Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007 Anesth Reanim. 2016; //: ///
Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésieréanimation ?
Article spécial
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Ségolène Arzalier-Daret 1,2, Thomas Lieutaud 1, Sébastian Pease 1, Ruxandra Copotoiu 1, Francis Bonnet 1, Richard Torrielli 1, Danièle Goumard 1, Pierre Schoeffler 1, Rémi Brulé 1, Pierre Perucho 1, Michel Levy 1, Christian-Michel Arnaud 1, Edouard Podyma 1, Jean-Marc Serrat 1, Paul-Michel Mertes 1, Max-André Doppia 1,2
Disponible sur internet le :
1. Commission santé du médecin anesthésiste-réanimateur au travail (SMART), Collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR), 74, rue Raynouard, 75016 Paris, France 2. CHU de Caen, pôle réanimations anesthésie SAMU, avenue de la Côte-de-Nacre CS 30001, 14033 Caen cedex 9, France
Correspondance : Ségolène Arzalier-Daret, CHU de Caen, pôle réanimations anesthésie SAMU, avenue de la Côte-de-Nacre CS 30001, 14033 Caen cedex 9, France.
[email protected]
Mots clés Seconde victime Évènement indésirable grave Erreur médicale Culpabilité Stress post-traumatique Sécurité du patient
Keywords Second victim Adverse events Medical error Guilt Post-traumatic stress Patient safety
Résumé Les évènements indésirables graves peuvent conduire à un véritable traumatisme chez le soignant, qu'il soit le fait d'une erreur médicale ou non. Le soignant peut ainsi être considéré comme la deuxième victime de l'accident après le patient. Le traumatisme émotionnel peut avoir des conséquences lourdes sur le professionnel impliqué (addiction, troubles mentaux, burnout, état de stress port traumatique, voire suicide) et, de ce fait, sur la qualité des soins prodigués aux patients. Des prises en charge ont été décrites dans la littérature pour limiter les conséquences du traumatisme chez les professionnels de santé : prise en charge immédiate, puis à court terme et long terme, dans lesquelles participent le soutien des pairs, de la hiérarchie et une aide psychologique spécialisée. La communication doit être large sur ce phénomène peu connu des professionnels eux-mêmes afin de mettre en place des stratégies de prises en charge en amont et impliquant toute l'équipe et l'institution.
Summary Caregiver "second victim'': How to help a professional after an accident or error in anesthesia and critical care? Health care practitioners involved in a serious adverse event (SAE), whether it being a medical error or not, may experience genuine psychological trauma. Practitioners in such situation should be assessed as genuine second injured person. Psychological trauma in practitioners may lead to various disorders such as drug addiction, alcohol abuse, mental disorders, posttraumatic stress
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tome xx > n8x > xx 2016 http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007 © 2016 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007
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disorders or suicide attempt. These situations carry a high risk for patient's further safety and quality of care. Recommendations in preventing psychological trauma in health care practitioners following SAE have been issued including immediate, short-term and long-term help from coworkers, supervisors and individual psychological support. A wider publicity on SAE-related psychological trauma amongst health care practitioners is warranted in order to raise awareness on this matter.
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Contexte Les évènements indésirables graves (EIG) sont fréquents en santé [1]. Bien que très sécuritaire, l'anesthésie-réanimation n'est pas épargnée puisque 12 % des EIG surviennent dans la période périopératoire [2]. L'erreur humaine est impliquée à hauteur de 82 % dans la survenue de ces incidents [3], ce qui n'est guère surprenant puisque l'humain, de par sa nature, commet environ une à deux erreurs par heure dont 70 % sont récupérés par lui-même ou par les autres [4,5]. Le reste des barrières consiste principalement à la sécurisation du système [6]. Si elle n'est pas rattrapée et qu'elle entraîne des répercussions sur le patient, l'erreur médicale peut conduire à un véritable traumatisme chez le professionnel impliqué. Ce traumatisme peut survenir après tout EIG, même en l'absence d'erreur, d'autant plus que la maîtrise des EIG apparaît dans le contexte politique actuel comme étant un critère de performance d'un système de soins de plus en plus contraint. La prévalence de ces désordres émotionnels semble importante mais reste difficile à estimer, ils toucheraient un professionnel sur deux au moins une fois au cours de sa carrière [7–9]. L'importance de ce phénomène et ses conséquences potentiellement dramatiques sur le soignant amènent donc à poser la question : comment répondre à la détresse des professionnels victimes d'un EIG ? [10].
