Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 115-22 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800002859/FLA
Réunion de neuroanesthésie
Traitements antiépileptiques dans les lésions cérébrales : quelles sont les indications et les principales attitudes pratiques ? M. Lemesle-Martin* Laboratoire d’exploration du système nerveux, service de neurologie, Hôpital Général, 3, rue du faubourg Raines, 21000 Dijon, France
RE´SUME´ Le but de cet article est de déterminer les indications et les modalités pratiques d’utilisation des antiépileptiques chez les patients atteints d’une lésion cérébrale. Après revue de la littérature, les principales attitudes en situation d’urgence, en traitement de fond ou en prophylaxie sont rapportées. Le traitement d’urgence de la crise épileptique ou de l’état de mal est bien codifié et rapporté dans cet article. L’attitude thérapeutique dans les suites d’une première crise épileptique ou vis-à-vis d’un traitement anticonvulsivant prophylactique, chez un patient souffrant d’une lésion cérébrale reste controversée. En fonction du type de lésion cérébrale : séquelle de traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral, malformation artérioveineuse ou tumeur cérébrale, et de ses risques épileptogènes, la mise en route d’un traitement antiépileptique après une première crise ou en prophylaxie est discutée. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS crise épileptique / état de mal épileptique / lésion cérébrale / prophylaxie / traitement antiépileptique
ABSTRACT Antiepileptic drugs in cerebral lesions: What are the indications and the main practical uses? The aim of this report is to review the indication and the practical use of the antiepileptic drugs in patients with cerebral lesions. The use of antiepileptic drugs to treat seizure or status epilepticus in an emergency is well catalogued and reported in this paper. Practical use of antiepileptic drugs, after a first seizure or to prevent a seizure, in patients *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Lemesle-Martin). Travail présenté aux XXIIes Journées de l’Association de neuroanesthésie-réanimation de langue française, Dijon, 23-24 novembre 2000.
with a cerebral lesion, is controversial. The question of antiepileptic drugs in seizures and in prophylaxis is discussed in different types of cerebral lesions: head injury, stroke, cerebral arteriovenous malformation and cerebral tumour. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS antiepileptic drug / cerebral lesion / prophylaxis / seizure / status epilepticus
Le traitement des crises épileptiques lésionnelles doit s’inscrire dans une réflexion épileptologique, en dehors d’un contexte d’urgence ou d’état de mal. Le choix de l’attitude thérapeutique la plus adaptée repose sur plusieurs étapes préalables indispensables. Le diagnostic de crises épileptiques et/ou d’état de mal doit être posé à l’aide d’un interrogatoire minutieux du patient et de son entourage, visant à décrire avec précision la crise. Les données de l’électroencéphalogramme sont évaluées en tenant compte du contexte lésionnel. Les malaises d’origine non épileptique doivent être exclus (phénomènes paroxystiques non épileptiques, malaises pseudo-épileptiques, etc.). La nature épileptique des crises étant retenue, il faut identifier le type d’épilepsie dont souffre le patient. Il faut distinguer une crise symptomatique aiguë, survenant dans un contexte d’agression cérébrale aiguë, des crises entrant dans le cadre d’une épilepsie symptomatique. Il faut déterminer le lien entre la lésion cérébrale et les crises épileptiques.
