Structure factorielle des obsessions-compulsions : résultats dans une population de 3 500 patients dépistés en médecine générale

Structure factorielle des obsessions-compulsions : résultats dans une population de 3 500 patients dépistés en médecine générale

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25-33 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001415/FLA Article origin...

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Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25-33 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001415/FLA

Article original

Structure factorielle des obsessions-compulsions : résultats dans une population de 3 500 patients dépistés en médecine générale E.G. Hantouche1*, J. Angst2, F.J. Kochman3, S. Lancrenon4, M.P. Deleuze5, J.F. Allilaire1 1

Centre de l’humeur, département de psychiatrie (Service du Pr J.F. Allilaire), hôpital Pitié-Salpêtrière, 47 Boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France ; 2 Clinique psychiatrique universitaire de Zurich, Lenggstrasse 31, Postfach 68, CH-8029 Zurich 8, Suisse ; 3 EPSM Agglomération lilloise, CHU de Lille, avenue Leclerc, 59871 Saint-André, France ; 4 Sylia-stat, 49 avenue Aristide Briand, 92160 Antony, France ; 5 Revue du Praticien – Médecine générale, 2 cité Paradis, 75010 Paris, France (Reçu le 10 janvier 2001 ; accepté le 2 juin 2001)

Résumé – Le dépistage du trouble obsessionnel compulsif (TOC) reste une tâche difficile, notamment dans la pratique des médecins généralistes. Cette constatation est d’autant plus réelle que les enquêtes de dépistage du TOC en médecine générale sont quasi absentes. L’enquête « AR-TOC » a été récemment réalisée à l’échelle nationale en France avec la participation de plus de 650 praticiens. Son objectif est de montrer la faisabilité du dépistage du TOC et surtout son utilité dans l’anxiété résistante aux anxiolytiques et sédatifs. Les résultats portent sur une cohorte de 5 919 patients et révèlent l’absence d’obsessions ou de compulsions chez 40,9 %. Dans la population restante, on retrouve la présence d’un SOC chez 13,9 % et d’un TOC chez 45,2 % de la population sélectionnée (répartis en 31,2 % de « TOC probable » et 14 % de « TOC certain »). Les analyses en composantes principales conduites sur les bilans sémiologiques issus de l’hétéro-évaluation (questionnaire de dépistage) et de l’auto-évaluation (inventaire de Maudsley, MOCI) ont consolidé l’approche dimensionnelle du TOC en mettant en évidence des sous-types cliniques indépendants en fonction de la dominance symptomatique. Parmi les composantes identifiées à partir du dépistage, on retrouve les sous-types « compulsif », « obsessionnel » et « mixte ». À partir du MOCI, on a pu isoler quatre facteurs désignés comme suit : « propreté », « vérification », « perte de temps – retard » et « obsessions pures ». Les scores factoriels de MOCI s’avèrent être corrélés avec les facteurs issus du dépistage et capables de distinguer entre les formes mineures (ou SOC) et majeures (TOCs probable et certain). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS dépistage / psychométrie / sous-types cliniques / trouble obsessionnel compulsif

Summary – Factor structure of obsessions and compulsions : Data in a population of 3500 patients screened in General medicine. Background – Recognition of Obsessive-Compulsive Disorder (OCD) in every day practice is a difficult task, especially in primary care, as few epidemiological surveys have been made of it in general medicine. Within this context, a recent survey was undertaken on a national level, involving more than 650 clinicians. The aim of the survey called « AR-TOC » was to show the feasibility of screening OCD in special population of patients presenting « Resistant Anxiety » to anxiolytics or to minor sedatives.

*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (E.G. Hantouche).

