Actualités pharmaceutiques Ř n° 493 Ř Février 2010
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Thymorégulateurs, une famille en mouvement L’existence probable d’un continuum entre les troubles affectifs bipolaires et les psychoses chroniques résulte de considérations cliniques et épidémiologiques. Elle explique le regard nouvellement porté sur les frontières des traitements thymorégulateurs proposés dans la prise en charge au long cours de la maladie bipolaire.
ès le XIXe siècle, le psychiatre Emil Kraepelin postula l’existence d’une gradation continue conduisant de la malade bipolaire à la schizophrénie. Effectivement, il existe de nombreux tableaux pathologiques intermédiaires, qui sont difficiles à classer de façon univoque dans l’une ou dans l’autre de ces deux entités : ils se caractérisent par une inauguration brutale, la conjonction de troubles dissociatifs, analogues donc à ceux retrouvés dans les psychoses, et de troubles thymiques ainsi que par
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Traitement thymorégulateur, le trouble des frontières... Des considérations génétiques, des observations morphologiques cérébrales, des similarités entre les altérations cognitives observées chez les sujets schizophrènes et bipolaires, des déterminants étiologiques communs (antécédents obstétricaux, prédominance des naissances en hiver ou au printemps, probable participation infectieuse précoce) renforcent l’hypothèse d’un continuum entre ces deux maladies qui présenteraient une zone d’intersection symptomatique. Toutefois, si la coexistence de symptômes négatifs, productifs et d’une certaine désorganisation cognitive est avérée, aussi bien chez le patient schizophrène que chez le patient bipolaire (notamment dans les phases aiguës des deux maladies), l’intensité des troubles demeure moins prononcée chez les patients bipolaires. Ces observations ont un retentissement important en thérapeutique : aucune molécule, antipsychotique, thymorégulatrice ou antidépressive, ne se révèle réellement spécifique de l’une des deux entités pathologiques. L’expérience clinique prouve ainsi que le traitement par antipsychotique ou thymorégulateur d’un épisode psychotique à l’adolescence n’est pas corrélé à six mois avec son évolution vers un trouble bipolaire ou vers une schizophrénie. Les troubles bipolaires comme les schizophrénies répondent aux antipsychotiques atypiques, ces derniers ayant un profil thérapeutique singulier sur les troubles thymiques associés à la symptomatologie psychotique. Inversement, les thymorégulateurs peuvent être d’une efficacité équivalente dans certaines formes de schizophrénies et dans les troubles bipolaires. Enfin, les anticonvulsivants de nouvelle génération comme les acides gras de type oméga 3 s’avèrent actifs dans les deux types de pathologies. Ces considérations militent donc en faveur de l’existence d’une gradation continue entre trouble bipolaire et schizophrénie : elle justifie un rationnel nouveau dans l’indication et l’utilisation des familles de médicaments psychoactifs.
leur évolution cyclique. Leur pronostic reste toutefois moins péjoratif que celui de la schizophrénie.
Normothymiques classiques Le traitement des troubles bipolaires fait appel de façon large mais absolument pas exclusive aux normothymiques (thymorégulateurs). Leurs modalités d’action dans le système nerveux central sont analogues et plurielles. Selon l’hypothèse formulée dès les années 1980 par un neurobiologiste américain, Robert M. Post, leur activité thymorégulatrice pourrait être liée à des effets qui préviendraient l’“embrasement” (“kindling”) du système limbique (effet “anti-kindling” dans les noyaux amygdaliens) et serait donc de même nature que leur activité anticomitiale, prévenant l’effet de kindling à la base de la crise épileptique. Ř Modification de l’équilibre hydroélectrolytique et membranaire par le lithium, avec effet stabilisateur de membrane ; c’est également l’un des modes d’action envisagés pour la carbamazépine. Ř Inhibition par le lithium du système de l’AMPc et de l’inositol, l’ion monovalent bloquant les phosphatases dans les neurones, d’où une moindre réponse cellulaire aux neurotransmetteurs couplés au système du second messager. Ř Augmentation du catabolisme de la sérotonine par les thymorégulateurs, lithium compris, avec élévation des taux d’acide 5-hydroxyacétique (5-HIAA, un métabolite de la sérotonine) par activation des réactions enzymatiques de désamination. Par ailleurs, le turn-over de la noradrénaline diminue. Lithium, valpromide et carbamazépine facilitent l’activité GABAergique.
