulmonaires fibrosantes [4]. Si récemment le cadre du lupus érythémateux disséminé (LED) associé à la silice a été mis en évidence [5, 6], cette association n’est pas très bien connue et peu de cas cliniques d’association silicose pulmonaire et LED ont été rapportés [7-13]. Nous présentons ici deux nouveaux cas d’hommes présentant une silicose pulmonaire d’origine professionnelle et un LED. Ces deux patients proviennent d’une cohorte de 40 patients de sexe masculin atteints d’un LED et suivis dans un centre de référence (hôpital universitaire UnicampCampinas, Sao Paulo, Brésil). OBSERVATIONS 1re observation Un homme âgé de 40 ans, de race blanche, était hospitalisé en mars 1985 pour une symptomatologie évoluant depuis trois mois et associant une asthénie, une fièvre à 38 °C, des polyarthralgies et des myalgies. Quinze jours avant l’hospitalisation, étaient apparues une toux et une dyspnée. Ce patient fumeur avait une exposition professionnelle à la silice d’une durée de 19 ans lors de son travail dans une fabrique de céramique. Un diagnostic de silicose pulmonaire avait été porté plusieurs années auparavant devant des anomalies typiques à la radiographie pulmonaire et la notion d’exposition professionnelle [14]. À l’examen physique, il existait une toux sèche, une dyspnée, une fièvre à 38,5 °C, des adénopathies cervicales et une pleurésie. Les examens biologiques initiaux montraient un taux d’hémoglobine à 8,9 g/dL, une hématurie microscopique, une protéinurie à 1,94 g/L, des cylindres urinaires, des AAN au 1/1280 à fluorescence homogène, des cellules LE, une vitesse de sédimentation (VS) à 52 mm/1re heure. Les recherches des autoanticorps suivants étaient négatives : anti-ADN, anti-Sm, antiU1RNP, anti-LA, anti-Ro, anticardiolipine, anti-Scl70, anti-Jo1. Il n’a pas été pratiqué de ponction–biopsie

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Figure 1. Tomodensitométrie pulmonaire à haute résolution : présence de micronodules disséminés des lobes supérieurs.

rénale (PBR) et le diagnostic de néphrite a été porté sur l’existence d’une protéinurie supérieure à 1 g/L. La radiographie pulmonaire montrait une pleurésie droite et un syndrome interstitiel bilatéral diffus, à prédominance péri-hilaire, avec un aspect micronodulaire compatible avec une silicose. L’analyse des prélèvements sanguins et des crachats n’a pas montré de bactéries ou de champignons. Une tomodensitométrie pulmonaire à haute résolution montrait des micronodules disséminés dans les lobes supérieurs (figure 1). Le diagnostic de LED était porté sur les critères de l’American Rheumatism Association (ARA) [15] : manifestations articulaires, pleurésie, néphrite, ANA, cellules LE. Une corticothérapie par prednisone 60 mg/j était débutée, associée au cyclophosphamide par bolus intraveineux, avec relais par l’azathioprine per os. Le traitement entraîna une amélioration progressive des signes rhumatologiques et une diminution de la protéinurie. Au cours de l’évolution, le patient présenta une tuberculose identifiée sur des prélèvements positifs de crachats pour Mycobacterium tuberculosis, et fut traité par une antibiothérapie antituberculeuse selon les modalités habituelles. Actuellement, le LED est en rémission. 2e observation Un homme âgé de 60 ans, de race blanche, était hospitalisé en janvier 1998. L’histoire de sa maladie remontait à trois ans et associait un état polyalgique et des arthrites des mains, des coudes et des genoux. Depuis

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L.T. Lavras Costallat et al.

