Rev Méd Interne 2002 ; 23 : 351-4 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866302005829/MIS
Entendu et noté pour La Revue de médecine interne
Le sommeil Sleep Odyssey, Punta del Este, Uruguay, octobre 2001
C. Veyssier-Belot Service de médecine interne, centre hospitalier général Poissy – Saint-Germainen-Laye. 20- rue Armagis 78100 SaintGermain-en-Laye,France
La fatigue est un motif de consultation fréquent, en médecine générale comme en médecine interne. C’est parfois un problème aux retentissements professionnels ou sociaux importants. On s’aperçoit que des maladies nombreuses et variées peuvent s’exprimer par ce symptôme, de l’hépatite C à la dépression en passant par l’hémochromatose, la fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique. Si nous avons tous un « bilan » clinique, biologique et morphologique à proposer qui est le reflet de ces maladies causales variées, il n’est pas certain que la qualité du sommeil du patient soit toujours mentionnée dans le compte rendu de la consultation, comme si le sommeil allait de soi. C’est la raison pour laquelle suivre un congrès sur le sommeil n’est finalement pas de tout repos puisqu’on y retrouve, à travers les troubles du sommeil, toute la démarche de recherche, diagnostic et traitements appliqués à d’autres champs de la médecine. Tous les sujets ne pouvant être abordés, seuls quelques-uns uns ont été retenus.
Syndrome des jambes sans repos et syndrome des mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil Plusieurs heures de travail en session plénière ou autour de posters ont porté sur le syndrome des jambes sans repos (restless legs syndrome, RLS, ou syndrome d’impatiences musculaires de l’éveil) et sur le syndrome du mouvement périodique des jambes pendant le sommeil. Les internistes connaissent le syndrome des jambes sans repos qui se discute parfois devant des paresthésies des membres inférieurs comme diagnostic différentiel d’une neuropathie ou d’une insuffisance veineuse. Le mouvement périodique leur est moins familier. Ces deux diagnostics reposent en premier lieu sur l’interrogatoire du patient et des personnes qui lui sont proches et s’opposent sur quelques points. Pour résumer, le RLS est un syndrome clinique subjectif de paresthésies plus ou moins permanentes des membres inférieurs survenant pendant l’éveil tandis que le mouvement périodique est un syndrome moteur objectif de mouvements incontrôlés, le plus souvent des membres inférieurs, survenant pendant le sommeil. De plus, si le RLS est une plainte rapportée par le patient, le mouvement périodique est souvent un motif de consultation à la demande du conjoint !
Le RLS comporte une sensation désagréable ressentie au niveau des jambes qui s’accompagne d’une irrésistible envie de bouger. Les patients décrivent de manière variée ces sensations désagréables : brûlures, picotements, décharges électriques, douleurs. Cette variété peut expliquer un certain retard diagnostique et la variété des spécialistes consultés : neurologues, spécialistes du sommeil, médecins des centres antidouleur et internistes. La prévalence de la maladie est difficile à connaître, car la gêne ressentie étant variable, tous les patients concernés ne consultent pas pour ce syndrome. Dans les centres du sommeil, les enquêtes familiales ont montré que 10 à 20 % des membres proches de la famille du cas index avaient un RLS mais ne s’en plaignaient pas au point de consulter. Dans ces cas, la gêne est occasionnelle ou survient par périodes. Cette hétérogénéité familiale coïncide avec l’hétérogénéité de la gêne fonctionnelle rapportée par chaque patient et contribue à la difficulté des essais thérapeutiques, par exemple. Un orateur a rappelé la présence de cas de transmission autosomique dominante, parfois avec anticipation (survenue plus précoce de la maladie à la génération suivante). Le diagnostic de RLS repose sur quatre critères : paresthésies des membres inférieurs responsables d’une hyperactivité motrice, soulagement (le plus souvent partiel et transitoire) lors