Sels de lithium L’activité antimaniaque des sels de lithium fut démontrée en 1949 par un médecin australien, John Cade (1912-1980). Leur action préventive sur les troubles
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bipolaires ne fut, quant à elle, prouvée que bien plus tardivement, entre 1963 et 1967, lorsqu’un psychiatre anglais, G. P. Hartigan, et deux psychiatres danois, Paul Christian Baastrup et Mogens Schou (19182005), constatèrent la disparition des phases maniaques, mais aussi, à une moindre échelle, dépressives chez les malades traités au long cours. Mogens Schou promut finalement l’utilisation en prophylaxie du lithium après avoir précisé la fourchette des taux sériques thérapeutiques. Ř Les sels de lithium ont un effet curatif lors des épisodes maniaques typiques chez 60 à 95 % des patients pour une lithiémie comprise entre 0,8 et 1,2 mEq/L. Il faut cependant attendre une à trois semaines pour que la concentration utile en lithium ait un impact thérapeutique : on associe entre-temps soit un antipsychotique, soit un thymorégulateur anticonvulsivant, soit, parfois, une benzodiazépine. L’activité du lithium est moindre, et s’épuise plus vite avec apparition d’une résistance, dans les formes dysphoriques, mixtes, délirantes et chez les cycleurs rapides. Son efficacité est également plus inconstante quand les accès maniaques sont associés à des troubles addictifs, à un abus toxicomaniaque ou à un alcoolisme, à des lésions organiques cérébrales, ou à des troubles de la personnalité. La réponse au lithium des épisodes dépressifs est bonne s’ils s’inscrivent dans l’évolution d’un trouble bipolaire – elle est toutefois généralement tenue pour moins puissante que la réponse à un accès maniaque. L’avantage du lithium est d’éviter le virage maniaque pharmacologique observé dans plus de 35 % des cas avec les médicaments antidépresseurs. Ř L’indication classique du lithium est le traitement prophylactique du trouble bipolaire I (BP I). L’intérêt d’une lithiothérapie prophylactique se pose dès le premier épisode maniaque et ce d’autant plus que l’accès est brutal, d’intensité importante, sans facteurs précipitants, et qu’il existe des antécédents familiaux. Selon le modèle du “kindling” proposé par Robert M. Post, par analogie avec le phénomène d’embrasement dans les crises épileptiques, il existerait un emballement neuronal progressif après chaque épisode (un véritable “auto-allumage”) qui accélérerait les cycles successifs et rendrait progressivement le patient insensible aux thymorégulateurs, d’où l’intérêt de prévenir ce phénomène avant qu’il ne puisse se développer. De plus, après l’interruption d’un traitement préventif par lithium, le patient risquerait une récidive rapide et de ne plus être sensible à une réadministration du produit. C’est pour éviter cette résistance ultérieure que l’on tend vers une prescription précoce et ininterrompue du
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Ř Les sels de lithium ont un effet curatif lors des épisodes maniaques typiques chez 60 à 95 % des patients.