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Ces étapes franchies, l’attitude thérapeutique la plus adaptée est proposée au patient en fonction du contexte clinique, du type de lésion et de sa localisation. En situation d’urgence, le traitement de la crise ou de l’état de mal tonicoclonique (EMTC) est bien codifié quelle que soit l’étiologie en cause. En revanche, l’attitude adoptée vis-à-vis d’un traitement antiépileptique au long cours, soit dans les suites d’une première crise sur lésion, soit à visée prophylactique varie en fonction des pratiques cliniques. Après avoir cité les pratiques habituelles de certains auteurs, nous essaierons de préciser les attitudes qui nous semblent le mieux adaptées en fonction de la lésion cérébrale dont souffre le patient. TRAITEMENTS D’URGENCE Mesure d’urgence devant une crise convulsive Devant la survenue d’une crise tonicoclonique, il est inutile d’essayer d’arrêter par des manœuvres de contention le déroulement de la crise. La mise en place d’un objet entre les arcades dentaires peut être nuisible en raison de l’efficacité relative de cette mesure pour prévenir la morsure jugale ou linguale. Par ailleurs, les risques encourus par le patient (exacerbation du réflexe nauséeux avec risque de vomissements, lésions dentaires et vélopharyngées) et par l’intervenant (morsure) ne sont pas négligeables. Les seules mesures véritablement utiles sont d’une part la protection contre les chocs pendant la chute et la phase clonique, et d’autre part la mise en position latérale de sécurité pendant la période d’obnubilation post-critique, afin de maintenir la perméabilité des voies aériennes supérieures et de prévenir une inhalation. Cette mesure est complétée par une évaluation de l’état hémodynamique (fréquence cardiaque, pression artérielle), respiratoire (reprise d’une respiration efficace, auscultation cardiopulmonaire) et neurologique (recherche de signes de localisation) [1]. La traditionnelle injection de benzodiazépines ne semble pas justifiée après une crise isolée. Au décours du deuxième épisode critique, afin de prévenir la récurrence des crises, une injection intramusculaire de 10 mg de diazépam peut être complétée par une injection prudente de 5 mg de diazépam par voie intraveineuse lente chez un adulte jeune avec une fonction respiratoire normale. L’administration de
diazépam par voie rectale est une option tout aussi efficace et qui présente l’avantage d’une totale innocuité. Traitement d’urgence de l’état de mal tonicoclonique L’état de mal épileptique met en jeu le pronostic vital. Un décès ou des séquelles neurologiques s’observent chez 30 % des adultes, dans les six mois qui suivent un premier état de mal. Elles sont la conséquence des complications de l’état de mal, des effets secondaires des traitements, ou de la progression de la maladie sous-jacente. De multiples formes cliniques d’état de mal sont décrites. Les plus graves sont les EMTC généralisés. Les différentes étapes du traitement de l’état de mal épileptique chez l’adulte sont rapportées dans le tableau I. Plusieurs principes doivent guider le traitement. Les crises doivent être contrôlées le plus vite possible et toujours avant la trentième minute. Les médicaments doivent être injectés par voie veineuse et à doses suffisantes. L’injection combinée et simultanée d’une benzodiazépine (diazépam ou clonazépam, action immédiate mais brève) et de phénytoïne ou de fosphénytoïne (action retardée d’une quinzaine de minutes, mais prolongée) demeure dans la plupart des cas le traitement de première intention. Cette thérapeutique combine les avantages de l’efficacité et de la faible innocuité car elle respecte la vigilance. En cas d’échec de cette thérapeutique, l’injection de phénobarbital garde tout son intérêt, au prix d’une sédation et d’une dépression respiratoire qui imposent parfois l’intubation trachéale. Les états de mal, secondaires à un sevrage en antiépileptiques (phénobarbital en particulier), réagissent souvent de façon très rapide à la réadministration du produit sevré. Le traitement du facteur étiologique est une condition essentielle à l’efficacité thérapeutique. La conjonction de plusieurs facteurs épileptogènes n’est pas inhabituelle. Il importe donc, une fois la cause principale déterminée, de rechercher et de traiter des facteurs secondaires de pérennisation. Le traitement des EMTC réfractaires comporte une anesthésie générale, qui peut être assurée par le thiopental (Nesdonalt), ou le phénobarbital en perfusion continue. Dès que l’EMTC est contrôlé, il faut instaurer un traitement d’entretien par voie orale, en dose de charge, étroitement contrôlé les jours suivants par des dosages plasmatiques répétés, puis réévaluer l’épilepsie.
