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FICHE PÉDAGOGIQUE
Syndrome des jambes sans repos Yves Dauvilliers, Patrick Giniès INTRODUCTION Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) ou syndrome d’impatience des membres inférieurs est un trouble sensitivo-moteur commun associant paresthésies (sensations anormales spontanées ou provoquées) et agitation des membres inférieurs. Il apparaît au repos, la nuit, troublant le sommeil sur des périodes plus ou moins longues et espacées (fig. 1). Physiopathologie [1]. Prédisposition génétique Dans la forme idiopathique, une base génétique est vraisemblable étant donné une histoire familiale retrouvée dans 60 à 90 % des cas. De plus, une étude de jumeaux a montré un taux de concordance de 83 % pour le syndrome. Un mode de transmission autosomique dominant ou récessif avec une expressivité variable a été proposé avec plusieurs locus de susceptibilité rapportés et notamment sur le chromosome 12q. Dysfonctionnement dopaminergique (fig. 2) L’efficacité des médicaments dopaminergiques sur le SJSR et le syndrome des mouvements périodiques des membres (MPM) est en faveur d’un dysfonctionnement du système dopaminergique. L’utilisation du SPECT ou du PET chez des sujets atteints du SJSR a montré une réduction de la liaison au récepteur strié D2. Enfin une imagerie en résonance magnétique fonctionnelle a trouvé une activation bilatérale dans le cervelet, et une activation controlatérale dans le thalamus lors d’une gêne sensitive au niveau de la jambe et une activation additionnelle dans le noyau rouge et dans le tronc cérébral durant des mouvements périodiques des membres.
Figure 1. Premier pic de fréquence à l'âge de 20-30 ans et second pic d’âge plus tardif, mais le délai au diagnostic est de 10 ans. Ce syndrome intéresse 5 % de la population, majoritairement des femmes. On retrouve dans un tiers des cas un caractère familial. C’est une cause d'insomnie.
Carence en fer Le SJSR est fréquemment associé à une carence en fer et le fer est un cofacteur de la tyrosine hydroxylase, l’enzyme limitant de la conversion de la levodopa en dopamine. On ne note pas de différence entre les taux de ferritine du sérum chez les patients atteints du SJSR idiopathique et chez des sujets contrôles. Toutefois, une carence en féritine une augmentation significative de la transferrine (protéine chargée du trans-
Neurologie B, CHU Montpellier, Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, CHU Montpellier.
Figure 2. Voies dopaminergiques intracérébrales. Le syndrome des jambes sans repos serait lié à une baisse de la transmission dopaminergique.
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314 port du fer) dans le liquide céphalo-rachidien de sujets atteints de la forme idiopathique a été retrouvé. Une autre étude, par imagerie en résonance magnétique, a montré une diminution de la concentration en fer dans la substantia nigra et le noyau rouge de sujets atteints d’un SJSR. Enfin une troisième étude a examiné les cerveaux de sujets connus pour avoir eu un SJSR, et a montré une diminution marquée de la coloration au fer et à l’H-ferritine dans la substantia nigra. Tous ces résultats évoquent la possibilité d’une insuffisance sous-corticale en fer. DIAGNOSTIC [2] La première description du syndrome des jambes sans repos (SJSR) ou syndrome d’impatience des membres inférieurs remonte à Sir Thomas Willis en 1672 et sa dénomination à Ekbom en 1945. On distingue deux formes au SJSR, l’une idiopathique, avec souvent un caractère familial, un âge de début précoce et une évolution lente, et l’autre secondaire à différentes affections dont l’insuffisance rénale chronique avancée, la carence en fer, les polyneuropathies et la grossesse au 3e trimestre. Le syndrome de mouvements périodiques des membres (MPM) lui est fréquemment associé (80 % des cas). Les MPM lui sont fréquemment associées. Épidémiologie Une enquête réalisée en Europe et aux EU sur une population de plus de 23 000 sujets de plus de 18 ans rapporte que 9,6 % se plaignaient des symptômes du SJSR au moins une fois par semaine, 5,6 % au moins deux fois par semaine et 3,4 % au moins deux fois par semaine avec un retentissement impor-
