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ANTICOAGULATION
Dossier thématique
Mise au point
Presse Med. 2013; 42: 1239–1245 ß 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
Traitement antithrombotique et cancer Guy Meyer, Olivier Sanchez, Benjamin Planquette
Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, AP–HP, hôpital européen GeorgesPompidou, service de pneumologie et soins intensifs, Inserm UMR S 970, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France
Correspondance : Guy Meyer, Hôpital européen Georges-Pompidou, service de pneumologie, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France.
[email protected]
Key points Antithrombotic treatment and cancer Five to 10 % of cancers are complicated by venous thromboembolism. A score is available to classify patients according to their risk of venous thromboembolism. The long-term prophylaxis is not recommended in patients with cancer, even if it reduces the incidence of thromboembolic events, due to the high number of patients to treat to prevent one event. The treatment of venous thromboembolism in cancer is based on the use of low-molecular weight heparin for at least 3 months. The potential role of antithrombotic drugs in the prevention and adjuvant treatment of some cancers is being evaluated.
L’
incidence élevée de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) chez les personnes atteintes de cancer est à l’origine d’une fréquente prescription de médicaments antithrombotiques. Le maniement du traitement anticoagulant curatif y est difficile en raison d’un risque de récidive thromboembolique et d’un risque hémorragique particulièrement
tome 42 > n89 > septembre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.06.007
Points essentiels La maladie veineuse thromboembolique complique 5 à 10 % des cancers. Un score est disponible pour classer les malades selon leur risque de maladie veineuse thromboembolique. La prophylaxie de longue durée n’est pas recommandée chez les patients atteints de cancer, même si elle réduit l’incidence des événements thromboemboliques en raison du nombre élevé de malades à traiter pour éviter un événement. Le traitement de la maladie veineuse thromboembolique au cours du cancer repose sur l’utilisation d’héparine de bas poids moléculaire pendant au moins trois mois. Le rôle potentiel des médicaments antithrombotiques dans la prévention et en traitement adjuvant de certains cancers est en cours d’évaluation.
élevés. Si le traitement prolongé par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) semble supérieur à l’utilisation des antagonistes de la vitamine K (AVK) chez les personnes atteintes de MTEV et de cancer, il reste associé à un taux de récidive et de saignement plus élevé que celui qui est observé chez des personnes indemnes de cancer. De plus, l’attitude à adopter après les six premiers mois de traitement et la conduite à tenir vis-à-vis des récidives thromboemboliques ne sont pas
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Disponible sur internet le : 22 août 2013
G Meyer, O Sanchez, B Planquette
consensuelles. Associées à l’incidence élevée de la MTEV au cours du cancer, ces difficultés ont suscité des études de prophylaxie au long cours qui n’ont encore pas produit de résultats très convaincants. Des données déjà anciennes suggèrent que les antithrombotiques, anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires, pourraient jouer un rôle adjuvant dans le traitement spécifique de la maladie tumorale. La confirmation clinique de ces données principalement biologiques tarde encore, mais plusieurs études explorent actuellement cette voie dans plusieurs types de cancer.
Maladie veineuse thromboembolique au cours du cancer ; des facteurs de risque bien identifiés
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La prévalence de la MTEV varie de 0,5 à 20 % au cours des cancers. Le risque varie avec les caractéristiques du cancer : sa nature, la MTEV étant particulièrement fréquente au cours des cancers du pancréas, du tube digestif, de l’ovaire et du poumon ; son stade, les thromboses étant beaucoup plus fréquentes en cas de métastases ; son type histologique, les adénocarcinomes étant plus souvent associés à la MTEV que les tumeurs épidermoïdes ; enfin, l’incidence de MTEV est plus élevée au cours des premiers mois suivant le diagnostic de cancer [1,2]. Les thérapeutiques antitumorales et certains soins de support sont également des facteurs de risque : les interventions chirurgicales pour cancer sont associées à un risque de MTEV postopératoire plus élevé que les interventions pour pathologie bénigne ; la chimiothérapie, la radiothérapie, les transfusions sanguines, l’érythropoïétine, les facteurs de croissance des polynucléaires augmentent également le risque de thrombose [2]. Un certain nombre de marqueurs biologiques usuels tels qu’un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dL, une thrombocytose et une hyperleucocytose ont été identifiés comme marqueurs de risque thromboembolique au cours du cancer. Parmi les dosages plus spécifiques, des taux élevés de D-dimères et de P-selectine soluble sont associés à une augmentation du risque [3]. Si l’âge ne semble pas jouer un rôle majeur, d’autres facteurs de risque classiques, antécédents thromboemboliques et obésité, ont été associés à un risque élevé de MTEV au cours du cancer [2]. Enfin, le rôle des anomalies de la coagulation, semble négligeable dans ce contexte. Un score fondé sur des variables cliniques et biologiques simples permet de classer les patients atteints de cancer en trois groupes de risque distinct (tableau I). Le risque de MTEV à 3 mois est inférieur à 1 % pour une valeur de score de 0, de l’ordre de 2 % quand la valeur du score est de 1 ou 2 et de l’ordre de 7 % quand la valeur du score est égale ou supérieure à 3 [4].
