Transfusion de plasma frais congelé (PFC) : audit des prescriptions

Transfusion de plasma frais congelé (PFC) : audit des prescriptions

Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 686-92 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801004622/FLA Article o...

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Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 686-92 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801004622/FLA

Article original

Transfusion de plasma frais congelé (PFC) : audit des prescriptions H. Belœil1, M. Brosseau2, D. Benhamou1* et le groupe d’experts3 1 Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Antoine-Béclère, BP 405, 92141 Clamart cedex, France ; 2direction de l’informatique, de la prospective et de la clientèle, hôpital Antoine-Béclère, BP 405, 92141 Clamart cedex, France ; 3A. Balian (hépato-gastro-entérologie), F. Brivet (réanimation médicale), A. Monsaingeon (site transfusionnel), M. Wolf (laboratoire d’hématologie), hôpital Antoine-Béclère, BP 405, 92141 Clamart cedex, France

RE´SUME´ Objectif : Analyser les prescriptions de plasma frais congelé (PFC) et comparer leur validité au référentiel légal (arrêté du 03/12/91). Type d’étude : Analyse des prescriptions par un comité d’experts multidisciplinaire. Patients : Tous les adultes transfusés en PFC pendant un an dans un hôpital universitaire. Méthodes : Après accord de chaque chef de service, information écrite de tous les prescripteurs de l’hôpital de la mise en œuvre d’une enquête et validation méthodologique par la Commission d’Evaluation, chaque distribution de PFC a été suivie d’un questionnaire standardisé adressé au prescripteur. Un groupe d’experts a secondairement analysé la pertinence des prescriptions et leur conformité à la loi après avoir revu chaque dossier médical et les circonstances de chaque prescription. Résultats : 144 prescriptions chez 89 patients ont été étudiées : 23 % ont été considérées comme inappropriées par les experts et 6 % ne respectaient pas l’arrêté. Les prescriptions inappropriées se répartissaient de la façon suivante : patients de réanimation (73 % dont 80 % en défaillance multiviscérale et 20 % en choc hémorragique), cirrhotiques (12 %), patients sous AVK (12 %) et patientes d’obstétrique (3 %). Parmi les prescriptions appropriées, 9 % étaient en quantité jugée insuffisante. La mortalité hospitalière a été de 48 %. Parmi les prescripteurs, 59 % ne connaissaient pas l’arrêté.

Reçu le 10 novembre 2000 ; accepté le 15 juin 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (D. Benhamou).

Conclusion : L’incidence des prescriptions inappropriées de PFC est importante. Cette étude, première étape d’un programme d’assurance-qualité, devra être suivie de recommandations locales pour la pratique clinique. Les indications actuelles de transfusion de PFC semblent plus limitées que celles définies par l’arrêté. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS plasma frais congelé (PFC) / audit / transfusion

ABSTRACT Transfusion of fresh frozen plasma (FFP) : audit of prescriptions. Objective : To review fresh frozen plasma (FFP) prescriptions and compare their validity to the legal french guidelines (law of the12/03/91). Study design: Assessment of all prescriptions has been carried out by a multidisciplinary committee. Patients : All the adults transfused with FFP over one year in a teaching hospital. Methods : Following each head of department’s agreement and following a written notice to all prescribers within the hospital to inform them of the undergoing study and its methodological validation by the board of quality experts, each delivery of FFP was followed by a questionnaire addressed to the prescriber. A board of experts then assessed the significance of the prescription in accordance with the legal requirements after reviewing each medical file. Results : 144 prescriptions to 89 patients were assessed : 23 % were judged inappropriate by the experts and 6 % did not respect the law. The inappropriate transfusions distribute as follows : intensive care patients (73 % of which 80 % in multiple organ failure (MOF) and 20 % in haemorrhagic shock), cirrhotic patients (12 %), patients treated with

