Somatisation, conversion et trouble somatoforme… nosographie et psychopathologie

Somatisation, conversion et trouble somatoforme… nosographie et psychopathologie

Douleurs, 2005, 6, 1 14 FAITES LE POINT Somatisation, conversion et trouble somatoforme… nosographie et psychopathologie Pascal Rouby(1) (photo), S...

194KB Sizes 0 Downloads 49 Views

Douleurs, 2005, 6, 1

14

FAITES LE POINT

Somatisation, conversion et trouble somatoforme… nosographie et psychopathologie Pascal Rouby(1) (photo), Sarah Dauchy(1), Isabelle Landrieux(2), L’expression de symptômes physiques suggérant une affection médicale est aujourd’hui désignée sous le terme générique de somatisation. Ce terme largement employé par la communauté médicale mais aussi par le grand public, est repris dans la nosographie psychiatrique sous l’appellation de troubles somatoformes [1, 2]. La définition et la description clinique de ce type de manifestations mettent en évidence la participation des facteurs psychologiques voire psychopathologiques dans l’émergence et le maintien de la plainte douloureuse. Ainsi, les mécanismes psychogènes apparaissent dans le modèle pluridimensionnel de la douleur comme générateurs de douleur au même titre que les mécanismes nociceptifs et neurogènes [3]. Cependant si la notion de troubles somatoformes apparaît pertinente, son application clinique demeure encore difficile tant sur le plan diagnostique que thérapeutique. Cet article tente de dégager les aspects pratiques essentiels dans le diagnostic et la prise en charge des troubles somatoformes. Nous aborderons, dans un premier temps, les principales entités psychopathologiques responsables d’une plainte douloureuse. Un modèle simplifié de classification sera proposé. Une réflexion sur la difficulté à poser ces diagnostics sera engagée. Celle-ci concernera plus particulièrement les aspects historiques et nosographiques de la notion de troubles somatoformes. L’intérêt de la détection de tels troubles dans la prise en charge du patient douloureux sera alors discuté.

DOULEUR CHRONIQUE ET PSYCHOPATHOLOGIE : LES REPÈRES NOSOGRAPHIQUES ACTUELS La comorbidité psychiatrique est fréquente chez les douloureux chroniques. Cette morbidité entretient et majore la plainte douloureuse, compliquant d’autant la prise en 1. Département interdisciplinaire de Soins de support aux patients en oncohématologie, Institut Gustave Roussy, Villejuif. 2. Consultation d’Évaluation et de Traitement de la Douleur, CHR Orléans.

charge. Les troubles associés sont l’anxiété dans 25 à 65 % des cas selon les études [4], la dépression dont le taux est supérieur à 50 % dans la plupart des travaux [5, 6, 7]. Des troubles de la personnalité sont retrouvés dans 25 à 60 % 8]. La prévalence de ces troubles dans la population de douloureux chroniques est sensiblement plus importante que dans la population générale, cependant la discussion sur les liens de causalité reste ouverte. La place des facteurs de comorbidité psychiatrique dans la douleur chronique oscille selon les auteurs entre une position d’élément prédisposant et favorisant la survenue du syndrome douloureux chronique, et une position considérant ces troubles comme la résultante de la chronicisation de la douleur [9]. Il existe néanmoins en dehors de cette comorbidité psychiatrique accompagnant le sujet douloureux chronique, un cadre nosographique individualisé qui regroupe les troubles psychopathologiques susceptibles de présenter une plainte douloureuse. Ces troubles psychiatriques sont regroupés dans la classification internationale des maladies (CIM 10) et la classification américaine (DSM IV) sous l’appellation de troubles somatoformes. Cette catégorie rassemble un ensemble de pathologies caractérisées par : « … des symptômes physiques suggérant une affection médicale, mais ne pouvant être complètement expliquée par celle-ci. Les symptômes sont suffisamment sévères pour provoquer une souffrance cliniquement significative, et/ou une altération du fonctionnement professionnel, social… » [1]. La plainte douloureuse représente bien évidemment un symptôme physique clé pour les patients présentant de tels troubles. Ces pathologies psychiatriques peuvent induire un tableau douloureux sans cause organique objectivable ou majorer le tableau douloureux de manière disproportionné en regard de l’atteinte somatique. Descriptions des principaux troubles somatoformes L’expression d’une plainte douloureuse peut être retrouvée principalement dans les troubles psychiatriques suivants : – le trouble douloureux, où la douleur est au centre du tableau ; – le trouble de conversion, caractérisé par une ou deux plaintes neurologiques ;

Douleurs, 2005, 6, 1 – le trouble somatisation (Syndrome de Briquet), caractérisé par de nombreuses plaintes physiques touchant plusieurs appareils ; – l’hypochondrie, caractérisée par la croyance d’être atteint d’une maladie incurable

15 sur l’interprétation erronée de certaines sensations ou symptômes physiques. La plainte douloureuse dans le discours du patient n’est que le signe de la maladie dont le patient est convaincu d’être atteint. La demande est centrée sur la reconnaissance et la prise en charge de sa maladie. Ici le soulagement de la douleur est subordonné à la reconnaissance de la maladie par le médecin.

