Communication brève
Rev Méd Interne 2001 ; 22 : 284-91 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866300003301/SCO
Le granulome pulmonaire hyalinisant : à propos de deux observations originales avec localisations cervicofaciale et orbitaire R. Laraki1, B. Wechsler2*, B. Bourgeon3, J. Wechsler4, F. Charlotte5, J.C. Piette2 1 Cabinet médical, 400, boulevard Brahim-Roudani, Casablanca 20100, Maroc ; 2service de médecine interne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France ; 3fédération médicale, centre hospitalier Félix-Guyon, Bellepierre, 97405 Saint-Denis, La Réunion, France ; 4laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Henri-Mondor, 94010 Créteil, France ; 5service central d’anatomie pathologique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France
(Reçu le 13 juin 2000 ; accepté le 15 octobre 2000)
Résumé Introduction. – Le granulome pulmonaire hyalinisant est une affection fibrosante nodulaire caractérisée histologiquement par un réseau dense de lamelles collagènes hyalinisées concentriques entouré d’une infiltration lymphoplasmocytaire périvasculaire. La diffusion extrapulmonaire du granulome pulmonaire hyalinisant est rarissime. Exégèse. – Nous rapportons, en provenance de deux services de médecine interne, deux observations inédites par leurs localisations associées : larynx (bourgeon endoluminal), orbite (nodule souspalpébral), mésentère (masse de 9 × 6 cm) dans la première ; membres, face, orbite (exophtalmie) dans la seconde observation. Conclusion. – Si l’association du granulome pulmonaire hyalinisant aux fibroses systémiques est fréquente, sa diffusion extrapulmonaire est rarissime. La corticothérapie a permis, dans le second cas, une normalisation de la radiographie thoracique et une régression partielle de la fibrose. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS granulome hyalinisant / larynx / pseudotumeur inflammatoire de l’orbite / mésentère / fibrose cervicofaciale / fibrose orbitaire / fibrose des membres
Summary – Pulmonary hyalinizing granuloma. Two case reports with hitherto unpublished cervical, facial and orbital location. Introduction. – Pulmonary hyalinizing granuloma is a rare fibrosing nodular disease of the lung characterized by its histological appearance, which includes at the center of the lesion a dense network of concentric hyalinized collagen lamella surrounded by perivascular lymphoplasmacytic infiltrate that rarefies in the center of the nodule. Exegesis. – We report two new cases: the first with laryngeal (endoluminal tumor-like), orbital (subeyelid nodule) and mesenteric (9 × 6 cm mass) location of hyalinizing granuloma; the second with cervical, facial (trismus), orbital (pseudotumor) and limb (ankylosing elbow) fibrosis. Conclusion. – The extrapulmonary diffusion of the disease is extremely rare. In one of the cases, with corticosteroids and after a follow-up of 12 months, the pulmonary tumors vanished but the fibrosis resolved only partially. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS hyalinizing granuloma / larynx / orbit / mesenterium / cervical fibrosis / facial fibrosis / orbital fibrosis / limb fibrosis *Correspondance et tirés à part.