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vitamine K antagonists (12 %), obstetric patients (3 %). Nine percent of the appropriate transfusions were judged in insufficient volume. The hospital mortality rate was 48 %. Among prescribers, 59 % were not aware of the law. Conclusion : A significant proportion of FFP transfusions is inappropriate. This study, which is the first step of a quality assurance program, will be followed by local recommendations for clinical practice. The current standards of prescribing FFP are more restrictive than those defined in the legal french guidelines. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS fresh frozen plasma (FFP) / audit / transfusion

Les risques de la transfusion ont conduit à une réduction de l’emploi des produits sanguins labiles (PSL) et à la recherche d’une meilleure définition de leurs indications. C’est ainsi qu’au cours des dix dernières années ont été publiés au moins une quinzaine de référentiels [1], certains sous la forme de référentiels professionnels [2-6]. Plusieurs documents de cette nature sont à la disposition du transfuseur et bien que la plupart décrivent les indications respectives de chacune des trois grandes classes de PSL (concentrés de globules rouges [CGR], plasma frais congelé [PFC] ou plaquettes), ils se limitent ou discutent essentiellement les indications de CGR. C’est également vrai pour la littérature transfusionnelle en général qui évalue surtout la transfusion de CGR. Cependant, bien que la littérature récente ait pu contribuer à l’amélioration de la prescription des PFC, un éditorial récent a souligné que ces derniers étaient probablement utilisés par excès [7] et il existe des travaux décrivant des situations cliniques au cours desquelles la transfusion de PFC, bien qu’habituelle, a pu être réduite voire éliminée sans préjudice pour les patients [8]. Il existe donc un besoin d’analyse des indications et des pratiques concernant la transfusion de PFC. En France, et de façon très inhabituelle, les indications des PFC sont fixées par une réglementation (arrêté du 03/12/1991) et les documents professionnels récents comme la conférence de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) [9] s’en tiennent à ces recommandations légales, les légitimant encore plus. Cette étude avait ainsi pour but d’analyser les pratiques médicales concernant la transfusion des PFC en les comparant au référentiel légal, à l’échelon d’un établissement hospitalier universitaire.

PATIENTS ET MÉTHODES Cette étude a été réalisée dans un hôpital universitaire de 500 lits (chirurgie orthopédique, chirurgie viscérale, gynécologie-obstétrique, hépato-gastroentérologie, médecine interne, cardiologie, pneumologie, pédiatrie) et comportant quatre réanimations (néonatale, chirurgicale, médicale et pneumologique) et deux unités de soins intensifs (USI) (cardiologique et hépatologique). Le projet a été mis en œuvre par l’hémovigilant de l’établissement hospitalier (DB) après accord du Comité de sécurité transfusionnelle et d’hémovigilance (CSTH) et de la Commission d’évaluation de l’hôpital. Compte tenu du caractère transversal de l’enquête, la technicienne d’évaluation clinique (MB) rattachée à la Commission d’évaluation a été déléguée pour recueillir les informations cliniques pour chaque distribution auprès des prescripteurs. Chaque chef de service de l’établissement a été contacté personnellement oralement. Un courrier a ensuite été adressé à chacun d’entre eux, expliquant le projet, garantissant l’anonymat des prescripteurs et leur demandant d’accepter par écrit que leur service participe à l’enquête, d’informer chaque prescripteur potentiel de la réalisation prochaine d’une enquête concernant la transfusion et d’insister auprès de ces prescripteurs pour qu’un accueil favorable soit fait à l’enquêtrice. Pendant un an (d’avril 1998 à mars 1999), et pour chaque distribution de PFC homologue dans un service d’adultes, le prescripteur était contacté par la technicienne d’évaluation clinique dans les 48 heures suivantes afin de remplir un questionnaire. Celui-ci comportait un bref résumé clinique du patient concerné par la transfusion, l’indication de la prescription de PFC, la préférence ou non du prescripteur pour un type particulier de PFC (sécurisé, viro-attenué), la connaissance ou non de l’arrêté du 3 décembre 1991 légiférant l’emploi des PFC, dont les termes sont : « L’utilisation à des fins thérapeutiques du plasma frais congelé est strictement réservée aux situations qui l’exigent de façon indiscutable. Il s’agit notamment des trois grands domaines pathologiques suivants : – coagulopathie grave de consommation avec effondrement de tous les facteurs de la coagulation ; – hémorragies aiguës avec déficit global de facteurs de coagulation ;

