Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothoracique : à propos d’un cas

Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothoracique : à propos d’un cas

Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2009) 95, 653—657 FAIT CLINIQUE Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothorac...

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Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2009) 95, 653—657

FAIT CLINIQUE

Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothoracique : à propos d’un cas夽 Split cervical spinal cord malformation and vertebral dysgenesis C. Andro a,∗, R. Pecquery a, P. De Vries a, P. Forlodou b, B. Fenoll a a b

Service de chirurgie pédiatrique, hôpital Morvan, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France Service de radiologie, hôpital Morvan, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France

Acceptation définitive le : 24 aoˆ ut 2009

MOTS CLÉS Notochordodysraphie ; Diastématomyélie ; Malformation vertébrale ; Embryologie

Résumé Nous rapportons un cas exceptionnel de diplomyélie associée à une division du rachis cervicothoracique chez un garc ¸on de 11 ans, sans déficit neurologique. Il s’agit d’une notochordodysraphie qui s’inscrit dans le cadre des split cord malformations de type II. Cette malformation prend son origine embryologique lors de la neurulation primaire, mais son mécanisme exact est encore discuté à ce jour. Le diagnostic est fait le plus souvent dans l’enfance, mais grâce à l’échographie et à l’IRM anténatale, on peut la dépister précocement. En raison du caractère exceptionnel de cette malformation, sa prise en charge doit être multidisciplinaire et personnalisée. Le recours à la chirurgie ne doit se discuter qu’en cas de dégradation clinique. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction Nous rapportons un cas de syndrome de la double chorde (split cord malformation [SCM]), associant une diplomyélie et un aspect de division du rachis au niveau cervicothoracique, ce qui est exceptionnel. Ces anomalies sont plus fréquemment observées à l’étage thoracolombaire, par Bollini et al. [1]. À ce jour seul, une trentaine de cas intéressant

le segment cervical ont été décrits et chacun présentait une spécificité morphologique (David et al. [2], Lassale et al. [3], Pang [4], Verneret [5]). Après la présentation de notre patient, nous évoquerons les hypothèses embryologiques et les caractéristiques anatomocliniques de notre cas qui en font un sujet tout à fait remarquable. Enfin, nous discuterons les principes thérapeutiques et la conduite à tenir.

Observation DOI de l’article original : 10.1016/j.otsr.2009.07.012. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics &Traumatology : Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Andro). 夽

L’enfant F. est un garc ¸on de 11 ans, né par voie basse à terme. Il s’agissait du second enfant d’une fratrie de deux. Il n’existait aucun antécédent familial, ni notion de consanguinité. La grossesse a été marquée par la découverte échographique à 28 semaines d’aménorrhée d’un syndrome malformatif associant :

1877-0517/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rcot.2009.09.011

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C. Andro et al.

• un retard de croissance intra-utérin harmonieux ; • une omphalocèle de type A ; • une malformation du rachis cervicodorsal. Ces anomalies ont motivé la réalisation d’un caryotype anténatal par amniocentèse, qui était normal (46XY). L’IRM anténatale retrouvait de petites évaginations latérales du rachis, mais n’a pas permis de poser un diagnostic étiologique précis de cette malformation. À la naissance, l’examen neurologique était normal, on ne retrouvait pas d’autre malformation de l’appareil locomoteur, ni viscérale associée. Le revêtement tégumentaire, en particulier de la ligne médiane était normal. Les premières radiographies réalisées à la naissance montraient une malformation rachidienne allant de C3 à T7, avec un aspect de division du rachis. La tomodensitométrie (TDM) précisait que la charnière cervico-occipitale était normale. Au niveau rachidien, seules les première et seconde vertèbres cervicales étaient normales. Les autres vertèbres cervicales et thoraciques jusqu’à T7 étaient divisées en deux. Les corps vertébraux et les arcs postérieurs n’étaient pas fermés au niveau de l’écart maximum des deux hémi-rachis réalisant un défect osseux antérieur et postérieur (Fig. 1 et 2). Cette anomalie s’accompagnait de malformations costales, responsables d’une déformation de la cage thoracique. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) médullaire montrait un fourreau dural qui suivait la déformation rachidienne. À la jonction cervicothoracique, il existait un aspect de division de la mœlle réalisant une diplomyélie étagée avec un étirement latéral droit et gauche d’où émergeaient les racines nerveuses des membres supérieurs. On ne mettait pas en évidence de septum ostéocartilagineux entre les deux hémi-mœlles (Fig. 3). Il n’y avait pas d’anomalie encéphalique.