352 de l’exercice physique, en particulier la marche, et aggravation des symptômes le soir et la nuit. L’interrogatoire recherche aussi le retentissement de la maladie sur le plan social et sur le sommeil. En effet, le patient ne ressent en général pas de gêne tant que son activité est soutenue, mais les paresthésies apparaissent 30 à 40 minutes après le début du « repos » et peuvent donc gêner lors d’un trajet de retour du travail, au cours d’une réunion professionnelle, au cinéma... et donner l’impression d’une personne « qui ne tient pas en place ». Les patients sont aussi fatigués, somnolents (un tiers des cas) du fait d’un plus long délai d’endormissement et d’éveils nocturnes parfois prolongés du fait de la gêne ou des douleurs ressenties. Il importe de rechercher des circonstances aggravantes et une maladie associée et/ou causale. En cas de maladie sous-jacente, le syndrome des jambes sans repos (entité propre) devient un symptôme (expression d’une autre entité médicale). Les lésions neurologiques, en particulier médullaires, parfois évidentes (paraplégie post-traumatique), les polyneuropathies, l’insuffisance rénale avancée et l’hémodialyse, l’anémie par carence martiale et/ou en vitamine B9, la polyarthrite rhumatoïde, la fibromyalgie sont des causes ou des maladies associées classiques. Les circonstances favorisantes sont celles qui aggravent les symptômes : la chaleur, la fatigue, la grossesse, la consommation de café. Une cause « physiologique », comme l’âge avancé, est parfois la seule trouvée. Le temps joue pour ou contre les symptômes car certains patients verront, par exemple, leur gêne disparaître sans explication après une période douloureuse vespérale quotidienne. Le cas spécifique du RLS chez l’insuffisant rénal chronique a été abordé, à travers deux anecdotes qui n’en sont pas pour les patients ! Les patients sont parfois tellement gênés qu’ils peuvent difficilement aller aux séances de dialyse ou y rester immobiles ce qui pose le problème de l’organisation de la prise en charge médicamenteuse des douleurs. Certains médecins ont observé la disparition du RLS après transplantation rénale, les pa-
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resthésies revenant au moment du rejet du greffon. Les diagnostics différentiels principaux sont les neuropathies périphériques, les lésions neurologiques centrales et certaines maladies spécifiques au sommeil. Lorsqu’une maladie sous-jacente a été éliminée, le traitement repose en premier lieu sur des conseils hygiénodiététiques qui semblent efficaces mais ne sont justifiés par aucune étude contrôlée. Ces conseils peuvent être donnés à tous les patients, quelle que soit la gêne occasionnée par le RLS tandis qu’il existe un consensus pour ne proposer les traitements médicamenteux qu’aux patients présentant un retentissement important du RLS : troubles du sommeil surtout, avec leurs conséquences. Les règles hygiénodiététiques comportent la réduction de la consommation de caféine, le contrôle de la prise de poids et si possible la réduction du poids, et la pratique d’un exercice physique régulier, plutôt doux. Certains patients découvrent en effet une exacerbation des symptômes en cas d’exercice violent. À l’inverse, les personnes en bonne condition physique du fait d’une activité régulière ont rarement un RLS. Le mode d’action de l’exercice physique est inconnu. Le plus simple est d’imaginer que la plupart des exercices physiques concernent la partie du corps qui est douloureuse, c’est-à-dire les jambes et que l’effet est local : réduction de la stase veineuse, échauffement musculaire, éventuellement libération d’endorphines (?). En revanche, quand recommander au patient de pratiquer un exercice physique ? En fait, on ne sait pas quel délai doit s’écouler entre l’effort physique et le coucher où les symptômes sont les plus importants. Il paraît clair que si l’exercice physique peut apporter un soulagement prolongé, les massages de jambes (fréquemment demandés par les patients) ont une efficacité tout juste suspensive du symptôme douloureux (une heure). Leur prescription n’est donc pas justifiée. Le traitement médicamenteux est envisagé si les mesures hygiénodiététiques sont insuffisantes. Le traitement de première intention est discuté en fonction des comorbidités associées et de l’âge du patient. Un seul traite-
