Traitement psychothérapeutique des troubles mentaux à Madagascar

Traitement psychothérapeutique des troubles mentaux à Madagascar

L’Encéphale (2011) 37, S90—S91 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP LETTRE À LA RÉDACT...

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L’Encéphale (2011) 37, S90—S91

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

LETTRE À LA RÉDACTION

Traitement psychothérapeutique des troubles mentaux à Madagascar Psychotherapeutic management of mental disorders in Madagascar Maintes thérapies non pharmacologiques existent pour la prise en charge des troubles mentaux, c’est dans ce cadre que se situe la psychothérapie. La considération ethnodémographique a montré que la population de Madagascar est estimée à 20 millions d’habitants et est composée de 18 ethnies, ce qui fait de ce pays un mélange de microcultures sur lesquelles se sont greffées les civilisations africaines, franc ¸aises, anglaises et le christianisme. Cette complexité ethnologique va être comme un lit à la psychologie à Madagascar. Il est impossible d’envisager la santé mentale d’une population sans tenir compte du contexte socioculturel et des représentations de la folie, de la maladie ou de la santé mentale ayant cours dans cette société. Comme dans n’importe quelle société, occidentale ou africaine, la société malgache a développé ses propres conceptions et représentations des maladies en général, et de la folie, de la maladie mentale, en particulier. Le plus souvent ces dernières sont reconnues comme des maladies de l’esprit ou maladies surnaturelles, elles s’opposent aux maladies reconnues comme naturelles. Leur étiologie est attribuée le plus souvent à des actes de sorcellerie, à des possessions par des esprits mal intentionnés, au non respect des devoirs dus aux ancêtres, à la transgression de tabous, par exemple. Les traitements doivent être pratiqués en conséquence. Il s’agit de traitements complexes impliquant des sacrifices importants et la participation de toute la communauté villageoise, ce qui sous-entend une forte solidarité de la famille. Plus récemment, le mouvement du réveil malgache (Fifohazana), qui s’est fortement implanté dans la plupart des provinces, a apporté toute son attention aux personnes atteintes de troubles psychiques et actuellement de nombreux malades mentaux sont pris en charge dans les « Toby » ou « centres de réveil ». Au « centre de réveil » se déroule le mouvement de réveil malgache pratiqué par les « directeurs confessionnels ou Bergers », pour soigner certaines catégories de maladies : les maladies mentales, la possession démoniaque, les actes de 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.06.003

sorcellerie. Certes, ce mouvement est a priori critiquable car il se heurte à la conception médicale des maladies et des thérapeutiques psychiatriques. Mais il existe, et à notre avis, des effets bénéfiques tout comme ses inconvénients ne mériteraient pas d’être gardés sous silence. Son existence est fondée sur le fait que les Malgaches ont une conception propre des maladies mentales : punitions infligées par les ancêtres, consécutives à une violation ou transgression d’un tabou ; conséquence d’un envoûtement ; sorcellerie, possession démoniaque. À Madagascar, on dénombre historiquement quatre sites originels du mouvement « Réveil spirituel » situés dans les régions Sud de Madagascar. Dans chacun de ces foyers et à chaque époque, une personne bien identifiée a connu une expérience spirituelle individuelle qui l’a rapidement amenée à la foi. Les témoignages recueillis mentionnent que chacune de ces personnes a été touchée par le Saint Esprit et, après une transformation de son être, est passée d’une vie païenne à une vie chrétienne consacrée. L’expérience spirituelle régénératrice, par laquelle est passée chacune des personnes, l’a fait accéder au statut de leader spirituel initiateur du mouvement « Réveil spirituel ». Chaque leader a enseigné à son entourage (parents et/ou voisins) les préceptes d’une vie Chrétienne consacrée. Le noyau central de cet enseignement est constitué de quatre idées maîtresses : repentance ; délivrance ; salut ; vie consacrée. C’est ainsi qu’un nombre assez important de malades mentaux sont placés dans les « centres de réveil ». Il convient de comprendre que dans le mouvement « Réveil spirituel », ce qui est primordial et fondamental, c’est le salut de l’âme et que l’ennemi désigné de ce salut est Satan (l’adversaire). Ainsi, le traitement des malades mentaux placés dans un « centre de réveil » comprend essentiellement une bonne dose des actes spirituels suivants : prédication de la parole dispensée au cours des services religieux réguliers et dont l’objectif est d’indiquer la voie de la Rédemption ; séances (collectives ou individuelles) de prières ; imposition des mains. Cet ensemble de thérapies est constamment accompagné d’une action dite de délivrance au cours de laquelle tous les « directeurs confessionnels » du « centre de réveil », vêtus tous du blanc, chassent le diable. Certains travaux contemporains particulièrement, nord-américain, décrivent ces procédures culturelles de prise en charges de malades mentaux comme de véritables contraintes à un parcours thérapeutique [4].