trois mois, étaient apparus un amaigrissement de 6 kg, une fièvre, une dyspnée et des douleurs thoraciques. Ce patient avait une exposition professionnelle à la silice au cours de ses 20 ans d’activité de mineur. Il avait aussi fumé pendant 20 ans. À l’examen physique, il existait une fièvre à 38,2 °C, une polypnée et une arthrite d’intensité modérée du poignet. Le reste de l’examen était normal. Les analyses biologiques sanguines montraient une thrombopénie (40 500/mm3), des valeurs normales de leucocytes et de globules rouges, une VS à 137 mm/1re heure, des AAN au 1/1 280 à fluorescence homogène et périphérique, des anti-ADN au 1/160, des FR au 1/80. Les analyses urinaires étaient normales, notamment il n’y avait pas de protéinurie. Les recherches suivantes étaient négatives : cellules LE, anticorps anti-Ro, anticorps anti-LA, anticorps anti-Sm, anticorps anti-U1RNP, anticorps anti-Scl70. La recherche d’anticorps antiplaquettes n’avait pas été effectuée. La radiographie pulmonaire montrait un syndrome interstitiel diffus et une pleurésie bilatérale. L’électrocardiogramme était normal. La TDM pulmonaire de haute résolution mettait en évidence, dans chaque poumon, un aspect compatible avec une silicose : micronodules disséminés et adénopathies médiastinales calcifiées en coquille d’œuf (figure 2). Les recherches bactériologiques et virologiques dans le sang et l’expectoration étaient négatives. La fibroscopie bronchique était normale. L’analyse du lavage bronchoalvéolaire ne montrait ni signe infectieux, ni signe tumoral, mais la présence de cristaux biréfringents phagocytés par des macrophages. Le diagnostic de silicose pulmonaire était porté devant l’exposition professionnelle à la silice pendant 20 ans et les signes radiographiques et tomodensitométriques typiques [14]. Le diagnostic de LED était porté sur les critères de l’ARA [15] : arthrites, pleurésie, thrombopénie, AAN, anti-ADN. Un traitement par prednisone 60 mg/j était débuté. Le myélogramme n’a pas été pratiqué du fait de la normalisation du taux de plaquettes sous glucocorticostéroïdes. L’évolution clinique était favorable et les signes auto-immuns (ANA, anti-ADN, FR) disparaissaient. Actuellement, le patient est traité par 30 mg/j de prednisone. Ses examens biologiques sanguins et urinaires sont devenus normaux en dehors d’un seul prélèvement ayant montré une protéinurie à 0,5 g/L, sans cylindres urinaires, ni hématurie. La PBR n’a pas été pratiquée du fait de la disparition de cette protéinurie.

Figure 2. Tomodensitométrie pulmonaire à haute résolution : présence de micronodules intralobulaires disséminés des poumons associés à des adénopathies calcifiées en coquille d’œuf.

DISCUSSION En dehors du cas particulier de la sclérodermie systémique, les relations entre connectivites et facteurs environnementaux, professionnels ou non, restent mal connues. Même s’il est bien montré que les patients ayant une exposition prolongée à la silice présentent fréquemment des anomalies auto-immunes [3, 12, 16], l’association entre silicose pulmonaire et LED n’a été que rarement rapportée. Surat et al. ont rapporté le cas d’un homme âgé de 37 ans, travailleur dans des mines de sable, ayant développé un LED au cours d’une forme aiguë de silicose [7]. Meyniel et al., ont rapporté un cas de forme aiguë de LED survenant en association avec une silicose prouvée par les radiographies et la biopsie pulmonaires [8]. Hatron et al. ont rapporté quatre cas de LED chez des mineurs de charbon [9]. Bernardini et Iannacone ont aussi rapporté l’association LED et silicose [10]. Cledes et al. ont rapporté l’association entre une silicose et un LED avec une glomérulonéphrite segmentaire et focale [11]. Melhorn et Gaerlach ont diagnostiqué, parmi 37 patients suivis pour un LED et ayant été exposé à la silice, 30 cas de silicose pulmonaire [12]. Siebels et al. ont rapporté un cas de LED chez un tailleur de pierre ayant une silicose [13]. Chez nos deux patients, le diagnostic de silicose a été porté, selon les recommandations internationales de l’ILO, 1980 [14], sur une exposition professionnelle de longue durée à la silice libre et des signes radiographiques pulmonaires typiques. Le diagnostic de LED était basé quant à lui sur les critères de l’ARA de 1982 [15].

Silicose et lupus érythémateux disséminé

Dans une étude ayant porté sur 300 travailleurs exposés à la silice, Sanchez-Roman et al. ont observé une forte prévalence de LED et de connectivites indifférenciées, avec huit cas de LED ou de syndrome de chevauchement entre LED et sclérodermie [3]. Koeger et al. ont mené une étude prospective chez 764 patients atteints de connectivites et ont trouvé 24 cas (3 %) de connectivites associées à la silice [17]. Conrad et al. ont mené une étude parmi 15 000 travailleurs des mines d’uranium, fortement exposés à la poussière de quartz et ayant une silicose certaine ou possible [5]. Ils ont recherché les signes de connectivite. Les patients présentant au moins deux critères de l’ARA pour le LED ont été suivis. Ces auteurs ont trouvé 28 hommes ayant au moins quatre critères de LED. Les caractéristiques cliniques et sérologiques du LED chez les mineurs d’uranium étaient presque identiques à celles observées au cours du LED idiopathique. Les seules différences observées étaient, chez ces mineurs, la prédominance masculine et une plus faible fréquence des arthrites, de la photosensibilité, des anticorps anti-U1-RNP et anti-Sm [5]. Tous les patients de la cohorte de l’étude de Conrad et al. étant des hommes et leur LED étant de début tardif, les différences observées pourraient être dues, non aux facteurs étiologiques, mais au sexe et à l’âge des patients. Dans nos deux cas, il existait des arthrites en l’absence d’anti-U1RNP et d’anti-Sm. Dans les deux cas, il existait des signes généraux (fièvre, amaigrissement), mais pas de signes cutanés ni neurologiques. Des anomalies hématologiques et rénales étaient présentes dans un cas. Les adénopathies médiastinales ainsi que la pleurésie pouvaient être la conséquence, soit de la silicose, soit du LED. Si la fréquence des AAN est élevée au cours de la silicose, la thrombopénie et l’atteinte rénale ne font pas partie des signes de cette maladie. La silice est la poussière la plus fréquemment inhalée dans le cadre professionnel mais d’autres poussières minérales pourraient jouer un rôle important dans le développement de pneumoconioses au cours du LED ou d’autres connectivites. Masson et al. ont regroupé dans une entité appelée mineral dust lupus, tous ces cas d’association entre LED et exposition professionnelle à des poussières minérales [6]. Le LED peut aussi survenir dans le cadre d’activités professionnelles différentes de celles exposant à l’inhalation de poussières. Il est nécessaire, dans tous les cas de lupus masculins, de