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Tableau I. Traitement d’urgence de l’état de mal tonicoclonique (EMTC), d’après Thomas [1]. Vérifier le diagnostic d’EMTC (observer au moins une crise) • Crises en série : présence d’une altération de la conscience entre les crises • Crise continue dont la durée est supérieure à 5 minutes • Forme clinique : EMTC généralisé d’emblée ; EMTC généralisé secondairement • État hémodynamique : canule de Mayo, O2 = 10 L·min–1, voire assistance respiratoire Mettre en place une voie veineuse • Voie veineuse centrale ou voie veineuse périphérique de fort calibre • Bilan : numération formule sanguine, vitesse de sédimentation, ionogramme plasmatique, dosages plasmatiques des antiépileptiques, recherche de toxiques, gazométrie artérielle, enzymes musculaires • Électrocardiogramme puis monitorage cardiorespiratoire • Électroencéphalogramme et monitorage continu si possible Amorcer la perfusion par • Sérum salé isotonique + 50 mL sérum glucosé 30 % Injecter immédiatement (temps 0) • Une ampoule à 10 mg de diazépam en 3 minutes ou • Une ampoule à 1 mg de clonazépam en 3 minutes • Si échec, répéter une seule fois • Prudence si sujet âgé et si insuffisance respiratoire Mettre en place immédiatement après • Fosphénytoïne (FOS) ou phénytoïne (PHT), 20 mg·kg–1 d’équivalent-PHT (E-PHT), sans dépasser 150 mg·min–1 pour FOS, sans dépasser 50 mg·min–1 pour PHT soit, pour un adulte de 75 kg : 3 flacons de Prodilantint (500 mg E-PHT) en 10 min ; ou 6 flacons de Dilantint (250 mg PHT) en 30 minutes • Contrôler la tension artérielle toutes les 5 minutes • PHT/FOS contre-indiquées si cardiopathie ischémique sévère, bradycardie, BAV du 2e et 3e degré Si les crises persistent après 20 minutes • Phénobarbital 20 mg·kg–1 à la seringue électrique, sans dépasser 100 mg·min–1, soit, pour un adulte de 75 kg, 1 500 mg de phénobarbital en 20 minutes (7,5 ampoules de Gardénalt 200 mg dans une seringue en verre) • Si nécessaire, sonde gastrique, intubation trachéale et ventilation assistée Si les crises persistent après 40 minutes • Thiopental (Nesdonalt), 5 mg·kg–1 en bolus puis 5 mg·kg–1·h–1 • Changer la voie veineuse (risque de précipitation avec PHT). Si impossible, bien purger la tubulure de perfusion • Sonde gastrique, intubation trachéale et ventilation assistée sont obligatoires Ultérieurement • Dès que les crises sont contrôlées, rechercher et traiter le facteur étiologique principal • Si absence de facteur étiologique : scanographie cérébrale en urgence, ponction lombaire après scanographie si fièvre • Contrôler l’évolution ultérieure sur la clinique et l’EEG (enregistrement continu si possible)
Chez l’enfant et le nourrisson, les doses seront adaptées au poids de l’enfant (tableau II). Avant l’âge de deux ans, une injection intraveineuse de 100 mg de pyridoxine est systématiquement réalisée en l’absence d’étiologie évidente à l’EMTC [1, 2]. INDICATION DU TRAITEMENT DES CRISES ÉPILEPTIQUES Plusieurs facteurs vont intervenir dans la genèse des crises épileptiques à partir d’une lésion cérébrale : la localisation et la nature de la lésion sont les deux principaux facteurs. Des facteurs génétiques et environnementaux ou contextuels (intoxication éthylique, dette de sommeil, prise de psychotropes, etc.) peuvent aussi influencer la survenue des crises.
Entre les différentes équipes médicales ou chirurgicales concernées par la prise en charge de ces patients, les modalités pratiques varient beaucoup et aucun consensus n’est établi pour le traitement des crises épileptiques. La conduite à tenir thérapeutique proposée prendra en compte deux critères principaux : le type de crise (crise symptomatique aiguë ou épilepsie symptomatique) et le risque de récidive lié à la lésion. Le traitement antiépileptique est préconisé dès la première crise dans les cas où le risque évalué de récidive est important. Il devra toujours débuter par une monothérapie. Le choix de l’antiépileptique dépend du type de crises, de son efficacité, de la fréquence des effets secondaires, des interactions médicamenteuses potentielles connues, des contraintes
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Tableau II. Prise en charge des états de mal convulsifs chez l’enfant et le nourrisson. Stade clinique
Démarche thérapeutique
Crise prolongée ou crises en série (< 30 min)
