© Masson, Paris, 2005
REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 4 - 4S10-4S13
ONCOLOGIE THORACIQUE
Traitement médical du mésothéliome pleural malin. Place du Pemetrexed dans la stratégie actuelle J. MARGERY Service des Maladies Respiratoires, Hôpital d’Instruction des Armées, Percy-Clamart.
L
e mésothéliome malin de la plèvre (MPM) ne doit plus être considéré comme une affection rare et sans perspective thérapeutique. En France, l’incidence du MPM augmente de 10 % chaque année et elle sera maximale en 2030 avec un pic de 1300 nouveaux cas. Jusque dans les années 90, le MPM était jugé chimiorésistant avec un pronostic dépendant davantage de facteurs généraux (sous-type histologique, sexe, état général, anomalies de l’hémogramme) que des traitements réellement mis en œuvre. Tranchant avec un nihilisme thérapeutique jusqu’alors prévalent, l’approche du MPM est désormais plus volontaire.
DES CHIMIOTHÉRAPIES ACTIVES DANS LE MÉSOTHÉLIOME PLEURAL MALIN Le MPM a été longtemps jugé chimiorésistant, jusqu’en 1999 et la méta-analyse de Berghmans et al. [1]. Dans ce travail portant sur un effectif de 1467 patients issus de 53 essais, le cisplatine apparaît comme le médicament référent avec un taux de réponse variant entre 18 % en monothérapie, et 26 % en association avec l’adriamycine. L’émergence des antifolates (la gemcitabine, le raltitrexed et plus récemment le pemetrexed) a constitué un tournant dans la chimiothérapie du MPM [2]. L’association gemcitabine (1000 mg/m2)-cisplatine (80 mg/m2) a été évaluée dans seulement 3 essais de phase II. Dans un premier essai australien sur 21 patients, le taux de réponse a atteint 48 % avec une médiane de survie de 10 mois [3]. Ces résultats quasi spectaculaires n’ont jamais pu être reproduits par la suite. La même équipe australienne a retrouvé un taux de réponse moindre de 33 % dans une série de 53 patients. L’essai de phase II multicentrique européen a montré des
résultats encore plus faibles avec un taux de réponse égal à 16 %. Malgré l’absence d’essai de phase III, l’association gemcitabine-cisplatine a été alors considérée par de nombreux auteurs comme le doublet de référence. L’association de la gemcitabine avec un autre sel de platine n’a également jamais fait l’objet d’une étude randomisée. Pourtant, l’oxaliplatine et le carboplatine offrent des potentialités encourageantes suggérées par des taux de réponse respectifs de 40 % et 26 %. Le raltitrexed a montré en monothérapie (3 mg/m2) dans une étude de phase II multicentrique portant sur un effectif de 24 patients non pré-traités, un taux de réponse de 21 % et une médiane de survie de 7 mois, au prix d’un profil de toxicité tout à fait acceptable. Le schéma raltitrexed (3 mg/m2)-oxaliplatine (130 mg/m2) tous les 15 jours a été plus particulièrement évalué par l’Institut Gustave Roussy. Un essai de phase I a été conduit chez 17 patients, dont 4 avaient reçu un traitement préalable ; le taux de réponse observé était de 35 % et la médiane de survie s’élevait à 13 mois. Dans une seconde étude, cette fois de phase II, l’évaluation de la réponse tumorale a été possible chez 57 des 72 patients inclus ; le taux de réponse était de 20 %, le taux de stabilisation de 46 % et la médiane de survie de 8 mois [4]. Une étude de phase III randomisée menée conjointement sous l’égide de l’EORTC et du NCIC a été réalisée dans le but de comparer l’association raltitrexed (3 mg/m2)cisplatine (80 mg/m2) au cisplatine seul, chez 250 patients n’ayant pas reçu de traitement préalable [5]. Les premiers résultats ont été rapportés en 2004 et montrent que le taux de réponse était de 23 % avec l’association versus 14 % avec le cisplatine en monothérapie. La médiane de survie était supérieure dans le bras raltitrexed-cisplatine, soit 11,2 mois versus 8,8 mois avec le cisplatine seul. Concernant la survie médiane, la différence
TRAITEMENT MÉDICAL DU MÉSOTHÉLIOME PLEURAL MALIN. PLACE DU PEMETREXED DANS LA STRATÉGIE ACTUELLE