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E.G. Hantouche et al. Results – Data are presented in a cohort of 5 919 patients. They showed negative response on the screening questionnaire in 40,9 % of the total population, the presence of OCS (obsessive-compulsive syndrome) in 13,9 % and of OCD in 45,2 % (“probable OCD” in 31,2 % and “definite OCD” in 14 %). Principal component analyses were conducted in 3 498 cases presenting OCS or OCD. These analyses have concerned the clinical data which derived from clinician (OCD Screening Questionnaire, OCD-SQ) and self-rated questionnaires (Maudsley Obsessive-Compulsive Inventory, MOCI). Firstly, the results were concordant with the dimensional approach of OCD by identifying clinically meaningful separated subtypes. From the OCD-SQ, three factors were isolated such as “compulsive”, “obsessive” and “mixed” subtypes, and from the MOCI, four factors were identified such as “PropertyCleaning”, “Checking”, “Waste of Time” and “Obsessions with purity”. Factorial scores deriving from MOCI were highly correlated to respective OCD-SQ sub-types and capable to differentiate significantly the different diagnoses of OC phenomena (OCS, Probable OCD and Definite OCD). Conclusion – “AR-TOC” have succeeded to show the feasibility of screening OCD in patients suffering from resistant anxiety. Moreover, the use of dimensional analyses had resulted in the characterization of separate subtypes based on the dominant obsessive and/or compulsive symptomatology. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS screening / psychometric / clinical subtypes / obsessive-compulsive disorder

Malgré la spécificité clinique des obsessions et des compulsions, décrite avant l’heure par Esquirol (monomanie intellectuelle), par Morel (délire émotif), par Legrand du Saulle (folie du doute et délire du toucher), par Freud (névrose de contrainte ou compulsive) ou plus tard dans les DSMs (TOC ou trouble obsessionnel compulsif) [4], le dépistage du TOC reste une tâche difficile dans la pratique. Des enquêtes conduites par des associations de patients ont montré que les délais séparant le début du trouble et le diagnostic correct varient entre 12 et 17 ans en moyenne [6, 14]. Les enquêtes épidémiologiques, surtout celles conduites en population générale, ont confirmé la prévalence élevée du TOC et attiré l’attention sur la présence d’un « iceberg » des phénomènes obsessionnels compulsifs, dont la prévalence approche les 10 % [1, 2]. Dans ce domaine, les enquêtes réalisées sur la fréquence du TOC chez les patients consultant en médecine générale ou en psychiatrie demeurent rares. En effet, la majorité des enquêtes épidémiologiques concernant le TOC ont été conduites en population générale (environ 23 enquêtes publiées). Elles montrent une prévalence de 2 à 3 % sur la vie entière [2]. En France, une enquête nationale « DRT-TOC », réalisée dans une cohorte de 4 364 patients consultant pour la première fois en psychiatrie, a retrouvé une fréquence globale de 17 % du SOC (ou Syndrome OC) dont 9,2 % du TOC (critères complets du DSM-III-R) [11]. En revanche, la fréquence du TOC chez les consultants en médecine générale reste encore inconnue. Dans une étude réalisée chez 1 001 consultants, il a été montré une prévalence globale du SOC chez 6,9 % dont 1,4 % du TOC [17]. Ainsi, la réalité des phénomènes obsessionnels et compulsifs dans la médecine générale suscite encore des interrogations, notamment sur la faisabilité du dépistage dans la pratique du généraliste.

Actuellement, l’approche clinique du TOC a été précisée à l’aide de critères opérationnels définissant le noyau organisateur du trouble (tableau I). Cependant, la richesse sémiologique a suscité depuis longtemps la recherche de sous-types catégoriels (par exemple regroupements basés sur la dominance syndromique et / ou l’âge de début) et / ou dimensionnels (par exemple dimensions de l’insight et des croyances, spectre de l’impulsivité et de l’évitement du danger) [8, 12, 22]. Dès les premières descriptions de la maladie obsessionnelle, deux entités majeures ont été distinguées par J. Falret (1860) : la « folie du doute » et le « délire du toucher », mais rapidement regroupées dans une même entité, par Legrand du Saulle (1875). À côté de ces deux formes cliniques (laveurs et vérificateurs) les plus connues des cliniciens, le TOC rassemble un spectre nettement plus large de formes cliniques [9]. Ainsi, le recueil systématique des symptômes, à l’aide de la checklist de Yale-Brown (YBOCS-CL) dans une cohorte de 615 patients obsessionnels [12], a révélé la présence d’une multitude de catégories symptomatiques (au nombre de 17) qui se regroupent dans trois facteurs principaux (tableau II). Au total, le bilan actuel montre à l’évidence la nécessité d’optimiser le dépistage du TOC, notamment en médecine générale, et de valider les sous-types cliniques de ce trouble. ENQUÊTE AR-TOC : MÉTHODE ET SUJETS L’enquête « AR-TOC » a été réalisée avec l’expertise de la Revue du Praticien – Médecine Générale. L’objectif principal de l’enquête « AR-TOC » (ou Anxiété Résistante et TOC) est d’aider le médecin généraliste à cibler le dépistage du TOC parmi ses patients présentant une anxiété résistante aux traitements anxiolytiques. Les Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