– Assurer la liberté des voies aériennes – Surveillance des fonctions vitales – Noter la sémiologie des crises – Rechercher une cause et un facteur déclenchant – Administrer : • diazépam intrarectal : 0,5 mg·kg–1 à renouveler 1 fois puis • diazépam IV lent : 0,5 mg·kg–1 ou midazolam IV lent : 0,2 mg·kg–1
État de mal avéré (> 30 minutes)
– Mettre en place une voie d’abord veineux – Assurer les fonctions vitales (intubation si besoin) – Corriger les désordres métaboliques (hypoglycémie, hypocalcémie, acidose...) – Traiter la cause (méningite, encéphalite…) – Sans cause évidente (avant 2 ans) : pyridoxine (100 mg IV) – Si échec, administrer à nouveau : diazépam IV lent : 0,5 mg·kg–1 ou midazolam IV lent : 0,2 mg·kg–1 – Persistance de crises et selon le type de crises : • crises partielles : → phénytoïne IV 15 mg·kg–1 puis maintenir un taux de 20 mg·L–1 • crises généralisées : → clonazépam IV continu (0,5 mg·kg–1/6h) ou phénobarbital hydrosoluble IM (dose de charge 10 mg·kg–1)
État de mal réfractaire (> plusieurs heures)
– Surveillance en unité spécialisée – EEG répétés ou continus si possible – Demander un avis neurologique si possible – Changer pour (selon les traitement déjà utilisés) : phénytoïne, phénobarbital, clonazépam, diazépam, midazolam, valproate IV – Persistances de crises convulsives : • sous ventilation assistée et contrôle tensionnel continu, anesthésie générale par thiopental IV continu (50 mg·kg–1·h–1) • si curarisation est nécessaire, l’enregistrement continu de l’EEG est indispensable
liées au médicament (nombre de prises, prise de sang), de la condition socio-économique du patient et des habitudes de prescription du médecin. Il sera introduit par paliers de trois à sept jours pour éviter les effets sédatifs liés à une dose initiale trop importante. En première intention, une monothérapie par carbamazépine (CBZ), valproate de sodium (VPA) ou gabapentine (GBP) est proposée. Les monothérapies de substitution utilisent la CBZ, le VPA, la GPB et la lamotrigine (LTG). La bithérapie s’avère indispensable lorsque les crises persistent en dépit des médications successives utilisées à posologie optimale. La première molécule utilisée est associée en première intention avec CBZ, VPA, GBP, LTG, ou avec le topiramate et en seconde intention avec, la tiagabine, le vigabatrin, le phénobarbital, la phénytoïne. L’inefficacité d’une monothérapie ou d’une bithérapie bien conduite doit faire évoquer un défaut de compliance du patient. Si les dosages plasmatiques se révèlent satisfaisants, il conviendra d’instituer une polythérapie. Il faut cependant signaler que les polythérapies sont génératrices de toxicité additive,
d’interactions médicamenteuses, d’erreurs de posologie et de mauvaise compliance. Lorsque l’épilepsie n’est pas contrôlée par un traitement médicamenteux, l’indication d’une résection chirurgicale semble justifiée si elle est possible. INDICATION DU TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE DES CRISES ÉPILEPTIQUES En période postopératoire ou après un traumatisme crânien, toutes les lésions cérébrales peuvent entraîner des crises épileptiques et un état de mal épileptique. Cependant, il existe certains facteurs prédictifs de risque qui tiennent compte de la nature, du siège et de la gravité des lésions, des signes neurologiques accompagnateurs et du type d’intervention [3]. Les lésions considérées comme à haut risque d’épilepsie postopératoire ou post-traumatique sont présentées dans le tableau III. La nécessité d’un traitement antiépileptique prophylactique en période périopératoire ou posttraumatique reste actuellement un problème extrê-
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Tableau III. Lésions à haut risque d’épilepsie postopératoire ou post-traumatique. • Tumeurs malignes supratentorielles, atteintes vasculaires du territoire de l’artère cérébrale moyenne, abcès et méningiomes • Lésions siégeant au niveau du lobe frontal et/ou du lobe pariétal • Lésions corticales, hématomes • Traumatisme crânien ouvert, embarrure, effraction de la dure-mère • Troubles de la conscience prolongés ou amnésie de plus de 24 heures, un déficit neurologique moteur ou cognitif • Présence d’un œdème cérébral • Durée de l’intervention et importance des manipulations corticales peropératoires • Âge supérieur à 65 ans