n’était pas statistiquement significative, mais à la limite du seuil (p = 0,06), peut être du fait d’un manque de puissance de l’étude. Le pemetrexed est un antimétabolite multicible original car il inhibe simultanément 3 sites enzymatiques, interférant à la fois dans la synthèse des bases puriques et pyrimidiques, et parce qu’il présente un profil de toxicité vitamino-dépendant et corrélé à l’homocystéïnémie. En monothérapie, le pemetrexed a montré dans une étude de phase II un taux de réponse modeste de 14 % chez 64 patients. Puis, 2 autres essais ont suggéré qu’il était possible d’améliorer significativement l’activité antitumorale du pemetrexed en le combinant au cisplatine ou au carboplatine. C’est sur ce rationnel qu’une vaste étude de phase III randomisée a été mise sur pied, qui constitue le fait le plus marquant dans l’histoire de la chimiothérapie du MPM : l’étude EMPHACIS [2]. Cette étude multicentrique internationale de phase III randomisée est remarquable sur bien des points : c’est la plus grande étude jamais réalisée à ce jour et c’est la première à avoir démontré que la chimiothérapie améliore la survie des sujets porteurs de MPM. Le but de l’étude était de comparer l’association pemetrexed-cisplatine au cisplatine en monothérapie, dans une randomisation en simple insu, stratifiée entre autres selon le sexe, le soustype histologique, la leucocytose, l’homocystéinémie, la dyspnée et le niveau des manifestations douloureuses. Le critère de jugement principal était la survie globale. Les critères de jugement secondaires étaient le délai jusqu’à progression, le délai avant échec du traitement, la durée de la réponse, le taux de réponse, le score LCSS, le bilan de la fonction pulmonaire, la toxicité. L’injection du cisplatine (75 mg/m2) suivait l’administration soit de 500 mg/m2 de pemetrexed soit d’un volume égal de sérum physiologique, toutes les 3 semaines. La survenue d’un excès de toxicité dans le bras pemetrexed a justifié un amendement au protocole pour permettre la mise en place d’une supplémentation vitaminique associant de la vitamine B12 et de l’acide folique. En 2 ans, 448 patients ont été traités : 226 dans le bras pemetrexed-cisplatine et 222 dans le bras cisplatine seul, avec une répartition stratifiée pour garantir une répartition équilibrée des facteurs pronostiques indépendants que sont le sous-type histologique, le stade de la maladie, le sexe, le performance status. Les résultats montrent une efficacité de l’association pemetrexed-cisplatine par rapport au cisplatine seul. Sur l’ensemble des patients (sans tenir compte des modalités de la supplémentation vitaminique), la médiane de survie est significativement augmentée
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(12,1 mois vs 9,3 mois, p = 0,02), ainsi que le temps médian jusqu’à progression (p = 0,001), en faveur du bras pemetrexed-cisplatine. Le taux de réponse objective est également significativement supérieur dans le bras pemetrexed-cisplatine (41,3 vs 16,7 %, p < 0,001) et atteint 45,5 % chez les patients complètement supplémentés ; ce taux de réponse a été validé après expertise par un panel indépendant. Le bénéfice du pemetrexed est encore significatif en termes de contrôle des symptômes comme les douleurs (intensité et consommation d’antalgiques) et la dyspnée attestée par une amélioration de la fonction respiratoire au bout de 4 cycles. La qualité de vie évaluée selon l’échelle Lung Cancer Symptoms Scale est significativement améliorée chez les patients après 6 cycles contenant du pemetrexed. Ces résultats d’efficacité sont améliorés par la supplémentation vitaminique. En effet, chez les patients totalement supplémentés la survie globale est de 13.3 mois vs 10 mois (p = 0,051) et le temps médian jusqu’à progression de 6,1 mois vs 3,9 mois (p = 0,008) Le profil de tolérance est en revanche moins favorable que dans le bras cisplatine seul, mais reste acceptable si la supplémentation vitaminique a été mise en route. Les principales toxicités sont hématologiques (notamment sur la lignée granuleuse, rouge et plaquettaire) ; au niveau extrahématologique, peu de toxicités sont rapportées. Dans le sous-groupe pemetrexed-cisplatine non supplémenté il a été observé 3 décès toxiques sur 32 patients contre 0 décès toxiques chez les patients supplémentés. La supplémentation vitaminique est donc indispensable et permet de diminuer d’un facteur 2 la survenue de toxicité hématologique de grade 3-4. Ces résultats ont permis de faire de l’association pemetrexed-cisplatine avec supplémentation vitaminique le traitement de première ligne du MPM.