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– déficits complexes rares en facteurs de coagulation lorsque les fractions coagulantes spécifiques ne sont pas disponibles. Les établissements de transfusion sanguine doivent donc en limiter la délivrance à ces seuls cas. Des produits de substitution doivent être utilisés dans les autres cas… ». Chaque dossier médical était analysé en détail par deux membres du groupe (DB, MB) qui présentaient, ensuite, un résumé clinique et biologique au reste du comité. Ce comité local d’experts, composé de cinq médecins volontaires (un anesthésiste-réanimateur, un réanimateur médical, un hématologue, un hémobiologiste et un hépato-gastro-entérologue), analysait ensuite les différents items suivants : – type de patient (médical, chirurgical programmé, chirurgical non programmé) ; – type de pathologie (obstétrique, patients sous antivitamine K (AVK) [AVK et surdosage, AVK et chirurgie], patients cirrhotiques (cirrhose et hémorragie, cirrhose et chirurgie) et patients de réanimation (choc hémorragique, syndrome de défaillance multiviscérale ou SDMV, pathologies particulières comme exsanguino-transfusion) ; – indication de la prescription des PFC retenue sur la base de l’arrêté du 3/12/1991 relatif à l’utilisation du plasma congelé ; – prescription appropriée (oui, non, discutable) ; – prescription en accord avec l’arrêté du 3/12/1991 ; – quantité appropriée (oui, non [trop, trop peu]). Enfin, les questions posées aux prescripteurs (connaissance de l’arrêté, prescripteur junior ou senior, préférence pour un type de PFC) ont été analysées. Les résultats sont présentés en moyenne ± écarttype pour les variables continues normales, en médiane (valeurs extrêmes) pour les variables discrètes ou continues mais non gaussiennes ou en pourcentage. Une valeur de p < 0,05 a été considérée comme seuil de signification. RÉSULTATS Pendant la durée de l’étude, 144 prescriptions de PFC chez 89 patients ont été étudiées. Les pathologies médicales représentaient 44 % des cas (dont 58 % de patients de réanimation, 31 % de cirrhotiques et 11 % de patients sous AVK). Dans 16 % des cas, il s’agissait de patients bénéficiant d’une chirurgie programmée (dont 48 % de patients de réanimation, 43 % de