Traitement psychothérapeutique des troubles mentaux à Madagascar Dans les « centres de réveil » qui disposent d’un nombre suffisant de « directeurs confessionnels », les malades sont relativement bien assistés dans leurs activités quotidiennes (toilette, ménage, divers petits travaux. . .). Pour un nombre réduit de « centre de réveil » (environ 5 à 8 %), un médecin généraliste passe de fac ¸on épisodique pour examiner les malades et prescrire, le cas échéant, un traitement médicamenteux. De nombreux auteurs soulignent que les maladies mentales ne peuvent être abordées sans contexte socioculturel, à Madagascar, cette conception se retrouve dans les « centres de réveil ».

Les avantages suivants sont évidents L’existence de la commodité pour les familles des malades qui sont pour un temps déchargées des poids des soucis et des assistances à prodiguer à un patient gardé à domicile. Les coûts des placements sont modérés : versement d’une pension alimentaire par mois. Les malades bénéficient d’un climat socio-humain très favorable. Les intervenants, dans les « centres de réveil », s’acquittent de leur tâche avec un divinement exemplaire et selon une éthique bien comprise. D’un autre côté, des recherches ont suggéré l’influence particulière, de certains groupes d’individus, de personnes [1], du fait de leur position stratégique dans la société sur la vie des patients et la diffusion des représentations culturelles (tels les religieux, les hommes politiques).

Les aspects négatifs peuvent être observés Certaines familles de malades, croyant avoir bien fait de placer leurs parents dans un établissement d’accueil où les pratiques de traitement sont religieuses et charitables, ne se sentent plus impliquées dans ce traitement (d’où risque de rejet et/ou de marginalisation secondaire). Et cela facilite l’isolation des patients. L’isolation représente en effet un des mécanismes de défense mis en place par le public lorsqu’il est confronté à un malade mental [2]. Le diagnostic de « possession démoniaque » systématiquement proprement posé à l’endroit de nombreux malades mentaux est néfaste. Ainsi, l’information du public peut se

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faire suivant un modèle médical : « la maladie mentale est une maladie comme une autre ».Un tel message implique que les malades doivent être traités dans des établissements spécialisés, par des professionnels [5]. Il existe un risque permanent d’enkystement et/ou de chronicisation des pathologies mentales en raison, d’une part, de l’absence de diagnostic psychiatrique précis et/ou bien documenté, et d’autre part, de l’absence ou de retard de la mise en route d’une cure chimiothérapique adéquate. Pour conclure, néanmoins, cette conception socioculturelle malgache de la maladie mentale : possession démoniaque, sorcellerie dans laquelle une intention maléfique provoque par l’intermédiaire d’un procédé magique le malheur de la personne persécutée [6], correspond à ce qu’affirme Foster dans son étude des systèmes étiologiques traditionnels [3]. Le Malgache a sa fac ¸on de considérer certaines pathologies, de les concevoir, de les traiter selon sa culture, ses tabous et, sa capacité d’adaptation, d’aptitude, à l’acquisition des civilisations introduites à Madagascar.

Références [1] Bentz WK, Edgerton JW. Arch Gen Psychiatry. Haematologica 1978;135:174—7. [2] Cumming E, Cumming J. Closed ranks: an experiment in mental health. Cambridge: Harvard Univ. Press, ed.; 1957. [3] Foster GM. Disease aetiologies in non Western Medical Systems. Am Anthropologist 1976;78:773—82. [4] Janzen JM. La quête de la thérapie au Bas Zaïre. Paris: Karthala; 1995. [5] Scheid F, Raveau F. Représentations sociales de la maladie mentale. Paris, France: Édition techniques-Encycl Med Chir: Psychiatrie 37725E 10 ; 1991, p. 5. [6] Tousignant M et Habimana E. Émotion et culture. Paris, France : Éditions techniques-Encycl Med Chir, Psychiatrie 37715A 20; 1993, p. 5.

A. Raharivelo III-H, 35, ter Ouest Ambohijanahary, 101, Antananarivo, Madagascar Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 14 aoˆ ut 2010