Tableau I Score de prédiction du risque thromboembolique chez les patients atteints de cancer Caractéristique
Point
Site du cancer Très haut risque : estomac, pancréas
2
Haut risque : lymphome, poumon, gynécologique, vessie, testicule
1
Plaquettes > 350 000/mm3
1
Hémoglobine < 10 g/dL
1
Leucocytes > 10 000/mm IMC > 35 kg/m
3
1
2
1
D’après Khorana et al. [4]. IMC : indice de masse corporelle. Les points de la deuxième colonne sont les points du score de risque. Un score de 0 est associé à un risque de thrombose inférieur à 1 % à trois mois ; un score de 1 ou 2 est associé à une incidence de thrombose de l’ordre de 2 % à trois mois et un score supérieur ou égal à 3 est associé à un risque de thrombose de l’ordre de 6 % à trois mois.
Faut-il prévenir les thromboses chez les malades atteints de cancer ? Prévention des thromboses de cathéter : des résultats encore incertains La prévalence des thromboses symptomatiques sur cathéter veineux central de longue durée est de l’ordre de 4 à 5 % (0 à 28 % selon les études). La prophylaxie par AVK a été évaluée chez 1300 malades atteints de cancer et porteurs d’un cathéter à demeure randomisés en deux groupes ; le groupe expérimental recevait de la warfarine à la dose de 1 mg par jour et le groupe témoin n’était pas traité ou recevait un placebo selon les études. La warfarine est associée à une réduction non significative des thromboses symptomatiques de cathéter (risque relatif (RR) : 0,69 ; intervalle de confiance à 95 % (IC95 %) : 0,39–1,23 ; p = 0,21) et à une augmentation non significative des hémorragies (RR : 2,4 ; IC95 % : 0,5–12,5 ; p = 0,29) (Afssaps, recommandations de bonne pratique. Prévention et traitement de la MTEV en médecine) (http:// www.afssaps.fr/Afssaps-media/Publications/Recommandations-de-bonne-pratique). L’héparine non fractionnée (un essai) et les HBPM (4 essais) ont été évaluées dans la même indication chez 1074 malades. Une réduction non significative des thromboses de cathéter a été observée chez les malades traités (RR : 0,64 ; IC95 % : 0,29– 1,44), sans augmentation significative des hémorragies graves (http://www.afssaps.fr/Afssaps-media/Publications/Recommandations-de-bonne-pratique). Ces résultats négatifs sont liés en grande partie à la réduction progressive des thromboses liées aux cathéters grâce à une
tome 42 > n89 > septembre 2013
Traitement antithrombotique et cancer
Encadre´ 1 Ni la présence d’un cancer, ni la présence d’un cathéter central, ni celle d’une chambre à cathéter veineux implantable ne requiert une anticoagulation préventive au long cours
Sauf insuffisance rénale sévère, le traitement initial des thromboses veineuses et des EP qui surviennent au cours d’un cancer repose sur les héparines de bas poids moléculaire, pendant au moins trois à six mois sans relais par une antivitamine-K.
Le relais par antivitamine-K se discute au sixième mois de traitement.
Il n’y a pas d’indication pour les inhibiteurs oraux du facteur Xa ou du facteur IIa dans le traitement des thromboses veineuses ou EP au cours du cancer.
Les indications des filtres caves sont les mêmes en présence d’un cancer qu’en l’absence de cancer : contre-indications, échecs et complications des anticoagulants.