cirrhotiques et 9 % de patients sous AVK) et dans 40 % des cas d’une chirurgie non programmée (dont 37 % de patients de réanimation, 21 % de cirrhotiques, 7 % de patients sous AVK et 35 % de pathologies obstétricales). Parmi les patients sous AVK, 38 % présentaient un surdosage et 62 % nécessitaient un acte chirurgical en urgence. Parmi les patients cirrhotiques, 36 % présentaient une hémorragie et 64 % nécessitaient un acte chirurgical en urgence. Parmi les patients de réanimation, 49 % présentaient un choc hémorragique (non cirrhotique), 49 % étaient en syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV), 2 % (soit un patient) hospitalisé pour une exsanguinotransfusion. Les patients de réanimation se répartissaient de la manière suivante : 81 % en réanimation chirurgicale (qui représentent 47 % des prescriptions de PFC sur l’hôpital), 14 % en réanimation médicale et 5 % en réanimation pneumologique. L’âge moyen était de 54 ans ± 2 ans (22 à 96 ans). La mortalité hospitalière a été de 48 %. Chaque patient a reçu en moyenne 4 (extrêmes : 0–43) PFC à la suite d’une (extrêmes : 1–6) prescription. Le nombre moyen de PFC par prescription était de 3 (extrêmes : 1–24). L’augmentation du TQ (temps de Quick), après transfusion de PFC, était de 5 % (DTQ, p < 0,0001 avant vs après). Les indications des prescriptions respectaient l’arrêté du 03/12/ 1991 dans 94 % des cas : 33 % correspondaient au premier item « coagulopathie grave avec effondrement des facteurs », 35 % des cas correspondaient au deuxième item « hémorragie aiguë » et 26 % correspondaient aux deux premiers items réunis. 6 % des prescriptions étaient donc hors décret ce qui correspondait à huit prescriptions concernant six patients dont trois de réanimation (deux patients en SDMV et un exsanguino-transfusion) et trois sous AVK nécessitant la pose d’un cathéter central. Le comité d’experts a considéré comme inappropriées 23 % des prescriptions de PFC alors que 6 % ne respectaient pas l’arrêté. Parmi les prescriptions approppriées, 9 % étaient en quantité insuffisante. Les prescriptions inappropriées étaient différentes (p < 0,01) en fonction des situations cliniques (figure 1). Aucune prescription ne correspondait à un purpura thrombotique thrombocytopénique dans lequel les PFC étaient indiqués par l’Anaes. Parmi les huit prescriptions hors arrêté, six ont été considérées comme inappropriées. L’intervalle de temps pendant lequel la transfusion de PFC était justifiée

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Figure 1. Description des prescriptions inapproppriées en fonction de leur contexte clinique.

par la proximité d’un acte chirurgical ou invasif a été défini égal à ± 6 jours. Parmi les patients qui ont bénéficié d’une intervention chirurgicale, 17 % ont reçu des PFC dans un délai considéré comme inapproprié. Sur 144 prescriptions, 100 questionnaires ont été remplis par les médecins prescripteurs. Les prescripteurs étaient des juniors (des médecins non thésés) dans 53 % des cas. Parmi les prescripteurs, 59 % ne connaissaient pas l’existence de l’arrêté du 03/12/ 1991 parmi lesquels 76 % étaient des juniors (juniors vs seniors, p < 0,0001). Trente-cinq pourcent des prescripteurs n’avaient pas de préférence pour (ou ne savaient pas choisir) un type particulier de PFC. DISCUSSION Cette évaluation des prescriptions de PFC dans un hôpital universitaire a constaté que les transfusions étaient inappropriées dans 23 % des cas. Ce taux élevé correspond aux valeurs retrouvées dans la littérature et n’a pas varié depuis une dizaine

d’années [10-13]. La question de l’utilité des PFC, en dehors de cas très particuliers, est à nouveau posée [14]. Ainsi, le British Committee for Standards in Haematology recommande de ne pas transfuser de PFC en cas d’hémorragie avant d’avoir tenté d’identifier la nature du saignement ou du trouble de l’hémostase [6]. Lors de cette étude, quatre grandes situations cliniques se sont individualisées : – le patient de réanimation en syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) avec troubles de l’hémostase ; – le patient cirrhotique en situation médicale et/ou chirurgicale ; – le patient sous AVK qui saigne ou qui doit bénéficier d’un geste invasif (chirurgical ou non) ; – le patient souffrant d’une hémorragie aiguë avec troubles de l’hémostase. La gravité des pathologies explique que la mortalité des patients qui reçoivent des PFC soit élevée (48 %). Dans cette enquête, la majorité (73 %) des prescriptions inappropriées correspondent à des