Le granulome pulmonaire hyalinisant
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Le granulome pulmonaire hyalinisant, décrit en 1977 par Engleman et Liebow [1], se définit par des lésions fibrosantes nodulaires du poumon caractérisées par leur aspect histologique. Depuis la description princeps, 68 cas ont été rapportés [1-21]. La diffusion extrapulmonaire du granulome pulmonaire hyalinisant est rarissime, alors que l’association aux fibroses systémiques est fréquente. Nous rapportons deux nouvelles observations colligées dans deux services de médecine interne et inédites par la localisation cervicofaciale et orbitaire du granulome hyalinisant dans un cas et du siège de la fibrose dans l’autre. OBSERVATIONS Cas 1 Une femme née en 1959, originaire du Maroc et y résidant, présentait dès l’âge de 26 ans une symptomatologie d’évolution chronique associant douleurs abdominales diffuses, diarrhées avec rectorragies, épistaxis, fièvre non documentée et un amaigrissement progressif d’une vingtaine de kilogrammes spontanément stabilisé. L’état général était satisfaisant. En juillet 1994, était découverte une masse paraombilicale droite de 9 × 6 cm, dure, indolore, fixée au plan profond, de localisation prévertébrale et hétérogène à l’échographie, responsable d’une compression extrinsèque de l’angle colique droit objectivée par le lavement baryté. La vitesse de sédimentation était à 95 mm à la première heure, la protidémie de 51 g/L. La radiographie pulmonaire (figure 1) révélait deux opacités basales, arrondies, de 4,5 cm de diamètre chacune, associées à gauche à un nodule de 2 cm au contact de la lésion principale et à une opacité moins régulière. Le transit de grêle montrait un épaississement du plissement muqueux de l’iléon. La fibroscopie digestive haute était normale de même que les biopsies duodénales. En revanche, les biopsies gastriques révélaient une gastrite chronique granulomateuse avec des follicules épithéliogigantocellulaires, sans nécrose. La laparotomie mettait en évidence une ascite de faible abondance et, surtout, une volumineuse masse mésentérique dure, blanchâtre, fixée au plan postérieur, associée à de multiples adénopathies mésentériques. Seule une biopsie s’avérait possible. L’étude anatomopathologique concluait à une fibrose exten-
Figure 1. Observation 1. Opacités pulmonaires multiples évoquant un lâcher de ballons.
sive hyalinisée associée à un infiltrat inflammatoire sans lésion tumorale. Les adénopathies étaient réactionnelles. La fibroscopie bronchique retrouvait un saignement provenant du lobe de Fowler et des éperons épaissis dont les biopsies ne montraient que des remaniements inflammatoires non spécifiques. Devant la persistance des opacités pulmonaires, une nouvelle fibroscopie bronchique avec biopsies était réalisée en octobre 1996, et restait non concluante. En juillet 1997, la récidive des épistaxis faisait découvrir une lésion bourgeonnante de la fosse nasale gauche dont la biopsie montrait un aspect de rhinite granulomateuse avec mise en évidence d’un follicule épithélioïde sans nécrose. Les recherches de bacilles de Koch, en particulier au niveau des voies respiratoires, étaient négatives. En janvier 1998 apparaissaient une dyspnée laryngée d’aggravation progressive et un nodule souspalpébral de consistance dure dans la portion inféroexterne de l’arcade sourcilière gauche. L’IRM cervicale montrait une lésion polypoïde sténosante
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Figure 3. Observation 1. Biopsie pulmonaire (hématéine éosine safran, × 100). Granulome hyalinisant à un stade tardif : fibrose lamellaire et pauvre en cellules entourant les vaisseaux avec infiltrat inflammatoire minime.
Figure 2. Observation 1. IRM : lésion polypoïde sténosante de la trachée.
de la trachée sous-glottique (figure 2) qui conduisait à réaliser une résection–anastomose. L’étude histologique montrait un abondant tissu fibrohyalin infiltré de quelques lymphocytes, plasmocytes, histiocytes et granulocytes. La biopsie du nodule orbitaire révélait un processus sclérosant pseudotumoral sans structure lacrymale. L’IRM thoracique retrouvait les deux formations principales découvertes en 1994 au niveau des bases pulmonaires avec, à droite une lésion postérieure susdiaphragmatique de contour régulier, mesurant 4 cm de grand axe, et à gauche, une lésion paracardiaque lobulée (coalescence de deux nodules) de 4,5 cm. Une biopsie chirurgicale d’un nodule pulmonaire était réalisée. À l’examen histologique (figure 3), on observait un tissu scléreux formant des lamelles fibrohyalines s’enroulant fréquemment autour de vaisseaux dont la paroi était épaissie. À la périphérie s’observaient quelques infiltrats lymphocytaires entourant des néovaisseaux à paroi plus grêle. Au centre du tissu sclérohyalin, on notait des fibroblastes rares, étoilés, dépourvus d’atypie. Le PAS et le rouge Congo étaient négatifs. La relecture des lames de biopsie du nodule orbitaire trouvait un aspect identique, caractéristique d’un granulome hyalinisant. L’échographie et l’IRM abdominales (figure 4) montraient un aspect stationnaire de la masse abdo-
minale qui mesurait 9 cm de hauteur et 5 cm de diamètre antéropostérieur, siégeant en avant de l’aorte sous-rénale qu’elle laminait (hyposignal en T1 et T2). La persistance d’une diarrhée chronique conduisait à pratiquer une nouvelle fibroscopie digestive haute et une rectoscopie. Seule une gastrite chronique à Helicobacter pylori était objectivée. La clairance fécale de l’alpha 1-antitrypsine était normale (2,30 mL/24 h). Biologiquement, la numération–formule sanguine était normale, le syndrome inflamma-
Figure 4. Observation 1. IRM : masse abdominale de 9 × 5 cm.