Le risque de récidive thromboembolique reste élevé, même sous HBPM.
En cas de récidive, après avis spécialisé, il est possible d’augmenter empiriquement la dose d’HBPM de 10 à 20 % sans mesure de l’activité anti-Xa. En alternative, un filtre cave peut être proposé.
Les cellules tumorales activent la coagulation et les plaquettes. L’activation de la coagulation et la thrombocytose sont associées à un mauvais pronostic de la maladie cancéreuse.
Des données expérimentales suggèrent que les HBPM et l’aspirine pourraient jouer un rôle antitumoral.
L’analyse rétrospective d’essais thérapeutiques et certaines
chez les femmes traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein métastatique [5]. Ces résultats n’ont toutefois jamais été reproduits, le risque hémorragique de ce type de traitement n’est vraisemblablement pas négligeable dans cette population, si bien que les AVK ne sont plus recommandés dans cette indication [6]. Deux grands essais randomisés ont été menés récemment pour évaluer l’efficacité des HBPM en prophylaxie primaire. Dans la première étude, la nadroparine, administrée à la dose prophylactique de 3800 UI une fois par jour pendant quatre mois chez 779 malades atteints de cancer métastatique ou localement avancé, était comparée à un placebo chez 387 malades [7]. L’incidence des événements thromboemboliques symptomatiques artériels ou veineux était réduite de 3,9 % sous placebo à 2,0 % sous nadroparine ; une différence statistiquement significative [7]. Toutefois, seuls 9 % des malades avaient un risque élevé de MTEV selon le score de Khorana. Des résultats similaires viennent d’être publiés avec la semuloparine, une héparine de très faible poids moléculaire. Après trois mois et demi de traitement, l’incidence de la MTEV symptomatique était de 1,2 % chez les 1608 malades traités par 20 mg de semuloparine contre 3,8 % chez les 1604 malades qui recevaient le placebo, une différence significative ; les complications hémorragiques n’étaient pas plus fréquentes chez les malades traités [8]. Ces différences, statistiquement significatives semblent toutefois trop faibles en valeur absolue pour mettre en oeuvre un traitement injectable pendant quatre mois. Dans l’attente de confirmation dans des sous-groupes à plus haut risque, il ne semble pas justifié d’imposer un traitement préventif au long cours chez les malades atteints de cancer. Il serait également utile de posséder des données spécifiques à chaque grand type de cancer.
Mise au point
Anticoagulation
cohortes suggèrent que l’aspirine pourrait diminuer l’incidence
Le rôle de thérapeutique adjuvante antitumorale des HBPM n’a pas été clairement confirmé jusqu’ici, des essais cliniques explorent cette voie thérapeutique dans certains cancers.
amélioration des matériaux et de la technique de pose mais peuvent également être liés à un manque de puissance des essais comme le suggère la largeur des intervalles de confiance (encadre´ 1).
Prévention prolongée en dehors des hospitalisations et des thromboses de cathéter ; une réduction absolue encore trop faible des événements thromboemboliques pour mettre une prophylaxie prolongée en oeuvre Une étude ancienne avait suggéré une réduction de l’incidence des thromboses veineuses symptomatiques par la warfarine tome 42 > n89 > septembre 2013
Une fois la thrombose constituée, quel traitement choisir ? En présence d’un cancer, le traitement anticoagulant classique, qui associe une courte période d’héparine (héparine non fractionnée ou HBPM) relayée par un AVK au long cours est associé à un risque de récidive thromboembolique trois fois plus important et un risque hémorragique six fois plus grand qu’en l’absence de cancer [9]. Quatre essais ont évalué un traitement prolongé par HBPM sans relais par AVK dans cette circonstance [10–13]. Les patients inclus étaient atteints de cancers de nature variable, majoritairement métastatiques. Toutes les études étaient ouvertes mais les événements étaient évalués à l’aveugle du traitement. Le groupe témoin recevait une héparine suivie d’un AVK poursuivi trois ou six mois avec un objectif d’INR classique ; l’autre groupe recevant une HBPM pendant trois à six mois, à pleine dose dans deux essais [10,11] et à dose légèrement plus faible dans les deux autres [12,13]. La meta-analyse de ces études montre que les HBPM réduisent les récidives thromboemboliques significativement et de façon
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et la mortalité de certains cancers.