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patients de réanimation chirurgicale dont 80 % présentaient un SDMV. Dans le cadre du SDMV sans saignement extériorisé, l’indication de la transfusion était posée en fonction des valeurs du temps de Quick (TQ) et des facteurs de la coagulation. Il apparaît donc que les anesthésistes-réanimateurs transfusent volontiers des PFC. À cela, deux explications peuvent être proposées : les anesthésistes-réanimateurs, par leur activité au bloc opératoire sont plus familiers d’une façon générale avec la transfusion et donc plus enclins à transfuser. Par ailleurs, les patients chirurgicaux sont souvent considérés comme plus à risque de saignement en raison de la proximité de l’acte chirurgical et cela même si la phase hémorragique ou à risque hémorragique est passée. Sur ce point, il semble que les habitudes des anesthésistesréanimateurs doivent être modifiées. Ainsi, la transfusion de PFC doit s’intégrer dans une indication clinique (geste invasif et/ou hémorragie) associée à une altération profonde de l’hémostase et non avoir pour but de corriger une anomalie biologique sans expression clinique. Cette remarque rejoint les indications de « l’ASA Task Force on Blood Component Therapy » [4] qui recommande la transfusion de PFC en cas de saignement associé à un taux de prothrombine (s) > 1,5 fois la normale (TQ à 40 % environ). Un autre groupe de prescriptions inappropriées (12 %) est constitué par les patients cirrhotiques qui doivent bénéficier d’un geste chirurgical. Devant des troubles biologiques chroniques de l’hémostase, la transfusion de PFC en vue d’un geste chirurgical n’a pas été toujours considérée comme appropriée. Il s’agit, là encore, d’intégrer l’emploi des PFC dans une indication clinique et biologique. Dans le cas des patients sous AVK nécessitant un acte chirurgical ou en surdosage, les prescriptions inappropriées correspondent au non-respect des recommandations habituelles quant à l’utilisation de vitamine K et du PPSB [15, 16]. L’antagonisation des AVK associe, dans un premier temps, l’arrêt du traitement et l’apport de vitamine K1 par voie orale ou parentérale. L’emploi de PPSB et/ou la transfusion de PFC avec surveillance du TQ et de l’INR avant l’acte chirurgical ne se discute(nt) qu’en cas d’urgence chirurgicale. La dernière situation clinique correspond aux patients souffrant d’une hémorragie aiguë avec troubles de l’hémostase. Dans la majorité des cas, l’indication des PFC a été considérée comme justifiée. Dans l’enquête, seule une patiente d’obstétrique a

reçu des PFC de façon jugée inappropriée. Il s’agissait d’une hémorragie de la délivrance sans signes de gravité. Le groupe d’experts a considéré que l’hémostase chirurgicale seule aurait suffi à arrêter le saignement et à corriger les troubles de l’hémostase. Sur le plan quantitatif, 9 % des prescriptions appropriées ont été considérées comme insuffisantes. Alors que le texte de loi français ne donne aucun chiffre, il faut rappeler que les recommandations de l’ASA Task Force [4] sont de 10 à 15 mL·kg–1 (sauf pour l’antagonisation des AVK en urgence où 5 à 8 mL·kg–1 sont considérés comme suffisants). Ces volumes apparaissent en réalité insuffisants. En effet, dans notre enquête, pour une médiane de trois PFC transfusés (c’est-à-dire 200 mL x 3 soit 10 mL·kg–1), l’augmentation du temps de Quick a été seulement de 5 %. De plus, Boulis et al. ont démontré que 2 800 mL de PFC (soit 35–45 mL·kg–1) étaient nécessaires pour réduire l’INR à 1,3 chez des patients présentant un surdosage en AVK [16]. De même, Makris et al. ont constaté qu’avec un volume de 800 mL (environ 10 à 13 mL·kg–1) l’INR n’était diminué qu’à une valeur moyenne de 2,3 c’est-à-dire insuffisamment corrigé pour permettre un quelconque acte invasif ou arrêter une hémorragie [17]. Aucune prescription par excès n’a d’ailleurs été retrouvée, ce qui traduit probablement une surestimation du risque lié à la transfusion. Il faut rappeler que la transfusion de PFC peut être néfaste chez l’insuffisant cardiaque. Il faut alors privilégier le PPSB pour la correction des troubles de l’hémostase liés aux AVK [16]. En France, la prescription des PFC est réglementée par l’arrêté du 03/12/1991. Dans la grande majorité des cas (94 %), les indications des prescriptions respectaient cet arrêté. Les prescriptions hors arrêté représentent six patients (c’est-à-dire huit prescriptions hors arrêté dont six ont été considérées par le groupe d’experts comme inappropriées). – Deux patients de réanimation chirurgicale en SDMV sans saignement mais avec des troubles de l’hémostase. Dans ces cas, la transfusion de PFC est hors arrêté et inappropriée. – Trois patients sous AVK devant bénéficier de la pose d’un cathéter central. Ces prescriptions de PFC avant un geste invasif urgent chez des patients anticoagulés par AVK ont été considérées comme appropriées par le groupe d’experts. Cependant, deux de ces trois prescriptions ont été considérées comme