partage les mêmes émotions que le patient victime de l'EIG (ou ses proches en cas de décès) en suivant un processus psychologique comparable et est amené à développer une stratégie de récupération plus ou moins adaptée [13,14]. Ainsi, des mécanismes de défense inadaptés se développent tels que l'oubli, le déni, le rejet de la responsabilité, la minimalisation ou la distanciation [11,15]. Certains professionnels en viennent à changer leur pratique (l'évitement des situations similaires ou proches, l'hyper vigilance ou les vérifications à outrance) aboutissant à une médecine défensive, consommatrice d'examens et productrice de surcoûts injustifiés [16]. Dans l'étude de Laurent et al. [11], 80 % des sujets pensaient toujours à l'erreur à distance de l'évènement et 73 % avaient modifié leurs pratiques vers une augmentation de la vigilance et des vérifications. Si le soignant ne dispose plus d'assez de ressources pour faire face, il va tenter de se soustraire à cet état de stress en quittant son activité, par une réorientation professionnelle, une prise de retraite anticipée, voire le suicide. La préparation des équipes à faire face aux effets traumatisants des EIG et aux stratégies défensives est primordiale, ainsi que la connaissance du processus de récupération émotionnel pour apporter des réponses adaptées à chaque étape [14,17] (tableau I). La prévention par une approche collective est le meilleur mécanisme de défense.
Conséquences émotionnelles d'un EIG
Prise en charge après un EIG
Un EIG traumatisant peut être générateur de véritables troubles anxieux où sont intriqués à des degrés divers la culpabilité, l'incapacité à verbaliser, la rumination sans fin de l'évènement, les troubles du sommeil, les comportements déviants ou l'abus de substance. Une étude réalisée dans un service de réanimation rapportait qu'une erreur médicale induisait de la culpabilité, de la perte de confiance en soi et une difficulté à en parler chez la majorité des professionnels interrogés [11]. Une autre étude réalisée chez plus de 3000 médecins impliqués dans une erreur médicale aux États-Unis et au Canada en 2007 montrait que 61 % d'entre eux étaient confrontés à la peur de faire une nouvelle erreur, 44 % à une perte de confiance en soi, 42 % à des troubles du sommeil et à une baisse de la satisfaction au travail. Dans cette étude, seulement 10 % des médecins ont eu un soutien institutionnel pour faire face au stress généré par l'erreur médicale [12]. De véritables syndromes de stress posttraumatique ont été décrits : le soignant concerné par l'EIG
Identification des facteurs de risque de traumatisme émotionnel L'importance des conséquences de l'EIG sur la santé du patient est un facteur de risque majeur : plus l'impact pour le patient est important, plus la responsabilité perçue par le soignant est grande et donc plus grands seront le traumatisme et le sentiment de culpabilité. L'épuisement professionnel, l'identification du soignant au patient ayant subi l'EIG, ou bien encore une faible expérience professionnelle sont autant de facteurs majorant le traumatisme émotionnel [14]. Le genre féminin, l'âge avancé et le fait d'avoir été impliqué auparavant dans une erreur médicale avec une issue non satisfaisante pour le soignant sont des facteurs de risque supplémentaires [18]. Le ou les acteurs directement impliqués ne sont pas les seuls à risque de développer des troubles psychologiques, tout personnel paramédical doit faire l'objet d'une attention particulière, car il est souvent le plus proche témoin et peut considérer qu'il n'a pas su alerter ou
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Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007
TABLEAU I Étapes émotionnelles après un EIG et soutien approprié Étapes de rétablissement
Émotions ressenties
Réponse de l'équipe
Au moment de l'accident Pourquoi et comment est-ce arrivé ? Prise de conscience de la gravité et tentative de limiter les conséquences pour le patient
Appel en renfort d'autres membres de l'équipe pour la prise en charge du patient car le professionnel peut ne plus être en mesure de mettre en place des procédures ou de prendre des décisions adaptées par manque de recul
Qu'ai-je raté ? Et si j'avais. . . ? Le soignant est hanté par l'accident, reconstituant sans arrêt les faits, sentiment profond de culpabilité
Réaliser un débriefing à chaud et soustraire le soignant de son activité professionnelle pour éviter une 3e victime
Ébauche de la reconstruction personnelle
Que pensent les autres ? Aura-t-on à nouveau confiance en moi ? Suis-je compétent ?