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importante (risque relatif : 0,50 ; IC95 % : 0,35–0,72), sans augmenter les hémorragies ni modifier la mortalité [11]. Ces résultats ont amené divers groupes d’experts à recommander l’utilisation d’une HBPM pendant trois à six mois chez les patients atteints de cancer et de MTEV [6,14].
Que faire après les six premiers mois de traitement ? Un risque thromboembolique élevé persiste jusqu’à la rémission du cancer et la fin de la thérapeutique antitumorale. Sauf exception, ce risque persiste au-delà de six mois et il est alors logique de poursuivre les anticoagulants après cette période. Nous ne possédons pas de donnée comparant HBPM et AVK après six mois de traitement et il n’est donc pas certain que le bénéfice initial des HBPM perdure au-delà de cette période. Le relais de l’HBPM par un AVK peut alors être envisagé en fonction de la tolérance locale des injections d’HBPM, du pronostic du cancer, de la nature du traitement antitumoral – la poursuite d’une polychimiothérapie engageant plutôt à poursuivre les HBPM en raison des potentielles interactions – et du désir du malade après l’avoir informé de ces deux possibilités.
Que faire en cas de récidive ? Même sous HBPM, la prévalence des récidives pendant les six premiers mois de traitement, reste supérieure à 5 % ce qui est encore bien plus élevé qu’en l’absence de cancer associé à la MTEV [11]. La récidive sous traitement anticoagulant bien conduit constitue une indication reconnue d’interruption de la veine cave inférieure. Les résultats des filtres ne sont connus qu’au travers d’études rétrospectives dans lesquelles le risque de récidive chez les patients filtrés ne semble pas négligeable. L’augmentation de 20 % de la posologie d’HBPM peut constituer une alternative dont les résultats ont été rapportés dans une petite étude prospective [15]. Dans ce travail, 15 malades ont reçu une posologie d’HBPM correspondant à 120 % de la dose thérapeutique habituelle après avoir récidivé. Trois parmi les 15 (20 %) ont eu une deuxième récidive après au moins trois mois de suivi sans complication hémorragique majeure [15].
Faut-il traiter de la même façon les embolies découvertes fortuitement sur un scanner effectué pour évaluation tumorale ?
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La découverte d’une embolie pulmonaire (EP) sur un scanner thoracique injecté réalisé pour une autre raison que la suspicion clinique d’EP n’est pas exceptionnelle. Des signes cliniques évocateurs d’EP sont découverts rétrospectivement dans la moitié des cas si bien qu’on ne peut les assimiler à des EP asymptomatiques [16]. Si elles sont plus souvent distales, des
EP proximales, siégeant dans les artères tronculaires ou lobaires sont parfois découvertes fortuitement. Nos connaissances reposent pour le moment sur des études rétrospectives qui suggèrent, qu’à la notable exception des EP sous-segmentaires, ces formes découvertes fortuitement ont le même potentiel de récidive que celles qui sont découvertes sur un scanner demandé en raison d’une suspicion clinique [16]. Bien que fragiles, ces données suggèrent donc de traiter les EP découvertes fortuitement selon le schéma thérapeutique habituel.
Traitement anticoagulant et bevacizumab Le bevacizumab a longtemps été considéré comme un facteur de risque veineux thromboembolique chez les malades traités pour cancer. Les données les plus récentes ne semblent pas confirmer ces données initiales mais la survenue d’une MTEV sous bevacizumab n’est pas exceptionnelle [17]. Le bevacizumab est alors souvent interrompu en raison du potentiel risque d’hémorragie. Les saignements sous anticoagulants ont été analysés dans trois études comparant bevacizumab et placebo associés à une chimiothérapie chez des malades atteints de cancer colique ou bronchique avancé [18]. Le traitement expérimental a été poursuivi avec les anticoagulants chez 123 des 195 malades qui avaient thrombosé sous bevacizumab (63 %). L’incidence des complications hémorragiques graves était alors de 9 % par an chez les malades traités par bevacizumab et de 10,5 % chez les 71 malades des groupes placebo qui étaient traités par anticoagulant pour une thrombose veineuse ou artérielle survenue pendant la période thérapeutique [18]. D’autres études rapportent des chiffres similaires qui semblent donc autoriser la prescription d’anticoagulants quand une thrombose survient sous bevacizumab sans qu’il soit impératif d’interrompre ce dernier.
