Syndrome de détresse respiratoire aiguë post-transfusionnel

Syndrome de détresse respiratoire aiguë post-transfusionnel

© JEUR, 2004, 17, 98-100 Masson, Paris, 2004 Cas clinique Syndrome de détresse respiratoire aiguë post-transfusionnel A propos d’un cas Transfusio...

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JEUR, 2004, 17, 98-100

Masson, Paris, 2004

Cas clinique

Syndrome de détresse respiratoire aiguë post-transfusionnel A propos d’un cas Transfusion-related acute lung injury. A case report M. BOUGHALEM (1), B. CHARAA (2), R. SEDDIKI (1), O. OUZZAD (1), K. ABOUELALA (1) (1) Service d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Militaire Avicenne, Marrakech, Maroc. (2) Service de Réanimation polyvalente, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc.

RE´SUME´ Les auteurs rapportent le cas d’un patient ayant développé un syndrome de détresse respiratoire aiguë post-transfusionnel (TRALI) après la transfusion d’un concentré globulaire non déleucocyté, toute autre cause de SDRA ayant été exclue. L’origine immunologique a été prouvée par la présence d’anticorps anti-HLA chez le receveur. Il s’agit d’un accident rare qui mérite d’être évoqué devant tout œdème pulmonaire survenant dans les suites d’une transfusion, après avoir éliminé un œdème pulmonaire de surcharge. La déleucocytation systématique des produits sanguins labiles doit contribuer à diminuer la fréquence de cet accident. Mots-clés : SDRA. Transfusion sanguine. Anticorps anti-HLA. TRALI.

SUMMARY We report the case of a patient who had developed transfusion-related acute lung injury (TRALI) after transfusion of one unit of packed red blood cells; other causes of ARDS were ruled out. Presence of the anti-HLA antibody in the receiver’s blood demonstrated the immunologic origin of the lung injury. This accident is rare and should be evoked in patients developing pulmonary edema after a transfusion without pulmonary overloading. Systematic leukodepletion of labile blood products is needed to prevent this type of accident. Key-words: ARDS. Transfusion. HLA antibodies. TRALI.

Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) post-transfusionnel, largement évoqué sous l’appellation TRALI (transfusion related acute lung injury) est une complication rare, mais potentiellement grave, de la transfusion des produits sanguins labiles (PSL) [1]. La majorité des cas ont été décrit chez des receveurs immunisés recevant des PSL contenant des leucocytes, ou, le plus souvent, lors de la transfusion de PSL provenant de don-

neurs immunisés dans le système HLA. L’origine immunologique doit être prouvée par la présence d’anticorps anti-leucocytes (de spécificité HLA ou anti-granuleux) chez le donneur et/ou chez le receveur. Nous rapportons le cas d’un patient immunisé ayant développé un TRALI après la transfusion d’un concentré de globules rouges non déleucocyté.

OBSERVATION Tirés à part : M. Boughalem, 95, opération Atlas-Issil, Marrakech, Maroc. E-mail : [email protected]

Un patient de sexe masculin, âgé de 25 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, était admis au ser-