Figure 1 Tomodensitométrie (TDM) rachis thoracique (coupe horizontale) : défect osseux de l’arc antérieur et postérieur réalisant un aspect de deux hémi-rachis.

Figure 2 Tomodensitométrie (TDM) rachis cervicothoracique (reconstruction 3D) : division du rachis cervicothoracique et malformations costales avec déformation de la cage thoracique à l’origine d’un syndrome pulmonaire restrictif.

L’enfant F. a maintenant 11 ans. Il présente un retard de croissance harmonieux de deux déviations standard, son développement psychomoteur est normal tout comme son examen neurologique. Il mesure 129 cm. Il est scolarisé au collège et pratique du sport en loisir. Sur le plan morphologique, il présente un cou court, une mobilité cervicale réduite et une implantation postérieure basse des cheveux (Fig. 4). Il bénéficie de séances de kinésithérapie respiratoire en raison d’un syndrome pulmonaire

Figure 3 Imagerie par résonance magnétique (IRM) médullaire (coupe frontale) : diplomyélie limitée à la région où l’écart entre les deux hémi-rachis est maximum.

Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothoracique

Figure 4 cheveux.

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Notre patient présente comme dans un syndrome de Klippel-Feil : un cou court, une implantation postérieure basse des

restrictif, responsable de surinfections bronchopulmonaires fréquentes. Jusqu’à présent, une simple surveillance médicochirurgicale est pratiquée. Aucun traitement chirurgical n’a été entrepris.

Discussion Ce type de malformation est exceptionnel. À ce jour, peu de cas de malformations vertébromédullaires cervicodorsales ont été décrits dans la littérature. Sur le plan clinique, notre cas est évocateur d’un syndrome de Klippel-Feil. Ce syndrome associe la triade clinique classique incluant une implantation postérieure basse des cheveux, un cou court et une amplitude limitée des mouvements du cou que l’on retrouve chez cet enfant. Sur le plan anatomique, ce syndrome est caractérisé par une fusion congénitale des vertèbres cervicales. Dans notre cas, il n’existe pas de fusion vertébrale mais un aspect de division du rachis. On ne peut donc pas parler d’authentique syndrome de Klippel-Feil. Toutefois, David et al. [2] ont rapporté sept cas de syndrome de Klippel-Feil associés à un syndrome de la double chorde ou SCM avec une présentation clinique très proche de notre patient.

Définition du split cord malformation (d’après Pang et al. [6]) Les notochordodysraphies sont des malformations vertébromédullaires congénitales rares, dans lesquelles s’inscrivent les SCM. Il existe un polymorphisme radioclinique qui explique en partie la controverse sur la définition exacte de ce syndrome. Plusieurs auteurs ont établi des définitions. D’après les travaux de Pang et al. [6], il existe deux types de SCM. Le type I ou diastématomyélie correspond à l’existence de deux hémi-chordes dans deux sacs duraux individuels, séparés par un septum rigide osseux ou cartilagineux. Le type II ou diplomyélie correspond à l’existence de deux hémi-chordes au sein d’un seul sac dural, séparés par un septum fibreux. Notre cas s’apparente au SCM de type II. Ces malformations médullaires sont souvent associées à des anomalies vertébrales : hémi-vertèbres, vertèbres en ailes de papillon, fusions vertébrales, spina bifida ; mais une division complète du rachis comme dans notre cas est exceptionnelle.