Peut-on prescrire un des nouveaux anticoagulants oraux ? L’expérience publiée avec les inhibiteurs directs du facteur Xa et du facteur IIa administrables par voie orale reste extrêmement limitée chez les personnes atteintes de cancer. Le nombre de malades atteints de cancer ne représentait que 5 % à 6 % des patients inclus dans les essais qui ont évalué le dabigatran et le rivaroxaban pour le traitement de la MTEV [19,20]. Dans ces essais, le traitement expérimental ne semble pas supérieur au traitement par AVK dans le sous-groupe de patients atteints de cancer. De plus, le taux de récidive sous AVK, de l’ordre de 5 %, est inhabituellement faible ce qui suggère qu’il s’agit en majorité de malades à faible risque ayant une pathologie tumorale non évolutive. Les possibles interactions médicamenteuses avec les chimiothérapies et l’absence de comparaison de ces molécules avec le traitement de référence par HBPM n’autorisent pas à administrer ces molécules chez les patients atteints de cancer évolutif et de MTEV. tome 42 > n89 > septembre 2013
Traitement antithrombotique et cancer
Les cellules tumorales expriment le facteur tissulaire qui active le facteur VII et enclenche la cascade de la coagulation qui aboutit à la synthèse de thrombine puis de fibrine [21,22]. La synthèse de fibrine est la source des complications thromboemboliques mais elle favorise également l’angiogenèse tumorale. L’activation du facteur tissulaire exprimé par les cellules tumorales favorise également l’angiogenèse en activant la synthèse de Vascular Endothelial Growth Factor [22]. La synthèse de thrombine active les plaquettes sanguines et favorise leur liaison aux cellules tumorales ce qui permet à ces dernières de circuler au sein de microthrombus tumoraux. Les cellules tumorales possèdent des glycosaminoglycanes de surface mutés qui sont des ligands des sélectines, cette liaison favorise l’adhésion des cellules tumorales aux plaquettes et aux cellules endothéliales. Elles expriment également l’héparanase qui favorise la lyse de la matrice extracellulaire et l’invasion tissulaire.
Potentiels effets anti-tumoraux des héparines de bas poids moléculaire En favorisant la synthèse d’inhibiteur du facteur tissulaire, les HBPM inhibent l’angiogenèse tumorale ; elles inhibent également la synthèse de thrombine et de fibrine, l’adhésion aux plaquettes et à l’endothélium par une liaison compétitive vis-àvis des sélectines et la lyse de la matrice extracellulaire en servant de substrat à l’héparanase tumorale [23,24]. Des études réalisées in vitro et in vivo sur des modèles expérimentaux montrent que les HBPM inhibent l’angiogenèse, la croissance tumorale et la formation des métastases [25]. La traduction de ces résultats en pratique clinique est encore incertaine. La méta-analyse de dix essais qui ont évalué les HBPM chez des malades atteints de cancer et qui n’avaient pas d’indication à un traitement anticoagulant, suggère une diminution de mortalité chez les patients traités par HBPM (RR : 0,94 ; IC95 % : 0,88–1,00 ; p = 0,015) [26]. Ces résultats sont issus d’études réalisées dans des cancers de nature variable, dont le stade était souvent avancé ou métastatique et qui ont le plus souvent évalué des doses prophylactiques d’HBPM alors que les études expérimentales suggèrent que l’efficacité du traitement pourrait varier d’un cancer à l’autre et qu’il existe un effet dose-réponse. Une évaluation propre à chaque tumeur, utilisant des doses plus élevées est certainement nécessaire pour résoudre définitivement cette question. Plusieurs essais répondant à ces critères sont actuellement en cours.