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Structure factorielle des obsessions-compulsions Tableau I. Noyau clinique des obsessions-compulsions. • Aspect des symptômes • Répétitif • Intrusif - obligatoire • Désagréable – egodystonique • Reconnaissance du sujet • Obsessions = comme ses propres pensées • O et C = comme exagérées, irraisonnées ou absurdes • Phénomènes de lutte, résistance, répression, neutralisation ou de dissimulation

patients inclus dans l’enquête devaient répondre aux critères suivants : homme ou femme, âgé de 18 à 65 ans, consultant en médecine générale, cliniquement anxieux et insuffisamment amélioré par un traitement anxiolytique ou sédatif pris pendant au moins un mois. Chaque médecin participant à l’enquête devait inclure de manière consécutive les dix premiers patients présentant ces critères de sélection. À l’inclusion, les traitements prescrits ainsi que les plaintes dominantes devaient être précisés. Le dépistage systématique du TOC a été réalisé à l’aide d’un questionnaire rempli par le médecin généraliste. Il comporte deux questions « obsessions » (avec 6 exemples de préoccupations obsédantes), deux questions « compulsions » (avec 6 exemples de rituels compulsifs) et trois questions « retentissement » explorant détresse, perte de temps et handicap associés aux symptômes OC (cf. annexe). Ce questionnaire du TOC dérive d’un travail épidémiologique consacré au dépistage du TOC chez des patients consultant en psychiatrie [10]. Par la suite, une auto-évaluation était assurée par la passation au patient de l’inventaire des obsessions-compulsions de Maudsley ou MOCI, version 20 items. La version française de MOCI a été validée dans deux travaux antérieurs [9, 10]. Pour porter le diagnostic de « SOC », il fallait deux réponses positives sur l’item « obsessions » et / ou deux réponses positives sur l’item « compulsions ». Pour le diagnostic de « TOC global », il fallait au moins une réponse positive sur l’item « retentissement ». En cas de réponse positive sur les trois items « retentissement », le diagnostic de « TOC certain » était posé.

Les analyses statistiques ont utilisé des tests comparatifs (tests de Chi2 et Student, des analyses de variance), des tests corrélationnels (méthode de Spearman) ainsi que des analyses en composantes principales (identification des valeurs propres et % de variance expliquée des facteurs principaux avant rotation, avec solution factorielle après rotation). Pour les facteurs peu quantitatifs (valeurs possibles 0, 1 ou 2), des analyses de variances ont été effectuées (à la place des tests corrélationnels classiques) pour établir les liens entre ces facteurs et les autres plus quantitatifs. RÉSULTATS Sujets Environ 650 médecins généralistes ont participé à l’étude. Le nombre des dossiers reçus était de 6 232 dont 333 (5 %) comportaient des déviations majeures : âge < 18 (n = 20), traitement par antidépresseur (n = 11), et aucun traitement signalé (n = 312). Ces dossiers ne sont pas inclus dans les analyses et les résultats du dépistage sont donc présentés chez 5 919 patients. Ils sont répartis en 63 % de sexe féminin et 37 % masculin. L’âge moyen est de 42 (± 14) ans. La moitié environ avaient reçu un seul traitement à visée anxiolytique ou sédative et l’autre moitié deux traitements ou plus. Fréquence des phénomènes obsessionnels et compulsifs De la population entière, 2 421 sujets (soit 40,9 %) ont répondu négativement aux questions de dépistage des obsessions-compulsions. Dans la population restante, 1 896 sujets (soit 32 %) ont répondu positivement aux questions « obsessions », 384 (6,5 %) aux questions « compulsions » et 1 278 (20,6 %) aux questions « obsessions et compulsions ». En considérant les réponses positives sur les questions « retentissement », les chiffres de prévalence des différents diagnostics sont présentés comme suit : 13,9 % de la population entière présente un SOC et 45 % un TOC dont 31 % avec un « TOC probable » (réponses positives sur un ou deux