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toire persistait (vitesse de sédimentation à 90 mm à la première heure, protéine C réactive à 24 mg/L), on notait une hypoprotidémie à 60 g/L avec hypoalbuminémie à 25,4 g/L et une hypergammaglobulinémie d’allure polyclonale à 15,5 g/L. L’enzyme de conversion de l’angiotensine était à 52 U/L (N : 30 à 100). Une corticothérapie était initiée en juillet 1998 à la dose d’attaque de 1 mg/kg/j de prednisone pendant deux mois, puis à posologie dégressive. Avec un recul de dix mois, alors que les paramètres biologiques inflammatoires étaient normalisés, on notait l’absence de modification sensible des masses pulmonaires, abdominales et orbitaires. Cas 2 Une femme née en 1966, originaire de la Réunion et y résidant, présentait depuis 1991 une altération progressive de l’état général avec un amaigrissement de 20 kg sur plusieurs années. En 1994 apparaissait une difficulté d’ouverture de la bouche la gênant pour parler et s’alimenter, en rapport avec une tuméfaction mandibulaire gauche. Une biopsie réalisée à ce niveau en janvier 1996 montrait une prolifération fibroblastique fusiforme évoquant un fibrome avec en périphérie des glandes salivaires normales. La radiographie thoracique était normale. La majoration de l’atteinte de l’état général conduisait à une nouvelle hospitalisation en janvier 1998. À l’examen, l’ouverture de la bouche était quasi impossible avec une distance entre les arcades dentaires inférieure à 2 mm réalisant un trismus invincible. Le plancher buccal était infiltré, d’une dureté ligneuse, respectant les glandes sous-maxillaires, s’étendant sur la face latérale gauche du cou, associé à une adénopathie sous-mentale. La palpation de la thyroïde était normale. Il existait une exophtalmie gauche d’installation progressive, et une atteinte oculomotrice droite avec limitation du droit interne, de l’élévation et de l’abaissement du globe oculaire. Enfin, il existait une infiltration également ligneuse du coude gauche qui était bloqué en flexion, associée à un nodule souscutané de l’avant-bras. Le syndrome inflammatoire était important : vitesse de sédimentation à 125 mm à la première heure, protéine C réactive à 194 mg/L, hémoglobine à 8,7 g/dL. La radiographie du thorax (figure 5) mettait en évidence cinq opacités nodulaires parenchymateuses à limites floues (quatre à gauche, une à droite), dont la
Figure 5. Observation 2. Nodules pulmonaires multiples.
taille variait de 1 à 4 cm. La tomodensitométrie thoracique précisait par ailleurs la topographie souspleurale et juxtascissurale des nodules avec présence d’images de bronchogramme aérique. La tomodensitométrie et l’IRM du massif facial montraient une infiltration profonde des tissus souscutanés de la face, en particulier en périmandibulaire et au niveau des fosses ptérygopalatine et temporale avec extension à la graisse péripharyngée (hyposignal en T2, sans prise de contraste), ainsi qu’une infiltration de la graisse de l’apex orbitaire droit autour du nerf optique et des muscles oculomoteurs (hyposignal en T1 et T2 avec prise de contraste). La radiographie du coude gauche ne montrait pas de lésion ostéoarticulaire. La tomodensitométrie abdominopelvienne était normale. La biopsie pulmonaire chirurgicale (figure 6) était en faveur d’un granulome hyalinisant en montrant un tissu sclérohyalin avec de rares fibroblastes centrés par une artériole à paroi saine, avec en périphérie un infiltrat inflammatoire polymorphe constitué essentiellement de
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Figure 6. Observation 2. Biopsie pulmonaire : zone centrale constituée par une fibrose hyaline entourée par un infiltrat inflammatoire polymorphe (hématéine éosine safran, × 25).
