Journal des Maladies Vasculaires (2013) 38, 392—394
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LETTRES À LA RÉDACTION Thrombose veineuse du sinus latéral : une complication rare d’une mastoïdite de l’adulte Cerebral venous thrombosis, a rare complication of mastoiditis in adults MOTS CLÉS Thrombose du sinus latéral ; Mastoïdite ; Cholestéatome
KEYWORDS Lateral sinus thrombosis; Mastoiditis; Cholesteatoma
Un homme de 24 ans consultait en urgence pour une altération de l’état général, des frissons, des céphalées gauches associées à une otalgie, une otorrhée purulente, une tuméfaction douloureuse et inflammatoire rétro-auriculaire gauche. Ce tableau compliquait une otite gauche évoluant depuis 2 mois, résistant à un traitement par amoxicilline/acide clavulanique puis pristinamycine. Il existait une hypoacousie et une autophonie mais pas de paralysie oculomotrice. La pression artérielle brachiale était à 137/76 mmHg, le pouls battait à 83 battements/min, la température était de 35,2 ◦ C. Le bilan biologique montrait un syndrome inflammatoire (vitesse de sédimentation 104 à la première heure, protéine C réactive 116 mg/L, hyperleucocytose à 13,5 giga/L dont 9,8 giga/L de neutrophiles, hyperplaquettose à 639 giga/L, fibrinogène élevé à 7,3 g/L). Le bilan d’hémostase et la fonction rénale étaient normaux (temps de céphaline activée à 39 secondes soit un rapport patient/témoin de 1,14, temps de Quick à 72 %, clairance de la créatinine > 90 mL/min). Le diagnostic de mastoïdite gauche secondaire à la surinfection d’un cholestéatome attical était porté devant la présentation clinique et l’otoscopie. Une antibiothérapie probabiliste associant amoxicilline/acide clavulanique (3 grammes par jour) et amikacine (1 gramme par jour) par
voie veineuse et ofloxacine (400 milligrammes par jour) par voie orale et en gouttes auriculaires était introduite. Une tomodensitométrie (TDM) cérébrale sans, puis avec injection de produit de contraste, était réalisée à la recherche d’une complication cérébro-méningée et à visée préopératoire. La TDM sans injection montrait une ostéolyse des cellules mastoïdiennes en regard du sinus latéral gauche (Fig. 1a). Ce dernier était trop bien visible, hyperdense et augmenté de volume par rapport au côté droit (Fig. 1b). Après injection de produit de contraste et acquisition au temps veineux, il existait un défect hypodense dans sa lumière (Fig. 2a et b), s’étendant en aval à la veine jugulaire interne gauche (Fig. 2c) et correspondant à une thrombose veineuse (TV) septique. Le sinus caverneux était respecté. Il n’existait pas de complication hémorragique intra-crânienne et pas d’hydrocéphalie. L’écho-doppler cervical éliminait l’extension de la TV à la veine jugulaire interne cervicale. Il n’existait pas de foyer infectieux pulmonaire clinique et la radiographie du thorax était normale. Ce patient n’avait pas d’antécédent personnel ou familial de maladie veineuse thrombo-embolique. En présence d’un facteur déclenchant local, aucun bilan de thrombophilie constitutionnelle ou acquise n’était pratiqué. Une anticoagulation par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative était prescrite. L’antibiothérapie et l’anticoagulation permettaient une régression rapide des signes cliniques. L’exérèse chirurgicale par voie postérieure du cholestéatome surinfecté était réalisée la semaine suivante et se déroulait sans complication. Les hémocultures pratiquées à l’entrée étaient stériles et aucun prélèvement bactériologique n’était effectué au moment de l’intervention. À la sortie, un traitement local par néomycine/polymyxine/dexaméthasone en bain d’oreille (5 gouttes, 3 fois par jour) pendant 7 jours était prescrit. Un traitement par antivitamine K en relais de l’HBPM était institué une semaine après la chirurgie et prévu pour une durée de 6 mois. Malheureusement le patient ne s’est pas présenté aux consultations de suivi et aucune imagerie de contrôle n’a pu être réalisée. La TV septique otogénique du sinus latéral est une complication de la mastoïdite décrite surtout chez l’enfant [1—4]. La mastoïdite de l’adulte a une faible incidence (environ 1 cas/an/100 000 habitants). Elle est compliquée dans 50 % des cas et la moitié des complications sont intracrâniennes. La TV septique otogénique du sinus latéral représente 3 % de l’ensemble des complications [4]. Les
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Lettres à la rédaction
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Figure 1 TDM cérébrale sans injection en coupe transversale. a : en fenêtre osseuse : ostéolyse et comblement des cellules mastoïdiennes en regard du trajet du sinus latéral (cercle) ; b : en fenêtre parenchymateuse : aspect hyperdense et hétérogène du sinus latéral gauche (flèches) se prolongeant dans le sinus sigmoïde et correspondant au thrombus frais. Brain computed tomography without injection, transversal slice. a: bone window: osteolysis with filled mastoid cells along the lateral sinus (circle); b: parenchyma window: hyperdense heterogeneous left lateral sinus (arrows). The aspect extends into the sigmoid sinus and corresponds to a fresh thrombus.
autres complications cérébro-méningées possibles sont la méningite, la méningo-encéphalite, l’empyème cérébral et l’abcès intra-crânien ; les complications extra-crâniennes possibles sont la labyrinthite et la paralysie faciale périphérique [1,4].