Un rôle pour les antiagrégants plaquettaires ? Une thrombocytose est fréquemment observée au cours du cancer. L’importance de la thrombocytose est inversement corrélée à l’évolution du cancer dans la majorité des cas. En tome 42 > n89 > septembre 2013
revanche, une thrombocytopénie a été associée à une baisse des métastases dans plusieurs modèles expérimentaux [27]. Un certain degré d’activation plaquettaire est fréquemment observé au cours du cancer, les cellules tumorales se sont révélées capables d’activer les plaquettes lors de contacts cellulaires directs ou par la synthèse d’activateurs plaquettaires comme l’ADP ou la thrombine. Les cellules tumorales favorisent également l’agrégation plaquettaire qui est corrélée au potentiel métastatique des tumeurs dans divers modèles expérimentaux. Le contenu des granules alpha est susceptible de favoriser l’angiogenèse et la survenue de métastases et les récepteurs GP IIb/IIIa sont impliqués dans l’angiogenèse. Les plaquettes favorisent la migration sanguine des cellules tumorales sous forme de microthrombus tumoraux, la liaison des cellules tumorales à l’endothélium vasculaire et l’invasion tissulaire en facilitant la lyse de la matrice extracellulaire [27]. Les données cliniques sont encore fragiles. La méta-analyse rétrospective des essais de prévention cardiovasculaire primaire et secondaire suggère que l’aspirine pourrait diminuer l’incidence et la mortalité des cancers [28]. Cela a notamment été suggéré pour les adénocarcinomes et notamment pour le cancer colorectal. La différence survient après plusieurs années, notamment quand le traitement est prolongé au-delà de cinq ans. Dans les mêmes essais, l’aspirine est associée à une réduction du risque de cancer métastatique et à la survenue de métastases chez les patients atteints de cancer initialement localisé [29]. Cet effet est significatif pour les adénocarcinomes coliques et de la prostate mais non significatif pour le sein et le poumon possiblement en raison d’un effectif plus faible. Il faut toutefois interpréter ces résultats avec prudence dans la mesure où ces essais n’avaient pas été initialement bâtis pour répondre à cette question et que les cancers n’ont pas été validés indépendamment. Un essai contrôlé chez des patients atteints de syndrome de Lynch, a toutefois montré tout récemment que l’aspirine était associée à une réduction du risque de cancer colique à long terme [30]. Chez les malades atteints de cancer, des études de cohorte suggèrent un effet bénéfique de l’aspirine, mais des essais plus anciens menés dans ce domaine étaient toutefois négatifs. Le rôle de l’aspirine en prévention et en traitement adjuvant de certains cancers demande donc à être évalué dans des essais spécifiques.
Conclusion Le traitement de la MTEV chez les personnes atteintes de cancer repose sur les HBPM administrées sans relais oral pendant trois à six mois ; au-delà il n’est pas certain qu’il persiste un bénéfice des HBPM par rapport aux AVK et il faut peser les avantages et inconvénients des deux traitements. Il est actuellement possible d’identifier des malades à haut risque de MTEV parmi ceux qui sont atteints de cancer mais la prophylaxie au long cours n’a pas encore montré un avantage cliniquement pertinent ni sur l’ensemble des malades ni même chez ceux qui ont un risque
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Un rôle pour les anticoagulants en traitement adjuvant de certaines maladies tumorales ?
Mise au point
Anticoagulation
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thromboembolique élevé. Le rôle potentiel des héparines et de l’aspirine en traitement adjuvant de certains cancers reste à démontrer par des essais spécifiques. Déclaration d’intérêts : Guy Meyer :
essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude : Daiichi Sankyo ; Bayer ; Sanofi Aventis ; Leo Pharma ; interventions ponctuelles : activités de conseil non rémunérées : Bayer ; conférences : invitations en qualité d’intervenant non rémunérées : Leo Pharma ; Sanofi Aventis ; Boehringer-Ingelheim, Bayer ; conférences : invitations en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise) : Leo Pharma ; Boehringer-Ingelheim ; Bayer ;
subventions à la recherche versées à mon établissement hospitalier : Leo Pharma, Boehringer-Ingelheim, Bayer. Olivier Sanchez : essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude : Daiichi Sankyo ; Bayer ; Sanofi Aventis ; Leo Pharma ; conférences : invitations en qualité d’intervenant non rémunérées : Bayer ; conférences : invitations en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise) : Leo Pharma ; Bayer ; subventions à la recherche versées à mon établissement hospitalier : Leo Pharma, Boehringer-Ingelheim, Bayer.
L’auteur Benjamin Planquette déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Traitement antithrombotique et cancer
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Mise au point
Anticoagulation