SYNDROME DE DÉTRESSE RESPIRATOIRE AIGUË POST-TRANSFUSIONNEL

vice des urgences de l’Hôpital Militaire Avicenne, de Marrakech, le 6 février 2001 pour hémorragie digestive haute. La fibroscopie œsogastroduodénale, réalisée chez un patient stable sur le plan hémodynamique et parfaitement conscient, montrait un ulcère duodénal antérieur avec des stigmates de saignement récent. Le bilan biologique relevait un taux d’hémoglobine à 5,4 g/100 ml, un bilan hépatique, une fonction rénale et un bilan d’hémostase normaux. Devant l’importance de la déglobulisation, la transfusion d’un concentré globulaire non déleucocyté était instaurée. Deux heures après la fin de la transfusion sanguine, le malade présentait une détresse respiratoire avec tachypnée à 40 cycles·min–1, une discrète cyanose des extrémités, et des expectorations mousseuses. L’auscultation pulmonaire retrouvait des râles crépitants diffus. La saturation en oxygène était à 85 % à l’air, remontait à 95 % sous oxygène pur. La pression artérielle était conservée à 105/55 mmHg. Le malade était apyrétique. La radiographie montrait un syndrome interstitiel bilatéral prédominant à droite. Le patient était intubé une heure plus tard, après échec d’une assistance respiratoire en ventilation spontanée avec PEP (VS-PEP) et dégradation de l’hématose avec, à la gazométrie artérielle, un rapport PaO2/FiO2 = 150. La correction de l’hypoxie nécessitait une ventilation avec un volume courant à 6 ml/kg, une FiO2 à 1 et une pression de fin d’expiration à 8 cm H2O. Tous les efforts pour identifier un accident hémolytique par incompatibilité érythrocytaire se révélaient infructueux (bilan d’hémolyse normal, taux d’hémoglobine stable à 6,1 g/100 ml), les prélèvements bactériologiques étaient négatifs, la pression veineuse centrale et l’échocardiographie étaient normales. Une antibiothérapie empirique visant les bacilles à Gram négatifs (ampicilline + sulbactam + ciprofloxacine) a été démarrée d’emblée, puis arrêtée à J5. Les antisécrétoires (oméprazole par voie parentérale) ont été suffisants pour prévenir la reprise du saignement au niveau de la lésion ulcéreuse. Au plan respiratoire, après une phase d’aggravation transitoire de l’hématose avec apparition de lésions de type alvéolaire, l’évolution était favorable. Un rapport PaO2/FiO2 = 320 à J5 et une régression des images radiologiques à J7 autorisaient le début du sevrage, puis l’extubation à J9. A la recherche d’une origine transfusionnelle à cet accident qui est resté inexpliqué, une enquête immunologique était lancée. Celle-ci permettait rétrospectivement d’identifier chez le receveur la présence d’anticorps anti-HLA.

DISCUSSION La fréquence exacte du TRALI est mal connue. Popovsky a recensé 87 observations publiées entre 1985 et 1996, auxquelles il a ajouté 60 cas non publiés [2]. Il est probable que son incidence réelle soit sous-estimée par manque

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d’enquête étiologique immunologique et par l’existence, dans un contexte de réanimation, d’une autre pathologie susceptible d’induire des tableaux de détresse respiratoire qui peuvent masquer l’origine transfusionnelle. Les mécanismes physiopathologiques qui conduisent à l’atteinte pulmonaire sont actuellement mieux compris. Un conflit immunologique lié à des anticorps antipolynucléaires de spécificité anti-HLA et/ou antigranuleux présents chez le donneur (ou, moins souvent, chez le receveur) est considéré comme le facteur déclenchant [3, 4]. Les mécanismes qui conduisent à la lésion de l’endothélium vasculaire de la barrière alvéolo-capillaire permettent d’envisager une séquence comportant la fixation des anticorps sur les polynucléaires avec activation du complément. L’activation des polynucléaires, leur recrutement et leur séquestration dans la micro-circulation, puis la libération par les polynucléaires activés de protéases, de radicaux libres oxygénés, sont à l’origine des lésions endothéliales pulmonaires [5]. Le diagnostic doit être soupçonné devant un tableau d’œdème pulmonaire survenant dans les quelques heures qui suivent la transfusion sanguine, habituellement 1 à 2 heures [6]. La première étape du diagnostic consiste à éliminer un œdème pulmonaire de surcharge, complication beaucoup plus fréquente. Notre patient ne présentait aucun signe d’insuffisance cardiaque auparavant ; la pression veineuse centrale et l’échocardiographie étaient normales. D’autres causes doivent être éliminées, en particulier infectieuses. La négativité des hémocultures et des différents examens à visée bactériologique (prélèvements distaux protégés, sérodiagnostic des légionelloses et des virus pneumotropes) élimine une origine infectieuse. L’origine immunologique est habituellement prouvée par la présence d’anticorps anti-leucocytes (de spécificité HLA ou antigranuleux) dans le produit transfusé, et la cible antigénique est alors représentée par le pool des leucocytes circulants du receveur. Moins souvent, l’anticorps incriminé est retrouvé chez le receveur et a pour cible les leucocytes transfusés. Dans notre observation, l’enquête transfusionnelle a permis de mettre en évidence chez le receveur un anticorps appartenant au système d’histocompatibilité de type polyspécifique. Son rôle dans la constitution des lésions pulmonaires chez notre patient nous semble très probable. Lorsqu’il s’agit d’un receveur immunisé, les produits sanguins non déleucocytés sont le plus souvent en cause, comme c’est le cas dans l’observation rapportée. En ce qui concerne les produits sanguins labiles provenant de donneurs immunisés, ces produits contiennent habituellement une quantité importante de plasma (sang total, plasma frais congelé). Cependant, des cas ont été décrits avec des produits sanguins contenant une faible quantité de plasma, concentrés de globules rouges [7] ou concentrés de plaquettes standards [8]. Dans certains cas, des produits sanguins labiles provenant d’un même donneur immunisé ont pu être à l’origine d’acci-