Tableau II. Regroupements symptomatiques des obsessions-compulsions dans une population de 615 patients* souffrant de TOC (11). Facteur « compulsif »

Facteur « obsessionnel »

Facteur « mixte »

- répétitions (Comp) - ordre (Obs + Comp) - comptage (Comp) - collection (Obs + Comp) - vérifications (Comp)

- obsessions agressives (Obs) - obsessions sexuelles (Obs) - obsessions religieuses (Obs) - obsessions diverses (Obs)

- contamination (Obs) - lavage (Comp) - somatiques (Obs)

* Patients sélectionnés à partir d’une enquête réalisée chez des primo-consultants en psychiatrie (Hantouche et Lancrenon, L’Encéphale, 1996) (Obs : catégorie « obsessions » ; Comp : catégorie « compulsions » dans la check-list YBOCS) Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

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E.G. Hantouche et al.

Tableau III. Résultats du questionnaire de dépistage du TOC. Diagnostic - absence de SOC - SOC - TOC probable - TOC certain - total

N

%

Score MOCI**

2 421 821 1 847 830 5 919

40,9 % 13,9 % 31,2 % 14,0 % 100 %

3,1 (± 3,4) 5,0 (± 3,4) 8,2 (± 4,2)* 11,3 (± 4,8)* 6,1 (± 4,9)

* p < 0,0001 ** Inventaire de Maudsley (version 20 items), rempli par le patient. SOC = Syndrome OC (dépistage positif sur les questions Obsessions et/ou Compulsions). TOC probable = présence de ‘1 ou 2 R’ (retentissement). TOC certain = présence de ‘3 R’ (détresse, perte de temps & handicap). SOC = Syndrome OC (dépistage positif sur les questions Obsessions et/ou Compulsions).

items « retentissement ») et 15 % avec un « TOC certain » (réponses positives sur les trois items « retentissement »). Les valeurs obtenues sur le MOCI sont concordantes avec les niveaux diagnostiques des phénomènes obsessionnels compulsifs (tableau III). D’autres résultats de l’enquête sur le dépistage feront prochainement l’objet d’une publication [13]. Regroupements syndromiques Les analyses en composantes principales (ACP) ont porté dans la population des patients présentant au moins un SOC, soit chez 3 498 patients. Une première ACP a été réalisée sur la liste des obsessions (n = 6 items) et celle des compulsions (n = 6 items). Cette analyse montre la présence de trois facteurs principaux

(eigenvalue = 1) qui respectivement correspondent à un facteur à dominance compulsive (qui inclut le besoin de la symétrie), un facteur à dominance obsessionnelle et un facteur mixte (obsessions de contamination et compulsions de lavage) (tableau IV). Une autre ACP a été réalisée sur l’inventaire MOCI (20 items). Avant rotation, on a obtenu une solution à 4 facteurs (eigenvalue > 1). Après rotation sur 4 facteurs, les regroupements factoriels sont désignés comme suit : « propreté », « vérification », « perte de temps–retard » et « obsessions pures ». Certains chevauchements ont été notés entre le facteur « Perte de temps » et les deux premiers facteurs et aucun chevauchement n’a été montré entre ceux-ci. De même, le dernier facteur « obsessions pures » ne montrait aucun chevauchement avec les autres facteurs (tableau V).