VERS UNE APPROCHE MULTIMODALE Parce qu’aucune modalité thérapeutique n’a pu isolément infléchir l’évolution inéluctablement fatale du MPM, le concept d’une attitude maximaliste associant chimiothérapie, chirurgie et radiothérapie s’est développé, dans l’espoir d’apporter une chance de guérison [6]. De nombreuses combinaisons thérapeutiques ont été évaluées et celle qui semble se dégager est l’association chimiothérapie néoadjuvante-pleuropneumonectomie élargie-radiothérapie externe adjuvante. Cette approche est encouragée par plusieurs équipes nord américaines [7]
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et plus récemment l’équipe suisse de Weder [8], mais pour l’heure aucune étude n’a permis de valider de bénéfice en termes de survie. L’évaluation du traitement multimodal peut être réalisée soit dans le cadre d’un essai de phase II de faisabilité, alors réservé à des sujets hautement sélectionnés, soit dans le cadre d’essais de phase III randomisant au choix chacune des modalités thérapeutiques. En Grande Bretagne, c’est l’option d’une vaste étude de phase III randomisant la chirurgie après une chimiothérapie néo-adjuvante par 3 cycles de gemcitabinecisplatine qui a été retenue : l’étude MARS (Mesothelioma And Radical Surgery). Les patients opérés bénéficient également d’une radiothérapie adjuvante de 54 Grays. Une étude préliminaire de phase II est programmée avec un objectif d’inclusion de 50 patients en 2 ans. Puis seulement alors, la phase III proprement dite sera ouverte avec l’objectif de rassembler 700 patients dans les 3 années suivantes. Le Groupe Mésothéliome Ile de France, plutôt favorable à une étude de phase II réservée à des patients hautement sélectionnés participera prochainement à un essai de faisabilité conduit sous l’égide de l’EORTC. Le traitement prévu associe 3 cycles néoadjuvants par l’association pemetrexed-cisplatine, puis une pleuro-pneumonectomie extra-pleurale suivie d’une radiothérapie externe. L’objectif principal est la faisabilité et l’analyse statistique est programmée sur un effectif attendu de 55 patients.
L’ÉMERGENCE DES BIOTHÉRAPIES CIBLÉES Dans l’espoir de pallier les insuffisances des approches conventionnelles combinant chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie, de nouvelles modalités thérapeutiques sont régulièrement évaluées. Nous limiterons notre propos aux traitements ciblés, sans aborder l’immunothérapie, la thérapie génique ou la vaccination [9, 10]. De nombreux facteurs de croissance favorisent le développement de la tumeur : Vascular endothelial growth factor (VEGF), Epidermal growth factor (EGF), Platelet-derived growth factor (PDGF). Dans le MPM, l’inhibition de ces voies de signalisation tumorale est en cours d’évaluation clinique mais les premiers résultats ne semblent pas à hauteur des espoirs suscités par les rationnels pré-cliniques. Même si les concentrations du VEGF sont élevées dans le MPM, ce rationnel pré-clinique séduisant n’a pas permis d’observer des résultats très encourageants dans les études portant sur les anti-VEGF :
SU 5416, Bevacizumab, Thalidomide. Le récepteur à l’EGF est surexprimé dans de nombreuses tumeurs et notamment dans 70 % des MPM, mais là encore le gefinitib et l’erlotinib se sont montrés décevants. Le STI 571 n’a pas fait mieux.
