Trauma et somatisation chez l'enfant

Trauma et somatisation chez l'enfant

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 52 (2004) 414–418 www.elsevier.com/locate/neuado Trauma et somatisation chez l’enfant Trauma and so...

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 52 (2004) 414–418 www.elsevier.com/locate/neuado

Trauma et somatisation chez l’enfant Trauma and somatic troubles in child J. Miedzyrzecki 30, rue Benjamin-Constant, 31400 Toulouse, France Reçu le 20 janvier 2004 ; accepté le 11 mai 2004

Résumé L’existence de troubles somatiques chez l’enfant s’inscrit toujours dans une globalité de la personne qui, au-delà des seules atteintes biologiques, touche la psyché avec ses éventuelles implications traumatiques. C’est l’ensemble du corps, incluant les dimensions intersubjectives conscientes et inconscientes, qui est alors atteint et qui devra être pris en compte par la démarche de soins visant à la réduction de la souffrance. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Trauma ; Somatisation ; Douleur psychique ; Enfant Keywords: Trauma; Somatic troubles; Pain; Psychological suffering; Child

Maladies somatiques et perturbations psychiques sont toujours liées, tout particulièrement chez l’enfant où la survenue d’une atteinte somatique peut même prendre le caractère d’un événement dramatique pour peu qu’elle survienne dans un contexte de crise aiguë ou de gravité qui fait vivre à l’enfant, et à son environnement familial, douleur et souffrance psychique. En effet, tout ce qui touche le corps biologique (le soma), atteint aussi le corps érogène, expressif, ce qui confère à l’événement biologique une forme singularisée qui est liée à l’organisation mentale propre à chaque individu. Le corps humain n’est ainsi jamais une cible passive et simple des atteintes biologiques et de la même manière tout événement affectant le sens va s’accompagner d’un événement affectant le corps sans cependant qu’il y ait de loi stable d’équivalence entre événement mental et somatique [1]. Freud écrit dans « Le Moi et le Ca » : « Le Moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface mais lui-même la projection d’une surface ». Il y a ainsi une double dérivation de l’intérieur du corps à sa surface et de celle-ci à sa projection mentale que constitue le Moi. [5] Adresse e-mail : [email protected] (J. Miedzyrzecki). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2004.05.005

Nous avons là une confirmation de l’existence d’un carrefour entre le corps, la perception, et la pulsion, le tout se constituant de manière dialectique plus ou moins conflictuelle et efficiente dans le Moi. Dans « Totem et Tabou » Freud fait cette citation tout aussi célèbre : « Chez le névrosé la pensée remplace 1’acte, alors que chez le primitif la pensée se transforme en acte, la remplace pour ainsi dire ». Si au commencement était l’acte, comme le dit Goethe, on pourrait alors dire de façon tout aussi pertinente qu’au commencement est le biologique. Lorsque nous sommes amenés à recevoir des enfants atteints dans leur corps, cela signifie en général qu’il n’existe pas de thérapeutique médicale efficace ou d’étiologie bien déterminée ; ces échecs ou ces incertitudes replacent l’atteinte biologique hors du domaine médical habituel et renforcent le sentiment douloureux de subjectivation mais aussi de blessure narcissique. En effet, au traumatisme de la révélation de l’atteinte somatique qui trouble la sérénité du développement et le sentiment plus ou moins continu d’invulnérabilité, s’ajoute celui d’une possible implication subjective atteignant le narcissisme parental. À l’énigme médicale dont la résolution est dévolue aux pédiatres s’ajoute donc, ou se substitue, une nouvelle énigme