Tableau IV. Regroupements factoriels des obsessions et des compulsions à partir de la liste symptomatique du questionnaire de dépistage (n = 3 498). Facteur 1 Dominance Compulsive

Facteur 2 Dominance Obsessionnelle

Facteur 3 Mixte

Variance expliquée Eigenvalue

23% 2,8

14% 1,7

13% 1,6

Items C2 : vérification C3 : rangement C4 : amassage C5 : comptage C6 : lenteur anormale O5 : besoin de symétrie

0,79 0,75 0,68 0,62 0,54 0,40

–0,01 –0,00 0,13 0,22 0,21 0,21

0,12 0,17 0,03 0,02 0,16 0,14

O4 : provoquer un malheur O3 : être scandaleux O2 : commettre une erreur O6 : obsessions ou pulsions sexuelles, sacrées, religieuses

0,11 0,10 0,27 0,07

0,74 0,71 0,50 0,49

-0,05 0,16 -0,25 0,41

O1 : peur de la contamination C1 : lavage

0,11 0,37

0,07 –0,08

0,83 0,72 Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

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Structure factorielle des obsessions-compulsions

Tableau V. Regroupements factoriels des obsessions et des compulsions à partir de l’auto-questionnaire de Maudsley, MOCI (n = 3 475). Facteur 1 Propreté

Facteur 2 Vérification

Facteur 3 Retard Perte de temps

Facteur 4 Obsessions pures

Variance expliquée Eigenvalue

23% 4,5

15% 3,0

11% 2,2

8% 1,5

Items 13 : préoccupé par microbes 10 : préoccupé par propreté 8 : quantité anormale de savons 4 : malaise si toucher les animaux 11 : utiliser les toilettes même propres 17 : quantité importante d’antiseptiques 15 : mains sales si toucher de l’argent 1 : éviter les cabines téléphoniques 16 : beaucoup de temps pour toilette matinale

0,77 0,75 0,74 0,72 0,71 0,67 0,66 0,65 0,51

– – – – – – – – –

– – – – – 0,21 – – 0,55

– – – – – – – – –

– – – –

0,80 0,80 0,76 0,75

– – 0,29 –

– – – –

0,31 – – – – – –

– 0,31 – 0,47 0,38 – –

0,67 0,63 0,63 0,55 0,38 – –

– – – – 0,25 0,84 0,83

12 : vérifier plusieurs fois la même chose 14 : vérifier les choses plus d’une fois 18 : perdre beaucoup de temps à vérifier 5 : devoir vérifier gaz, robinets, portes… 9 : trop de temps pour s’habiller le matin 3 : souvent en retard 19 : perte de temps le soir à plier vêtements 7 : retard dans le travail (refaire des choses) 20 : choses ne sont pas faites correctement 2 : mauvaises pensées répétitives 6 : idées désagréables involontaires (– = coefficient de saturation < 0,20)

Comparaison des scores factoriels du MOCI entre les diagnostic SOC, TOC probable et TOC certain Des différences significatives ont été obtenues dans les comparaisons deux à deux des scores factoriels du MOCI en fonction des diagnostics de SOC et TOC. Ce qui signifie que chaque facteur de l’auto-évaluation était capable de distinguer entre les différents niveaux diagnostiques générés par le dépistage : SOC, TOC probable et TOC certain (tableau VI). Corrélations entre l’hétéro-évaluation et l’autoévaluation des obsessions et des compulsions Une analyse corrélationnelle a été réalisée entre les différents facteurs issus respectivement de l’évaluation

du clinicien (ACP sur les 12 items du dépistage) et de celle du patient (ACP sur les items de MOCI). Les coefficients de corrélation les plus importants étaient retrouvés entre les facteurs « compulsif » et « vérification », « obsessionnel » et « obsessions pures », « mixte » et « propreté » et « retentissement », et « perte de temps–retard ». Notons, par ailleurs, l’absence de corrélation entre les facteurs « mixte » et « obsessions pures » (tableau VII). Les facteurs « obsessions pures » de MOCI et « mixte » du dépistage n’étant pas quantitatifs (valeurs possibles 0, 1 ou 2), des analyses de variances ont été effectuées pour établir les liens entre ces facteurs et les autres plus quantitatifs. Ces analyses ont montré des liens les plus significatifs entre les facteurs « obsession » du dépistage

Tableau VI. Comparaison des scores factoriels (moy, ET) de MOCI entre SOC et TOCs.