tant sue leur qualité de vie. Les femmes représentaient 68,1 % de la population et l’âge de début des symptômes était de 48,5 ± 16,1 ans chez les hommes et de 44,5 ± 17,1 ans chez les femmes. La prévalence du syndrome augmente avec l’âge. Le diagnostic est le plus souvent porté avec retard. Les MPM (sans SJSR) peuvent être retrouvés à n’importe quel âge, mais leur prévalence augmente avec l’âge (5 % des sujets < 50 ans et plus de 30 % chez les sujets > 65 ans). Clinique Le SJSR se caractérise par de sensations désagréables électivement dans les membres inférieurs, parfois dans les membres supérieurs (20 %), les obligeant à se lever et à marcher. Ces symptômes débutent ou s’aggravent dans les périodes de repos. Ils sont partiellement ou totalement soulagés par les mouvements et majorés le soir et la nuit par rapport à la journée. Les critères diagnostiques ont été récemment précisés par le Groupe International d’Étude sur le Syndrome d’Impatiences des Membres Inférieurs (tableau I). Une échelle validée à 10 items explorant différents aspects de la symptomatologie évalue la sévérité des symptômes selon une cotation de 1 à 4. Le mouvement ressemble à un signe de Babinski, avec extension du gros orteil et éventail des autres orteils, avec dorsiflexion du pied et parfois flexion du genou et de la hanche. Les mouvements peuvent prédominer sur une jambe, être bilatéraux ou alterner d’une jambe à l’autre. De nombreuses circonstances ou maladies sont associées à une plus grande incidence de ce syndrome (tableau II), ainsi que la prise de médicaments, antagonistes dopaminergiques tels que les neuroleptiques typiques ou aty-
Tableau I Critères diagnostiques du syndrome d’impatiences des membres inférieurs, d’après le Groupe International d’Étude sur le Syndrome d’Impatiences des Membres Inférieurs. A. Critères essentiels (qui doivent impérativement être présents pour poser le diagnostic). 1. Une sensation désagréable siégeant dans les membres inférieurs, plus rarement en une autre partie du corps, obligeant à bouger les membres 2. La sensation désagréable et l’obligation de bouger débutent ou s’aggravent dans les périodes de repos ou d’inactivité (allongé ou assis) 3. La sensation désagréable et l’obligation de bouger sont partiellement ou totalement soulagées par les mouvements 4. La sensation désagréable et l’obligation de bouger sont ou deviennent plus sévères le soir et la nuit par rapport au jour B. Caractéristiques cliniques venant à l’appui du diagnostic (pouvant aider à résoudre un diagnostic incertain) 1. Mouvements périodiques des membres dans la veille ou le sommeil 2. Histoire familiale d’impatiences des membres inférieurs 3. Réponse au traitement dopaminergique C. Caractéristiques cliniques associées 1. Évolution spontanée du trouble 2. Troubles du sommeil 3. Données du bilan clinique et de l’examen physique
Douleurs, 2005, 6, 5 Tableau II Pathologies associées au SJSR. De classe A : – Insuffisance rénale chronique – Carence en fer – Polyneuropathie De classe B (non soumises à une investigation systématique) – Maladies neurologiques : maladie de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, myélite, syringomyélie, sclérose en plaques, ataxie spino-cérébelleuse, chorée de Huntington, maladie de Gilles de la Tourette. – Maladies endocriniennes : diabète, hyperthyroïdie – Maladie hépatique : hépatite C – Maladies rhumatologiques : polyarthrite rhumatoïde, fibromyalgie, syndrome de Gougerot-Sjögren – Maladie respiratoire : bronchopneumopathie chronique obstructive – Maladie de système : amyloïdose