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adressée, elle, aux psychanalystes. Ce changement de perspective n’est pas simple car il s’agit de deux démarches ou processus totalement hétérogènes ; en effet, à la logique organique (une cause produit tel effet) se substitue la logique du sens et de l’intersubjectif, à l’objectivation dont on connaît les progrès fulgurants succède la personnification, enfin à l’investissement du voir, du savoir et de la mesure, va succéder celui de l’écoute, du langage et du relationnel. Dans cette perspective le traumatisme psychique, s’il peut lui aussi se situer dans un processus de causalité, obéira à des critères fort différents de ceux habituellement retenus en médecine. Je rappelle maintenant quelques points indispensables à mon propos et concernant les liens éventuels trauma–somatisation. Tout d’abord nous sommes passés, avec Freud, de l’intérêt porté à l’événement traumatique lui-même (c’est-àdire ses qualités) à la qualité du psychisme de l’individu, sujet du trauma [6]. L’intérêt porté à un fonctionnement mental qui inclut la qualité des représentations et l’organisation de la vie pulsionnelle dans un moment précis de son organisation succède ainsi à l’intérêt porté à l’événement lui-même. Ce premier changement de point de vue s’est accompagné progressivement d’un second qui porte sur la nature même du traumatisme. En effet, à cette clinique du trop caractérisée par un surcroît d’excitation non maîtrisable par un appareil psychique insuffisamment préparé s’est ajoutée, ou substituée, la clinique de la perte, conçue comme une perte d’objet, c’est-à-dire une perte de la représentation de l’objet à l’intérieur de la psyché ce qui affecte le narcissisme. Mais quelle que soit son origine, externe ou interne, et sa nature, un trop ou un manque, le traumatisme se définit comme un excès d’excitation parvenant au Moi et ayant sur lui un effet désorganisateur plus ou moins prolongé. La spécificité de ses effets tient dans le fait qu’il entraîne un processus de désorganisation mentale dont la traduction clinique sera fonction de son amplitude. Les effets psychiques liés à la désorganisation sont en relation avec les capacités de liaison (de maîtrise) de l’appareil mental, c’est-à-dire son aptitude, au moment présent, à supporter l’impact traumatique. Ce sont donc bien les capacités de mobilisation psychique (ou encore la qualité du préconscient ou la mentalisation) à un moment donné qui vont faire d’un événement un traumatisme ou non. Une telle approche du trauma confirme la singularité de chaque expérience et la nécessité à chaque fois d’une compréhension économique et dynamique. La nature traumatique se reconnaîtra à l’incapacité de lier des représentations, ou à une carence de la mentalisation, voire à l’incapacité de constituer une névrose traumatique, véritable « envers » psychique de la somatisation qui est signifiante de l’émergence d’un registre non métaphorisé. C’est dire que l’intérêt nous porte au-delà d’un possible vécu dépressif et de ses multiples modalités vers un excès quantitatif lié à un échec de l’élaboration mentale ou, s’il s’agit d’un nourrisson, à une défaillance des soins parentaux dans leur fonction protectrice pare-excitante.

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Je me réfère là à ce qu’on a appelé les effets négatifs du traumatisme par opposition aux effets dits positifs qui eux poussent à répéter le traumatisme initial et qui se manifestent essentiellement par la compulsion de répétition (la névrose traumatique). L’effet négatif produit est lié à un effondrement de la topique psychique (un collapsus) créant une sorte de vide des représentations, une non inscription (même primitive), un non psychisé (intrapsychique ou intersubjectif) agissant comme une effraction du pare-excitation. Persiste alors une expérience traversée, plus ou moins connue, dont une partie reste paradoxalement et étonnamment active parce que justement non inscrite ; l’impossibilité de vivre et d’éprouver psychiquement cette expérience laisse la place à la domination quasi exclusive du facteur quantitatif. C’est à partir d’une telle conception des choses, qui met l’accent sur le manque fondamental (un vide, trou noir irreprésentable ou non représentable et porteur de facteurs quantitatifs importants), que s’organise la théorie et que se met en place une pratique qui tient compte de la capacité, ou non, de produire une élaboration qualitative. Cette nécessaire relance de la capacité représentative sera le garant d’un traitement psychique des quantités d’excitations. Dans un tel schéma il n’existe donc pas de recherche causale proprement dite dont la découverte apporterait la guérison ou un changement, mais un travail plus ou moins long de relance ou d’une pensée dont la fonctionnalité est on le voit essentielle [3]. La mise en place d’un cadre thérapeutique répond à cette conception brièvement rappelée qui met l’accent sur la nécessité d’une reprise représentative. Je vais donner rapidement deux exemples : l’un concerne une consultation dite thérapeutique, unique entretien avec des parents et leur enfant de huit mois, l’autre portera sur un moment de la psychothérapie d’un garçon de neuf ans. Alain a huit mois ; il m’est adressé en urgence par les services sociaux et hospitaliers car il présente des vomissements incoercibles qui altèrent son état général malgré la multiplicité des traitements mis en place dont plusieurs hospitalisations. Il arrive dans les bras de sa mère, accompagné de son père et de son frère de deux ans et huit mois qui va rapidement quitter le bureau pour rejoindre la salle d’attente. La première chose qui me frappe est l’aspect d’Alain, impressionnant par sa maigreur (6 kilos) et son regard intense qui m’évoque successivement tristesse, repli, puis vivacité, intelligence et capacités relationnelles. Je ne reprends que quelques éléments de l’entretien qui porte tout de suite sur les vomissements, leur début dans les premiers jours de la vie, puis leur répétition et les multiples essais thérapeutiques dont l’abandon de l’allaitement maternel à un mois et demi car, me dit la mère « mon lait devenait de l’eau », puis sont abordés les divers traitements prescrits et les hospitalisations qui, loin de calmer les symptômes, les aggravent. Rien ne semble pouvoir modifier cet état de choses, Alain vomit jour et nuit sans effort apparent, qu’il soit éveillé ou endormi. Le père se manifeste assez vite, il essaie de comprendre, formule des questions et des tentatives de réponses : « est-ce qu’il se

