CAS
(~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth R6anim, 8 : 357-358, 1989
CLINIQUE
Leucoagglutination pulmonaire mortelle apr s administration de plasma frais congel6 Fatal case of pulmonary leukoagglutination after transfusion of fresh frozen plasma B. CLI~RO *, J.L. CELTON **, A. ATINAULT *, J.B. CAZALAA*, G. BARRIER * • Service d'Anesthesie-R6animation, et ** Centre de transfusion, Laboratoire d'lmmuno-H6matologie, Malades, 149, rue de S6vres, F 75015 Paris
HOpital Necker-Enfants
RESUMI~: Ce travail rapporte et discute le d6c~s d'une patiente apr6s administration de plasma frais congel6. La responsabilit6 en est attribu6e ~t une leucoagglutination pulmonaire, due h u n anticorps pr6sent chez le donneur de plasma. Mots d6s : S A N G : transfusion, accident, leucoagglutination. Les progr~s r6alis6s dans la s6curit6 transfusionn e l l e n e d o i v e n t p a s f a i r e o u b l i e r la p o s s i b i l i t 6 d'accidents d'ordre immunologique, certes rares mais parfois dramatiques. L'observation qui suit en est un exemple.
OBSERVATION Madame X, 73 ans, en bon 6tat g6n6ral (ASA II), subit une n6phrectomie 61argie pour cancer du rein. II est not6 dans ses ant6c6dents une atopie se manifestant par un urticaire chronique et une allergie aux b6ta-lactamines, une mammectomie avec curage ganglionnaire pour cancer du sein 15 ans auparavant. Une anesth6sie g6n6rale est r6alis6e associant fiunitraz6pam, fentanyl et v6curonium. La ventilation contr616e est r6alis6e en circuit ouvert avec un m61ange N20-O2 ~ FIo2 0,5. Le monitorage comporte une d6rivation ECG, un brassard a pression art6rielle automatique, une capnom6trie des gaz expirfs, une mesure de la pression veineuse centrale (Pcv) grace a un cath6ter jugulaire interne droit. L'intervention se d6roule normalement. Une h6morragie de moyenne abondance, survenue apr~s ablation de la piece op6ratoire, est compens6e sous contr61e de Pcv par deux unit6s de concentr6s giobulaires (450 g) isogroupes isorh6sus et trois unit6s de plasma frais congel6 (PFC) (900 g). La pression art6rielle, qui 6tait de 120-80 mmHg avant le d6but de l'hemorragie, continue de baisser r6guli~rement malgr6 le remplissage vasc~alaire. La pression artfrielle systolique (Pa sys) est 60 mmHg en fin d'intervention, Pcv restant sensiblement stable 5 cm 1-I20. Apparalt alors (to) un liquide mousseux abondant sortant par la sonde d'intubation. Une gazom6trie art6rielle est alors pratiqu6e (Flo2 = 0,5) avec les r6sultats suivants : Po2 ~t 22,9 mmHg, Pco2 ~ 56,8 mmHg, pH ~-7,05 et d6ficit de bases de 15,5. Le traitement symptomatique paraU~lement entrepris associe alcalinisation, ventilation en 02 pur, pression t616expiratoire positive de 10 cm H20, furos6mide, trinitrine, dobutamine et dopamitae en administration continue.
Requ le 2 f6vrier 1989 ; accept6 apr~s r6vision le 14 avril 1989.