mement controversé. Les résultats des différents travaux sont souvent contradictoires et ne peuvent être comparés entre eux du fait de nombreux problèmes méthodologiques (travaux le plus souvent rétrospectifs, sélection de patients avec des pathologies diverses, problème de sélection de groupe contrôle, problème de définition de l’épilepsie et de son délai de survenue, évaluation sur des patients ayant ou n’ayant pas de prophylaxie antiépileptique, absence fréquente du contrôle des concentrations sanguines d’antiépileptiques). De ce fait, il est très difficile de choisir une attitude systématique et souvent celle-ci découle des convictions et des habitudes personnelles. En général, la prophylaxie antiépileptique préopératoire suit les mêmes règles que la prophylaxie postopératoire précoce. La prophylaxie antiépileptique postopératoire précoce intervient dans les sept jours suivant l’intervention. Si la crise d’épilepsie survient pendant cette période, on parle d’épilepsie précoce. Le choix de mettre en route une prophylaxie antiépileptique dépend certes des facteurs de risque précédemment cités, mais aussi de la fréquence de survenue d’épilepsie en fonction des lésions. Globalement, la fréquence de l’épilepsie postopératoire précoce est estimée à 10-30 % des patients [3]. Les auteurs qui préconisent un traitement prophylactique s’appuient sur des études rétrospectives et sur le fait que la fréquence des crises d’épilepsie est plus élevée dans la première semaine postopératoire [3-5]. Les auteurs qui ne conseillent pas de traitement antiépileptique prophylactique précoce s’appuient, le plus souvent, sur des travaux prospectifs randomisés avec groupe contrôle, qu’il s’agisse de la période postopératoire d’une pathologie tumorale, ou anévrismale, ou posttraumatique [6-8]. Une des critiques apportée à ces derniers résultats est l’absence fréquente de contrôle
des concentrations sanguines d’antiépileptique. Lorsqu’un traitement prophylactique périopératoire est effectué, le choix se fait le plus souvent entre phénytoïne et benzodiazépine, alors que les benzodiazépines pourraient être la molécule de choix pour ce type de prophylaxie de courte durée. La prophylaxie antiépileptique postopératoire tardive survient après la première semaine postopératoire ou post-traumatique. Les crises sont plus fréquentes dans les trois premiers mois avec un maximum au cours du premier mois postopératoire et apparaissent le plus souvent avant deux ans. Cependant, l’épilepsie peut s’observer dans les dix ans qui suivent le traumatisme ou l’intervention. La survenue de crises pré- et postopératoires immédiates est un facteur de risque supplémentaire [3]. Certains auteurs préconisent systématiquement un traitement antiépileptique prophylactique [5]. D’autres ne le conseillent que si le patient présente des facteurs de risque [7, 9]. Enfin, d’autres pensent que le traitement prophylactique même chez des patients à risque est inefficace, donc inutile [4, 10]. Ainsi, le traitement antiépileptique prophylactique périopératoire et postopératoire tardif ne fait actuellement l’objet d’aucun consensus, même chez les patients à risque car les différents travaux restent très discutables. En règle générale, un traitement prophylactique n’est retenu que lorsque l’on estime le risque de crise supérieur à 10-15 % [11, 12]. De nombreuses discussions existent également sur la durée de ce traitement prophylactique. Si la nécessité d’un traitement prophylactique est retenue, la durée minimale serait de six mois et l’idéal de deux ans. Le choix du traitement antiépileptique suit les règles habituelles de prescription précitées. En fonction du type de lésion cérébrale, quelques attitudes peuvent être précisées.
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Épilepsie post-traumatique Les crises survenant dans les suites d’un traumatisme crânien sont rares, de l’ordre de 0,5 à 5 % [13]. Le risque de survenue d’une crise augmente avec la sévérité du traumatisme et atteint 25 à 30 % en cas de lésions à haut risque [13-15]. Les crises précoces sont observées dans 3,6 à 4,1 % des cas en cas de traumatisme considéré comme modéré à sévère. Elles doivent être considérées comme symptomatiques aiguës et en présence d’un traitement adapté, de durée limitée dans le temps, et n’influencent pas le pronostic fonctionnel ni la mortalité [16, 17]. Les crises tardives surviennent dans 57 % des cas au cours de la première année [18]. Après survenue d’une crise tardive, le risque cumulatif de récidive de crises est de 86 % à deux ans, ce qui suggère de traiter le patient par un anticonvulsivant dés la première crise tardive [19]. Aucune des études réalisées ne trouve d’intérêt au traitement préventif des crises tardives posttraumatiques. La