lithium (ou, aujourd’hui, d’un anticonvulsivant normothymique, voir plus bas). Ř Les autres troubles du spectre bipolaire peuvent constituer une indication d’un traitement prophylactique par le lithium. Le lithium est même le seul thymorégulateur à bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement des troubles schizo-affectifs. Il est parfois utilisé pour la prévention des épisodes dépressifs majeurs (EDM) récurrents, souvent en association à un traitement antidépresseur. Ř Une fois l’indication posée, il est nécessaire d’évaluer la capacité fonctionnelle du rein, une éventuelle fragilité digestive, cardiaque ou thyroïdienne. On effectue un dosage de l’urémie, de la créatininémie, de la glycémie, des électrolytes, des hormones thyroïdiennes, on recherche une protéinurie et une glysosurie et, en l’absence de contraception chez la femme en âge de procréer, on procède à un test de grossesse. La grossesse pendant les trois premiers mois n’est plus une contre-indication absolue au traitement : le risque de malformation est comparé à celui qu’emporterait l’arrêt de la lithiothérapie, mais,
Au comptoir, les sels de lithium disponibles Une spécialité à base de gluconate de lithium, Neurolithium®, présentée sous forme buvable était encore récemment commercialisée en France. Elle ne l’est plus depuis fin 2009 et seule reste donc disponible une spécialité à base de carbonate de lithium : Téralithe®.
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lorsque le traitement est poursuivi, il impose une surveillance anténatale stricte. Au-delà de 50 ans, on pratique un électrocardiogramme de contrôle avant la mise en œuvre du traitement. Ř Le traitement est initié par deux ou trois administrations quotidiennes de carbonate de lithium (Téralithe® 250 mg), réparties sur le nycthémère, lors des repas. L’observance de la prescription est toutefois facilitée par l’utilisation de la forme à libération prolongée administrée en une prise unique vespérale (Téralithe® LP 400 mg). La compliance au traitement demeure mauvaise et ce, d’autant que le sujet dénie l’existence d’un trouble chronique et accepte mal les contraintes quotidiennes qu’impose la prescription. L’administration d’un antipsychotique à faible dose peut diminuer le vécu parfois persécutoire du traitement, dans l’attente que les effets préventifs de la lithiothérapie se manifestent. Ř Les dosages du lithium sérique, effectués toutes les semaines en début de traitement, sont progressivement espacés pour se limiter à un dosage tous les deux mois (si grossesse ou lithiémie élevée) à six mois. La fourchette de lithiémie minimale efficace se situe généralement entre 0,5 et 0,9 mEq/L mais des taux plus élevés (allant jusqu’à 1,2 mEq/L) sont souvent nécessaires au traitement curatif des accès maniaques (la lithiémie tend à s’abaisser en phase maniaque) ou requis avec la forme libération prolongée (LP). Les taux les plus bas, donnant moins d’effets latéraux et assurant une meilleure observance, sont de règle chez le sujet âgé, mais ils sont aussi à l’origine de rechutes plus précoces et près de trois fois plus fréquentes. Ř En cas d’inefficacité d’une prophylaxie par le lithium (après plusieurs mois d’un traitement parfaitement conduit) ou de résistance secondaire (observée chez quelque 15 % des patients au terme de plusieurs années de traitement, notamment chez les sujets cycleurs rapides ou dysphoriques), on envisage :
– d’augmenter la posologie en surveillant la tolérance et les taux plasmatiques ; – de changer de thymorégulateur ; – d’associer le lithium à un (ou plusieurs) autre(s) médicament(s) antimaniaque(s). Ř Il faut surveiller, outre l’état de l’humeur et des fonctions psychiques du patient sous lithium, le poids (un régime diététique adapté doit être instauré dès le début du traitement par lithium), l’hydratation, les fonctions rénales, digestives, la thyroïde, et veiller aux interactions (anti-inflammatoires non stéroïdiens, carbamazépine, diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou IEC diminuant l’excrétion rénale du lithium, antipsychotiques induisant parfois un syndrome confusionnel). Il faut effectuer annuellement un dosage de la créatinine sanguine, un ionogramme sanguin, une numération-formule sanguine, un contrôle de la thyréostimuline (TSH) ultrasensible, un électrocardiogramme.