plasmocytes associés à des polynucléaires neutrophiles, quelques lymphocytes et de rares histiocytes. Les colorations de Ziehl, PAS et Grocott étaient négatives. Les biopsies ostéomédullaire du ganglion prémental et des glandes salivaires accessoires étaient normales. L’enzyme de conversion de l’angiotensine était normale, les anticorps antinucléaires et antitissus (muscles lisses et mitochondries) étaient négatifs. Une corticothérapie (prednisone 1 mg/kg/j), instituée en mars 1998, entraînait en quelques semaines une disparition de l’infiltration du coude gauche et du syndrome inflammatoire. L’amélioration était progressive, et à 24 mois on notait une reprise pondérale avec normalisation de l’état général et de l’imagerie pulmonaire (figure 7), mais la tomodensitométrie montrait la persistance de nodules de plus petite taille et de moindre densité. L’exophtalmopathie avait diminué (moins 3 mm à l’exophtalmomètre de Hertel), le coude gauche gardait une discrète limitation de l’extension. En revanche, si la parole était possible de même que l’alimentation, l’ouverture de la bouche restait très limitée (distance entre les arcades dentaires à 5 mm). Une corticothérapie d’entretien (5 mg/j) était maintenue. DISCUSSION Le granulome pulmonaire hyalinisant est une affection inflammatoire et fibrosante rare, touchant de façon à peu près équivalente les deux sexes (sexratio : 1,2). L’âge moyen au moment du diagnostic
Figure 7. Observation 2. Disparition des opacités pulmonaires.
est de 43 ans, avec des extrêmes de 19 à 77 ans [121]. Les manifestations révélatrices sont pulmonaires (44 %), générales (21 %) ou, plus rarement, liées à une fibrose rétropéritonéale ou médiastinale [18]. Asymptomatique cliniquement dans 40 % des cas, l’affection est découverte sur une radiographie pulmonaire systématique. Au cours de l’évolution, les manifestations les plus fréquentes sont la toux (33 %), les douleurs thoraciques (26 %) et la dyspnée (23 %). Les signes généraux, dominés par l’amaigrissement, sont le plus souvent peu marqués. L’examen clinique est peu contributif. Radiologiquement [6, 8, 16], on note des nodules pulmonaires, multiples dans les trois quarts des cas, le plus souvent bilatéraux pouvant faire craindre un « lâcher de ballons » métastatique, dont la taille, habituellement de 2 à 3 cm, varie de quelques millimètres à 15 cm. Ces nodules, bien limités, arrondis ou ovalaires, siègent à distance des grosses structures vasculaires et aériennes, expliquant leur latence clinique. Les régions périhilaires sont très rarement tou-
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chées, exposant alors au risque de compression vasculaire et/ou trachéobronchique. Les nodules sont rarement infiltratifs ou excavés et ne s’accompagnent pas d’adénopathie hilaire ; leur calcification est exceptionnelle, rapportée dans deux cas seulement [17, 20]. Biologiquement, un syndrome inflammatoire est possible. Les études immunologiques [4, 10], lorsqu’elles sont réalisées, montrent rarement la positivité d’anticorps antinucléaires, antithyroïdiens, antimuscle lisse, du facteur rhumatoïde, de complexes immuns circulants ou du test de Coombs, mais sans connectivite définie. Le diagnostic repose sur l’examen histologique [10] qui nécessite une biopsie pulmonaire chirurgicale. Macroscopiquement, il s’agit de nodules homogènes, blanchâtres, fermes, bien limités, mais non encapsulés. L’aspect microscopique est caractéristique : la zone centrale est constituée d’un réseau dense de lamelles de collagène hyalinisées, disposées en épais faisceaux concentriques, parallèles, entourant souvent une artériole. Elles sont séparées par des espaces clairs