CONCLUSION Si les tendances épidémiologiques alarmistes se confirmaient, la place du MPM deviendrait de plus en plus grande en oncologie thoracique. Pour l’heure, les traitements conventionnels sont clairement insuffisants et rien ne semble capable d’enrayer le potentiel létal de ce cancer. Dans ce contexte, l’arrivée de l’association pemetrexedcisplatine constitue une avancée pour les patients atteints de MPM. Le développement des traitements alternatifs et des stratégies multimodales apportera peut-être un bénéfice. Le nihilisme thérapeutique n’est plus de mise mais l’optimisme qui lui succède doit encore rester prudent.
RÉFÉRENCES 1. Berghmans T, Paesmans M, Lalami Y, et al. Activity of chemotherapy and immunotherapy on malignant mesothelioma : a systematic review of the literature with meta-analysis. Lung Cancer 2002;38:111-21. 2. Vogelzang NJ, Rusthoven J, Symanowski J, et al. Phase III study of Pemetrexed in combination with cisplatin versus cisplatin alone in patients with malignant pleural mesothelioma. J Clin Oncol 2003;21:2636-44. 3. Byrne MJ, Davidson JA, Musk AW, et al. Cisplatin and gemcitabine treatment for malignant mesothelioma: a phase II study. J Clin Oncol 1999;17:25-30. 4. Fizazi K, Caliandro R, Soulie P, et al. Combination raltitrexed (Tomudex) – oxaliplatin: a step forward in the struggle against mesothelioma? The Institut Gustave Roussy experience with chemotherapy and chemo-immunotherapy in mesothelioma. Eur J Cancer 2000;36:1514-21. 5. Van Meerbeeck JP, Manegold C, Gaafar R, et al. A randomized phase III study of cisplatin with or without raltitrexed in patients with malignant pleural mesothelioma: an intergroup study of the EORTC Lung Cancer Group and NCIC [abstract]. Proc Am Soc Clin Oncol 2004:7021. 6. Sugarbaker DJ, Flores RM, Jaklitsch MT, et al. Resection margins, extrapleural nodal status, and cell type determine postoperative long-term survival in trimodality therapy of malignant pleural mesothelioma : results in 183 patients. J Thorac Cardiovasc Surg 1999;117:54-63.
TRAITEMENT MÉDICAL DU MÉSOTHÉLIOME PLEURAL MALIN. PLACE DU PEMETREXED DANS LA STRATÉGIE ACTUELLE
7. Flores RM, Krug L, Rosenzweig E, et al. Induction chemotherapy, extrapleural pneumonectomy and adjuvant hemithoracic radiation are feasible and effective for locally advanced malignant pleural mesothelioma. Proc Am Soc Clin Oncol 2004:7193. 8. Stahel RA, Weder W, Ballabeni P, et al. Neoadjuvant chemotherapy followed by extrapleural pneumonectomy for malignant pleural mesothelioma: a multicenter phase II
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trial of the SAKK. Proc Am Soc Clin Oncol 2004:7052. 9. Nowak AK, Lake RA, Kindler HL, Robinson BWS. New approaches for mesothelioma: biologics, vaccines, gene therapy, and other novel agents. Semin Oncol 2002;29:8296. 10. Martino D, Pass HI. Integration of multimodality approaches in the management of malignant pleural mesothelioma. Clinical Lung Cancer 2004;5:290-8.