Journal de Mycologie Médicale 16 (2006) 105–108
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / m y c m e d
CAS CLINIQUE / CASE REPORT
Sinusite fongique allergique à Curvularia lunata Allergic fungal sinusitis due to Curvularia lunata N. Sermondade a, C. Lacroix a,*, P. Herman b, M. Feuilhade de Chauvin a a b
Laboratoire de parasitologie–mycologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475 Paris cedex 10, France Service d’otorhinolaryngologie, hôpital Lariboisière, Paris, France
Reçu le 7 mars 2006 ; accepté le 30 mars 2006 Disponible sur internet le 24 mai 2006 MOTS CLÉS Sinusite fongique allergique ; Curvularia lunata
Résumé Le cas d’une patiente caucasienne immunocompétente vivant en Guyane et souffrant depuis deux ans d’une obstruction nasale unilatérale droite avec anosmie est rapporté. L’examen radiologique montre un aspect de « polypose » unilatérale obstruant l’ensemble de la cavité nasale avec une lyse du sphénoïde. L’examen anatomopathologique de la biopsie met en évidence des remaniements inflammatoires au niveau de la muqueuse et des filaments mycéliens dans le mucus. L’examen mycologique objective des filaments mycéliens septés à l’examen direct et Curvularia lunata est identifié en culture. Le diagnostic de sinusite fongique allergique est posé et le traitement associe une ethmoïdectomie complète avec sphénoïdotomie et une corticothérapie locale.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Allergic fungal sinusitis; Curvularia lunata
Abstract We report the case of a 28-year-old caucasian female living in French Guyana. For 2 years she had been complaining of unilateral nasal obstruction with anosmia. A CT scan of the sinuses showed unilateral pansinusitis with polyps and lysis of the sphenoid bone. Histological examination of mucus showed polynuclear eosinophil cells with Charcot-leyden crystals and fungal hyphae. No fungal invasion was observed in the sub-mucosa. Mycological examination of mucus showed septated fungal hyphae identified as Curvularia lunata by culture. Treatment consisted in unilateral ethmoidectomy with sphenoidotomy combined with a short local corticotherapy.
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Introduction La classification des sinusites fongiques permet de distinguer deux groupes : les formes invasives caractérisées par une infiltration de la muqueuse, des vaisseaux et de l’os par le champignon et les formes non invasives caractérisées par * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Lacroix).
la présence du champignon dans le nez et les sinus sans envahissement tissulaire. Les formes non invasives comprennent la balle fongique et la sinusite fongique allergique (SFA) et les formes invasives la sinusite fongique fulminante et indolente [2,3,5,9]. La SFA est une pathologie non invasive représentant, environ 70 % des sinusites fongiques [4]. Cette pathologie, décrite au début des années 1980, correspond à une réponse immunitaire anormale contre des champignons aériens ubiquitaires entraînant une inflammation chronique des muqueuses.
1156-5233/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mycmed.2006.03.002
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Nous rapportons un cas de SFA à Curvularia lunata chez une patiente immunocompétente, vivant en Guyane.
Cas clinique Une femme âgée de 28 ans, enseignante en Guyane, a consulté pour une obstruction nasale avec anosmie, évoluant depuis deux ans, mise sur le compte de l’allergie et traitée par antihistaminique H1. Ses antécédents médicaux étaient sans particularité, à l’exception d’une allergie aux acariens et poils de chat. Il n’y avait pas d’asthme associé. De volumineux polypes obstruant la cavité nasale droite étaient visibles à l’examen endonasal endoscopique. L’examen en tomodensitométrie (TDM) mettait en évidence un aspect de pan-sinusite avec une opacité complète des sinus maxillaire, ethmoïdal, sphénoïdal et frontal droits. Par ailleurs, il existait une lyse franche du clivus de la paroi postérieure du sinus sphénoïdal et de la corticale postérieure (Figs. 1 et 2). La patiente a été hospitalisée en métropole pour exploration de cette pan-sinusite. La numération sanguine montre une hyperleucocytose (15,3 G/l) avec hyperneutrophilie (12 G/l) et hyperéosinophilie (1,2 G/l). Une imagerie par résonance magnétique (IRM) a été réalisée pour explorer la lyse osseuse. Elle ne montrait pas de signe de pachyméningite en regard, mais en revanche le sinus sphénoïdal apparaissait en hyposignal sur les séquences pondérées en T2 (Figs. 3 et 4). L’aspect endoscopique évoquait plus un polype inflammatoire qu’un processus tumoral. Une intervention est alors programmée. Elle consiste en une ethmoïdectomie avec large sphénoïdotomie. Le sinus sphénoïdal contient un mucus très visqueux, « beurre de cacahuète » et le defect osseux du clivus est confirmé. L’examen mycologique du mucus a mis en évidence des filaments mycéliens septés hyalins à l’examen direct et C. lunata a été identifié en culture (Fig. 5). L’exa-
Figure 1 Coupe tomodensitométrique axiale en fenêtre osseuse passant par le sinus sphénoïdal montrant les opacités sinusiennes droites diffuses. Il existe une lyse de la portion médiane de la paroi postérieure du sinus sphénoïdal. Figure 1 Axial CT-scan by the sphenoid sinus, with diffuse opacities of right sinuses. Note the lytic bony lesion of the posterior wall of the sphenoid sinus.