contenant un stroma moins dense ou des cellules inflammatoires. La périphérie est le siège d’une infiltration lymphoplasmocytaire périvasculaire, avec très rarement des cellules géantes. Elle représente la zone active, contrastant avec le centre peu cellulaire. Ce gradient cellulaire est caractéristique du granulome pulmonaire hyalinisant. En périphérie du nodule, s’observent des artérioles épaissies contenant parfois un infiltrat lymphoplasmocytaire intramural Les lésions artérielles réalisent exceptionnellement un aspect de vascularite nécrosante [3]. Il n’y a pas de granulomes épithélioïdes isolés dans le parenchyme pulmonaire. La recherche de micro-organismes par colorations spécifiques et cultures est négative [21]. La microscopie électronique [7], réalisée dans trois cas, montre un tissu dense amorphe constitué de fibres de collagène hyalin avec une périodicité de 640 Å, distinct de l’amylose, et l’absence de dépôts granulaires d’immuns complexes ou d’immunoglobulines [6]. Une diffusion extrapulmonaire du granulome hyalinisant a été exceptionnellement rapportée au niveau rénal [6], amygdalien [10] et de la faux du cerveau [14]. Les localisations au niveau du mésentère, de la trachée et de l’orbite que nous avons observées n’ont jamais été rapportées.
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L’atteinte du mésentère chez notre patiente aurait pu faire discuter une fibrose mésentérique associée, au stade de mésentérite rétractile qui, contrairement à ce qui est noté chez notre patiente, se traduit par une masse molle, élastique, mal limitée et une évolution défavorable, par occlusions, compressions veineuses avec thromboses et/ou entéropathie exsudative [22]. Le tissu à partir duquel s’est développé le nodule orbitaire ne peut être déterminé avec certitude. La localisation supéroexterne évoque un point de départ lacrymal, même si aucune structure glandulaire n’a été observée. À ce titre, le granulome pulmonaire hyalinisant doit faire partie du diagnostic différentiel des dacryomégalies chroniques : tuberculose, syphilis, lèpre, trachome, pseudotumeur inflammatoire, maladie de Basedow, sarcoïdose, syndrome de GougerotSjögren, syndrome de Mikulicz, infiltration lymphomateuse. Un développement à partir de la conjonctive palpébrale est également possible. L’association du granulome pulmonaire hyalinisant aux fibroses systémiques [5, 18, 21] est fréquente, rapportée 19 fois sur 68 (28 %) : fibrose médiastinale, rétropéritonéale et thyroïdite de Riedel. La fréquence de cette association et la similitude de certains aspects histologiques (lésions granulomateuses, puis fibreuses dans la fibrose médiastinale, succession d’une infiltration lymphoplasmocytaire, de formation de collagène, puis de hyalinisation et, enfin, de lames hyalines épaisses dans la fibrose rétropéritonéale) sont en faveur d’un mécanisme physiopathogénique semblable [18, 22]. L’association à une fibrose cervicocéphalique, en dehors de la thyroïdite de Riedel, à une fibrose des membres, telle qu’elle a été observée chez notre seconde patiente, n’a jamais été rapportée. Les fibroses faciales, cervicales et orbitaires, thyroïdite de Riedel mise à part, sont d’ailleurs très exceptionnelles [22]. Les fibroses orbitaires ou rétro-orbitaires [22-24] font partie des pseudotumeurs inflammatoires de l’orbite dont la liste, non exhaustive, des causes comporte : la sarcoïdose, la tuberculose, la syphilis, l’histiocytose X, la maladie d’Erdheim-Chester, la maladie de Wegener, la périartérite noueuse et le syndrome de Churg et Strauss, le syndrome de Cogan, le lupus systémique, la dermatopolymyosite, la maladie de Kimura et l’amylose [25]. Le diagnostic de ces fibroses orbitaires repose sur le contexte clinique, et