Importance de la personne ressource (soutien d'un collègue respecté ou d'un proche). Réalisation d'une RMM (culture positive de l'erreur) et communication des conclusions au soignant
Crainte de l'inquisition des pairs, de l'institution ou de la société
Vais-je perdre le droit d'exercer ? Mon image va-t-elle être détériorée ? À qui puis-je parler sans risque ? Comment documenter l'évènement ? Préoccupations quant à la réaction de l'institution et les implications médicolégales
Importance de la personne ressource. Contacter s'il y a lieu son assurance et les affaires juridiques de son établissement. Réalisation d'un rapport circonstancié le plus précocement possible Participation de la personne ressource à l'arbitrage institutionnel le cas échéant
La recherche d'un soutien émotionnel
Pourquoi ai-je réagi ainsi ? Faut-il demander de l'aide ? Difficulté à se confier à un membre de l'entourage familial du fait de l'absence de compréhension des problèmes techniques et de leurs conséquences et la peur d'enfreindre le secret médical
Inciter le professionnel à faire appel à un soutien spécialisé, à un psychologue de l'établissement ou, mieux, du service Informer sur le numéro vert du CFAR (SMART) Prendre contact avec les syndicats
Se manifeste de trois façons En abandonnant la profession ou en se réorientant En tirant les leçons de l'expérience pour améliorer les pratiques En « survivant », en restant marqué par l'évènement (influence persistante sur la vie professionnelle et personnelle)
Vigilance de l'équipe sur les risques psychosociaux (abus de substance, suicide) d'autant plus si comportement déviant (hyperactivité ou au contraire désinvestissement, isolement, repli sur soi. . .) Suivi systématique recommandé en médecine du travail et par un psychologue après tout EIG ayant eu un impact important, en impliquant le médecin traitant. Le soutien des pairs est d'autant plus important en secteur libéral du fait de l'absence d'obligation réglementaire d'un suivi en médecine du travail
Le chaos
Le retour sur soi
Le dépassement de l'évènement
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Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ?
D'après [14,17].
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Communication autour des modes de prise en charge La connaissance des démarches mises en place au sein des établissements, lorsqu'elles existent (au niveau des services, de la médecine du travail, des institutions), voire au niveau départemental ou national est un axe important de la prévention. Il ne peut se faire que grâce à une communication large des organisations déjà en place, à un décloisonnement et une mise en commun des réseaux d'aide aux secondes victimes. Les
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contribuer à éviter l'EIG. Il en est de même pour le personnel en formation. La mise en place et l'évaluation d'un système de prévention, de récupération des EIG et d'atténuation de leurs conséquences sont indispensables. Cela passe par la limitation au quotidien des facteurs altérant l'autodétection et la récupération des erreurs telles que la fatigue, la charge de travail, l'interruption de tâche, etc., ce qui nécessite la connaissance et le respect des propres limites de chacun et l'optimisation des organisations de travail.
Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007
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professionnels sont souvent peu sensibilisés au phénomène de seconde victime et à l'existence de telles structures de soutien. En ce sens, la commission Santé du médecin anesthésisteréanimateur au travail (SMART) du Collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR) a réalisé une fiche synthétique sur la prise en charge optimale des secondes victimes (www. cfar.org) et conseille une communication systématique sur cette question lors de l'accueil d'un nouvel arrivant dans une équipe ou un établissement.