La présentation clinique et radiologique de ce syndrome est très variable, avec toutefois une atteinte prédominante du segment dorsolombaire et une fréquence plus élevée chez la fille. Le diagnostic est fait le plus souvent dans l’enfance, en moyenne quatre ans après l’apparition des premiers symptômes. Mais le diagnostic peut aussi être tardif et fortuit du fait de l’absence de traduction clinique [5]. Actuellement, les techniques d’imagerie anténatale (échographie et IRM) permettent de déceler ce type d’anomalies au cours de la grossesse.

Embryologie normale et pathologique L’étiopathogénie du syndrome de la double chorde est actuellement mal établie (Fig. 5). Plusieurs hypothèses embryologiques ont été développées : • • • • •

une anomalie de fermeture de la gouttière neurale ; un dédoublement de la chorde ; une persistance d’un canal neurentérique anormal ; un processus hydrodynamique ; la théorie d’un monstre double limité à un segment (Klessinger et al., [8,2,3,5,6]).

Le développement du rachis et de la mœlle épinière débute dès la troisième semaine de développement embryonnaire avec la différenciation des trois feuillets (ectoblaste, mésoblaste et endoblaste) [7]. La structure clé de ce développement est la notochorde, qui dérive de l’endoderme. La notochorde constitue l’axe autour duquel tous les autres éléments vont se développer. Lors de la neurulation primaire, la notochorde induit la formation de la plaque neurale au niveau de l’ectoblaste. Puis, celui ci va s’invaginer pour former le tube neural, qui est à l’origine de la mœlle épinière. La formation du rachis a lieu vers le 17e jour de vie embryonnaire : la métamérisation du mésoblaste para-axial forme des paires de somites, sous l’action de signaux émis essentiellement par la notochorde et le tube neural. Les cellules de la paroi médiale et ventrale vont venir se disposer autour de la chorde pour former les sclérotomes, qui vont fusionner pour donner naissance aux futurs corps vertébraux. Les cellules de la paroi dorsale des somites vont migrer autour du tube neural et former les arcs postérieurs (Fig. 5A, B).

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C. Andro et al.

Figure 5 A, B, C. Embryologie normale et pathologique (d’après Larsen [7], David [2] et Pang [6]). 1. Ectoderme. 2. Plaque neurale/tube neural. 3. Somite/sclérotome. 4. Notochorde. 5. Endoderme. 6. Hémi-tube neural/diplomyélie. 7. Hémi-notochorde. 8. Invagination de l’endoderme/canal neurentérique accessoire.

Le SCM cervical prend son origine au cours de la neurulation primaire (Fig. 5C). D’après les travaux de Pang et al. [6], une lésion sur la ligne médiane par adhérence entre l’endoderme et l’ectoderme va créer un canal neurentérique accessoire. Ce canal va induire la division à la fois de la notochorde et de la plaque neurale au niveau d’un segment de l’embryon. Les deux hémi-notochordes qui en résultent vont se comporter comme deux chordes autonomes, qui induisent chacune un tube neural et des somites. Au terme du développement, on obtient une mœlle séparée en deux, fréquemment associée à des anomalies vertébrales, intéressant un segment rachidien. Dans le SCM de type I (diastématomyélie) l’existence de deux sacs duraux individuels, séparés par un septum rigide pourrait s’expliquer par l’incorporation entre les deux hémi-tubes neuraux de cellules primitives au potentiel sclérogène. Elles formeraient un mur dural médian et un septum ostéocartilagineux entre les deux hémi-chordes [6]. Au niveau cervical, on décrit plus souvent un septum de nature fibreuse (SCM type II ou diplomyélie) comme dans le cas que nous rapportons. Par ailleurs, le rachis de l’enfant F. présente un aspect de séparation en deux hémi-rachis qui s’explique par la présence simultanée d’un défect osseux antérieur et postérieur. David et al. [2] ont rapporté en 1996, sept cas de SCM cervicaux associés à des anomalies vertébrales. Il les ont classés en deux groupes : ceux ayant un défect de l’arc postérieur et ceux présentant un défect osseux antérieur. Il fournit pour chacun une théorie embryologique. Le défect postérieur serait lié à une anomalie de fermeture du tube neural, alors que le défect antérieur serait secondaire à une invagination de l’endoderme empêchant la fusion des sclérotomes. Notre cas est d’autant plus remarquable que l’on observe les deux défects simultanément.