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inappropriées en raison d’erreurs de gestion de la transfusion (c’est-à-dire volume de PFC insuffisant et absence de contrôle biologique de l’efficacité). Un patient de réanimation, drépanocytaire homozygote, a été transfusé après avis d’un service spécialisé, dans le cadre d’une exsanguino-transfusion. Cette situation rare, non prévue par la loi, a été considérée comme appropriée [18]. Selon les résultats de l’enquête, la majorité (59 %) des prescripteurs ignore l’existence de l’arrêté de 1991. Ainsi, cette loi décrivant une indication médicale n’est pas mieux connue par les professionnels ni mieux appliquée que les recommandations des Conférences de consensus [19]. La publication au Journal Offıciel, si elle n’est pas relayée par des méthodes de communications atteignant vraiment les praticiens n’est guère plus efficace. La détermination par la loi d’indications thérapeutiques expose à plusieurs écueils graves. Les termes de ce texte sont inchangés depuis une dizaine d’années alors qu’aujourd’hui, les médecins tendent à limiter les transfusions de PFC. La meilleure preuve que l’arrêté est aujourd’hui discutable est que dans l’étude, les indications étaient appropriées dans 94 % des cas selon l’arrêté et seulement dans 76 % des cas selon les experts. Par exemple, lors d’une hémorragie obstétricale grave, les patientes ne devraient plus impérativement recevoir de PFC dès lors que l’hémostase (chirurgicale ou par radiologie interventionnelle) a été obtenue même si les critères de l’arrêté sont présents [20]. On observe en effet une normalisation rapide des résultats d’hémostase après arrêt du saignement. Dans le même esprit, Dupont et al. [8] ont montré l’inutilité des PFC pour maintenir une hémostase correcte au cours d’une transplantation hépatique si la fibrinolyse, la numération plaquettaire, le fibrinogène et l’état hémodynamique sont contrôlés. Il convient cependant de rester prudent dans l’analyse de ces résultats car il n’y a pas d’évidence que l’exclusion des PFC n’entraîne pas une agmentation du nombre de transfusion d’autres PSL. Dans ces cas précis au moins, une révision des indications serait probablement nécessaire mais la révision d’un texte de loi est plus délicate que celle d’une conférence de consensus et expose à une inertie significative. Les indications données par la loi sont si générales qu’elles aident peu le clinicien dans sa pratique quotidienne. Les Conférences de Consensus contiennent souvent plus de précisions par exemple sur le seuil