N. Sermondade et al.
men anatomopathologique du mucus montrait de nombreux cristaux de Charcot-Leyden avec des amas de polynucléaires éosinophiles et la présence de filaments mycéliens septés. Au niveau de la muqueuse, il existait des remaniements inflammatoires chroniques sans filament mycélien. Le diagnostic de sinusite fongique allergique est alors posé. La patiente quitte le service avec la prescription d’une corticothérapie locale (Nasonex®) à poursuivre plusieurs mois, et un suivi clinique et radiologique régulier est prévu.
Figure 2 Coupe tomodensitométrique axiale en fenêtre parenchymateuse passant par le sinus maxillaire montrant le caractère hyperdense du contenu du sinus. Figure 2 Axial CT-scan by the maxillary sinus. Note the hyper dense image within the sinus.
Figure 3 IRM en coupe axiale (séquence T1 avec injection de produit de contraste) passant par le sinus sphénoïdal. L’absence de pachyméningite en regard du clivus est à noter. Figure 3 RMN of the sphenoid sinus. Note the absence of pachymeningitis.
Sinusite fongique allergique à Curvularia lunata
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Le diagnostic de SFA repose sur des critères radiologiques et anatomopathologiques : ● une sinusite confirmée radiologiquement volontiers unilatérale ; ● la présence de « mucine allergique » intrasinusale ; ● la présence de filaments mycéliens dans ce mucus ; ● l’absence de filaments mycéliens dans la sousmuqueuse, les vaisseaux ou le tissu osseux ; ● et l’absence d’immunodépression (diabète, immunosuppresseurs…) [2,15].
Figure 4 IRM en coupe coronale (séquence T2) passant par les sinus sphénoïdaux : quasi-absence du signal dans le sinus droit, pourtant non aéré. Figure 4 RMN of the sphenoid sinuses. Signal in the right sinus is almost absent, while it is not aerated.
Figure 5 Aspect microscopique de C. lunata en culture sur milieu de Sabouraud (× 400). Conidies brunes et septées dont certaines présentent un aspect incurvé. Figure 5 Microscopical aspect of Curvularia lunata on Sabouraud dextrose agar. (× 400). Septated brown conidia. Some are slightly curved.
Discussion Les sinusites fongiques allergiques (SFA) ont été décrites au début des années 1980 comme un processus clinique et anatomopathologique similaire à l’aspergillose pulmonaire allergique [7,11]. Les études rétrospectives estiment que jusqu’à 10 % des sinusites fongiques chroniques ayant été traitées chirurgicalement sont des SFA. Les patients sont généralement jeunes, en bonne santé, sans pathologie ni immunodépression sous-jacente. Cependant, la majorité d’entre eux possèdent un terrain atopique avec asthme, eczéma ou rhinite allergique. Ils vivent généralement dans des zones géographiques à climat chaud et humide qui favoriserait le développement fongique [2,8].
