Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 1–6
Traitement des infections par des bactéries à Gram positif résistantes M. Lenoble Service d’hémato-oncologie, groupe hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil, 10 rue du Général Leclerc, 93370 Montfermeil, France
1. La vancomycine est elle encore le traitement de référence ? Un symposium officiel a opposé A. Soriano (Barcelone) et A. MacGowan (Bristol) sur la question suivante : la vancomycine est-elle encore le traitement antibiotique de référence anti-staphylococcique ? Pour A. Soriano, la vancomycine a trop d’inconvénients pour rester la molécule anti-staphylococcique de référence en première intention : CMI trop élevées, activité bactéricide insuffisante, mauvaise diffusion tissulaire, absence d’activité sur les biofilms et sur les variants à petites colonies, tels sont selon lui les principales failles (Tableau 1). Les bactériémies à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) restent grevées d’une mortalité élevée et l’utilisation de la vancomycine n’a guère permis de l’améliorer. Fondée sur l’analyse de 510 épisodes observés au cours d’une période de 15 ans, une étude récente insiste sur l’importance pronostique d’une antibiothérapie empirique d’emblée adaptée [1]. Fait important à souligner, cette étude et la revue de la littérature montrent qu’aucun progrès n’a été accompli dans les bactériémies à SARM en termes de mortalité à 30 jours. De 43 % au cours des années 1988-1994, elle est restée stable à 44 % (toutes causes confondues) au cours de la période 1999-2007. Seule l’adéquation de l’antibiothérapie empirique initiale possède une valeur pronostique favorable pour la survie, avec une mortalité de 33 % contre 49 % dans le cas contraire. Or la quasi-totalité des patients de la littérature ont été traités par la vancomycine. De multiples études démontrent de façon concordante que l’antibiothérapie empirique par la vancomycine est significativement inférieure aux bêta-lactamines en termes de taux d’échec
Correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Lenoble). © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
ou de mortalité lorsqu’il s’avère que la bactériémie est liée à un SA sensible à la méticilline (SASM) [2,3,4]. La surveillance des taux de vancomycine fait partie des recommandations des sociétés savantes américaines et le paramètre pharmacodynamique considéré comme le plus pertinent est le rapport ASC/CMI, avec une cible ≥ 400. Lorsque les CMI de la vancomycine atteignent ou dépassent 2 mg/l, il devient impossible d’atteindre cette cible sans une toxicité, notamment rénale, rédhibitoire [5]. Dans les nouvelles recommandations de la Société américaine de maladies infectieuses pour le traitement des bactériémies et des endocardites à SARM, la vancomycine est recommandée à la dose de 30 mg/kg/j, mais seulement lorsque la CMI est ≤ 2 mg/l (niveau de preuve A-II), et la daptomycine à la dose de 6 mg/kg/j (A-I), voire 8-10 mg/kg/j, avec dans les deux cas une durée de traitement d’au moins six semaines [6]. Le seuil de la sensibilité à la vancomycine et les cibles pharmacocinétiques doivent, selon A. Soriano, être redéfinis car les taux d’échec et de mortalité associés aux seuils actuels sont trop élevés [7,8]. La révision à la hausse des cibles pharmacocinétiques risque toutefois de poser des problèmes de tolérance [9,10,11]. Avocat de la défense, A. MacGowan a souligné que la vancomycine venait très largement au premier rang des antistaphylococciques par le nombre de publications, dont l’ensemble forme un corpus solide de connaissances sur lesquelles le clinicien peut s’appuyer : près de 1500 articles extraits de la base PubMed dont 210 dans Antimicrobial Agents & Chemotherapy, revue de référence, soit plus de publications pour la seule vancomycine que pour toutes les autres molécules réunies… Une étude a montré que 100 % des 2700 souches de staphylocoques isolées dans 12 pays