Total SOC TOC probable TOC certain p

N

F1 Propreté (9 items)

F2 Vérification (4 items)

F3 Perte de temps (5 items)

F4 Obsessions pures (2 items)

3 475 806 1 840 829

2,6 (2,8) 1,5 (2,1) 2,6 (2,7)* 3,8 (3,2)* < 0,0001

2,2 (1,4) 1,4 (1,5) 2,3 (1,6)* 2,9 (1,4)* < 0,0001

1,7 (1,5) 0,83 (1,1) 1,7 (1,5)* 2,7 (1,6)* < 0,0001

1,4 (0,8) 1,0 (0,8) 1,4 (0,8)* 1,7 (0,6)* < 0,0001

(* = toutes les comparaisons 2 à 2 sont significatives) Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

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E.G. Hantouche et al.

Tableau VII. Matrice des corrélations entre les facteurs de MOCI et les facteurs OC issus de la liste du questionnaire de dépistage. Facteurs issus de la liste dépistage Facteurs MOCI F1 : Propreté F2 : Vérification F3 : Perte de temps F4 : Obsessions pures

F1 Compulsif

F2 Obsessionnel

F3 Mixte

Retentissement

0,36** 0,60** 0,53** 0,18*

0,14* 0,28** 0,31** 0,36**

0,70** 0,20** 0,37** 0,02

0,29** 0,34** 0,42** 0,29**

Méthode de Spearman ; * p = 0,01 ; ** p = 0,001 (test bilatéral).

et « obsessions pures » du MOCI (f = 256,8, p < 10–4) et entre les facteurs « mixte » du dépistage et « propreté » du MOCI (f = 1702,3, p < 10–4). Liens entre les facteurs OC, MOCI et les indices de retentissement Les scores obtenus sur les différents facteurs OC issus de la liste symptomatique du dépistage et du MOCI ont été comparés (tests de Student et de Chi2) en fonction de la présence des trois indices de retentissement (détresse, perte de temps et handicap). Cette analyse a montré que la présence de chaque indice de retentissement était caractérisée par des niveaux significativement plus élevés (p < 10–4) sur tous les facteurs symptomatiques (tableau VIII). DISCUSSION En premier, notre hypothèse selon laquelle le dépistage du TOC en médecine générale serait amélioré en ciblant les patients est confirmée. En effet, l’anxiété résistante s’avère être une des conditions cliniques les plus pertinentes dans laquelle on peut rencontrer le TOC, car environ 4 sujets sur 10 présentant une anxiété non améliorée par un mois de traitement anxiolytique ou sédatif souffriraient d’un TOC (selon les critères du DSM-IV). Les scores globaux et factoriels issus de l’autoévaluation (MOCI) corroborent les données du dépis-

tage. Ils étaient capables de distinguer entre les formes mineures (ou SOC), le TOC probable et le TOC certain. De plus, la pertinence des items de « retentissement » a été validée en fonction de l’intensité des scores individuels sur les facteurs obsessionnels, compulsifs et mixtes. Cependant, on n’a pas réussi à montrer de liaisons particulières entre les sous-types symptomatiques du TOC et les indices de retentissement (détresse, perte de temps et handicap). Ainsi, malgré la continuité entre SOC et TOC [2, 11], l’intensité symptomatique s’avère être liée aux indices de retentissement, donc un marqueur différentiel des formes mineures et majeures du TOC. En second lieu, l’enquête « AR-TOC » a démontré que les symptômes issus du dépistage se regroupaient dans trois catégories principales : « compulsive », « obsessionnelle » et « mixte ». Cette donnée a été déjà évoquée dans des travaux antérieurs, mais avec des échantillons de taille réduite et donc insuffisante pour garantir la stabilité des solutions factorielles proposées [3, 12, 15, 21]. Le premier facteur syndromique est représenté par un ensemble regroupant les compulsions de vérification, de rangement, d’amassage, de comptage, de lenteur ainsi que les obsessions de symétrie. Ces symptômes désignent donc un sous-type de « TOC à dominance compulsive » qui présente, selon Baer [3], le plus de comorbidité avec des tics moteurs complexes et des traits de personnalité compulsive. Ce facteur était, par