Les étapes de prise en charge après un EIG
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Prise en charge immédiate Prendre en charge le patient pour tenter de récupérer l'EIG et d'en limiter les conséquences [15]. Penser à appeler à l'aide. Extraire les soignants impliqués afin d'éviter l'effet troisième victime (le stress découlant de l'incident peut compromettre l'aptitude ou la concentration au travail et impacter sur la sécurité des soins dispensés aux patients suivants) [17,19,20]. Réaliser un débriefing à chaud pour que les personnels impliqués puissent discuter de l'incident, notamment de la performance individuelle ou de l'équipe, de l'identification des erreurs commises, et pour élaborer une stratégie corrective. Il est possible que la prise de notes lors de ce débriefing, recueillant les faits rapportés par les différents membres de l'équipe impliqués, puisse aider à la reconstitution de l'évènement pour une meilleure analyse ultérieure. Si la contrainte locale et temporelle le permet, la présence d'un psychologue durant le débriefing permettrait de désamorcer les conflits et d'apporter une aide dans la décharge émotionnelle. Il pourrait ainsi favoriser le suivi individuel ultérieur. Dans cette optique, certains recommandent la création d'un « groupe débriefing » spécifique, dédié et formé à gérer ce genre de situation [19–21]. Il est très important que le professionnel puisse verbaliser, parler avec un pair même s'il faut réorganiser l'activité pour cela. Cette discussion doit être réalisée dans un endroit fermé et isolé, et menée avec tact et doigté par un collègue empathique et respecté (personne ressource). Il s'agit d'offrir de l'aide au soignant, de partager ses difficultés, de façon opportune et dès que possible. La réaction du soignant face à un dommage dépend de son expérience passée, de son niveau d'expérience, de ses compétences, de sa personnalité et de son entourage social (familial et amical). Cette aide doit être offerte à plusieurs reprises (même en cas de refus, le principe étant de laisser une porte ouverte), doit être personnalisée aux besoins du soignant et doit mettre l'accent sur ses processus de récupération naturelle [17,19,20]. En situation de chaos, il n'y a plus de parole possible, or la prise de parole au plus près de la survenue de l'EIG permet d'éviter les non-dits. La culture médicale forme à mettre à distance les émotions et il peut être utile de ne pas attendre que la seconde victime formule la demande de soutien. Une prise en charge est nécessaire, il faut déclencher une ouverture et l'accompagnement doit être ferme.
Prévoir l'information à donner au patient et à ses proches : par qui ? (personne neutre ayant participé au débriefing ?) ; comment ? (selon le consensus défini par l'équipe ou selon un protocole institutionnalisé d'annonce d'un dommage lié aux soins) [15,17] ; présenter des regrets sur la tournure des évènements, sans admettre de « faute » [19,20]. Enquêter sur ce qu'il s'est passé, c'est-à-dire recueillir les données du monitorage et les colliger dans le dossier, identifier les ampoules utilisées, garder une copie du dossier, etc. [19,20]. Pour ne pas perdre des informations par omission, le professionnel doit s'astreindre à établir un rapport factuel circonstancié le plus précocement possible, en s'aidant des éventuelles notes prises lors du débriefing à chaud. Ne pas communiquer les informations aux personnes non concernées par l'accident jusqu'à ce que le chef de service ou la personnalité leader de l'équipe informe les membres de l'équipe de manière officielle afin de limiter l'effet destructeur de la rumeur basée sur des informations parcellaires et incomplètes [19,20]. Il paraît fondamental de ne pas présager de la culpabilité d'un soignant, même si lui-même se considère et se proclame coupable.