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Tableau 1 Mérites comparés des molécules anti-staphylococciques. D’après A. Soriano (présentation S378) Vancomycine
Cloxacilline
Daptomycine
Linézolide
CMI basses
-
+
+
-
Activité bactéricide
-
+
+
-
Supériorité dans les modèles expérimentaux
-
+
+
±
Diffusion tissulaire
-
±
±
+
Effet pro-inflammatoire
-
-
+
+
Activité sur les biofilms
-
-
+
±
Variants à petites colonies/intracellulaires
-
-
±
±
Coût d’acquisition
+
+
-
-
européens étaient sensibles in vitro à la vancomycine [12]. Sur 87 764 souches testées, la proportion de souches de S. aureus avec CMI supérieure au seuil défini par la norme EUCAST était seulement de 0,25 %, contre 1,6 % pour la teicoplanine (n = 56 399), 0,05 % pour le linézolide (n = 62 420), 0,03 % pour la daptomycine (n = 35 695). Dans une étude américaine, 3 % seulement des 1800 souches de SARM testées avaient une CMI de la vancomycine > 1 mg/l. A. MacGowan a donné son point de vue sur le problème du « glissement des CMI » de la vancomycine, c’est-à-dire la tendance signalée par plusieurs auteurs à une augmentation des CMI sans dépassement du seuil de sensibilité, avec pour conséquence une diminution du taux de succès du traitement. Selon cet intervenant, le glissement des CMI n’est pas encore un sujet de préoccupation en Europe. C’est un phénomène local, circonscrit à un ou deux centres dans un pays, et non une tendance générale [13-15]. Selon A. MacGowan, la variabilité pharmacocinétique interindividuelle de la vancomycine n’est pas plus grande que celle des autres antibiotiques anti-staphylococciques : inférieur à 50 %, le coefficient de variation est identique à celui de la daptomycine et nettement inférieur à celui du linézolide (58 %) ou de la teicoplanine (82 %) [16]. De nombreux essais cliniques de phase III ont comparé les nouvelles molécules anti-staphylococciques à la vancomycine et aucun d’entre eux n’a montré de supériorité sur la molécule de référence. Il faut souligner toutefois qu’ils étaient presque tous conçus pour démontrer l’absence d’infériorité. Le profil de toxicité de la vancomycine est bien connu, étayé par une très large expérience clinique. Il peut être optimisé grâce à la surveillance pharmacologique des concentrations plasmatiques. Pour conclure, A. MacGowan a rappelé que les recommandations aussi bien européennes que nord-américaines continuent de placer la vancomycine au plus haut niveau de preuve pour le traitement des infections à SARM.
2. De bons médicaments pour de sales bestioles ? Une session spéciale a été consacrée à l’état de l’art sur les infections à staphylocoques résistants. L’importance d’une
antibiothérapie à la fois puissante et précocement adaptée pour réduire la morbidité et la mortalité des bactériémies à S. aureus a été soulignée par A. Soriano [17], à la lumière des données de la littérature [1]. La cible pharmacodynamique doit pouvoir être atteinte dès les 24 premières heures. Ce critère est rarement rempli avec la vancomycine à dose standard (1 g toutes les 12 heures) [9] et il est habituel d’avoir recours à une dose de charge puis à une dose d’entretien nettement plus élevée que le schéma standard, de l’ordre de 3-4 g/24 heures. Le risque de néphrotoxicité devient alors important. Malgré ces fortes doses, la cible pharmacodynamique n’en reste pas moins difficile à atteindre lorsque la CMI est de 2 mg/l, à la borne supérieure de la sensibilité, et le taux de succès clinique en est affecté [10,18,19,20]. En outre, dans une étude américaine, la fréquence de la tolérance aux glycopeptides et de l’hétérorésistance à la vancomycine parmi les souches de SARM s’est révélée plus élevée lorsque la CMI des SARM est > 1 mg/l qu’en dessous de ce seuil [11]. Connaissant l’activité médiocre de la vancomycine vis-à-vis des SASM, l’utilisation de nouveaux anti-staphylococciques en première ligne, à titre empirique, pourrait se justifier dans les infections sévères.