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force ?... c’est ce que l’on nous a dit à l’hôpital... il le ferait exprès... Il a toujours besoin d’avoir quelqu’un avec lui ». À cet instant Alain saisit l’index de sa mère et le mord, la maman proteste plutôt tranquillement et lui dit avec une certaine chaleur : « aie... tu me fais mal ». Les parents parlent ensuite longuement et avec amertume de l’hôpital rendu responsable de l’absence de résultat et de la manière dont on leur a proposé la consultation psychiatrique : « on nous a dit qu’il n’avait rien mais il vomit toujours... et puis on nous a dit que c’est nous qui avions des problèmes et que c’est à cause de nous... et pourtant il ne manque de rien comme son frère... ». L’abord du motif de la consultation « c’est à cause de nous » clôture la première partie de l’entretien pendant lequel Alain s’est progressivement animé avant de s’agiter, tout en écoutant avec beaucoup d’attention ce qui se dit ; je ne suis pratiquement pas intervenu sauf pour favoriser le discours des parents. C’est à peu près à ce moment de l’entretien que, sans effort apparent, Alain se met à vomir, sans s’arrêter au point que les capacités de nettoyage des parents tout d’abord, puis de moi-même qui les aide vont se trouver dépassées. Leur malaise et le mien se développent autour des vomissements et de leur contexte sensoriel tandis que nous poursuivons l’entretien qui reste centré par l’intérêt que je porte à Alain, à son histoire, à ce que je ressens avec ses parents de sa souffrance. Ils vont évoquer beaucoup de sujets dont je relève rapidement les quelques éléments suivants : • il existe des coïncidences magiques de dates de naissances des deux enfants et de morts dans la famille, secrets qu’ils n’ont jamais pu partager avec quiconque auparavant ; • les parents ont mal supporté certains propos médicaux entendus comme contradictoires par le père : il ne comprend pas pourquoi on donne du Motilium dont on lui dit qu’il diminue les capacités de contraction musculaire alors qu’on lui a dit également qu’Alain souffre « d’une barre au bas de l’œsophage qui ne se contractait pas, et ne se fermait pas » ; • l’incertitude où ils sont autour de la nécessité ou non de continuer à nourrir Alain avec du lait ; la mère est intimement persuadée qu’il ne faudrait pas mais elle n’a pas osé en parler à ses différents interlocuteurs ; • ils abordent enfin un affect et une représentation en résonance avec mon propre vécu devant les vomissements ; il s’agit bien évidemment du dégoût et de l’agressivité devant l’odeur et la saleté mais aussi de la rage et du désespoir de voir Alain ainsi se vider. Une formule va leur venir : « on est écœuré de le voir se vider comme ça » représentation que je ressens aussi et que je partage avec eux. J’en reste là pour la relation de cet entretien long qui a été suivi de la disparition totale des vomissements, pour faire quelques remarques concernant les perturbations économiques en jeu dans un tel cas. Je pense qu’il s’agit pour Alain de