À court terme Proposer des congés pour éviter une altération de la qualité des soins tant que le soignant ne se sent pas rétabli. Cette pause ne doit pas être vécue comme une mise à l'écart : le lien entre l'équipe et le soignant doit être maintenu. Organiser la reprise des gardes. La durée de temps nécessaire au rétablissement émotionnel doit être adaptée au cas par cas [19,20]. Organiser un soutien psychologique spécialisé en lien avec le médecin traitant et la médecine du travail [19,20]. En cas de difficulté, ce soutien peut se faire par le biais d'une convocation à la médecine du travail. L'offre d'un soutien psychologique doit être offerte à plusieurs reprises, cette offre sera d'autant mieux acceptée si la problématique de « seconde victime » est déjà connue et a été abordée, en amont, au sein des équipes. L'information du médecin traitant peut constituer un atout supplémentaire pour aider à convaincre le soignant, notamment par le fait qu'il puisse se situer en dehors de l'environnement professionnel du sujet, ce qui souligne la nécessité pour chaque médecin en exercice de déclarer et d'être suivi par un médecin personnel. Réaliser une analyse systémique des causes ayant mené à l'EIG lors d'une Revue de Morbi-Mortalité (RMM) dans un but pédagogique et d'amélioration des pratiques, avec bienveillance. S'il n'y a pas participé, les résultats de l'analyse des causes doivent être transmis au soignant concerné afin qu'il considère la survenue de l'EIG dans sa globalité, c'est-à-dire qu'il prenne conscience de la multicausalité de l'évènement et ne se considère pas comme le seul responsable [19,20].
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Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007
À moyen et long terme Signes d'alerte Il s'agit de reconnaître pour l'équipe et les proches les signes de détresse pouvant traduire un état de stress post-traumatique. La vigilance de l'équipe doit se porter sur les mécanismes d'adaptation inappropriés tels que l'abus de substance, l'hyperinvestissement ou au contraire le désinvestissement professionnel, le repli sur soi, ou l'isolement. Dans certaines circonstances, le soutien apporté au soignant (médecine du travail, médecin traitant ou psychologue) devra être poursuivi sur plusieurs mois, voire années (en cas de problèmes médicolégaux par exemple). Pour aider les équipes dans cette tâche, des outils sont disponibles en ligne parmi lesquels la proposition de mise en place d'équipes locales d'intervention rapide après un d'EIG, intégrant le suivi systématique et bienveillant des professionnels impliqués [21]. Enfin, la communication autour des structures d'écoute spécialisées (no vert du CFAR no 0800 00 69 62) doit être large au sein des établissements. Réparation du préjudice L'équipe tout entière doit être motivée par la question « comment l'organisation peut-elle apprendre de cette erreur ? ». Une part importante du rétablissement passe par la participation du soignant à la réparation du préjudice : la personne impliquée doit se voir offrir la possibilité de coconstruire des barrières de prévention, de participer à la démarche d'amélioration de la qualité en lien avec l'évènement. Importance du collectif Le collectif sert de médiation entre l'organisation ou l'autorité et la personne impliquée. Ce sont les pairs qui, connaissant le mieux l'intimité du métier, sont les mieux placés pour en comprendre les peurs, les difficultés et les contraintes. Pour avoir la possibilité de métaboliser l'évènement, il faut permettre des temps d'échanges et de partage au quotidien, dans des espaces de discussion, ce qui n'est pas toujours compatible avec une logique managériale de productivité : l'activité continue, ce
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qui soulage et détourne la pensée, mais au risque d'enkyster l'évènement. Or la parole est libératoire, mais elle nécessite l'ajustement de l'organisation pour permettre des moments de convivialité et ainsi gagner en cohésion d'équipe : le collectif garantissant l'optimisation de la récupération individuelle [23]. Rôle de l'institution Les institutions ont un rôle à jouer dans la prise en charge des secondes victimes, or, le soutien reste insuffisant à l'heure actuelle. Dans une étude suisse récente, 90 % des professionnels interrogés pensaient que les établissements ne procuraient pas un soutien adapté et suffisant pour faire face au stress associé aux erreurs médicales. Pourtant, 92 % de ces mêmes professionnels se déclaraient intéressés par une aide psychologique. Certaines barrières semblaient empêcher le recours à cette aide : le manque de temps (34 %), la consignation du recours à une aide psychologique dans leur dossier (17 %) ou le regard négatif des collègues (16 %) [18]. Certains outils validés, tels que la Second victim experience and support tool (SVEST), permettent d'évaluer l'expérience des équipes et les procédures de soutien existantes, notamment avant et après la mise en place d'un programme d'aide [24]. Ces outils mettent l'accent sur l'importance de l'accompagnement, qui ne pourra se faire correctement sans le renforcement de l'esprit d'équipe, défi majeur pour le management. La HAS a identifié, en 2014, la qualité de vie au travail (précisant notamment le soutien des professionnels après un EIG) comme étant l'un des thèmes prioritaires du compte qualité des établissements [25]. Ceci va dans le sens des propositions de Denham sur la formalisation de « droits » des secondes victimes à bénéficier d'une prise en charge automatique institutionnelle après un EIG [26].
