A n n a l e s F ra n ç a i s e s d ' A n e s t h é s i e e t d e R é a n i m a t i o n 3 1 ( 2 0 1 2 ) S 2 - S 4
Stratégie ventilatoire peropératoire en chirurgie cardiaque : vers une approche multimodale Intraoperative ventilatory strategy in cardiac surgery: towards a multimodal approach A. Ouattaraa, b, c*, P. Sarrabay a, b a
CHU de Bordeaux, Service d’Anesthésie-Réanimation II, F-33000 Bordeaux, France Université de Bordeaux, Adaptation cardiovasculaire à l’ischémie, U1034, F-33600 Pessac, France INSERM, Adaptation cardiovasculaire à l’ischémie, U1034, F-33600 Pessac, France
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RÉSUMÉ Mots clés : Hypoxémie Atélectasie Ventilation Circulation extracorporelle Oxygène
La chirurgie cardiaque avec ou sans circulation extracorporelle (CEC) est pourvoyeuse d’une morbidité respiratoire dont les mécanismes sont multiples. L’application péri-opératoire de stratégies ventilatoires spécifiques permet de limiter les anomalies pulmonaires impliquées. La limitation de la fraction inspirée, la ventilation assistée contrôlée à volume courant réduit, le maintien d’une ventilation au cours de la CEC et enfin une manœuvre de capacité vitale constituent les principales composantes de cette prise en charge. Ainsi, pour que ces stratégies soient pleinement efficaces, elles doivent s’intégrer dans une démarche multimodale débutant dès l’induction et se poursuivant en réanimation. © 2012 Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Keywords: Hypoxemia Atelectasis
ABSTRACT
Ventilation Cardiopulmonary bypass Oxygen
Cardiac surgery with or without cardiopulmonary bypass (CPB) remains associated to respiratory morbidity. The underlying mechanisms are multiple. Perioperative application of specific ventilatory strategies allows to limit the lung disturbances. The limitation of the inspired fraction, assisted ventilation controlled with low tidal volume, maintenance of ventilation during CPB and finally, a maneuver of vital capacity are the main components of respiratory management. Thus, to be fully effective, these strategies should be integrated into a multimodal approach starting from the induction and followed until ICU. © 2012 Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1.
Introduction
Malgré les progrès technologiques dont elle a pu bénéficier, la chirurgie cardiaque sous circulation extra-corporelle (CEC) reste pourvoyeuse d’une morbidité respiratoire non négligeable à l’origine d’un allongement de la durée de séjour en réanimation et donc à l’hôpital [1]. Les mécanismes potentiellement impliqués sont multiples et associent des phénomènes d’ischémiereperfusion, des troubles ventilatoires ou encore des lésions
pulmonaires de surcharge ou liées à la transfusion [1,2]. La morbidité pulmonaire peut revêtir plusieurs aspects de la simple atélectasie au syndrome de détresse respiratoire aigue [1,2]. Les lésions d’ischémie-reperfusion nécessitent pour être efficacement jugulées le maintien d’une perfusion de l’artère pulmonaire par une CEC spécifique qui complexifie sévèrement la procédure [3,4]. À l’inverse, des stratégies ventilatoires adaptées pourraient permettre de limiter certaines lésions pulmonaires comme les atélectasies à l’origine d’un shunt intrapulmonaire
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Ouattara). © 2012 Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
A. Ouattara, P. Sarrabay / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 31 (2012) S2-S4
principale cause de l’hypoxémie postopératoire [5]. Ce sont ces stratégies ventilatoires que se propose de détailler cet article de revue.
2.
Considérations physiopathologiques
Bien que la vascularisation du poumon soit classiquement divisée en circulation pulmonaire fonctionnelle et bronchique nourricière, il est maintenant relativement clair que l’existence de shunts intrapulmonaires peut moduler la part jouée par chacune de ces circulations [6]. De plus, l’oxygène présent dans l’alvéole au cours de la ventilation pourrait participer à l’oxygénation tissulaire du poumon par diffusion sans que l’on puisse connaitre la proportion assurée de cette façon [6]. Au cours de la CEC, les lésions ischémiques sont secondaires à la déviation du torrent sanguin pulmonaire par le drainage veineux et à une réduction de l’ordre de 50 % du débit bronchique [7]. L’ischémie-reperfusion pulmonaire observée au cours d’une chirurgie cardiaque avec CEC est à l’origine d’une réaction inflammatoire locale tissulaire mais aussi systémique faisant le lit de la morbidité pulmonaire postopératoire. L’affaissement du poumon par l’absence de ventilation au cours de la CEC abolie l’hypothétique oxygénation tissulaire pulmonaire par diffusion de l’oxygène alvéolaire mentionnée ci-dessus, aggrave les phénomènes ischémiques en modifiant l’architecture de la circulation bronchique déjà mise à mal et favorise la survenue d’atélectasies [7]. Ces dernières surviennent très précocement au cours de la chirurgie [5].
3.