Le mucus de couleur « beurre de cacahuète » est caractéristique [5,8]. Les symptômes les plus fréquemment observés sont une obstruction nasale, une rhinorrhée et des douleurs frontales [8]. La tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique mettent en évidence une opacité hétérogène de plusieurs sinus avec parfois un aspect de lyse osseuse [15]. Cependant, dans les SFA, ces aspects lytiques ne correspondent pas à une réelle invasion tissulaire par le champignon mais résultent de phénomènes inflammatoires majeurs [6]. Indépendamment du caractère unilatéral des lésions et de l’érosion osseuse, les constatations les plus évocatrices sont, à la TDM, l’existence d’hyperdensités hétérogènes au sein du sinus, et en IRM, l’aspect en hyposignal des sécrétions sur les séquences T2, reflet de la faible hydratation des mucines allergiques. L’examen anatomopathologique du mucus met en évidence de nombreux polynucléaires éosinophiles, de nombreux cristaux de Charcot-leyden, et la présence de filaments mycéliens. Un processus inflammatoire chronique sans invasion tissulaire fongique est visible à l’examen de la muqueuse. Des colorations spécifiques, periodic acid Schiff (PAS) ou imprégnation argentique de Gomori-Grocott sont nécessaires pour visualiser les éléments fongiques [2,5]. Les filaments mycéliens présents dans le mucus peuvent aussi être colorés par des marqueurs fluorescents spécifiques de la chitine, constituant de la paroi fongique [16]. L’examen mycologique demeure indispensable pour isoler et identifier le champignon en cause. Il s’agit généralement de phaeohyphomycètes du genre Bipolaris, Curvularia, Alternaria, Exserohilum ou Cladosporium. Les Aspergillus ne sont que rarement isolés dans cette pathologie [8,14]. Les SFA ne correspondent pas à un processus infectieux mais à une réaction d’hypersensibilité contre des antigènes fongiques de champignons aériens ubiquitaires responsable d’une inflammation chronique de la muqueuse [2,8]. Certains auteurs ont mis en évidence la présence d’IgE sériques dirigées contre des antigènes fongiques qui participeraient à la réaction inflammatoire observée [10]. Une hyperéosinophilie sanguine est souvent présente [8]. Ces éléments renforcent l’hypothèse de l’origine allergique de cette pathologie. Récemment, l’hypothèse d’une production ou d’une exposition persistante à un superantigène de la muqueuse respiratoire a été proposée comme mécanisme de SFA [13]. Le traitement des sinusites fongiques allergiques consiste à restaurer chirurgicalement le drainage des sinus [2,5,8]. Le geste peut aller de la simple polypectomie jusqu’à des gestes plus invasifs tels que l’ethmoïdectomie ou
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la sphenoïdotomie. L’intérêt de prescrire une corticothérapie en prévention des rechutes s’est inspiré de l’expérience acquise dans les aspergilloses bronchopulmonaires allergiques, afin de diminuer les réactions d’hypersensibilité en réponse aux antigènes fongiques. Un traitement par corticoïdes locaux au long cours associé ou non à des irrigations nasales permettrait de contrôler le processus [2,10,14], en évitant les inconvénients d’un traitement systémique par prednisone (10 à 20 mg/j) qui, pour certains auteurs, diminuerait la fréquence des rechutes [2,4]. Cependant l’indication d’une corticothérapie générale reste encore mal définie. Récemment, les antileucotriènes ont été utilisés dans le traitement des SFA [12]. En dépit des différentes thérapeutiques utilisées, les rechutes sont fréquentes, observées chez 70 % des patients [1,14]. Les antifongiques ne sont traditionnellement pas proposés dans l’indication de SFA, du fait du caractère non invasif de cette pathologie. Cependant, ils pourraient limiter la croissance du champignon après chirurgie, réduire la charge antigénique et donc diminuer la réponse allergique. Inspirée de l’utilisation des antifongiques dans l’aspergillose bronchopulmonaire allergique, l’utilisation de l’itraconazole au long cours s’est montrée bénéfique chez certains patients réfractaires [1]. La diminution de l’exposition aux champignons présents dans l’air participerait également activement à la guérison et à la diminution des rechutes [4]. Dans notre cas, la patiente a préféré quitter le climat équatorial de la Guyane pour s’installer en région parisienne.
Conclusion La SFA est une pathologie non invasive, induite majoritairement par des phaeohyphomycètes. Le diagnostic doit être posé avec précision, après avoir éliminé tout processus tumoral, en confrontant les données cliniques et anatomopathologiques. Ce cas, très typique de par sa présentation, met en évidence le manque d’études prospectives concernant le traitement de cette pathologie. Si la chirurgie reste le traitement de choix, le rôle potentiellement bénéfique de la corticothérapie et d’une thérapeutique antifongique reste cependant à déterminer, le taux de rechutes demeurant encore élevé.
N. Sermondade et al.
Institut Pasteur, Paris, pour avoir identifié l’espèce du Curvularia.
Références [1]
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Remerciements [16]
Nous remercions Mme Dea Garcia-Hermoso du Centre national de référence des mycoses et des antifongiques,
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