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M. BOUGHALEM ET COLLABORATEURS

dents chez 2 patients différents [9]. La déleucocytation des PSL, déjà systématique dans plusieurs pays, devrait diminuer la fréquence des TRALI ; la déleucocytation n’étant jamais complète, ce risque devrait cependant persister. En revanche, la prévention des accidents liés à des anticorps transfusés suppose des mesures de sélection chez les donneurs du sang : notamment, l’éviction des donneurs ayant des antécédents transfusionnels, et la recherche systématique des anticorps anti-HLA chez les donneuses susceptibles d’être à l’origine d’une immunisation. CONCLUSION Une cause immunologique mérite d’être évoquée devant tout SDRA survenant dans les suites d’une transfusion sanguine. Le diagnostic repose sur l’élimination d’autres causes, notamment l’œdème pulmonaire hémodynamique, et sur une enquête transfusionnelle permettant de faire la preuve de l’origine immunologique de cet accident. RÉFÉRENCES [1] MALOUF M, GLANVILLE AR. Blood transfusion-related adult respiratory distress syndrome. Anaesth Intens Care 1993 ; 31 : 44-9.

[2] POPOVSKY MA. Transfusion related acute lung injury (TRALI). In : Popovsky MA, ed. Transfusion reactions. Bethesda, MD : AABB Press, 1996. [3] REISSMAN P, MANNY N, SHAPIRA SC, SHAPIRA Y, CLEV S. Transfusion-related adult respiratory distress syndrome. Isr J Med Sci 1993 ; 29 : 303-7. [4] CELTON JL, BEDOCK B, PAMBERT T, ANDRÉ O, CARTON J. Œdème pulmonaire non cardiogénique après transfusion de plasma contenant un anticorps anti-HLA-B21. Rev Fr Tranfus Hemobiol 1991 ; 34 : 433-9. [5] SEEGER N, SCHNEIDER U, KREUSLER B, WITZBETTEN E, WALMARTH D, GRIMMINGER F et al. Reproduction of transfusion related acute lung injury in an ex-vivo lung model. Blood 1990 ; 76 : 1438-44. [6] FRUCHART MF, KLAREN J, BELHOCINE R, BEN HADJ AMOR H. Œdème pulmonaire lésionnel post-trasfusionnel. Rev Med Interne 1999 ; 20 : 781-4. [7] FRUCHART MF, BELHOCINE R, KLAREN J, BEN HADJ AMOR H. Produits sanguins labiles provenant de donneurs immunisés dans le système HLA. A propos d’un cas d’œdème pulmonaire lésionnel. Transfus Clin Biol 1998 ; 5 : 381-4. [8] RAMANATHAN RK, TRIULTZI DJ, LOGAN TF. Transfusion-related acute lung injury following random donor platelet transfusion. A report of two cases. Vox Sang 1997 ; 73 : 43-5. [9] LEAMAN B, ANDERSON D, WALKER I, HEDDLE N. Two episodes of non cardiogenic pulmonary oedema in a patient caused by the same donor’s blood (abstract). Transfusion 1994 ; 34 (Suppl 1) : 33.