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rechercher avec attention l’existence d’une exposition professionnelle ou non, à un facteur environnemental. RE´FE´RENCES 1 Bramwell B. Diffuse sclerodermia : its frequency; its occurrence in stone masons : its treatment by fibrinolysis in elevations of temperature due to fibrolysis injections. Edinburgh Med J 1914 ; 12 : 387-401. 2 Caplan A. Certain radiological appearances in the chest of coal-miners suffering from rheumatoid arthritis. Thorax 1953 ; 8 : 29-37. 3 Sanchez-Roman J, Wichmann I, Salaberri J, Varela JM, NunezRoldan A. Multiple clinical and biological autoimmune manifestations in 50 workers after occupational exposure to silica. Ann Rheum Dis 1993 ; 52 : 534-8. 4 Schmidt JA, Oliver CN, Lepe-Zuniga JL, Green I, Gery I. Silica stimulated monocytes release fibroblast proliferation factors identical to interleukin 1. A potential role for interleukin 1 in the pathogenesis of silicosis. J Clin Invest 1984 ; 73 : 1462-72. 5 Conrad K, Mehlhorn J, Lüthke K, Dörner T, Frank KH. Systemic lupus erythematosus after heavy exposure to quartz dust in uranium mines : clinical and serological characteristics. Lupus 1996 ; 5 : 62-9. 6 Masson C, Audran M, Pascaretti C, Chevallier A, Subra JF, Tuchais E, et al. Silica associated systemic erythematosus lupus or mineral dust lupus ? Lupus 1997 ; 6 : 1-3. 7 Suratt PM, Winn WC Jr, Brody AR, Bolton WK, Giles RD. Acute silicosis in tombstone sandblasters. Am Rev Respir Dis 1977 ; 115 : 521-9. 8 Meyniel D, Mayaud C, Chatelet F, Cohen-Solal A, Pieron R. Pneumopathie asphyxiante révélatrice d’un lupus érythémateux aigu disséminé chez un silicotique. Rev Med Interne 1981 ; 2 : 431-2. 9 Hatron PY, Plouvier B, François M, Baclett JL, Decconnick P, Devulder B. Association lupus érythémateux et silicose. Rev Med Interne 1982 ; 3 : 245-6. 10 Bernardini P, Iannacone A. Silicosi pulmonare associata a lupus eritematosos sistêmico. Lav Um 1982 ; 30 : 8-15. 11 Cledes J, Hervé JP, Clavier J, Youinou P, Ollivier JP. Silicose pulmonaire et lupus érythémateux disseminé. Poumon Cœur 1983 ; 39 : 205-7. 12 Mehlhorn J, Gerlach C. Coincidence of silicosis and lupus erythematosis. Z Erkr Atmungsorgane 1990 ; 175 : 38-41. 13 Siebels M, Schulz V, Andrassy K. Systemic lupus erythematosus and silicosis. Dtsch Med Wochenschr 1995 ; 120 : 214-8. 14 International Labor Office : Guidelines for the use of ILO International Classification of Radiographs of Pneumoconiosis. Revised Edition 1980, Geneva, ILO, 1980. (Occupational, Safety and Health Series, n° 22). 15 Tan EM, Cohen AS, Fries JF, Masi AT, McShane DJ, Rothifield NF, et al. The 1982 revised criteria for the classification of systemic lupus erythematosus. Arthritis Rheum 1982 ; 25 : 1271-7. 16 Johnson WM, Busnardo MS. Silicosis following employment in the manufacture of silica flour and industrial sand. J Occup Med 1993 ; 35 : 716-9. 17 Koeger AC, Lang T, Alcaix D, Milleron B, Rozenberg S, Chaibi P, et al. Silica-associated connective tissue disease. A study of 24 cases. Medicine (Baltimore) 1995 ; 74 : 221-37.