Le trouble douloureux Le trouble douloureux est caractérisé dans la CIM 10 comme Proposition d’une classification simplifiée étant : « … une douleur persistante, intense, s’accompagnant des troubles somatoformes dans le cadre d’un sentiment de détresse, non expliquée entièrement par d’une consultation douleur (tableau I) un processus physiologique ou un trouble physique et surveÀ partir de la plainte douloureuse, nous avons tenté de nant dans un contexte de conflits émotionnels et de proregrouper et d’ordonner les symptômes de la lignée somablèmes psychosociaux suffisamment importants pour toforme afin d’aider le clinicien dans sa démarche diagnosconstituer la cause essentielle du trouble selon le clinicien. Le tique et dans sa discussion avec ses collègues psychiatres. trouble assure habituellement au patient une aide et une Le modèle de description est le DSM IV, sachant que la sollicitude accrues de la part de son entourage et des CIM 10 est très proche de ce dernier. médecins ». La définition du DSM IV en est très proche. Il s’agit d’un modèle simplifié de classification, qui se proIl s’agit d’un groupe hétérogène de patients souffrant de pose de hiérarchiser les signes cliniques à partir d’un noyau lombalgies, de céphalées, d’algies faciales… associées à un symptomatique « douloureux », puis important passé médical et chirurgical. d’ajouter les caractéristiques propres à Les répercussions sociales et professionchaque trouble somatoforme. Son intérêt nelles sont importantes. À noter l’exisLe modèle de description est de tenter d’être au plus prés d’une tence concomitante de troubles est le DSM IV, sachant consultation « douleur », à savoir partir de psychiatriques associés (dépression, que la CIM 10 est très la plainte douloureuse du patient. anxiété…). proche de ce dernier. L’hypochondrie n’est pas représentée du L’évolution et le pronostic sont marqués fait d’un mécanisme différent ou la doupar la tendance à la chronicité. Les éléleur est secondaire, assujettie à la préocments de mauvais pronostic sont les percupation centrale qui est celle d’être atteint d’une maladie. sonnalités pathologiques, la passivité, les procès en cours. Le trouble conversion Le DSM IV définit le trouble de conversion comme étant un trouble caractérisé par la présence d’un ou plusieurs symptômes neurologiques. Il implique plus particulièrement plusieurs symptômes ou déficit touchant la motricité, les fonctions sensorielles ou sensitives. Ces symptômes ou déficits ne doivent pas uniquement concerner la douleur ou la fonction sexuelle. Le trouble somatisation Aussi appelé syndrome de Briquet, avant l’introduction du syndrome de conversion dans le DSM III en 1980. Il peut se rencontrer dans une consultation douleur du fait de l’existence de symptômes douloureux, cependant ceux-ci sont associés à une symptomatologie variée. Les critères diagnostiques du DSM IV, nécessitent outre les manifestations douloureuses dans 4 localisations, 2 symptômes gastro-intestinaux, 1 symptôme sexuel, 1 symptôme pseudo neurologique. L’hypochondrie Ici la plainte douloureuse n’est que le reflet de la croyance d’être atteint d’une maladie grave. Cette croyance se fonde

DISCUSSION À PROPOS DE LA NOTION DE TROUBLE SOMATOFORME Bien que la distinction entre les différents troubles somatoformes soit aisée, cette entité nosographique reste d’un emploi difficile ou le diagnostic est encore trop souvent porté par défaut. Ce diagnostic par « défaut » pèse bien évidement dans la prise en charge du patient, reléguant ce dernier dans un registre uniquement psychosocial. Le somaticien, démuni devant ce diagnostic peu « gratifiant » tant sur le plan de la démarche diagnostique que thérapeutique, risque de rapidement se désintéresser de la situation. Pourtant la notion de trouble à médiation somatique est une entité médicale ancienne, dont la persistance au fil des différentes théories médicales témoigne de l’intérêt. Cependant ce concept reste discuté sur le plan nosographique et fragile sur le plan théorique. Restituer cette perspective historique permet d’aborder quelques pistes sur les modalités du raisonnement médical aboutissant au diagnostic de trouble somatoforme. D’autre part la multiplicité des systèmes nosographiques employés contribue au sentiment de flou et de confusion de cette terminologie.