Tableau VIII. Scores individuels sur les facteurs OC du dépistage, MOCI en fonction des indices de retentissement. R1 Détresse

Facteurs MOCI Propreté Vérification Retard – Perte de temps Facteurs OC Compulsif Obsessionnel

R2 Perte de temps (> 1 H)

R3 Handicap

Oui

Non

Oui

Non

Oui

Non

3,2* 2,5* 2,1*

2,1 2,0 1,4

3,4* 2,8* 2,4*

1,8 1,7 1,1

2,9* 2,5* 2,1*

2,1 1,8 1,2

2,4* 1,8*

1,7 1,3

2,9* 1,8*

1,3 1,3

2,5* 1,8*

1,5 1,2

Test de Student ; * p < 10–4. Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

Structure factorielle des obsessions-compulsions

ailleurs, fortement corrélé avec le facteur « vérification », issu de l’auto-évaluation. Notons que le « besoin de la symétrie » ne paraît pas comme un phénomène obsessionnel, mais se retrouve dans le facteur compulsif. Alors, s’agit-il d’une forme de compulsion cognitive ? Dans une publication récente [21], la solution à 4 facteurs s’avérait être la plus adéquate pour saisir la structure symptomatique du TOC : « obsessions – vérification », « symétrie – rangement», « contamination– lavage » et « amassage ». Le deuxième facteur majeur inclut les soucis obsédants de commettre une erreur, d’être scandaleux, les obsessions agressives (obsession de provoquer un malheur) ainsi que les pensées ou pulsions sexuelles, sacrées ou religieuses ; il s’agit donc d’un autre sous-type de « TOC à dominance obsessionnelle », qui semble être le plus associé à d’autres troubles anxieux et phobiques [22]. Le troisième facteur correspond à la forme classique caractérisée par les obsessions de contamination couplées aux compulsions de lavage, donc un « TOC Mixte » où les phénomènes obsessionnels et compulsifs sont présents de manière équivalente. Ce sous-type a été isolé de manière indépendante dans l’étude de Leckman et al. [15]. Cette structure dimensionnelle se retrouvait également dans l’analyse factorielle qui résulte de l’autoévaluation avec MOCI. Cette ACP propose une solution où l’on retrouve les trois facteurs issus du dépistage : « vérification » (fortement corrélé avec le « TOC compulsif »), « propreté » (corrélé avec le « TOC mixte »), « obsessions pures » (corrélé avec le « TOC obsessionnel ») et un quatrième facteur désigné « perte de temps-retard » qui est corrélé avec les trois sous-types du TOC. Ainsi, la confrontation des deux solutions factorielles conforte les sous-types du TOC qui ont été empiriquement proposés dans la CIM-10 (mais non retenus dans le DSM-IV par faute de preuves !). Nos résultats ainsi que d’autres dérivant de publications antérieures [12, 15, 21] appuient, donc, la proposition de la CIM-10. La taille importante de la cohorte de patients obsessionnels identifiés dans l’enquête « AR-TOC » (environ 3 500) permet, par ailleurs, de confirmer la stabilité des facteurs ainsi identifiés. Les regroupements factoriels ont-ils un intérêt dans la recherche ou la pratique ? Les experts dans la recherche génétique [5, 22] sont convaincus de l’hétérogénéité de la transmission intrafamiliale du TOC. Les données des études familiales dans le TOC suggèrent une transmission indépendante des sous-types symptomatiques ainsi identifiés. Des Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