débordements passagers de son économie psychique liés, non pas à une clinique du vide — celle du manque d’apports affectifs — mais à une sorte de contrainte oppressive qui, faute de mentalisation suffisante chez les parents, ne laissait la place qu’au registre quantitatif de la somatisation. L’entretien a permis que s’exprime chez ces parents quelque chose de nouveau qui a tranché avec le discours préétabli qui se situait entre le déni « il n’a rien » et la culpabilisation « c’est de votre faute » ; ces deux propositions sont à la fois vraies et fausses et sans aucune valeur dynamique quant aux capacités d’élaboration psychique. Bien au contraire il s’agit d’une véritable contrainte traumatique, inélaborable, se situant dans un registre « causaliste » typique, qu’il soit psychologique, médical ou éducatif. L’entretien que je présente ici privilégie une position d’écoute empathique (ce qui nécessite un retrait suffisant de la part du thérapeute) ; il n’est proposé ni conseil, ni avis, ni interprétation mais un partage de l’histoire reconstituée subjectivement qui, par le jeu des identifications réciproques et en premier lieu celles du thérapeute aux divers protagonistes, permettra que s’exprime différemment une dynamique conflictuelle. Le deuxième cas clinique est très différent et s’inscrit dans le registre apparent d’un bon fonctionnement psychique de l’enfant. Octave a neuf ans et de prime abord rien ne le prédispose à une somatisation ; il avait un bon développement, pas de troubles psychiques apparents et une bonne adaptation sociale, mais depuis plusieurs mois il présente des troubles digestifs à type d’ulcères récidivants qui sont apparus dans le contexte apparemment banal d’un conflit parental suivi d’une séparation. Comme cela est fréquent, les parents, chacun de leur côté, cherchent à faire prendre parti à Octave, témoin des confidences plus ou moins séductrices des parents et de leurs familles qui font assaut d’explications : on ne se cache rien et on explique puisque les enfants doivent tout savoir et peuvent tout comprendre. Sans doute pour Octave cela est-il trop : trop de proximité avec sa mère, trop de connivence avec son père et surtout trop de questions qui l’assaillent sur ce qui lui arrive et leur arrive alors qu’il est tout accaparé par la souffrance ressentie dans son corps, les douleurs, les vomissements, les éventuels interdits alimentaires, les traitements médicamenteux et enfin les bilans médicaux spécialisés plus ou moins invasifs. Octave se présente comme un petit garçon palot et malingre, en apparence soumis à la loi des adultes et nostalgique de sa petite enfance idéalisée entre des parents heureux et aconflictuels. La somatisation est venue troubler le calme apparent témoignant de l’émergence d’un conflit insoluble dont il est le sujet : désir toujours vivace de réunir les parents et nécessité concomitante de les accepter séparés car c’est leur désir réitéré et rationalisé. Mais la maladie somatique ne peut se réduire à ces impasses conflictuelles, Octave se sent également victime d’une double injustice : il doit accepter de voir ses parents se séparer et devoir, de surcroît, supporter une maladie lourde et douloureuse dont ses parents sont respon-

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sables. Tout est ainsi dit, exposé et encore une fois rationalisé dès le premier entretien ; toutes les cartes sont en main, déjà abondamment travaillées et distribuées dans le cadre d’une économie familiale où rien n’est laissé au hasard sauf justement un double imprévu : c’est la rationalité explicative elle-même qui est traumatique et il survient une maladie somatique qui ne peut être considérée comme le simple reflet symptomatique du conflit névrotique ou familial. Octave reste fidèle à la règle familiale du savoir; il accepte de venir et de parler de ses difficultés mais il veut, avant tout, savoir ce qu’il doit faire et ce que je pense moi à la fois de sa maladie mais aussi de ses progrès et de la manière dont il doit se conduire face aux sollicitations de ses parents. La répétition dans le transfert permet de mesurer l’importance de la détresse et de l’incapacité de maîtrise du surcroît d’excitation provoqué par le non respect de la situation infantile de dépendance. En effet, sous la bannière de la transparence, du tout dire–expliquer qui serait associé à une confiance dans les capacités de résolution du conflit (liées à la maturation de l’enfant) se profile en réalité un non respect fondamental de l’état de dépendance et d’immaturité qui est fondateur de la psyché de l’enfant. Comme on le voit, il ne s’agit pas dans cette hypothèse de résoudre une énigme ou un secret, mais plutôt de permettre par le travail psychothérapique de tisser des liens et de construire enfin les pans d’une enfance jusque là en partie absents. Ce travail a été entravé par la situation ou plutôt la contrainte imposée par le scénario fixé autour des vérités parentales dont en particulier la valeur donnée au traumatisme (la séparation), valeur factuelle contradictoire telle qu’elle est vécue par chacun des protagonistes et leur clan. La psychothérapie va permettre de trouver un espace tiers où pourra se rejouer une problématique conflictuelle au sens d’une névrose infantile ; il s’agit de favoriser la construction, ou la reconstruction de fantasmes organisateurs jusque là réprimés par la réalité fixiste traumatique. Je donne un court exemple de la manière dont peut s’aborder, dans une séance, la construction d’un tel espace autour du fantasme du roman familial. Octave vient de rendre visite à son père qui habite maintenant loin de Toulouse. Pour une fois, les choses se sont plutôt bien passées, mais Octave a autre chose à me raconter : il a fait un rêve dans lequel son copain Jean lui raconte qu’il a perdu ses parents mais lui dit en même temps que ce n’est pas trop grave puisqu’il a des parents adoptifs... Octave voit aussi une dame en peignoir et un homme juste derrière elle ; Jean lui dit : « c’est ton père » or Octave ne le reconnaît pas. Et un peu plus tard toujours dans le même rêve, il aperçoit son père qui porte le peignoir de la dame. C’est la fin du récit du rêve qui se poursuit cependant dans la séance par le souvenir d’un réveil brusque au milieu de la nuit après un cauchemar oublié qui suivait le rêve. Octave se souvient simplement qu’ensuite il a eu très mal au ventre. Le travail dans la séance va consister à tenter de trouver un lien entre le rêve, le cauchemar oublié et la douleur symptomatique de la reprise de la maladie somatique. Je suggère à Octave que le cauchemar est