Anticonvulsivants normothymiques La situation des anticonvulsivants normothymiques en psychiatrie est objet de travaux nombreux. Certaines molécules se sont révélées d’une particulière efficacité dans le traitement des troubles bipolaires (valproate, carbamazépine, lamotrigine), alors que d’autres ne s’avèrent pas toujours suffisamment actives (ce qui ne signifie pas qu’elles soient dépourvues de toute action psychotrope) : c’est le cas, par exemple, du topiramate (actif dans les troubles des conduites alimentaires) ou de la gabapentine (qui exerce avant tout une action anxiolytique), tous deux utilisés, hors AMM et en dernière ligne, dans le traitement des accès aigus de manie chez des sujets résistants aux associations classiques et à l’électroconvulsivothérapie (ECT). Quoi qu’il en soit, les limites d’efficacité à la lithiothérapie et les difficultés à recourir aux sels de lithium chez certains patients expliquent que les
Au comptoir, l’intoxication hyperlithiémique
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L’intoxication hyperlithiémique (taux > 1,2 mEq/L, avec menace vitale dès 2 mEq/L) se traduit par la survenue de tremblements, de vertiges, de troubles de la vision, de nausées et de diarrhées, d’une confusion mentale. Pouvant laisser des séquelles neurologiques parfois irréversibles, elle est particulièrement alarmante chez le sujet âgé. Elle est facilitée par diverses associations médicamenteuses (diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, anti-inflammatoires non stéroïdiens y compris coxibs, cyclines, 5-nitro-imidazoles), une insuffisance rénale, une pathologie cardiaque, une déshydratation, un régime désodé, un diabète, une hyperthermie et une rechute maniaque ou dépressive. Elle implique de suspendre l’administration de lithium, d’effectuer en urgence une lithiémie, d’alcaliniser l’urine, d’induire une diurèse osmotique (mannitol), d’administrer du chlorure de sodium. L’hémodialyse est recommandée si la lithiémie excède 2,5 mEq/L.
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Lithiothérapie chez l’enfant Les états maniaques et la maladie maniaco-dépressive sont rares et encore mal connus chez les enfants (il ne faut pas les confondre avec le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention ou Thada). Le lithium, proposé lors d’état d’agressivité, n’est pas indiqué dans cette situation. La clairance rénale du lithium étant plus importante chez l’enfant, les posologies (en mg/kg/jour) doivent être plus fortes afin d’obtenir des taux plasmatiques identiques. Les posologies sont de 600 mg/jour au-dessous de 20 kg, de 900 mg/jour entre 25 et 40 kg et de 1 200 mg/jour entre 40 et 50 kg. L’absorption digestive étant rapide, il faut répartir les administrations sur le nycthémère. Les lithiémies efficaces sont comparables à celles de l’adulte, tout comme les précautions, les contre-indications et les effets latéraux (polydipsie, polyurie, parfois énurésie, prise de poids, céphalées, tremblements, etc.).