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biologique de transfusion [4, 5]. De plus, le texte ne contient « aucune philosophie de prescription ». Il est en effet apparu essentiel de préciser que l’on ne transfuse des PFC qu’en cas d’hémorragie ou de geste hémorragique prévu et d’une anomalie profonde de l’hémostase. Cette notion n’apparaît ni dans la loi ni dans la plupart des recommandations des sociétés savantes [3, 6]. Il est cependant difficile d’être dogmatique sur les indications de transfusion [21], tant les situations cliniques sont variées. De plus, l’élaboration de recommandations pour la pratique clinique crédibles repose sur des études apportant un niveau suffisant de preuve alors que dans bien des domaines où le PFC est prescrit en chirurgie, la littérature est très indigente. Il en résulte une interprétation variable des recommandations. Enfin, étant un document légal, il ne favorise pas la recherche et l’évolution des idées. La mise en œuvre d’une grille d’aide à la prescription associée à l’ordonnance de PFC pourrait être intéressante. Cette aide apparaît notamment nécessaire devant la fréquence des prescriptions inappropriées parmi les juniors. La séniorisation des prescriptions est d’ailleurs actuellement souvent proposée dans les programmes d’amélioration de l’emploi des médicaments. Il a plusieurs fois été montré que l’éducation et l’aide à la prescription améliorent les pratiques médicales et permettent de diminuer le nombre de transfusions [22, 23]. Enfin, il faut rappeler que le taux de prescriptions inappropriées n’a pas évolué en dix ans [10-13]. C’est pourquoi nous avons décidé la mise en place d’un véritable programme d’asssurance qualité (PAQ) dans notre hôpital [24]. Ce travail correspond à l’étape préliminaire de ce PAQ. Les étapes suivantes de ce PAQ doivent donc être la restitution des résultats à la commission d’évaluation et la rédaction d’un document décrivant les recommandations détaillées de l’emploi des PFC par les experts locaux, puis leur diffusion au sein de l’établissement et la mise en œuvre d’un système d’audit ayant pour but de monitorer l’application de ces recommandations, voire de proposer des mesures correctrices en cas d’utilisation insuffisante des recommandations. Par ailleurs, le nombre de patients (n = 89) peut sembler insuffisant mais il correspond au nombre de prescriptions et donc à l’activité annuelle d’un hôpital de taille moyenne (500 lits). Cette étude est donc le reflet de l’emploi des PFC dans ce type particulier d’établis

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sement hospitalier, très fréquent dans le paysage hospitalier français. Les utilisations spécifiques à certaines spécialités comme l’hématologie, les grands brulés ou la chirurgie cardiaque n’ont évidemment pas été traitées, puisqu’absentes de notre hôpital. Enfin, cette étude s’intéresse surtout à la prescription par excès, et peu à la prescription par défaut. Cela semble peu vraisemblable et l’évaluation en est très difficile, mais certains patients auraient peut-être eu besoin de PFC et n’en ont pas reçu. L’étude a nécessité un grand nombre d’heures de réunion au sein du groupe d’experts. En effet, si les discussions concernant certaines prescriptions ont été courtes avec un consensus immédiat et global, à l’inverse d’autres situations cliniques ont justifié des discussions longues de telle sorte que le travail d’audit a été considérable. CONCLUSION Un nombre non négligeable de prescriptions est en désaccord avec l’arrêté définissant les indications des PFC. La proportion de ces prescriptions jugées inappropriées par le groupe d’experts par rapport aux indications médicales actuelles a été beaucoup plus importante. Les PFC restent, de façon générale, trop utilisés malgré l’existence de nombreux référentiels professionnels. C’est pourquoi, l’étape suivante de ce travail sera la mise en place de recommandations locales pour la pratique clinique avec une grille d’aide à la prescription et le suivi de l’adéquation des prescriptions à ce référentiel. Si ces résultats s’avèrent représentatifs de la situation nationale, un effort de formation à grande échelle s’avérerait nécessaire. RE´ FE´ RENCES 1 Weiskopf RB. Erythrocyte salvage during cesarean section. Anesthesiology 2000 ; 92 : 1519-22. 2 Fresh frozen plasma - indications and risks. Consensus conference, NIH. JAMA 1985 ; 253 : 551-3. 3 Practice parameter for the use of fresh frozen plasma, cryoprecipitate, and platelets. Development task force of the College of American Pathologists. JAMA 1994 ; 271 : 777-81. 4 Practice guidelines for blood component therapy. American Society of Anesthesiologists task force on blood component therapy. Anesthesiology 1996 ; 84 : 732-47. 5 Les apports d’érythrocytes pour la compensation des pertes sanguines en chirurgie de l’adulte. Conférence de Consensus : Sfar ; 1993.

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