Stratégies ventilatoires au cours de la CEC
3.1. Maintien d’une ventilation au cours de la CEC Elle permet de lutter contre le collapsus alvéolaire, les atélectasies et donc l’hypoxémie. Dans la littérature, deux modes ventilatoires sont classiquement rapportés sans que l’on puisse objectivement définir une supériorité de l’une par rapport à l’autre. Berry et al. [8], dans une étude randomisée, comparent la déconnection à une ventilation en pression positive continue (CPAP) à une fraction inspirée en oxygène (FiO2) de 21 % et de 100 % au cours de la CEC. Si des effets bénéfiques sont retrouvés trente minutes après la CEC, ils ne sont déjà plus perceptibles quatre heures pus tard. L’augmentation du niveau de CPAP à 10 cmH2O avec une FiO2 de 21 % semble plus efficace avec des effets substantiels jusqu’à la 48e heure qui suit la CEC [9]. Le maintien d’une ventilation peut se faire par le biais d’une ventilation assistée contrôle à petit volume et petite fréquence [10-12]. Ainsi, Ng et al. [12] dans une étude randomisée rapportent une meilleure compliance thoraco-pulmonaire et une moindre libération d’interleukines dans le groupe de patient ventilés en volume assisté contrôlé (5 ml. kg–1). Soulignons l’originalité du travail de Loer et al. [10] qui ont analysé le retour veineux de poumons ventilés séparément à l’aide de deux stratégies différentes. Ces auteurs retrouvent une oxygénation signifi cativement augmentée sur la veine en provenance du poumon ventilé tandis que la libération de thromboxane y est moindre.
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3.2. Quel mode ventilatoire appliquer pendant la CEC ? Un certain nombre de travaux ont comparé le maintien d’une pression continue dans les voies aériennes (CPAP) à la ventilation assistée contrôlée [13,14]. Sur un modèle porcin, Imura et al. [13] retrouvent une oxygénation et un gradient alvéolo-artériel en oxygène significativement améliorés pour la ventilation assistée contrôlée. Toutefois, Zabeeda et al. [14], en utilisant les mêmes critères de jugement retrouvent des résultats en faveur du maintien d’une CPAP à 5 cmH2O tout au long de la CEC. Dans cette étude, l’amélioration de l’oxygénation qui survient uniquement 5 minutes après la fin de la CEC en limite sérieusement sa relevance clinique. Ainsi, l’analyse de la littérature ne nous permet pas de préconiser une stratégie par rapport à l’autre.
3.3. Quelle FiO2 au cours de la CEC ? En raison d’une possible oxygénation tissulaire par l’oxygène présent dans l’alvéole, il semble licite d’enrichir le gaz alvéolaire [6]. Ceci pourrait expliquer l’absence d’effet bénéfique de stratégie ventilatoire lorsque la FiO2 utilisée était de 21 % [13,14]. À l’inverse, les FiO2 inspirées élevées en oxygène sont clairement toxiques sur les structures pulmonaires [15]. Soulignons l’étude de Pizov et al. [16] qui retrouvent une libération significativement augmentée de TNF-alpha lorsque la ventilation peropératoire est assurée avec une FiO2 de 100 %. Ainsi, il est recommandé de limiter la FiO2 de l’ordre de 40 à 50 % tout au long de l’intervention comme cela a été d’ailleurs préconisé par certains auteurs [12].
3.4. Application d’une manœuvre de capacité vitale Magnusson et al. [17] dans une étude expérimentale chez le porc rapportent l’effet bénéfique de l’application d’une manœuvre de capacité vitale (40 cmH2O pendant 15 secondes) en fin de CEC sur l’incidence des atélectasies objectivées à la tomodensitométrie thoracique. Ces résultats sont confirmés dans deux études cliniques randomisées évaluant l’efficacité de la manœuvre par la mesure du shunt intrapulmonaire, le gradient alvéolo-artériel en oxygène ou encore l’oxygénation [18,19]. De façon surprenante, dans ces études, le respirateur était déconnecté durant tout le temps de la CEC. Il est important de souligner que cette manœuvre devrait être répétée lors du branchement du patient au respirateur de réanimation si l’on veut optimiser son efficacité [19]. Il est clair que l’application de cette manœuvre doit se faire avec prudence afin de ne pas compromettre les anastomoses du pontage mammaire qui peut être sous tension au cours de cette expansion. De la même façon, chez le patient bronchopneumopathe, cette manœuvre devra être prudente pour éviter les lésions barotraumatiques.
4.
Vers une approche multimodale
La stratégie ventilatoire au cours de la CEC, comme nous venons de le détailler ci-dessus, est primordiale. Toutefois, celle-ci ne sera optimale que si elle s’intègre dans une approche multimodale comportant des stratégies complémentaires avant et
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après la CEC. Ainsi, au cours de l’induction anesthésique, une ventilation à pression contrôlée sera préférentiellement utilisée [20]. Une ventilation assistée contrôlée à faible volume courant (Vt = 6 ml.kg–1) sera privilégiée tout au long de la chirurgie [21,22]. Enfin, l’application d’une ventilation non-invasive préventive après l’extubation permet de limiter la survenue d’atélectasie [23].
5.
Conclusion
L’origine de la morbidité respiratoire observée au décours d’une chirurgie cardiaque est multifactorielle sans que l’on puisse objectivement pondérer le rôle de chacun des mécanismes [6]. Si les phénomènes d’ischémie pulmonaire induits par la CEC sont assez peu modulables, les anomalies pulmonaires induites par l’acte chirurgical et la CEC peuvent, quant à elles, être prévenues par des stratégies ventilatoires. Ces dernières doivent, pour être efficaces, s’intégrer dans une approche multimodale qui devra être appliquée dès l’induction anesthésique et poursuivie jusqu’à l’extubation du paient.
Déclaration d’intérêts
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Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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