recommandations de consensus préconisent en première ligne l’utilisation d’anticomitiaux doués de propriétés normothymiques et tout particulièrement du divalproate (accès maniaques aigus ou maintenance) et de la lamotrigine (accès dépressifs ou maintenance). Ces molécules ont un spectre large, plus étendu que celui du lithium, et leur action est évidente sur les formes dysphoriques, mixtes ou à cycles rapides. Ř Divalproate de sodium (Dépakote®) Les propriétés thymorégulatrices du valproate de sodium (Dépakine®) furent mises en évidence par les psychiatres français P. A. Lambert et G. Carraz dès 1964, mais ces travaux eurent peu d’écho à l’époque. De ce fait, cette molécule demeura longtemps uniquement prescrite en épileptologie, et très marginalement hors AMM en psychiatrie. L’un de ses dérivés, l’acide divalproïque (ratio 1:1 d’acide valproïque et de valproate de sodium), fut en revanche commercialisé à la fin des années 1990 spécifiquement pour la psychiatrie (Dépakote® 250 mg et 500 mg). Son mécanisme d’action reste mal élucidé : il est cependant acquis qu’il potentialise la transmission GABAergique, le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central. L’intérêt de ce médicament est justifié par les limites et contre-indications du lithium (inefficace ou mal toléré chez plus d’un tiers des patients souffrant de troubles de l’humeur) et de la carbamazépine (voir infra). Il bénéficie d’une bonne tolérance à la posologie de 20-30 mg/kg/jour, avec des taux sériques efficaces
compris entre 50 et 150 μg/mL. Le divalproate est recommandé en traitement de première ligne, au même titre que le lithium, dans le traitement des épisodes sévères maniaques ou mixtes, en monothérapie (formes légères à modérées) ou en association avec un antipsychotique atypique. Son efficacité est supérieure à celle du lithium dans les formes mixtes et il constitue une référence dans le traitement des épisodes maniaques chez les sujets à cycles rapides. Le divalproate agit en une à deux semaines dans les accès maniaques, et même parfois en quelques jours. Il est moins efficace dans les accès dépressifs. Le divalproate est aussi prescrit en prophylaxie, au même titre que le lithium avec lequel il peut d’ailleurs être associé. Là encore, il semble moins efficace à l’égard des accès maniaques que des accès dépressifs. Ř Valpromide (Dépamide®) Le valpromide n’est autre que l’amide primaire de l’acide valproïque. Il est donc presque complètement métabolisé dans l’organisme en acide valproïque (toutefois, les deux produits auraient des propriétés différentes, peut-être dues aux 10 % de valpromide subsistant). Il franchit la barrière hémato-encéphalique : le ratio plasmatique valproate/valpromide est de l’ordre de 50 à 100, contre seulement 5 à 10 dans le liquide céphalorachidien (LCR). Le valpromide est indiqué, prescrit à posologie progressive après bilan hépatique, dans le traitement du trouble bipolaire chez les patients présentant une contre-indication ou une intolérance à l’emploi du lithium ou de la carbamazépine (ainsi que dans les états d’agressivité d’origines diverses), et il ne compte pas au nombre des molécules dont l’usage est envisagé par les expertises internationales. Cependant, il reste d’utilisation courante en France, tant pour le traitement curatif des épisodes maniaques où il permet de potentialiser l’action des antipsychotiques, que pour le traitement préventif des troubles bipolaires. Le valpromide inhibe in vitro l’époxyde-hydrolase microsomiale avec une puissance supérieure à celle du valproate. Il prolonge la demi-vie du CBZ-E (métabolite actif de la carbamazépine) qui passe de 6,5 à 20,5 heures en moyenne, et diminue d’un facteur trois sa clairance. L’association carbamazépine/valpromide risque donc d’induire un syndrome confusionnel ou une hépatite. Par ailleurs, le valpromide potentialise l’effet de nombreux médicaments, notamment des psychotropes, en augmentant leurs taux plasmatiques. Ř Carbamazépine (Tégrétol®) La carbamazépine possède une action curative antimaniaque jugée, selon les études, inférieure ou