ment est d’abord tenté. Les principales classes thérapeutiques disponibles sont les benzodiazépines et les analogues de la L-dopa. Différents orateurs ont exposé leurs habitudes thérapeutiques. En France, le traitement repose d’abord sur les antalgiques, les benzodiazépines, le Neurontin® et éventuellement le fer, même si les dosages ne montrent pas de carences. Pour les autres orateurs, les analogues de la L-dopa d’action rapide peuvent être utilisés comme test diagnostique et thérapeutique tandis que le recours aux benzodiazépines nécessite une certitude diagnostique : la dose recommandée est, par exemple, de 50 à 200 mg/j de sinemet le soir pendant une à deux semaines afin de voir l’efficacité du traitement. Les orateurs citent aussi le pergolide et le pramipexole (autres agonistes dopaminergiques) sans donner de doses précises ni de durée de traitement. Les benzodiazépines sont indiquées chez les patients très anxieux ou ceux chez lesquels on ne craint pas la sédation (patient jeune), ou en cas d’échec de la L-dopa : le clonazépam est la molécule de référence. D’autres prescripteurs essayent le dompéridone ou la clonidine, la plupart du temps en seconde intention, sans validation particulière. En dernier recours, les opioïdes sont utilisés, en particulier une forme à libération prolongée. Un orateur a cité la méthadone (10 mg/kg/j, dose qui paraît importante). Cette attitude n’est pas recommandée en France. Certains prescripteurs ont recours à l’association de benzodiazépines et de morphiniques. Le syndrome des mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil a été beaucoup moins développé. Il consiste en mouvements des jambes, bilatéraux ou en alternance, d’importance variable : extension des orteils, flexion dorsale du pied, voire flexion de la jambe ou de la cuisse. Le patient n’est le plus souvent pas conscient de ses mouvements. Il faut les rechercher par l’interrogatoire lorsqu’on soupçonne un RLS car les deux syndromes sont fréquemment associés (50 à 80 % des cas). Il existe d’autres associations : le syndrome des mouvements périodiques est décrit chez les insomniaques, en cas de
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syndrome d’apnée du sommeil, au cours de la narcolepsie. La physiopathologie et le traitement n’ont pas été abordés dans le détail et relèvent des spécialistes du sommeil. Syndrome des jambes sans repos et mouvements périodiques des jambes représentent 10 % des consultants pour asthénie et 15 à 20 % des consultants pour insomnie.
Insomnies L’insomnie représente 70 % environ des consultations du sommeil. Les délais d’attente étant parfois longs, les patients qui se présentent sont souvent motivés par le retentissement important de l’insomnie sur leur vie (et leurs nuits) quotidiennes. La prise en charge de l’insomnie, si elle est moins urgente et parfois moins gratifiante que celle des troubles de la vigilance, repose sur un interrogatoire très précis. En effet, le problème rapporté par le patient est subjectif, mais l’interrogatoire permet parfois d’aboutir à partir du symptôme à un diagnostic varié. Le diagnostic d’insomnie est retenu sur l’association ressentie par le patient d’une mauvaise qualité du sommeil et de symptômes désagréables durant la période d’éveil. Ces symptômes sont attribués à la fatigue ressentie du fait du mauvais sommeil. Il importe de faire préciser s’il s’agit d’une insomnie récente ou ancienne (insomnie dite chronique au-delà de un mois de troubles du sommeil au moins trois nuits par semaine). Les insomnies récentes relèvent souvent d’une ou plusieurs causes combinées : mauvaise hygiène de vie (stress professionnel combiné à la consommation de café et à une vie sociale décalée vers le soir et la nuit), chambre bruyante ou sans obscurité possible. Une gêne physique même modérée (obstruction nasale) comme une douleur persistante, certaines prises médicamenteuses (corticoïdes) ou d’alcool peuvent aussi retentir sur le sommeil. Les insomnies chroniques sont divisées en primaires et secondaires. Les insomnies secondaires sont les plus fréquentes. Elles se voient au cours des syndromes des jambes sans repos ou des mouvements périodiques des jambes, au cours du syndrome d’apnée du sommeil, dans le cas d’une maladie elle-même chroni-
