Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS

Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS

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ARTICLE IN PRESS

ANNDER-2169; No. of Pages 4

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2016) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS Venous thrombosis, unrecognized complication of DRESS F. Medhioub Kaaniche a,∗, R. Allela a, N. Ben Algia b, S. Cherif c, M. Attar b, I. Frikha b, M. Mnif b a

Département de soins intensifs, hôpital régional Mahres, route Bohtari, 3060 Sfax, Tunisie Département de soins intensifs, hôpital régional Gafsa, Tunisie c Département de médecine, hôpital régional Mahres, route Bohtari, 3060 Sfax, Tunisie b

ecembre 2015 ; accepté le 21 juin 2016 Rec ¸u le 1er d´

MOTS CLÉS DRESS ; Allopurinol ; Thrombose veineuse ; Hypersensibilité médicamenteuse ; Éosinophilie



Résumé Introduction. — Le DRESS (« Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms ») est un syndrome rare déclenché par une réaction immunologique à certains médicaments, qui peut mettre en jeu le pronostic vital par la survenue de manifestations viscérales sévères. Il est caractérisé par un long délai d’apparition entre la prise médicamenteuse et le début des manifestations. Nous rapportons l’observation d’une patiente âgée de 42 ans qui a développé un DRESS un mois après le début d’un traitement par allopurinol. Observation. — Une femme de 42 ans était hospitalisée pour un exanthème fébrile avec un œdème du visage, une polyadénopathie, un syndrome mononucléosique, une grande hyperéosinophilie et une cytolyse hépatique. Le diagnostic de DRESS était posé, avec un score RegiSCAR à 5. Le médicament imputable était l’allopurinol, introduit un mois plus tôt. La sérologie HHV6 était positive en IgM. Deux jours après le début d’une corticothérapie générale, la patiente développait une thrombose de la veine jugulaire interne. En dehors de l’hyperéosinophilie majeure, aucune autre cause favorisant les thromboses n’était détectée. L’évolution était favorable sous anticoagulation efficace et corticothérapie. Discussion. — De rares cas de thrombose veineuse ont été observés lors de DRESS. L’hyperéosinophilie pourrait être impliquée dans leur survenue. Une anticoagulation préventive systématique peut être nécessaire lors d’un DRESS avec hyperéosinophilie majeure. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : fatma [email protected] (F. Medhioub Kaaniche).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.011 0151-9638/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Pour citer cet article : Medhioub Kaaniche F, et al. Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.011

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F. Medhioub Kaaniche et al.

KEYWORDS DRESS; Allopurinol; Venous thrombosis; Drug hypersensitivity; Eosinophilia

Summary Background. — DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms) is a rare syndrome triggered by an immunological reaction to certain drugs and which may be lifethreatening as a result of the onset of severe organ involvement. It is characterised by a long period from the time of drug therapy to the onset of actual signs. Herein, we report the case of 42-year-old female patient who developed DRESS one month after beginning allopurinol treatment. Patients and methods. — A 42-year-old woman was hospitalised for febrile exanthema with facial oedema, polyadenopathy, mononucleosis syndrome, major hypereosinophilia and hepatic cytolysis. A diagnosis was made of DRESS with a RegiSCAR score of 5. The implicated drug was allopurinol, which had been initiated one month earlier. HHV-6 IgM serology was positive. Two days after the start of systemic corticosteroids, the patient developed thrombosis of the internal jugular vein. Other than major hypereosinophilia, no other factors favouring thrombosis were detected. A favourable outcome was achieved under effective anticoagulants and corticosteroids. Discussion. — They have been rare reports of venous thrombosis during DRESS. Hypereosinophilia can be involved in the onset of this condition. Prophylaxis with systemic anticoagulants may be necessary in DRESS involving major hypereosinophilia. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le DRESS (« Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms »), ou syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse, est une toxidermie sévère pouvant mettre en jeu le pronostic vital [1,2]. Elle correspond à une réaction d’hypersensibilité retardée d’origine médicamenteuse associant classiquement une éruption cutanée, une hyperéosinophilie et des manifestations viscérales diverses pouvant évoluer vers une défaillance multiviscérale. L’association de complications thromboemboliques au DRESS est suggérée dans la littérature par des cas cliniques isolés. Nous rapportons un nouveau cas de DRESS induit par l’allopurinol et compliqué de thrombose veineuse.