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équivalente à celle du lithium. Elle s’avère moins efficace dans la prophylaxie des épisodes maniaques et dépressifs des troubles bipolaires I ou BP I (avec des nuances, car la réponse est meilleure en cas de dysphorie, de cycles rapides, d’état mixte). Les BP II et III, voire les troubles cyclothymiques, constituent également une indication de cette molécule (comme de celle des autres thymorégulateurs anticonvulsivants). Après avoir éliminé les contre-indications (celles des tricycliques auxquels la carbamazépine s’apparente : troubles du rythme cardiaque, glaucome par fermeture de l’angle, adénome prostatique, notamment) sont effectués une numération-formule sanguine, un bilan hépatique, un ionogramme, une créatininémie et un électrocardiogramme. La carbamazépine est administrée à doses progressi ves (paliers de deux à cinq jours), en évaluant la tolérance, en deux à trois prises quotidiennes, avant de passer à la forme à libération prolongée. La posologie est de 400 à 800 mg/jour en traitement de maintenance, et de 600 à 1 200, voire 1 800 mg/ jour dans le traitement curatif des états maniaques aigus. L’évaluation de la carbamazépinémie permet d’adapter la posologie à une fourchette de taux plasmatiques de 5 à 12 μg/mL. Elle est effectuée après une semaine de traitement, puis tous les mois au début, de même que la surveillance de la numération-formule sanguine et des enzymes hépatiques, puis tous les deux à trois mois. Ř Oxcarbazépine (Trileptal®) L’oxcarbazépine ne bénéficie pas d’une AMM dans le traitement des troubles bipolaires, mais est cependant parfois prescrite en lieu et place de la carbamazépine en raison de sa meilleure maniabilité (tolérance, interactions). Ř Lamotrigine (Lamictal®) La lamotrigine exerce essentiellement une activité prophylactique sur les récidives dépressives ou maniaques. Depuis mars 2009, cet anticomitial bénéficie d’une indication, chez le sujet âgé de plus de 18 ans, dans la prévention des épisodes dépressifs chez les patients présentant un trouble bipolaire de type I, et qui ont une prédominance d’épisodes dépressifs. Elle n’est pas indiquée en France dans le traitement aigu des épisodes maniaques ou dépressifs (bien qu’elle soit active chez le bipolaire souffrant d’un accès dépressif). La posologie moyenne d’entretien est comprise entre 200 et 300 mg/jour. L’administration de lamotrigine expose à des effets indésirables cutanés et l’instauration du traitement doit être très progressive (doses variables selon
le schéma du traitement, en monothérapie ou non, voir résumé des caractéristiques du produit ). Son association au divalproate (Dépakote ® ) – mais aussi au valpromide ou au valproate – augmen te ses taux sériques et donc le risque toxique, ce qui explique qu’il soit nécessaire de réduire la posologie moyenne journalière d’entretien par la lamotrigine en cas d’une telle association à 100 mg/jour. Enfin, la survenue d’idées suicidaires en début de traitement est possible sous lamotrigine comme avec d’autres anticomitiaux : elle justifie une surveillance particulière des patients ayant des antécédents dépressifs sévères.
Antipsychotiques, des thymorégulateurs masqués ? Les antipsychotiques conventionnels, efficaces dans les manifestations délirantes et utiles pour entraîner une sédation du patient dans les épisodes maniaques sévères, induisent des symptômes déficitaires. De plus, ils exposent à des effets indésirables extrapyramidaux, à des dyskinésies tardives, à une prise de poids parfois importante et à des troubles sexuels, l’ensemble expliquant une mauvaise observance du traitement. De fait, l’halopéridol (Haldol®), longtemps administré chez le sujet maniaque en phase aiguë, n’est plus guère préconisé. L’intérêt des psychiatres s’est porté depuis une dizaine d’années sur les antipsychotiques atypiques, prescrits comme adjuvants aux thymorégulateurs ou comme alternatives aux stratégies de traitement classiques. Cet usage, validé par les diverses recommandations actuelles, est officialisé par des extensions d’AMM (aripiprazole, olanzapine, rispéridone pour s’en tenir à des molécules disponibles en France). Pour certains auteurs, ces antipsychotiques seraient dotés de propriétés thymorégulatrices intrinsèques. Ř Amisulpride (Solian®) Diverses publications explorent l’usage de l’amisulpride chez les patients bipolaires et montrent son intérêt, notamment dans la prophylaxie au long cours des récurrences maniaques. Toutefois, cette molécule ne bénéficie pas d’une AMM dans une indication relative à la maladie bipolaire. Ř Aripiprazole (Abilify®) L’efficacité de l’aripiprazole est démontrée dans le traitement des épisodes maniaques ou mixtes. De fait, cette molécule bénéficie d’une indication dans le traitement des épisodes maniaques modérés à sévères des troubles bipolaires de type I et dans la prévention des récidives d’épisodes maniaques