Un premier arr6t circulatoire intervient (t30), aussit6t r6cup6r6 par adjonction d'adr6naline i.v., poursuivie en administration continue. Un cath6ter de Swan-Ganz alors mis en place donne les pressions suivantes : pression art6rielle pulmonaire (Ppa) ~t 25-12 mmHg, pression capillaire pulmonaire (Ppw) ~t 12 mmHg. La gazom6trie r6alis6e ~t t 90 h Fio2 1 montre une Pao2 ~ 31 mmHg, une Paco2 ~ 69,8 mmHg, un pH ~ 7,308 et t/n d6ficit de bases de 5,1. Malgr6 la poursuite de la th6rapeutique, Pasy, ne d6passe jamais 69 mmHg et les pressions mesur6es dans l'artSre pulmonaire demeurent stables. Un deuxi~me • arr~t circulatoire intervient ~ t150 ; il est lui aussi r6cup6r6 ; les deux autres gazom6tries pratiqu6es ne montrent aucune am61ioration. Un troisi~me et dernier arr6t circulatoire a lieu ~ t210. L'analyse du liquide d'0ed~me pulmonaire vient alors confirmer, par sa teneur en prot6ines (42 g • 1-1 la nature 16sionneUe de cet eed~me, d6j& largement soupqonn6e au vu des donn6es h6modynamiques. La v6rification anatomopathologique effectu6e le lendemain ne montre aucun signe en faveur d'une embolie pulmonaire, d'un infarctus aigu, d'une h6morragie ou d'une tamponnade p6ricardique. Les pr61~vements s6riques du receveur ainsi que les s6rums des cinq donneurs conserv6s dans la s6roth6que ont 6t6 6tudi6s. Deux techniques ont 6t6 utilis6es [6] pour la recherche des anticorps antipolynucl6aires : un test de granuloagglutination et un test ~ l'antiglobuline. Un anticorps de sp6cificit6 anti NA2 a 6t6 mis en 6vidence dans le s6rum de l'un des donneurs de plasma, puis confirm6 sur des pr61~vements ult6rieurs. I1 s'agit d'un aUo-anticorps, ce donneur 6rant de ph6notypes N A 2 - N B I + . Tousles autres s6rums test6s 6taient n6gatifs et aucun d'entre eux ne pr6sentait d'anticorps anti-HLA. Une leucostase alv6olaire a bien 6t6 retrouv6e dans le cas pr6sent au r6examen des coupes pulmonaires r6alis6es lots de la v6rification anatomo-pathologique.
DISCUSSION L e s Ged~mes p u l m o n a i r e s non cardiog6niques survenant au d6cours de transfusions de d6riv6s sanguins sont tr~s probablement d'origine immuno-
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logique [1, 3, 5, 7, 8]. Des alloanticorps dirigEs contre un antigone de surface des leucocytes du receveur en seraient responsables. Cette observation va dans ce sens, puisqu'ont effectivement 6t6 retrouv6s chez un des donneurs des anticorps agglutinants. La physiopathologie de tels accidents fait intervenir ces anticorps dans la formation d'agr6gats leucocytaires, notamment darts les alv6oles pulmonaires [4]. Les insuffisances respiratoires aigu~s post-transfusionnelles semblent, d'aprEs les cas retrouv6s dans la litt6rature [3], devoir ~tre soit rapidement mortelles, soit r6solutives en quelques heures ~ quelques jours. Notre observation entre malheureusement dans la premiere cat6gorie. La th6rapeutique preconis6e habituellement est celle purement symptomatique du syndrome de d6tresse respiratoire aigu6 de l'adulte. Le caract~re rapidement mortel du cas d6crit malgr6 la th6rapeutique entreprise amine ~ poser le problSme de la pr6vention de tels accidents. La fr6quence de ce type d'accidents, tous stades de gravit6 confondus, n'est pas n6gligeable (1 pour 5 000 sujets transfus6s) [5], bien que sans doute sous-estim6e ; de nombreux incidents ou accidents post-transfusionnels en phase p6riop6ratoire sont sans doute attribu6s ~ d'autres m6canismes ou passent inaperqus. La recherche pr6alable h toute administration de d6riv6s sanguins d'un possible conflit entre les anticorps antigranulocytes du donneur et les granulocytes du receveur