Observation Une femme de 42 ans était adressée pour suspicion de toxidermie au céfotaxime. Elle présentait une éruption cutanée morbilliforme fébrile qui avait été précédée par une infection urinaire traitée par céfotaxime ; celui-ci avait été au bout de deux jours en raison de l’éruption. À l’examen, elle présentait un œdème du visage, des lésions cutanées purpuriques, une polyadénopathie et une fièvre à 40 ◦ C. Le bilan biologique montrait un syndrome mononucléosique, une cytolyse hépatique (transaminases à 5 fois la normale) et une hyperéosinophilie à 7080/mm3 . Les hémocultures et l’examen cytobactériologique des urines étaient négatifs. Diverses sérologies virales étaient prélevées : hépatites B et C, virus de l’immunodéficience humaine (VIH) 1 et 2, parvovirus B19, herpès simplex virus (HSV) 1 et 2, cytomégalovirus (CMV), Epstein Barr virus (EBV), virus respiratoire syncitial (VRS) et human herpes virus de type 6 (HHV-6). Toutes étaient négatives, sauf la sérologie HHV6 qui était positive en IgM. Le diagnostic de DRESS était porté devant l’association d’une éruption cutanée fébrile, d’un œdème du visage, d’une polyadénopathie, d’un

syndrome mononucléosique, d’une hyperéosinophilie et d’une atteinte hépatique. Un score RegiSCAR (Registry of Severe Cutaneous Adverse Reactions) à 5 était en faveur d’un diagnostic de certitude. L’enquête d’imputabilité médicamenteuse révélait que la patiente était traitée depuis un mois par allopurinol. Ce traitement était arrêté et une corticothérapie générale était introduite à raison de 1 mg/kg/j de prednisone. Le tableau se compliquait deux jours plus tard par des céphalées, un œdème du cou, un comblement du creux sus-claviculaire gauche à sa partie interne, une douleur irradiant vers la face antérieure et postérieure de l’épaule et une accentuation du lacis veineux superficiel. L’écho-doppler objectivait une thrombose de la veine jugulaire interne droite qui était confirmée à l’angiotomodensitométrie (angio-TDM) (Fig. 1). Un angio-TDM cérébrale et thoracique éliminait une thrombophlébite cérébrale et une embolie pulmonaire. Le bilan de thrombophilie était négatif. La patiente n’avait pas d’abord veineux régional. D’autres facteurs de risque étaient écartés, notamment un traumatisme, une contraception œstroprogestative, une stimulation ovarienne, une néoplasie sous-jacente, une maladie de Vaquez, une thrombocytémie, un syndrome myélo- ou lymphoprolifératif ou un syndrome des antiphospholipides. Une héparinothérapie à dose curative était instaurée. La corticothérapie était relayée par voie orale avant une décroissance lente et progressive permise par l’amélioration des lésions cutanées érythémateuses et la diminution du taux des éosinophiles. L’héparinothérapie était relayée par un antivitamine K, avec une bonne évolution. Six mois plus tard, les patch-tests à l’allopurinol et au céfotaxime étaient négatifs. Le test de stimulation lymphocytaire s’avérait en revanche clairement positif à l’oxypurinol (un métabolite de l’allopurinol). Le recul est actuellement d’une année. La patiente est asymptomatique et la fonction hépatique est normale.

Pour citer cet article : Medhioub Kaaniche F, et al. Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.011

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Thrombose veineuse profonde compliquant un DRESS syndrome

Figure 1. Coupe coronale d’un angio-TDM montrant une thrombose au niveau de la veine jugulaire interne droite.

Discussion Le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou DRESS correspond à une réaction idiosyncrasique aiguë, spécifique et sévère, à un médicament. La physiopathologie du DRESS demeure imparfaitement comprise. Des réactivations virales de HHV-6, EBV et CMV ont été rapportées dans plusieurs études [3]. L’examen de référence est la PCR quantitative sur sang total avec recherche de virémie pour HHV-6, EBV et CMV (non réalisée dans notre observation). Ces virémies sont de courte durée et peuvent ne pas être mises en évidence à la phase d’état, sauf en cas de poussée évolutive [2]. La molécule en cause favoriserait, en créant une immunodépression transitoire, la réactivation virale qui à son tour entraînerait une réponse immune responsable des manifestations systémiques. Les manifestations cliniques du DRESS sont polymorphes [4]. Il se déclenche de fac ¸on brutale, habituellement deux à six semaines après l’introduction du médicament responsable [5,6]. La fièvre et l’atteinte cutanée sont les symptômes les plus fréquents [5]. L’éruption cutanée constitue le plus souvent un exanthème maculopapuleux mais des lésions purpuriques, vésiculeuses, bulleuses ou encore une érythrodermie ont également été décrites. Des polyadénopathies et un œdème du visage sont fréquemment associés [7]. Les anomalies sanguines rencontrées sont une hyperlymphocytose, une hyperéosinophilie ou un syndrome mononucléosique [7,8]. Les atteintes viscérales font la gravité de cette entité [5,9]. Elles sont dominées par les atteintes hépatique, rénale, pulmonaire, cardiaque et neurologique qui peuvent s’associer à différents degrés de gravité, jusqu’à la défaillance multiviscérale [4]. Dans notre cas, le diagnostic de DRESS était évident devant l’association d’atteintes cutanée, hématologique