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chez des patients ayant présenté des épisodes à prédominance maniaque et pour qui les épisodes maniaques ont répondu à un traitement par aripiprazole. Il est possible de recourir à la forme injectable lorsque la voie orale n’est pas utilisable, en cas d’agitation chez un patient bipolaire de type I en phase maniaque. Ř Clozapine (Léponex®) Antagoniste dopaminergique peu spécifique, la clozapine se révèle, au-delà de son action sur les patients schizophrènes résistants, efficace sur les troubles schizo-affectifs ou bipolaires, y compris chez les sujets résistants ou intolérants au lithium, à la carbamazépine, au divalproate ou aux antipsychotiques conventionnels, ainsi que chez les sujets à cycles rapides. Cependant, les études portent sur des cohortes de patients peu nombreux ; il n’existe pas d’étude contrôlée en double-aveugle évaluant objectivement l’activité de cette molécule. De plus, l’administration de clozapine expose à un risque d’agranulocytose, à une hypersialorrhée et à une sédation. Sa prescription dans ce type d’indication demeure hors AMM. Ř Olanzapine (Zyprexa®) Le profil pharmacologique de cet antipsychotique est assez proche de celui de la clozapine. Administrée à la posologie de 5 à 20 mg/jour, l’olanzapine a obtenu une extension d’AMM dans le traitement des épisodes maniaques modérés à sévères, ainsi que dans la prévention des récidives chez les patients présentant un trouble bipolaire, ayant déjà répondu au traitement par olanzapine lors d’un épisode maniaque. L’intérêt de l’association de l’olanzapine à des normothymiques conventionnels est validé par plusieurs études : elle se révèle plus active qu’une monothérapie sur les épisodes maniaques ou mixtes. Elle est prescrite en association avec un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (IRS) dans le traitement de la dépression bipolaire (aux États-Unis, seule la fluoxétine bénéficie d’une indication officielle dans ce contexte). Ř Rispéridone (Risperdal®) Antagoniste mixte 5-HT2A et D2, la rispéridone manifeste une probable action antidépressive intrinsèque et exerce également une action antimaniaque aussi puissante que celle du lithium ou de l’halopéridol, à une posologie moyenne de 6 mg/jour (inférieure donc à la posologie habituellement requise chez le patient schizophrène). Constituant un médicament thymorégulateur intéressant, en monothérapie ou en association à un normothymique conventionnel, elle a bénéficié d’une extension d’AMM, chez l’adulte, dans
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Ř Les antidépresseurs peuvent être utilisés dans le traitement de la dépression bipolaire, mais en association avec un médicament normothymique pour ne pas précipiter un virage maniaque.
le traitement à court terme des épisodes maniaques aigus modérés à sévères.
Antidépresseurs, une place discutée chez le bipolaire Bien que de nombreuses études tendent à prouver leur intérêt dans le traitement de la dépression bipolaire, la pertinence des antidépresseurs dans la maladie bipolaire fait encore l’objet de discussions. De fait, les recommandations évoquent bien leur usage, mais en association avec un médicament normothymique (antipsychotique atypique, anticonvulsivant, lithium) pour ne pas précipiter un virage maniaque. Ce risque, avéré avec les tricycliques et les antidépresseurs bi-aminergiques, serait réduit avec les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS). Globalement, un virage maniaque s’observe, selon les études, chez 7 à 30 % des patients traités. Diane Lévy-Chavagnat Praticien hospitalier, vice-présidente du COMEDIMS, Centre hospitalier Henri Laborit, Poitiers (86)
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