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notamment sur l’association à d’autres localisations de fibrose systémique [23, 24] et sur l’imagerie. La biopsie, qui augmente la réaction inflammatoire locale, n’est discutée que s’il y a un doute diagnostique avec un lymphome. Les fibroses latérales du cou peuvent se révéler, comme dans notre seconde observation, par un trismus [26, 27] lié à l’extension des lésions à la face. L’agressivité de ces fibroses est très variable, parfois peu évolutives, parfois très invasives et pseudotumorales, pouvant atteindre notamment les éléments vasculonerveux et le carrefour aérodigestif, rappelant en cela la thyroïdite de Riedel. Leur traitement est difficile, la corticothérapie étant généralement inefficace. Les immunosuppresseurs ont été rapportés comme efficaces dans deux observations [23, 27]. La radiothérapie a permis dans quelques cas de diminuer l’infiltration fibreuse pseudotumorale. La chirurgie est rarement possible [27]. L’évolution spontanée du granulome pulmonaire hyalinisant est le plus souvent bénigne [1, 10] : absence de récidive après exérèse d’un nodule solitaire, stabilisation, voire, exceptionnellement, régression des lésions. Dans 30 à 50 % des cas, on assiste à une augmentation très lentement progressive de leur diamètre, seule une augmentation brutale et tardive de volume a été rapportée [10]. Aucun décès n’est directement imputable au granulome pulmonaire hyalinisant. Aucun traitement médical n’a fait la preuve de son efficacité. Néanmoins une corticothérapie doit être tentée, en particulier en présence d’un syndrome inflammatoire ou d’une fibrose systémique associée [18]. Chez notre seconde patiente, la régression partielle de la fibrose cervicocéphalique mais surtout, ce qui est exceptionnel, la disparition complète des nodules pulmonaires plaide pour la corticothérapie. Le tamoxifène, par analogie avec son efficacité sur les tumeurs desmoïdes [28] et certaines fibroses systémiques [27, 29], pourrait être une alternative thérapeutique intéressante. L’effet éventuel des nouveaux SERMs (selective estrogen receptor modulators), comme le raloxifène, mieux toléré que le tamoxifène, n’a pas encore été étudié. La cause et le mécanisme physiopathogénique sont inconnus. Certains auteurs [1, 7] suggèrent que le granulome pulmonaire hyalinisant résulte d’une réaction immunitaire chronique et exagérée à un anti-
gène de nature inconnue aboutissant à la formation d’immuns complexes, comme c’est est le cas, par exemple, pour la fibrose rétropéritonéale [30]. Une association entre granulome pulmonaire hyalinisant et antécédents de tuberculose ou d’histoplasmose est relevée chez certains patients, particulièrement ceux avec fibrose médiastinale (trois tuberculoses anciennes chez dix patients [18, 21]) ou rétropéritonéale [1, 6]. Cependant, les colorations spécifiques et les cultures restent négatives, écartant un rôle direct de ces agents infectieux [23]. Une origine dysimmunitaire a été évoquée [4, 20], mais le caractère très inconstant des anomalies immunologiques la rend improbable. Le diagnostic différentiel se pose essentiellement à l’étape histologique. Radiologiquement, des nodules pulmonaires multiples de plus de 5 mm peuvent faire discuter des métastases notamment d’un cylindrome dont l’évolution peut être très lente, des infections (tuberculose, histoplasmose, coccidioïdomycose, hydatidose), une amylose, des nodules rhumatoïdes, une maladie de Wegener, une sarcoïdose, une granulomatose lymphomatoïde, un granulome plasmocytaire, une silicose, voire une malformation