que (maladie de Parkinson, démences) ou non diagnostiquée (reflux gastro-œsophagien). La dépression est connue pour donner une insomnie de la deuxième partie de la nuit. L’angoisse des syndromes psychiatriques phobique ou obsessionnel provoque aussi une insomnie. L’insomnie primaire est plus rare. L’insomnie psychophysiologique est un diagnostic d’interrogatoire : le patient craint des difficultés d’endormissement ce qui fait que la période qui précède le moment où il se couche est vécue comme angoissante. Le sommeil est souvent ressenti comme de mauvaise qualité, comme « sous tension ». Cet état est souvent acquis (il faut en rechercher l’événement fondateur), ce qui l’oppose à l’insomnie idiopathique qui existe depuis l’enfance. L’insomnie est une plainte fréquente (10 à 15 % de la population) dont la prévalence devrait augmenter car elle augmente avec l’âge et est plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Dans le cas des insomnies primaires, les chercheurs se demandent s’il s’agit uniquement d’une anomalie du sommeil ou si l’anomalie ressentie comme un mauvais sommeil n’est pas le symptôme d’un trouble plus général : désordre du système de sommeil (insuffisant) et/ou excès du système de vigilance (syndrome d’hypervigilance) ou autre anomalie sous-jacente non identifiée. Un des orateurs décrit ainsi notre façon de dormir et les troubles du sommeil dans un tableau à deux entrées et quatre items (tableau I). Au cours de ce congrès, trois types de modèles ou d’expériences permettant de répondre à cette question ont été rapportés : modèles animaux, modèles pharmacologiques et études du sommeil humain dans un laboratoire du sommeil
L’expérimentation animale permet le développement de modèles non pharmacologiques du sommeil par l’observation des conséquences d’une alternance lumière – obscurité chez l’animal. Les modèles animaux compris de façon « simpliste » montrent que les animaux dont la sécurité est menacée par les prédateurs et qui n’ont pas beaucoup de refuge dorment peu (sommeil interrompu), tandis que les carnivores et les prédateurs dorment bien. Mais la modification de l’environnement d’un animal craintif peut l’inciter à mieux dormir. Les mécanismes plus subtils de cette alternance veille – sommeil reposent sur des neurotransmetteurs. Des études pharmacologiques montrent que de nombreux neurotransmetteurs (acétylcholine, histamine surtout, sérotonine et noradrénaline aussi) sont impliqués dans le système d’alternance veille – sommeil, par excès ou défaut, au cours de situations expérimentales. Le rôle des peptides libérés dans le même temps est encore inconnu (substance P, CRF, VIP...). Mais il n’existe actuellement aucun neurotransmetteur identifié comme nécessaire et suffisant pour provoquer seul l’éveil et la vigilance. Les laboratoires du sommeil permettent de rechercher l’existence de changements physiologiques chez l’insomniaque. On observe effectivement une température corporelle plus élevée, un rythme cardiaque accéléré (même pendant le sommeil) et un métabolisme basal nocturne, mais aussi d’éveil, augmenté (les médecins du sommeil préfèrent parler de période d’éveil plutôt que de période diurne). Ces observations ramènent à la question initiale d’un problème physiologique encore inconnu qui provoquerait les signes physiques décrits cidessus, l’insomnie, et éventuellement
Tableau I. Façon de dormir et troubles du sommeil.
Sommeil
Trop Pas assez
Éveil Trop
Pas assez
– Insomnie
Somnolence –
354 les troubles de la personnalité actuellement étiquetés « secondaires » au manque de sommeil : troubles de concentration, irritabilité, etc. Les insomniaques pourraient ainsi avoir des plaintes concernant le sommeil (difficultés pour s’endormir, pour rester endormi, sommeil non réparateur) et la
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fatigue qui en découle, mais le trouble du sommeil ne serait que la partie émergée et visible d’un autre problème physiologique pour lequel une des hypothèses serait un « hyperéveil ». Certains médecins spécialisés dans les troubles du sommeil estiment que,
de même que le traitement de la somnolence diurne et des accès de sommeil de la narcolepsie a été révolutionné par le modafinil et celui des apnées obstructives par la ventilation en pression positive, il existera peutêtre une prise en charge spécifique thérapeutique de l’insomnie.