prévention des crises précoces peut par contre être indiquée lorsque plusieurs facteurs de risque sont réunis [4]. Le traitement sera de durée courte jusqu’à la sortie d’hospitalisation afin d’éviter les complications immédiates liées aux crises. Les molécules les plus souvent utilisées dans ce contexte sont les benzodiazépines ou la phénytoïne. Accidents vasculaires cérébraux L’incidence de ces crises varie de 2,3 à 5,4 % à la phase aiguë des infarctus cérébraux et peut atteindre 28 % pour les hématomes intracérébraux [20-23]. Plus de 57 à 78 % des crises contemporaines de l’accident vasculaire cérébral (AVC) surviennent dans les sept premiers jours et le plus souvent dans les premières 48 heures [23]. Ces crises inaugurales sont peu prédictives de récidives mais s’accompagnent d’un taux de mortalité plus important comparativement aux patients sans crise (33,3 versus 14,2 %), [24]. En pratique, les crises contemporaines de l’AVC doivent être considérées comme des crises symptomatiques aiguës. Le traitement préventif de ces crises se discute en fonction des risques de complications immédiates et repose sur l’utilisation de benzodiazépines de façon transitoire. Si son indication est retenue, il ne devrait pas être utilisé plus
de un mois puis arrêté si aucune manifestation épileptique n’a été observée [25]. Les crises tardives surviennent chez 2 à 24 % des patients et dans 79 % des cas au cours de la première année. Dans cette forme, le risque de récidive de crises est important de 33 à 81 % des cas [26]. La probabilité cumulée de survenue de crises sur séquelles vasculaires est de 3 % à un an, 4,7 % à deux ans, 7,4 % à cinq ans et 8,9 % à dix ans pour So et al. [23]. Les crises tardives nécessitent un traitement adapté au contexte clinique et électrologique, afin de prévenir les récidives épileptiques qui peuvent être source d’une aggravation transitoire du déficit neurologique. Le plus souvent ces épilepsies vasculaires sont facilement contrôlées par le traitement antiépileptique en monothérapie. Le traitement prophylactique des crises tardives n’est pas indiqué. Malformations vasculaires Les crises épileptiques sont un symptôme fréquent des lésions vasculaires. Parmi ces lésions, les anévrismes sont peu épileptogènes. Le risque de crises postopératoires est évalué à 4,4 % [7]. En pratique, aucun traitement préventif au long cours n’est préconisé. Si des facteurs de risque sont réunis, un traitement périopératoire par benzodiazépines peut être proposé. Chez les patients atteints d’une malformation artérioveineuse, le risque de survenue d’une crise est de 1 à 2 % par an avec un effet cumulatif. Un risque d’épilepsie a été évalué à 18 % à 20 ans, dans une série de 343 patients avec une malformation artérioveineuse non opérées [27]. Les crises sont dans 25 à 35 % des cas révélatrices de la malformation et constituent le principal symptôme dans 17 à 40 % des cas. Les crises deviennent pharmacorésistantes dans 5 % des cas. Les meilleurs résultats chirurgicaux sont obtenus par les équipes qui considèrent l’éradication du foyer épileptogène en traitant la malformation vasculaire. Plus de 80 % des patients n’ayant présenté que de rares crises préopératoires sont libres de crises postopératoires, et pour la plupart sans traitement anticonvulsivant. Pour les patients souffrant d’une épilepsie en phase préopératoire, 70 % sont libres de crises, 20 % sont améliorés et seuls 10 % sont aggravés. Enfin, 6 % des patients auront des crises postopératoires de novo [28]. En pratique, un traitement antiépileptique doit être proposé dés la première crise. Le traitement prophylactique peut être proposé
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en période périopératoire (benzodiazépines par exemple pendant le temps d’hospitalisation). Le traitement prophylactique antiépileptique postopératoire n’est pas indiqué. En présence d’un cavernome, 40 à 70 % des patients ont des crises épileptiques qui peuvent devenir pharmacorésistantes et parfois elles sont la seule manifestation clinique de la présence du cavernome. Compte tenu du risque important de récidive, il est légitime d’utiliser un traitement antiépileptique de façon précoce après une première crise épileptique. Le traitement antiépileptique est toujours préconisé en première intention. Le traitement d’exérèse chirurgicale se discute en fonction des risques de développement du cavernome, de ses capacités à saigner et du caractère rebelle ou non