3. État de la sensibilité aux antibiotiques des staphylocoques et des bactéries à Gram positif Comme dans la plupart des pays, la prévalence des résistances de S. aureus fait l’objet en Espagne d’une surveillance épidémiologique. Une étude « un jour donné » a été réalisée en juin 2010 et toutes les souches staphylococciques isolées dans les hôpitaux espagnols ont été testées par la méthode de microdilution [21]. Un E-test a de plus été effectué pour le linézolide, la daptomycine et la tigécycline. Les résultats montrent globalement une stabilité des taux de résistance aux antimicrobiens (Tableau 2). Les taux de sensibilité de S. aureus à la gentamicine continuent de s’améliorer. Aucune résistance de S. aureus à la vancomycine, le linézolide, la daptomycine et la tigécycline n’a été observée. En revanche, parmi les SCN, le taux de résistance au linézolide était de 4,3 %. Dans le cadre du Programme de surveillance de la daptomycine, l’activité antimicrobienne de la daptomycine et de ses comparateurs a été testée vis-à-vis de souches de SASM et de
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SARM impliquées dans des infections ostéo-articulaires [22]. L’étude porte sur 606 souches européennes, nord- et sud-américaines, dont 203 SARM. Le taux de résistance à l’oxacilline était plus élevé en Europe que dans les Amériques. Toutes les souches étaient sensibles à la daptomycine et les CMI étaient similaires vis-à-vis des SARM et des SASM, quelle que soit par ailleurs la sensibilité à la lévofloxacine ou la clindamycine (Tableau 3). Pour 98,5 % des souches, les CMI 50 de la daptomycine étaient ≤ 0,5 mg/l. Ces données d’activité et l’activité bactéricide rapide de la daptomycine placent cette molécule comme un antibiotique de choix des infections ostéo-articulaires staphylococciques. L’activité in vitro de la daptomycine vis-à-vis des bactéries à Gram positif a été testée dans une vaste collection de souches cliniques isolées entre 2003 et 2009 dans 34 établissements hospitaliers situés dans 13 pays de l’Union européenne, en Turquie ou en Israël [23]. L’étude porte sur près de 37 000 souches consécutives : en particulier S. aureus, n = 18 352, SARM 27 % ; SCN, n = 6874, OXA-R, 77 % ; Enterococcus, n = 7241, 9 % VAN-R. La daptomycine était très active vis-à-vis des staphylocoques, avec des CMI 50/90 de 0,25/0,5, non affectées par la résistance à l’oxacilline. La fréquence des SARM varie de 1,3 % en Suède à plus de 60 % au Portugal. Toutes les souches d’Enterococcus faecalis étaient sensibles à la daptomycine. Des souches d’Enterococcus faecium résistantes à la vancomycine ont été isolées dans 13 des 15 pays, avec des fréquences particulièrement élevées en Irlande (plus de 60 %) et au Royaume-Uni (44 %). La daptomycine (100 %), le linézolide (99,7 %) et la tigécycline (99,5 %) étaient les trois antibiotiques les plus actifs
3
contre ces souches. Globalement, la comparaison du spectre d’activité de la daptomycine entre 2003 et 2009 montre une très grande stabilité (Tableau 4).
4. Néphrotoxicité de la vancomycine Une étude de cohorte a été menée en Belgique pour évaluer la tolérance rénale de la vancomycine en perfusion continue chez le patient avec infection sévère [24]. Elle porte sur 129 sujets traités pour une pneumonie ou une bactériémie à Gram positif. Après une dose de charge de 15 mg/kg, la posologie quotidienne a été ajustée pour obtenir une concentration d’équilibre de 15-25 mg/l. Une augmentation de la créatininémie d’au moins 3 mg/l (27 μmol/l) ou une multiplication par 1,5 par rapport à la valeur initiale a été observée chez 30 % des patients. Les facteurs de risque étaient le poids élevé, le diabète, l’utilisation de vasopresseurs et la durée du traitement par la vancomycine. Le risque de néphrotoxicité était multiplié par 10 pour des taux sériques de vancomycine > 25 mg/l, par plus de 30 pour des taux > 30 mg/l.