315 piques, et antidépresseurs, tri ou tétracycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et le lithium. L’orientation diagnostique peut venir d’un conjoint se plaignant de mouvements des pieds ou des jambes de son conjoint. Des mouvements périodiques des MPM sont associés dans 80 % à 90 % des cas. Examens complémentaires Le métabolisme du fer est évalué non par les taux de ferritine et de transferrine. Une augmentation du taux de transferrine associée à une diminution du taux de ferritine (< 50 µg/l) est révélatrice de stocks de fer abaissés. L’enregistrement polysomnographique n’est pas nécessaire pour poser le diagnostic de SJSR qui est un diagnostic clinique. La polysomnographie est réalisée si on veut rechercher et évaluer la sévérité de MPM associés. Les mouvements sont enregistrés à l’aide d’électrodes de surface placés sur les muscles tibiaux antérieurs. La méthode de quantification des mouvements (Coleman) comptabilise les mouvements d’une durée entre 0,5 et 5 secondes survenant par séries d’au moins quatre mouvements consécutifs séparés par des intervalles de 4 à 90 secondes (fig. 3). La plupart des mouvements surviennent dans les stades 1 et 2 du sommeil lent,
Figure 3. Tracé de polysomnographie objectivant des mouvements périodiques des membres répétés en sommeil lent profond.
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316 plus rarement en stades 3 et 4 et en sommeil paradoxal. Les mouvements qui se produisent dans la veille ont une plus grande intensité que ceux qui se produisent dans le sommeil. Diagnostic différentiel (fig. 4) Le principal diagnostic différentiel est celui de la polyneuropathie. Dans le doute, des examens électrophysiologiques méritent d’être faits, d’autant que les deux pathologies peuvent parfois être réunies. Les crampes nocturnes des membres inférieurs, l’insuffisance veineuse et l’akathisie sont les principaux diagnostics différentiels. D’une façon générale, ces différentes pathologies ne sont pas améliorées par le mouvement. Traitement [3] Les conseils Il est conseillé de réduire le café, l’alcool et le tabac. Un traitement de fond est indiqué dans le SJSR. Les traitements de fond (fig. 5) Le traitement par le fer est recommandé chez les patients ayant un taux de ferritine sérique abaissé, afin de relever le taux à un niveau supérieur à 50 µg/l. Les agonistes dopaminergiques sont aujourd’hui les traitements de première intention. L’adartrel (ropinirol) vient d’obtenir la première AMM en France (juin 2005) dans cette indication, mais d’autres agonistes (pramipexole notamment) ont aussi montré leur efficacité dans cette pathologie dans des études à moyen terme contre placebo. Les effets indésirables sont le plus souvent limités comme les nausées
bien contrôlées par la prise de dompéridone. À noter le risque de fibrose pulmonaire et de valvulopathie cardiaque récemment rapportés avec les agonistes dopaminergiques dérivés de l’ergot de seigle donnés à dose élevée. Les différents agonistes dopaminergiques n’ont pas fait l’objet d’études comparatives permettant de se prononcer sur la supériorité de l’un ou l’autre produit. La stratégie actuelle est de débuter très progressivement le traitement par un agoniste en monoprise le soir jusqu’à l’amélioration des symptômes. Le risque de somnolence brutale est classique bien que théorique aux doses utilisées dans cette pathologie. La L-dopa était initialement le médicament de première intention dans le traitement du SJSR. Elle est efficace sur les symptômes du syndrome et sur le sommeil, surtout dans la première partie de la nuit. Une combinaison de L-dopa standard et de L-dopa à libération prolongée peut être utilisée pour traiter ces impatiences de première et deuxième partie de la nuit. Le risque du rebond (réapparition des symptômes 2 à 6 heures après la prise du médicament), de l’augmentation (recrudescence de l’intensité des symptômes), d’un début plus précoce des symptômes dans la journée et parfois d’une extension des symptômes aux membres supérieurs est plus fréquent qu’avec les agonistes dopaminergiques et difficiles à prendre en charge, rendant ainsi leur utilisation limitée actuellement. Les médicaments opioïdes sont utilisés en seconde intention et souvent lorsque les agonistes dopaminergiques ne donnent pas de résultat ou lorsqu’apparaît un phénomène d’augmentation. Ils n’entraînent le plus souvent pas de phénomène de dépendance.