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peut-être la simple suite du rêve ou encore le même rêve qui se terminerait différemment. Octave est tout de suite intéressé ; il raconte une deuxième fois son rêve et il s’intéresse à tout ce qui se passe pour son père qui, dans le rêve, lui apparaît à la fois ressemblant et non ressemblant ce qui est bien inquiétant. Je vais alors proposer à Octave une piste de travail : essayer d’inventer cette partie manquante du rêve et une hypothèse : la douleur venue dans la suite du cauchemar pourrait avoir justement remplacé le souvenir absent du cauchemar. Cette double proposition permet à Octave d’associer longuement sur les problèmes de ressemblance dans la famille puis entre lui et son père et il émet une idée qui à la fois l’étonne comme une découverte et lui paraît familière : il trouve qu’il ressemble à son père, il est sûr d’être son fils mais en même temps il se demande si, comme dans le rêve, son père n’est pas un père adoptif : peut-être ce n’est pas son vrai père et peut-être a-t-il d’autres parents. La relation transférentielle (bien perceptible dans le rêve avec cet homme plus ou moins ressemblant) a permis une reconstruction ou plutôt une remise en marche d’un système figé jusque là par l’impact traumatique qui inclut la dynamique familiale et ses nécessités rationalisantes mais aussi les logiques de l’inconscient. L’élaboration du rêve en séance est un exemple du travail de la cure ; il permet une véritable mise en scène, dans un espace tiers, du conflit jusque là réprimé bien qu’apparemment exposé par une externalisation (vrai-faux ou faux-vrai) qui en fait s’avère être l’exacte réplique en miroir inversé de l’incapacité d’intégration et de liaison au sein du préconscient. La nouvelle scène qui se construit dans la séance présente, elle, des caractéristiques nettement plus fonctionnelles car elle inclut en particulier déplacement, projection, symbolisation. Le travail psychothérapique autour de l’émergence d’un roman familial, comme autour d’autres fantasmes organisateurs, contribue à enrichir le matériel préconscient et à renforcer le parexcitation. Le cadre incluant la relation transférentielle permet le travail et la réintégration des fantasmes de violence (mort des parents mais aussi sévices faits à l’enfant) par des liaisons qui mettent en œuvre des quantités traumatiques, cette fois-ci maîtrisables ; il s’agit à ce moment du début d’un travail fécond pour la mentalisation (la pensée dans et avec le corps) dans un espace allant de l’intersubjectif à l’intrapsychique [4]. Je conclus sur la nécessaire prise en considération du corps qui, s’il s’origine dans le soma, ne trouvera sa place et sa fonctionnalité que dans une intersubjectivité. Y aurait-il alors primat de l’intersubjectivité sur la structure ce qui apparaît choquant pour une atteinte somatique ? Cela est possible car la somatisation qui affecte l’état des choses ou le monde des choses s’inscrit dans une lignée relationnelle qui se situe à la fois en amont et en aval et qui est à la fois diachronique et synchronique ; il s’agit de réhabiliter cette double lignée avec ses conflits, ses impasses apparentes voire sa paradoxalité. C’est à ce prix que pourra s’amorcer une reprise intrasubjective dont le soma ne sera jamais absent ; je

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Mc Dougall J. Corps et Langage. Du langage du soma aux paroles de l’esprit. Revue Française de Psychosomatique 1992(2):69–95.

[3]

Miedzyrzecki J. « Il se vide... » À propos de l’urgence et de l’énigme. Revue Française de Psychosomatique 1996(9):167–72.

[4]

Miedzyrzecki J. « Le rouge ou le noir ». Revue Française de Psychosomatique 1992(2):123–37.

Références

[5]

Press J. La répression, refoulement du pauvre ? Revue Française de Psychosomatique, 7. 1995. p. 121–39.

[1]

[6]

Smadja C, Szwec G. Introduction. Revue Française de Psychosomatique 1992(2):3–4.

terminerai en reprenant une citation de J.P. Pontalis donnée en conclusion par Joyce Mc Dougall [2] : « les idées n’existent pas et la pensée ne compte que si elle est la métaphore d’un corps ».

Dejours C. Doctrine et théorie en psychosomatique. Revue Française de Psychosomatique 1995(7).