5. Daptomycine à forte dose Le registre Eucore (European Cubicin outcomes registry and experience) a permis d’analyser les données rétrospectives de tolérance relatives à l’utilisation de la daptomycine à forte dose (FD), ≥ 8 mg/kg/j, chez 270 patients, qui ont été comparés aux
Tableau 2 Résistance des staphylocoques aux antibiotiques en Espagne (%) : S. aureus/staphylocoques à coagulase négative. Année
PEN
OXA
ERY
CLI
GEN
TOB
CIP
RIF
T/S
VAN
2002
88/79
31/63
33/64
20/35
18/35
ND/ND
37/50
2/7
2/22
0/0
2006
89/87
29/70
32/66
20/46
9/44
26/50
37/54
1/7
1/31
0/0,5
2010
89/79
28/60
24/60
20/50
7/36
15/52
31/50
1/9
0/30
0/0
PEN : pénicilline ; OXA : oxacilline ; ERY : érythromycine ; CLI : clindamycine ; GEN : gentamycine ; TOB : tobramycine ; CIP : ciprofloxacine ; RIF : rifampicine ; T/S : triméthoprime/sulfaméthoxazole ; VAN : vancomycine.
Tableau 3 Sensibilité à la daptomycine (DAP), la lévofloxacine (LEV) et la clindamycine (CLI) de 606 souches de S. aureus isolées d’infections ostéo-articulaires. Nombre de souches (% cumulé) inhibées pour une CMI de DAP (mg/l)
% de souches sensibles
≤ 0,12
0,25
0,5
1
DAP
LEV
CLI
Ensemble (606)
23 (3,8)
423 (73,6)
151 (98,5)
9 (100,0)
100,0
72,4
83,3
SASM (403)
22 (5,5)
293 (78,2)
80 (98,0)
8 (100,0)
100,0
95,3
98,8
SARM (203)
1 (0,5)
130 (64,5)
71 (99,5)
1 (100,0)
100,0
27,1
52,7
Amérique du Nord
9 (3,5)
188 (75,5)
63 (99,6)
1 (100,0)
100,0
63,6
80,8
Europe
6 (4,7)
98 (81,3)
23 (99,2)
1 (100,0)
100,0
82,8
94,5
Amérique latine
8 (3,7)
137 (66,8)
65 (96,5)
7 (100,0)
100,0
77,0
79,6
SA(R)M : S. aureus sensible (résistant) à la méticilline
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Tableau 4 Évolution de la sensibilité à la daptomycine de souches isolées d’infections à Gram positif : 36 759 souches isolées en 7 ans dans l’Union européenne, en Turquie et en Israël. CMI 50/90 de la daptomycine (% de sensibilité) Année
S. aureus
E. faecalis
E. faecium
SARM (%)
EFm-RV (%)
2003
0,25/0,5 (>99,9)
0,5/1 (100,0)
2/4 (99,4)
27,6
9,0
2004
0,25/0,5 (100,0)
1/1 (100,0)
4/4 (100,0)
24,5
13,2
2005
0,25/0,5 (100,0)
0,5/1 (100,0)
2/4 (99,4)
28,9
17,9
2006
0,25/0,5 (100,0)
0,5/1 (100,0)
1/2 (100,0)
27,4
26,6
2007
0,25/0,5 (100,0)
1/1 (100,0)
2/2 (100,0)
28,4
26,3
2008
0,25/0,5 (100,0)
1/2 (100,0)
2/4 (100,0)
27,0
28,2
2009
0,25/0,5 (100,0)
1/2 (100,0)
2/4 (100,0)
25,8
27,0
Ensemble
0,25/0,5 (> 99,9)
1/1 (100,0)
2/4 (> 99,9)
27,2
24,7
SARM : S. aureus résistant à la méticilline ; EFm-RV : E. faecium résistant à la vancomycine
2731 sujets traités à dose conventionnelle [25]. Au cours de la période d’étude (janvier 2006-juin 2010), le taux de recours à de fortes doses par les prescripteurs est passé de 3 % à 12 %, ce qui semble témoigner de la confiance acquise au fil de l’expérience. Les patients FD avaient plus souvent que les autres une valvulopathie, un sepsis ou une infection à SASM, une endocardite, une bactériémie, une infection des parties molles ou une infection osseuse. Le choix de la daptomycine était empirique dans 42 % des cas. La durée de traitement est allée jusqu’à 110 jours (médiane : 14 jours) et tendait à augmenter au cours de la période d’étude. L’incidence d’élévation des CPK a été de 2,6 %. Le taux global de succès clinique a été de 76 % et significativement plus élevé avec les fortes doses qu’avec les doses conventionnelles dans le cas des endocardites du cœur gauche. Les données pharmacocinétiques relatives à l’administration de fortes doses de daptomycine sont encore limitées. Des prélèvements sanguins pour le dosage de la concentration de daptomycine 30 minutes, 1 h, 2 h, 4 h, 8 h, 12 h et 24 h après l’administration de la première dose et jusqu’à 96 h ont été réalisés chez 46 patients hospitalisés pour des infections graves à Gram positif [26]. Trente d’entre eux ont reçu une dose quotidienne de daptomycine conventionnelle, entre 4 et 6 mg/kg, 16 une dose élevée, de 8 à 10 mg/kg. Huit patients avaient une épuration extra-rénale. L’aire sous la courbe des concentrations sur 24 heures était en moyenne de 352,5 dans le premier groupe contre 539,3 dans le second (p < 0,05) et la concentration maximale de 44,9 contre 77,9 (p < 0,05). Parmi les patients en épuration extra-rénale, ceux qui bénéficiaient d’une hémodiafiltration veino-veineuse continue ou d’une hémofiltration sur membrane de haute perméabilité avaient des concentrations plasmatiques de daptomycine significativement plus faibles que les sujets en hémodialyse continue ou conventionnelle, justifiant dans cette population le recours à des doses élevées de daptomycine. Dans une étude rétrospective multicentrique [27], tous les cas d’infection à entérocoque traités par la daptomycine à forte dose (> 6 mg/kg/j) ont été revus, à l’exclusion des patients hémodialysés.