artérioveineuse. Histologiquement, certaines affections susceptibles de comporter un tissu fibreux collagène hyalinisé sont facilement écartées : granulome plasmocytaire [31], pseudotumeur inflammatoire des poumons (caractérisée par la présence constante et prédominante de plasmocytes matures associés à d’autres cellules inflammatoires) ; pseudotumeur fibreuse calcifiée, entité nouvellement décrite se développant essentiellement au niveau des tissus mous mais pouvant se localiser au niveau de la plèvre [32] qui est en revanche toujours respectée dans le granulome pulmonaire hyalinisant ; lésions granulomateuses « vieillies » d’origine infectieuse ou sarcoïdosique pouvant comporter une hyalinisation, mais pas les autres caractéristiques du granulome pulmonaire hyalinisant [21] ; carcinoïdes pulmonaires périphériques, hémangiomes sclérosants et les hémangioendothéliomes épithélioïdes [21]. En fait, le principal diagnostic différentiel est celui d’amylose pulmonaire nodulaire [7] qui revêt des caractères cliniques, radiologiques et histologiques très proches. C’est également une affection très rare (62 cas rapportés en 1991 [33]), se présentant sous forme de nodules, multiples dans 50 % des cas. L’âge
Le granulome pulmonaire hyalinisant
moyen au moment du diagnostic est plus élevé : 64 ans. L’affection est également souvent totalement asymptomatique et de découverte radiologique. Des adénopathies médiastinales sont possibles et les calcifications, en rapport avec une métaplasie ostéocartilagineuse, sont fréquentes. Si le rouge Congo peut colorer le centre du nodule du granulome pulmonaire hyalinisant, la microscopie électronique [7] et l’immunohistochimie permettent d’affirmer l’amylose devant des microfibrilles caractéristiques par leur disposition en feuillets bêta-plissés et leur marquage spécifique (anticorps anti-AA, antichaînes légères ou antitransthyrétine selon le type d’amylose). RE´ FE´ RENCES 1 Egleman P, Liebow AA, Gmelich J, Friedman PJ. Pulmonary hyalinising granuloma. Am Rev Respir Dis 1977 ; 115 : 9971008. 2 Drasin H, Blume MR, Rosenblum EH, Klein HZ. Pulmonary hyalinising granuloma in a patient with malignant lymphoma, with development nine years later of multiple myeloma and systemic amyloidosis. Cancer 1979 ; 44 : 215-20. 3 Ulbrighit TM, Katzenstein ALA. Solitary necrotizing granulomas of the lung. Am J Surg Pathol 1980 ; 5 : 13-28. 4 Schlosnagle DC, Chek IJ, Whitaker Sewell C, Plummer A, Martin Yorck C, Hunter RL. Immunologic abnormalities in two patients with pulmonary hyalinising granuloma. Am J Clin Pathol 1982 ; 78 : 231-5. 5 Dent RG, Godden DJ, Stovin P, Stark JE. Pulmonary hyalinising granuloma in association with retroperitoneal fibrosis. Thorax 1983 ; 38 : 955-6. 6 Chalaoui J, Gregoire P, Sylvestre J, Lefebre R, Amyot R. Pulmonary hyalinising granuloma : a cause of pulmonary nodules. Radiology 1984 ; 152 : 23-6. 7 Guccion JG, Rohatgi PK, Saini N. Pulmonary hyalinising granuloma. Electron microscopic and immunologic studies. Chest 1984 ; 85 : 571-3. 8 Macedo EV, Adolph J. Pulmonary hyalinising granulomas. J Can Assoc Radiol 1985 ; 36 : 66-7. 9 Maijub AG, Giltman LI, Verner JL, Peace RJ. Pulmonary hyalinising granuloma. Ann Allergy 1985 ; 54 : 227-9. 10 Yousem SA, Hochholzer L. Pulmonary hyalinising granuloma. Am J Clin Pathol 1987 ; 87 : 1-6. 11 Ikard RW. Pulmonary hyalinising granuloma. Chest 1988 ; 93 : 871-2. 12 Gans SJM, Van Der Elst AMC, Straks W. Pulmonary hyalinising granuloma. Eur Respir J 1988 ; 1 : 389-91. 13 Zafisaona G, Clary C, Meseure D. Granulome pulmonaire hyalinisant. À propos d’un cas. Sem Hôp Paris 1988 ; 44 : 2851-5.
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