Considérations cliniques Les indications de traitement chirurgical dans les SCM cervicaux restent très controversées. L’apparition d’une souffrance médullaire conditionne la conduite à tenir. Les cas de SCM cervicaux rapportés dans la littérature sont pour la plupart d’entre eux asymptomatiques. Une explication serait qu’en région cervicale, il y a moins souvent de septum rigide et comme la différence de vitesse de croissance entre la mœlle et le rachis serait moins importante dans cette région [9,4], les phénomènes de cisaillement et d’adhérence médullaire (mœlle attachée) seraient moins fréquents. Enfin, les microtraumatismes liés aux mouvements de flexion extension du rachis seraient limités du fait de la raideur cervicale. Le traitement chirurgical prophylactique n’est pas recommandé par la plupart des auteurs. On préconise une surveillance clinique rapprochée de ces patients. L’apparition de signes neurologiques doit faire discuter une prise en charge chirurgicale, d’autant plus qu’ils sont évolutifs.

Conclusion Le SCM syndrome est rare et son polymorphisme anatomoclinique rend difficile son étude et l’élaboration d’une prise en charge standardisée. Le développement de l’imagerie anténatale avec l’échographie et l’IRM nous a permis de faire le diagnostic très précocement et d’organiser un suivi dès la naissance. La prise en charge doit être multidisciplinaire et personnalisée puisque chaque cas est unique.

Syndrome de la double chorde et division du rachis cervicothoracique Le déficit neurologique lorsqu’il est présent est souvent au premier plan, mais il ne doit pas faire négliger le retentissement pulmonaire de la déformation de la cage thoracique. Le recours à la chirurgie ne doit être envisagé qu’en cas de dégradation clinique.

Conflit d’intérêt Aucun.

Références [1] Bollini G. Dysraphisme spinal fermé. In: Cahier d’enseignement de la SOFCOT. Paris: Expansion scientifique franc ¸aise;1989. p. 11—34. [2] David KM, Copp AJ, Stevens JM, Hayward RD, Crockard A. Split cervical spinal cord with Klippel-Feil syndrome: seven cases. Brain 1996;119:1859—72.

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[3] Lassale B, Rigault P, Pouliquen JC, Padovani JP, Guyonvarch G. La diastématomyélie ou syndrome de la double chorde : étude de 21 cas. Rev Chir Orthop 1980;66:123—40. [4] Pang D. Split cord malformation: part II: clinical syndrome. Neurosurgery 1992;31:481—500. [5] Verneret C. Diastématomyélie. In: Chirurgie et orthopédie du rachis : enfant et adolescent. Montpellier: Sauramps Medical Ed; 1989, 373—378. [6] Pang D, Dias MS, Ahab-Barmada M. Split cord malformation: part I: a unified theory of embryologenesis for double spinal cord malformations. Neurosurgery 1992;31: 451—80. [7] Larsen WJ. Embryologie humaine. Bruxelles: Deboek Université; 1996. [8] Klessinger S, Christ B. Diastematomyelia and spina bifida can be caused by the intraspinal grafting somites in early avian embryos. Neurosurgery 1996;39:1215—23. [9] Eller TW, Bernstein LP, Rosenberg RS, Mc Lone DG. Tethered cervical spinal cord. Case report. J Neurosurg 1987;67: 600—2.