L’analyse porte sur 102 observations : E. faecium (74 %), E. faecalis (13 %), Enterococcus spp (11 %), résistants à la vancomycine (ERV) dans 83 % des cas. La posologie de daptomycine la plus fréquemment utilisée a été de 8 mg/kg/j (jusqu’à 10) et la durée médiane de traitement de 12 jours (6-16). Une issue clinique favorable a été obtenue dans 86 % des cas, avec éradication bactériologique documentée dans 92 % des cas. Aucune interruption du traitement n’a eu lieu en raison d’effets indésirables.
6. Traitement par la daptomycine des infections à Gram positif chez le sujet neutropénique Le registre Eucore comporte 259 observations d’infections à Gram positif traitées par la daptomycine dans un contexte de neutropénie, dont près de la moitié avec neutropénie profonde (PNN < 100/mm3) au début du traitement [28]. Parmi les 159 cas avec documentation bactériologique, un staphylocoque à coagulase négative (SCN) a été isolé dans 45 % des cas, S. aureus 21 %, dont la moitié de SARM, entérocoque 8 %. Le taux de succès clinique global a été de 76 % ; 86 % pour les SCN, 73 % pour S. aureus (75 % pour les SARM) et 63 % pour les entérocoques. Le taux de succès a été similaire quel que soit le degré de neutropénie et le traitement a été bien toléré (un seul cas d’augmentation cliniquement significative des CPK). Du fait de son pouvoir bactéricide élevé, la daptomycine est, selon les auteurs, une bonne option thérapeutique chez le sujet neutropénique avec infection à Gram positif suspectée ou démontrée, qu’il s’agisse de bactériémies, d’infection des tissus mous, d’infection osseuse ou d’endocardite.
7. Daptomycine en réanimation et au cours de l’insuffisance rénale Chez les patients de réanimation soumis à une épuration extrarénale intermittente, la posologie de daptomycine habituellement
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recommandée est de 6 mg/kg toutes les 48 heures. Des données pharmacocinétiques recueillies chez 14 patients montrent que ce schéma conduit à des concentrations plasmatiques insuffisantes chez les patients avec épuration extra-rénale continue [29]. L’administration de la daptomycine toutes les 24 h à une dose comprise entre 3 et 8 mg/kg aboutit à des concentrations résiduelles équivalentes à celles observées chez des volontaires sains, mais les pics sont significativement plus faibles, avec une grande variabilité d’un patient à l’autre. La diminution des concentrations maximales pourrait être liée à l’augmentation du volume de distribution chez les patients en situation critique. Chez les patients de réanimation soumis à une épuration extrarénale continue, la clairance de la daptomycine se révèle équivalente à celle des sujets à fonction rénale normale. L’hémodialyse est associée à un risque d’infection invasive à SARM multiplié par 100, ce qui représente un enjeu thérapeutique important. Le registre Eucore contient 207 observations de traitement par la daptomycine chez des patients en hémodialyse [30]. Deux patients sur trois avaient reçu auparavant une autre antibiothérapie (bêta-lactamine ou glycopeptide), interrompue le plus souvent en raison d’un échec thérapeutique. La daptomycine a été administrée le plus souvent toutes les 48 heures, pendant une durée allant jusqu’à 85 jours. Le taux de succès a été de 71 % globalement, 88 % dans les ostéomyélites (8 cas seulement) et 79 % dans les bactériémies (92 cas). Le taux de CPK est resté normal dans 63 % des cas évaluables et son élévation n’a jamais justifié l’interruption du traitement.