de l’épilepsie. Sauf situation particulière, le traitement prophylactique n’est pas utile. Tumeurs cérébrales Très rares chez l’enfant et chez l’adolescent, les épilepsies tumorales rendent compte de 10 à 15 % des épilepsies de l’adulte. Les tumeurs les plus épileptogènes sont celles qui évoluent lentement et qui impliquent précocement le cortex des régions frontales, rolandiques ou temporales mésiales. Les crises sont présentent dans 70 à 83 % des tumeurs de bas grade et dans 20 à 60 % des cas de méningiome [5, 29]. Elles ne surviennent que dans 36 % des cas de tumeurs de haut grade [29]. Les métastases cérébrales représentent 20 % des tumeurs cérébrales et s’accompagnent de crises dans 20 % des cas [30]. L’exérèse chirurgicale de la tumeur doit être discutée avec une double approche, oncologique et épileptologique. L’efficacité de la chirurgie sur le traitement de l’épilepsie est fonction de la nature tumorale, de la résection complète et du caractère le moins traumatique possible de l’intervention. La fréquence des crises postopératoire varie de 16 à 34 % [10]. Le risque de crise postopératoire est faible si le sujet n’a pas eu de crise en préopératoire et ne justifie pas de prophylaxie antiépileptique au long cours. Ce risque sera d’autant plus élevé que la tumeur est d’évolution lente et que la fréquence des crises préopératoires est importante (RR = 2,78, Pace et al., 1998). En général, les crises postopératoires apparaissent dans les six mois et sont le plus souvent pharmacorésistantes [10]. En l’absence de crise dans cet intervalle de six mois, il ne semble pas justifier
de poursuivre un traitement antiépileptique prophylactique, qui risquerait d’induire des effets secondaires, d’interférer avec des traitements complémentaires éventuels (corticothérapie, chimiothérapie), alors que leur utilité n’est pas prouvée. CONCLUSION Si les traitements d’urgence des crises et des états de mal épileptique sont assez bien codifiés, il n’existe pas de consensus pour le traitement prophylactique pré-, péri- et postopératoire ou post-traumatique. Le bon sens clinique doit guider l’attitude thérapeutique du praticien pour proposer au patient un traitement adapté au risque de crises auquel il est soumis, tout en tenant compte des effets secondaires potentiels et des contraintes liées à la molécule proposée. Des attitudes pratiques sont proposées. Des études prospectives randomisées utilisant des protocoles comparables seraient utiles pour valider les propositions faites. RE´ FE´ RENCES 1 Thomas P. Traitement médical des épilepsies. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris). Neurologie, 17-045-A-50. 1999 : 11 p. 2 Jordan KG. Status epilepticus. A perspective from the Neuroscience intensive care unit. Neurosurg Clin North Am 1994 ; 5 : 671-85. 3 Matthew F, Sherwin AL, Welner SA, Odusote K, Stratford JG. Seizures following intracranial surgery : incidence in the first postoperative week. Can J Neurol Sci 1980 ; 7 : 285-90. 4 Temkin NR, Dikmen SS, Wilensky AJ, Keihm J, Chabal S, Winn HR. A randomized, double-bind study of phenytoin for the prevention of post-traumatic seizures. N Engl J Med 1990 ; 323 : 497-502. 5 Tsuji M, Shinomiya S, Inove R, Sato K. Prospective study of postoperative seizure in intracranial meningioma. Jpn J Psychiatry Neurol 1993 ; 47 : 331-4. 6 Foy PM, Chadwick DW, Rajgopalan N, Johnson AL, Shaw MD. Do prophylactic anticonvulsivant drugs alter the pattern of seizures craniotomy. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1992 ; 55 : 753-7. 7 Levati A, Savoia G, Ranzini L, D’Angelo V, Boselli L. Rischio di epilessia post-operatoria nella chirurgia acuta degli anevrismi cerebrali. Minerva Anestesiol 1992 ; 58 Suppl : 107-10. 8 Young B, Rapp RP, Norton JA, Haack D, Tibbs PA, Bean JR. Failure of prophylactically administered phenytoin to prevent early posttraumatic seizures. J Neurosurg 1983 ; 58 : 231-5. 9 Whons RN, Wyler AR. Prophylactic phenytoin in severe head injuries. J Neurosurg 1979 ; 51 : 507-9. 10 Franceschetti S, Binelli S, Casazza M, Lodrini S, Panzica F, Pluchino F, et al. Influence of surgery and antiepileptic drugs on seizures symptomatic of cerebral tumours. Acta Neurochir 1990 ; 103 : 47-51. 11 Deutschman CS, Haines SJ. Anticonvulsivant prophylaxis in neurological surgery. Neurosurgery 1985 ; 17 : 510-7. 12 North JB. Anticonvulsivant prophylaxis in neurosurgery. Br J Neurosurg 1989 ; 3 : 425-8.
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