Particularités Décès du patient À l'instar d'un accompagnement différencié de la famille en cas de décès, certains auteurs préconisent un accompagnement différencié pour le professionnel. Il semble approprié qu'un collègue propose de raccompagner le soignant impliqué à son domicile ou chez un tiers et serve de médiateur dans l'annonce de l'évènement à l'entourage familial du professionnel permettant de soulager émotionnellement le soignant dans cette tâche [19,27]. Le soignant peut être contraint de jouer un rôle de composition vis-à-vis de sa famille et de ses enfants pour préserver son image, ce qui participe à la non-acceptation, voire au déni de l'évènement et compromet le rétablissement [27]. Une vigilance accrue et prolongée de toute l'équipe et un soutien particulièrement attentif et suivi sont d'autant plus nécessaires dans ces conditions.
Faute professionnelle Le traumatisme n'est pas moins important lorsqu'il s'agit d'un manquement délibéré aux règles de sécurité, au contraire. À celui-ci vont se surajouter le jugement de valeur des proches,
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Informer l'administration de l'établissement afin que le dossier soit préparé et connu pour apporter une réponse dans les meilleurs délais en cas de réclamation. Le rapport factuel circonstancié rédigé par le professionnel immédiatement après les faits doit être intégré au dossier du patient et transmis à l'organisme de défense/d'assurance du soignant (ce qui ne préjuge en rien de sa culpabilité). Le professionnel doit garder une copie du rapport. Ce temps nécessaire pour les formalités doit être pris en compte dans le temps de service s'il y a lieu [19,20] et la personne ressource peut avoir la tâche d'apporter son aide au plan administratif [22]. L'institution doit considérer l'aspect médiatique et avoir la main sur la communication. La consigne du strict respect du secret professionnel doit être rappelée aux membres de l'équipe vis-à-vis de la presse pour limiter la confusion autour d'éléments parcellaires et les conséquences psychologiques qui en découlent.
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des collègues, de l'institution et la crainte de poursuites pénales et de leurs conséquences. Un médecin, libre de ses décisions et de ses actes, doit soudain rendre des comptes à une autorité extérieure. Quelles que soient les raisons de violations de règles, il paraît légitime de s'inquiéter de l'équilibre psychologique et de la façon dont on peut apporter de l'aide à celui qui, même fautif, mérite certainement d'être accompagné. La faute commise doit aussi interroger la communauté sur le rôle joué par l'organisation du travail dans la survenue de cette dérive.
Automédication La possibilité d'autoprescription rend la population médicale particulièrement exposée au risque de passage à l'acte suicidaire, notamment lors de la levée d'inhibition à l'instauration de traitement antidépresseur. En effet, le ralentissement psychomoteur est amélioré bien avant que l'effet sur l'humeur dépressive et l'angoisse ne soit obtenu, ce qui nécessite, selon les molécules, une coadministration d'anxiolytiques [28]. Le recours à de tels médicaments doit donc faire l'objet d'une évaluation, d'une prescription et d'un suivi par un spécialiste.