8. Association de daptomycine et de cloxacilline dans un modèle expérimental Un modèle expérimental d’infection à SARM sur corps étranger chez le rat a été utilisé pour tester l’association de daptomycine (dose équivalente à 10 mg/kg/j chez l’homme) et de cloxacilline ou de rifampicine [31]. Les expériences ont été effectuées en phase exponentielle de croissance avec un inoculum standard (105 UFC/ml) ou élevé (107 UFC/ml) et en phase stationnaire. L’association de daptomycine et de cloxacilline a fait preuve d’une synergie bactéricide in vitro dans les trois situations. Les concentrations minimales bactéricides étaient plus élevées pour les bactéries en phase stationnaire qu’en phase exponentielle. In vivo, l’association daptomycine + rifampicine s’est montrée la plus active, l’association daptomycine + cloxacilline étant elle aussi supérieure à daptomycine seule.
9. Verrou antibactérien sur cathéter Les SCN sont la première cause de bactériémie associée aux cathéters. L’efficacité de la technique du verrou antibiotique n’est pas constante et les modalités d’application restent controversées. Une équipe espagnole a comparé plusieurs types de verrous dans un modèle de cathéter infecté avec deux souches distinctes de SCN : daptomycine seule (DAP, 5 mg/ml dans une solution de Ringer lactate), teicoplanine seule (TEC, 5 mg/ml), DAP ou TEC
5
associée à la gentamicine (2,5 mg/ml), à la lévofloxacine (2,5 mg/l) à la clarithromycine (5 mg/ml) ou à l’éthanol à 70 % [32]. Le témoin était une solution de tampon phosphate. Le nombre de CFU/ml a été décompté à 0, 4, 8, 24, 48, 72 et 96 h. La persistance du biofilm a été évaluée à 0, 72 et 96 h par microscopie électronique à balayage. Toutes les combinaisons d’antibiotiques ont abouti à une réduction significative du nombre de colonies bactériennes à 72 h. La DAP seule s’est montrée significativement supérieure à la TEC (p < 0,001) et seule la DAP s’est montrée capable de diminuer le nombre de CFU bactériennes en dessous du seuil de détection à 72 h. En revanche, la croissance bactérienne a repris après élimination du verrou. Seule la combinaison de DAP et d’éthanol a permis d’éradiquer le biofilm tout en empêchant la repousse bactérienne après le retrait de la solution verrou. Un essai clinique de l’association DAP-éthanol semble justifié.
10. Nouvelles méthodes en bactériologie L’effet post-antibiotique (EPA) et l’EPA sous la CMI (EPA-SC) sont des paramètres pharmacodynamiques importants pour l’optimisation du schéma d’administration des antibiotiques. La méthode de référence pour l’évaluation de l’EPA est la numération des bactéries viables, qui est de mise en œuvre délicate et demande beaucoup de temps. Une équipe suisse a développé une nouvelle méthode microcalorimétrique fondée sur la production de chaleur par les bactéries en croissance [33]. Appliquée à la vancomycine et la daptomycine, deux molécules pour lesquelles l’importance de l’EPA est bien établie, la méthode aboutit à des résultats très bien corrélés à ceux de la méthode conventionnelle de numération des bactéries survivantes et parfaitement reproductibles. Avec la vancomycine, la durée de l’EPA est de 1,5 h environ pour toutes les souches testées. Avec la daptomycine, elle est d’environ 4,5 pour S. aureus et de 13,2 h pour E. faecalis. Conflits d’intérêt M. Lenoble : aucun. Références [1]
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