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scores élevés sur les facteurs « obsessions agressives » ou « symétrie–rangement–comptage » sont prédictifs, de manière indépendante, d’une prévalence familiale augmentée du TOC [5]. L’hypothèse, actuellement acceptée, serait de penser le TOC comme un ensemble de « comportements » (ou de sous-types) dont chacun aurait un déterminisme génétique particulier. Ainsi, l’implication de plusieurs gènes avec des effets quantitatifs et qualitatifs différents représente une piste intéressante pour la recherche génétique dans le TOC. De même, au niveau thérapeutique, l’expérience met à l’évidence que les sous-types cliniques du TOC ne présentent pas une réactivité identique aux traitements. Dans une méta-analyse récente [16], on a pu montrer que le sous-type « amassage » caractérisait une médiocre réponse aux ISRSs. Dans une autre étude, le facteur « amassage » était identifié comme un facteur à part [21]. Le sous-groupe avec des compulsions complexes de lavage est également un facteur prédictif d’échec aux antidépresseurs sérotoninergiques [20], d’où la nécessité d’une thérapie comportementale avec exposition (TCC). En revanche, le sous-type « obsessionnel dominant ou isolé » serait à son tour résistant à la TCC, d’où le recours systématique au traitement médicamenteux avec une vigilance particulière quant à la comorbidité avec une bipolarité atténuée (et donc recours à une thymorégulation pour augmenter l’effet anti-TOC des ISRS ou protéger contre la survenue des virages thymiques ou l’induction d’une cyclicité rapide) [18]. Enfin, le sous-type « TOC compulsif dominant » serait plutôt sensible à des traitements combinant aux ISRS des neuroleptiques à faibles posologies. Cette stratégie d’optimisation serait d’autant plus bénéfique qu’il existe une comorbidité avec des tics moteurs complexes [19]. CONCLUSION L’enquête « AR-TOC » a montré la faisabilité du dépistage du TOC à l’aide d’un outil adapté à l’usage du médecin généraliste et surtout son utilité chez des patients présentant une anxiété résistante aux anxiolytiques ou sédatifs. De plus, notre enquête consolide l’approche dimensionnelle du TOC en mettant en évidence des sous-types en fonction de la dominance symptomatique [12, 15]. Malgré la confirmation de l’aspect multidimensionnel des manifestations du TOC, on a besoin actuellement d’autres modèles explicatifs qui confrontent les dimensions du TOC avec la recherche génétique [22], l’exploration des formes à début précoce [5, 22] ainsi qu’avec les stratégies thérapeutiques proposées dans les TOCs difficiles et / ou résistants [7, 19, 21]. Enfin, d’autres enquêtes similaires, notamment prospectives, sont requises pour explorer la stabilité du diagnostic du TOC (et le devenir

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des formes sub-syndromiques) [2], caractériser le mode évolutif (notamment les TOCs épisodiques) [18] ou évaluer l’intérêt du dépistage du TOC dans d’autres conditions cliniques (comme la dépression résiduelle ou résistante) [13]. REMERCIEMENTS Les auteurs tiennent à remercier les Laboratoires Pfizer France pour leur soutien logistique à ce travail. RE´FE´RENCES 1 Angst J. The epidemiology of obsessive-compulsive disorder. In : Hollander E, Zohar J, Marazitti D, Olivier B, Eds. Current Insights in Obsessive-Compulsive Disorder. New York : John Wiley ; 1994. p. 93-104. 2 Angst J. TOC : Une épidémie invisible. Revue du Praticien – Médecine Générale 2001 : 4-6. 3 Baer L. Factor analysis of symptom subtypes of obsessivecompulsive disorder and their relation to personality and tics disorders. J Clin Psychiatry 1994 ; 55 : 18-23. 4 Berrios GE. Obsessive-compulsive disorder. Its conceptual history in France during the 19th century. Compr Psychiatry 1989 ; 30 : 283-95. 5 Black DW. Obsessive-compulsive disorder and its potential subtypes. CNS Spectrum 2000 ; 5 : 40-6. 6 Bouvard E. « ABC-TOC » : âges de début et conditions de découverte du TOC. Revue du Praticien – Médecine Générale 2001 : 14-5. 7 Hantouche EG. Psychopharmacological treatment in severe and/or resistant OCD : Augmentation strategies. Presented at the international symposium « Severe and Resistant OCD », Anvers, 28 septembre 2000. 8 Hantouche EG, Merkaert P. Classifications nosologiques du trouble obsessionnel compulsif. Ann Med Psychol 1990 ; 148 : 393-408. 9 Hantouche EG, Guelfi JD. Auto-évaluation du trouble obsessionnel-compulsif. L’Encéphale 1993 ; XIX : 241-8.

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Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 25–33

Structure factorielle des obsessions-compulsions

Annexe : Questionnaire de dépistage du TOC

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