L’infection de la mastoïde se propage au sinus latéral adjacent directement ou par l’intermédiaire de veinules [1,5]. La TV peut être favorisée par les enzymes coagulantes produites par les bactéries de genre Fusobacterium [1]. Dans notre observation, aucun germe n’a été isolé. Des
Figure 2 TDM cérébrale injectée en coupe transversale au temps veineux. a : structure hypodense comblant le sinus latéral gauche, correspondant au thrombus (cercle). Prise de contraste normale de la lumière du sinus controlatéral (flèche) ; b : comblement partiel du sinus latéral gauche par le thrombus qui refoule le parenchyme cérébral en regard (flèche large). Visualisation anormale des collatérales veineuses (flèche fine) ; c : comblement de la lumière de la veine jugulaire interne gauche par le thrombus (cercle). Prise de contraste normale de la lumière de la veine jugulaire interne droite (flèche). Brain computed tomography with contrast. Venous time, transversal slice. a: hypodense structure filling the left lateral sinus, corresponding to a thrombus (circle). Normal contrast uptake in the lumen of the contralateral sinus (arrow); b: partial filling of the left lateral sinus by a thrombus displacing the brain parenchyma (wide arrow). Abnormal visualization of the collateral veins (thin arrow); c: the lumen of the left internal jugular vein is filled with a thrombus (circle). Normal contrast uptake in the lumen of the right internal jugular vein (arrow).
394 emboles septiques sont à l’origine d’une bactériémie pouvant entraîner un sepsis généralisé. Ce tableau est proche du syndrome de Lemierre (thrombose veineuse jugulaire interne secondaire à un foyer infectieux stomatologique) [1]. La TV peut s’étendre à la veine jugulaire interne par l’intermédiaire de la veine émissaire mastoïdienne qui fait communiquer les systèmes veineux endo- et exocrâniens [1]. L’écho-doppler nous permettait d’éliminer l’extension de la TV à la veine jugulaire interne cervicale. Il n’existe pas de signe clinique spécifique de la TV cérébrale otogénique et seule l’imagerie cérébrale permet d’en faire la distinction avec les autres complications cérébro-méningées [2,4,5]. Un signe clinique aspécifique fréquemment rencontré en pédiatrie est la paralysie de l’un ou des deux nerfs abducens (VIe paire), sans valeur localisatrice, liée à l’hypertension intracrânienne secondaire à l’hydrocéphalie créée par le défaut de drainage veineux [1]. La pratique d’une TDM, ou plus rarement d’une IRM, est nécessaire à la prise en charge pré-opératoire [2,4,5]. Les signes radiologiques de TV du sinus latéral sont frustes sur le scanner non injecté : seule l’hyperdensité spontanée du sinus telle qu’elle est décrite ici peut faire évoquer le diagnostic. Une imagerie spécifique par phléboscanner ou IRM est indiquée au moindre doute pour authentifier la thrombose et son extension. Le risque évolutif spontané est le développement d’une hydrocéphalie en l’absence de reperméabilisation du sinus latéral [1]. La prise en charge de la TV cérébrale otogénique est médico-chirugicale, combinant (a) l’éradication du foyer infectieux par l’antibiothérapie, la chirurgie otologique et (b) le traitement de la complication thrombotique veineuse par une anticoagulation curative voire, plus rarement, par un complément du traitement chirurgical [2—6]. La durée de l’antibiothérapie est au minimum de 2 semaines [4]. Le traitement anticoagulant a été discuté, notamment chez l’enfant car il augmenterait le risque d’embolie septique, d’hémorragie intra-crânienne alors que l’évolution sous antibiothérapie seule pourrait être favorable [1,5]. Cependant, un travail récent a montré chez l’enfant qu’un traitement anticoagulant initial bien conduit par HBPM à dose curative n’exposait pas à un risque hémorragique ou infectieux supérieur [3]. L’American Heart Association/American Stroke Association, recommandaient en 2011 une anticoagulation curative par HBPM avec relais par AVK pour une durée de 3 à 6 mois en cas de TV cérébrale avec facteur favorisant transitoire [6]. Nous avons donc suivi ces recommandations, ce d’autant qu’il s’agissait d’un adulte jeune et non d’un enfant. De plus, ces mêmes recommandations n’indiquaient pas la recherche systématique d’une thrombophilie. Il y a deux approches chirurgicales. La première, « conservatrice » et la plus conventionnelle, correspond à la mastoïdectomie, choisie dans notre cas ; la deuxième,
Lettres à la rédaction non conservatrice et plus controversée, ajoute l’exposition du sinus, la thrombectomie, associée à la ligature de la veine jugulaire interne [1,2,5]. Le traitement spécifique du cholestéatome correspond quant à lui à une tympanoplastie pour laquelle différentes techniques chirurgicales sont débattues. Si la TV du sinus latéral complique plus fréquemment une mastoïdite chez l’enfant, elle peut survenir chez l’adulte comme en témoigne ce dossier. Le médecin vasculaire est sollicité pour évaluer une éventuelle extension extracrânienne de la thrombose jugulaire qui peut lui être associée. De plus, il est impliqué dans la prise en charge médicale, notamment la gestion du traitement anticoagulant.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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J. Voyez a,∗ A. Le Saux b A. Colosio a A. Chays b A. Long a a Médecine vasculaire, hôpital Robert-Debré, centre hospitalier universitaire de Reims, rue du Général-Koenig, 51092 Reims cedex, France b ORL et chirurgie de la face et du cou, hôpital Robert-Debré, centre hospitalier universitaire de Reims, rue du Général-Koenig, 51092 Reims cedex, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Voyez)