Conduite à tenir devant un SJSR Diagnostic clinique confirmé (4 critères)
Examen clinique Prise de médicaments?
ou paraclinique anormal
IRS ++ NL Lithium Inhibiteur calcique
Neuropathie Polyarthrite Hypoferritinémie Diabète Ins rénale…
Syndrome secondaire Figure 4. Conduite à tenir devant un syndrome des jambes sans repos.
Examen clinique et Ferritinémie normal
Forme familiale Age de début <30 ans Évolution lente
Syndrome idiopathique
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Thérapeutique devant un SJSR
Traitement non pharmacologique
Traitement médicamenteux
Autres opiacés Traitement par fer Revoir médication pouvant aggraver SJSR Diminution de café, nicotine, OH
Benzodiazépine lévodopa Agonistes dopa
Figure 5. Thérapeutique devant un syndrome des jambes sans repos.
Les benzodiazépines, spécialement le clonazepam, étaient le traitement de première intention avant l’utilisation de la Ldopa puis des agonistes dopaminergiques. Ils sont à l’origine de nombreux effets secondaires : la somnolence (qui parfois occasionne les impatiences) et le phénomène de tolérance. En pratique ces médicaments sont rarement utilisés actuellement sauf en cas de longue latence d’endormissement persistante. Les médicaments anti-épileptiques tels que la gabapentine sont des médicaments de troisième intention. Ils sont plus souvent indiqués en cas de SJSR douloureux, seuls ou en association avec les agonistes dopaminergiques.
RETENIR LE MINIMUM OBLIGATOIRE Le SJSR est une pathologie fréquente, bien codifié sur un plan clinique mais encore largement sous-diagnostiqué. Sa physiopathologie demeure encore incertaine mais l’implication du fer au niveau du système nerveux central semble de plus en plus importante. Le syndrome de MPM lui est souvent associé et sa physiopathologie semble assez proche. La prise en charge semble relativement bien codifiée, mais il existe certains patients rebelles aux traitements proposés. Elle atteint surtout les femmes et est très invalidante surtout au repos alors que le mouvement soulage ce symptôme. La
Encadré I QCM. QCM diagnostic : • Quelle est l’affirmation fausse ? 1. le SJSR est un syndrome sensitivomoteur présent au début de la journée. 2. il atteint davantage les femmes que les hommes. 3. il est parfois associé à une carence en fer. 4. l’examen neurologique est normal dans le SJSR idiopathique. QCM thérapeutique : • Citez le traitement de première intention chez les patientes atteints du SJSR : 1. les agonistes dopaminergiques. 2. les anti dépresseurs. 3. le fer.
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318 ferritine est faible, le complément ferrique et les agonistes dopaminergiques améliorent le SJSR (encadré I). "
À nos lecteurs
POUR EN SAVOIR PLUS 1. Coleman RM. Periodic movements in sleep (nocturnal myoclonus) and restless legs syndrome. In: Guilleminault C. (ed) Sleeping and Waking Disorders. Indications and techniques. Menlo Park. Ca: Addison-Wesley, 1982:265-95. 2. Montplaisir J, Nicolas A, Lapierre O. In: M. Billiard (ed). Sleep, physiology, investigations and medicine. Kluwer Academic/Plenum Publishers, New York, 2003;599-607. 3. Wayne H, Walters AS, Allen RP, et al. Impact, diagnosis and treatment of restless legs syndrome (RLS) in a primary care population: the REST (RLS Epidemiology, Symptoms and Treatment) Primary care Study Sleep Med 2004;5:237-49.
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