semble cependant, au vu de ces donn6es, cofiteuse et d'une efficacit6 discutable [1]. On aurait pu envisager de n'effectuer cette recherche que pour les seuls donneurs ayant une importante probabilit6 d'immunisation (transfusion pr6alable, grossesses multiples) [6]; malheureusement, dans notre observation, le plasma incrimin6 provient d'une donneuse ayant eu une seule grossesse et n'ayant jamais 6t6 transfus6e. La recherche a posteriori de ce type de conflit devant tout incident ou accident post-transfusionnel semble donc beaucoup plus int6ressante. L'utilisation de la s6rum-albumine humaine dilu6e ~ 4 % comme solut6 de remplissage d'origine humaine offre dans cette optique de nombreux avantages par rapport au plasma frais congel6: absence d'anticorps, absence de risque de transmission virale. Elle permet enfin de r6server l'utilisation de plasma frais congel6 aux indications strictes et limit6es qui demeurent les siennes [2] :
l'apport de cofacteurs de la coagulation lors de d6ficits biologiquement prouv6s entrainant des anomalies de l'h6mostase. CONCLUSION
Toutes les pr6cautions prises pour transfuser des d6riv6s sanguins n'ont fait disparaitre totalement ni le risque viral, abondamment soulign6 ces dernibres ann6es, ni le risque immunologique. L'observation pr6sent6e en est la malheureuse illustration. Elle dolt permettre de souligner une fois de plus que l'administration des d6riv6s sanguins doit se faire de fa~on rigoureuse et adapt6e, en bannissant toute prescription qui ne r6ponde pas ~ un besoin clinique pr6cis. La gamme vari6e de produits mis h notre disposition par les centres de transfusion doit aboutir h n'administrer que les fractions sanguines rdellement n6cessaires, ce qui doit permettre d'en diminuer encore les effets adverses. Enfin il apparait clairement que l'utilisation du plasma frais congel6 comme traitement de premiere intention de l'hypovoi6mie n'est plus justifi6e [2]. BIBLIOGRAPHIE l. CARTRON J, MULLER JY. M6canismes physiopathologiques de l'0ed~me aigu pulmonaire observ6 au cours des transfusions sanguines (pp 25-31). In: Compte rendu de la journ6e d'6tudes du 30 octobre 1980 au CRTS de Rennes. Pall Biom6dical. 2. HABIBI B. Plasma congel6 : utilisation trop souvent injustifi6e. Rev Fr Transf Immunohdmatol, 30: 149, 1987. 3. HOWARD HN. Pulmonary infiltrates associated with leukoagglutinin transfusion reaction. Ann Intern Med, 73 : 689-694, 1970. 4. LEVY G J, SHABOT MM, HART ME, MYA WW, GOLDFINGER D. Transfusion associated non cardiogenic pulmonary oedema. Transfusion, 26: 278-281, 1986. 5. ROSSERT J, GUIDET B, JULLIEN AM, OFFENSTADT G. Syndrome de d6tresse respiratoire aigu6 apr~s transfusion de plasma frais congel6. R61e des agglutinincs antigranulocytes. Rdanim Soins lntens M~d Urg, 3 : 49, 1987. 6. THOMPSON JS, SEVERSON CD, MICHAEL BS, PARMELYJ. Pulmonary <
ABSTRACT: A case is reported of a 73 year old female patient who died during surgery for enlarged nephrectomy as a result of a massive non-cardiogenic pulmonary oedema. She had been given 2 red cell concentrates (450 g) and 3 fresh frozen plasma units (900 g). A postmortem examination did not reveal any pulmonary embolus, acute myocardial infarct, haemorrhage or cardiac tamponade. Further tests on the sera of the 5 plasma donors revealed a neutrophil-specific anti-NA2 antibody. Alveolar leukostasis was confirmed on the postmortem lung slices. This type of transfusion accident occurs for about 1 in 5,000 units transfused, fortunately not all as serious. This case confirms once more that fresh frozen plasma is not the ideal treatment for acute hypovolaemia, 4 % human albumin being safer.