3 et viscérale et l’absence de cause infectieuse pouvant expliquer ce tableau. La responsabilité de l’allopurinol est certaine étant donné le délai d’apparition des symptômes par rapport à sa première prise (un mois) et un test de stimulation lymphocytaire positif à l’oxypurinol. Celle du céfotaxime est très peu probable compte tenu de la chronologie. Les complications thromboemboliques sont rares au cours du DRESS. Néanmoins, des thromboses peuvent être associées à une hyperéosinophilie majeure. Elles pourraient être expliquées par divers mécanismes. Le premier est l’hyperviscosité sanguine secondaire à l’hyperéosinophilie ; il s’agit du même phénomène que celui observé dans la polyglobulie [10]. Un autre mécanisme potentiel est lié à l’action des éosinophiles sur l’endothélium vasculaire. En effet, les éosinophiles libèrent des protéines cationiques à pouvoir cytotoxique telles que la major basic protein (MBP). La MBP stimule l’activation et l’agrégation plaquettaires et freine l’activité de la thrombomoduline, protéine plasmatique inhibant la cascade de la coagulation [11]. Le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-␣) pourrait aussi être impliqué. La production de TNF-␣ est médiée par une protéine cationique des éosinophiles. Le TNF-␣ est responsable d’altérations de la coagulation et des fonctions des cellules endothéliales vasculaires, favorisant ainsi la formation de thrombus fibrinocruoriques [11]. Un autre mécanisme pourrait faire intervenir la peroxydase de l’éosinophile (EPO), qui est capable d’inhiber l’effet anticoagulant du complexe tryptase mastocytaire/héparine [12]. Dans le modèle des cellules endothéliales de la veine ombilicale humaine, le produit d’oxydation du thiocyanate par l’EPO est un inducteur puissant de l’activité du facteur tissulaire [13]. Les éosinophiles périphériques sont euxmêmes une source importante de facteur tissulaire ; leur stimulation par le GM-CSF et le facteur d’activation des plaquettes provoque la translocation du facteur tissulaire à leur surface [14]. L’incubation d’éosinophiles stimulés et lysés avec un concentré de facteur de coagulation provoque l’activation du facteur X ; cet effet est dépendant du facteur tissulaire, étant donné son inhibition par l’addition d’un anticorps neutralisant du facteur tissulaire [14]. L’ensemble de ces mécanismes physiopathologiques suggère une augmentation du risque de complications thromboemboliques en cas d’hyperéosinophilie. Plusieurs observations de thromboses survenues au cours du syndrome hyperéosinophilique (éosinophilie > 1500/mm3 pendant plus de six mois consécutifs) ont été publiées, comprenant thromboses veineuses profondes, infarctus cutanés [15], thrombophlébites superficielles [16] et microangiopathies thrombotiques [17]. Ogbogu et al. [18] ont rapporté la capacité du syndrome hyperéosinophilique à provoquer une thrombose intracardiaque. Selon ces auteurs, jusqu’à un quart des patients atteints de syndrome hyperéosinophilique pourraient développer des complications thrombotiques. En conclusion, notre observation illustre qu’un DRESS peut se compliquer de manifestations thromboemboliques vraisemblablement en lien avec l’hyperéosinophilie ; cela pourrait justifier la prescription systématique d’une anticoagulation préventive aux patients atteints de DRESS, en cas d’hyperéosinophilie majeure. Par ailleurs, le risque de complications sévères, immédiates ou tardives [19], liées à

Pour citer cet article : Medhioub Kaaniche F, et al. Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.011

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F. Medhioub Kaaniche et al.

la prise de l’allopurinol incite à bien mesurer le bénéfice de sa prescription. En effet, 52 à 75 % des DRESS à l’allopurinol ont été décrits chez des malades ayant une hyperuricémie asymptomatique [6] que les mesures hygiéno-diététiques auraient pu suffire à contrôler. Comme tout traitement, l’indication de l’allopurinol doit être réfléchie et se fonder sur les recommandations de bonne pratique.

[10]

Déclaration de liens d’intérêts

[11]

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Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. [12]

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Pour citer cet article : Medhioub Kaaniche F, et al. Thrombose veineuse, complication méconnue du DRESS. Ann Dermatol Venereol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2016.06.011