Confidentialité Le secret médical limite fortement le nombre de personnes à qui se confier après un accident grave et exclu la famille ou les amis qui sont pourtant habituellement l'un des recours de première ligne. La solitude du médecin face à son traumatisme accentue l'importance du collectif de travail et des temps d'échanges.
Quelques notions de physiopathologie pour mieux comprendre
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Le cerveau est l'organe clé du stress et de l'adaptation. Il existe des mécanismes protecteurs face au stress, très complexes et intriqués, impliquant de nombreux récepteurs situés dans l'hippocampe, l'amygdale ou le cortex préfrontal. L'un de ces récepteurs par exemple, le récepteur minéralocorticoïde de l'hippocampe, est impliqué dans la résilience face au stress en contrôlant l'axe hypothalamo-hypophysaire afin d'en préserver l'activité normale et prévenir le développement d'une hypersécrétion glucocorticoïde, associée à des effets néfastes pour l'organisme. Le taux de ce récepteur augmente transitoirement (8 à 24 h) après une situation stressante. Or ce mécanisme protecteur est défaillant chez les sujets soumis à des contraintes psychologiques. En effet, un remodelage structural apparait après un stress aigu ou chronique. Ces changements structurels du cerveau sont réversibles chez le jeune sujet sain une fois la période de stress passée. En cas de stress chronique ou toxique (stress aigu non surmonté), la dysrégulation des médiateurs (cortisol, cytokines inflammatoires, corticotropin releasing factor [CFR], sérotonine. . .) et l'altération de la neurogénèse participent au développement de maladies somatiques ou cognitives [29]. La réponse individuelle au stress est
déterminée par la qualité du développement et du fonctionnement neuronal, mais pas seulement : la tolérance au stress (fait de surmonter avec succès et peu de coût un épisode stressant) se fait aussi grâce à des ressources internes et un support externe suffisants. Comme dit précédemment, un professionnel soumis à un stress chronique sera plus enclin à ne pas trouver de ressources internes suffisantes pour faire face à un nouvel évènement de vie négatif, ce qui accentue l'importance d'un soutien extérieur. La préservation du bien-être et du soutien au travail sont donc les deux clés pour permettre la résilience en cas de traumatisme après un évènement indésirable grave [30].
Conclusion L'accident médical ébranle l'individu dans l'image qu'il a de luimême en tant que professionnel de santé. Les éléments émotionnels, psychosociaux, médicolégaux sont intriqués et l'impact psychologique peut influencer très fortement les pratiques professionnelles et la vie personnelle. L'impact psychologique induit par l'accident doit être nuancé par les conséquences pour le patient, la qualité de la relation avec le patient et sa famille, le soutien par l'équipe et l'institution. S'il est convenablement géré, l'impact sur le professionnel peut être atténué et conduire à un rétablissement émotionnel. Aux trois niveaux temporels de prise en charge se superposent trois types d'accompagnement plus ou moins intriqués : une prise en charge immédiate où interviennent les collègues proches, une prise en charge plus tardive dans laquelle le médecin traitant ou le supérieur hiérarchique apportent leur soutien, et enfin, un suivi psychologique spécialisé incluant la psychothérapie ou la chimiothérapie par des psychotropes sous surveillance médicale stricte. Enfin, le soutien syndical vient consolider l'édifice par une aide non négligeable en termes d'écoute, de conseil et d'accompagnement d'un collègue en difficulté. Le suivi individuel est primordial, mais ne doit pas faire oublier de manière plus générale l'accompagnement de l'équipe lorsque plusieurs de ses membres sont impliqués dans la survenue ou la gestion de l'évènement indésirable. Des études complémentaires seraient souhaitables pour mieux appréhender ces questions de dynamique psychologique ou hormonale du stress aigu ou chronique dans nos professions. Remerciements : tous les membres de la commission SMART du Collège français des anesthésistes-réanimateurs ayant participé de près ou de loin à ce travail. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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Pour citer cet article : Arzalier-Daret S, et al. Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ? Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2016.08.007
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Références
Article spécial
Soignant « seconde victime » : comment accompagner un professionnel à la suite d'un accident ou d'une erreur en anesthésie-réanimation ?