Douleurs, 2005, 6, 1

16 Tableau I Classification simplifiée des troubles somatoformes. Trouble somatoformes

Caractéristiques Cliniques Manifestations douloureuses :

Trouble Douloureux

– la douleur est au centre du tableau clinique – une ou plusieurs localisations

Remarques – On retrouve comme pour les autres troubles somatoformes une souffrance clinique et une altération du fonctionnement social et professionnel important

+ Manifestations neurologiques :

Trouble Conversion

– Le symptôme ou le déficit ne se – 1 ou plusieurs symptômes ou limite pas à une douleur ou à une déficit touchant la motricité ou dysfonction sexuelle. les fonctions sensorielles ou sen– Important : La seule présence sitives. de manifestations neurologiques sans douleur suffit au diagnostic + de conversion Manifestations somatiques :

Trouble somatisation

Les troubles somatoformes : perspective historique Les troubles somatoformes sont la dénomination nosographique (DSM IV, CIM 10) actuelle d’une forme particulière de troubles mentaux. Ces troubles, bien que décrits depuis l’antiquité, ont traversé de multiples remaniements nosographiques et théoriques. Cette histoire varie au gré des évolutions de la pensée médicale. Les entités regroupées au sein des troubles somatoformes, ont connu des appellations différentes dans des catégories nosographiques multiples. Ainsi ces troubles apparaîtront au cours du temps dans la théorie des maladies nerveuses, puis dans le cadre des névroses et enfin sous la dénomination actuelle de troubles somatoformes dans le DSM IV et la CIM 10. L’observation et la description de symptômes physiques suggérant une affection médicale, incomplètement ou non expliquée par celle-ci sont des données anciennes dans l’histoire de la médecine. Dès l’antiquité, les auteurs anciens décrivent des troubles inexpliqués médicalement où, l’expression somatique est au premier plan. Ainsi Socrate parle de la « théorie de la migration utérine » pour définir l’hystérie, Diocles de Caryste décrit l’hypochondrie. Au XVIIe siècle Willis et Sydenham regroupent les termes d’hystérie et d’hypochondrie dans la classe des maladies nerveuses, en émettant l’idée d’un dysfonctionnement global du système nerveux. C’est finalement en 1769 que le médecin Ecossais W. Cullen forme le terme de névrose pour désigner le

– 2 symptômes gastro-intestinaux – 1 symptôme sexuel

– Quatre symptômes douloureux et une manifestation pseudo neurologique doivent être observés en sus des signes digestifs et sexuels

groupe des maladies nerveuses. Ce groupe est divisé en 4 catégories au sein desquelles sont définis l’adynamie incluant l’hypochondrie et les spasmes incluant l’hystérie. Dès cette époque le terme de névrose est défini par défaut, c’est-à-dire dans les sens d’une affection sans fièvre ou lésion localisée. Au XIXe siècle, les anatomo-pathologistes vont requalifier le terme de névrose en terme de « lésion négative ». En 1840 Georget dans son dictionnaire de médecine écrit : « … troubles chroniques, non dangereux, intermittents, sans fièvre, susceptibles en apparence d’entraîner une souffrance telle que le sujet se croit gravement malade ; ils ne comportent aucune vérification post mortem de la présence de lésions organiques. Les névroses incluent les céphalées périodiques, l’hypochondrie, la catalepsie, la chorée, l’hystérie, l’asthme, les palpitations nerveuses, les gastralgies avec ou sans vomissements, et les névralgies. » [10]. Cette conception présente tout au long du XXe siècle reste encore fermement inscrite dans le raisonnement et la pratique médicale du début du XXIe siècle. Charcot en 1870, s’inspirant des travaux de Briquet élabore une description rigoureuse de l’hystérie. L’importance historique des travaux de Charcot, réside dans son ambiguïté conceptuelle entre organicité et représentation mentale. Cette conception est le prélude aux conceptions psychodynamiques.

Douleurs, 2005, 6, 1

17 e

L’histoire des névroses à la fin du XIX siècle est marquée par un désintérêt et une mise à l’écart par la psychiatrie officielle ; ceci participe alors à l’émergence de la psychopathologie freudienne qui est alors la seule à pouvoir lui donner un cadre théorique et nosographique cohérent. Ainsi, de manière schématique, Freud différencie les névroses actuelles, pour lesquelles la cause est liée à un dysfonctionnement de la sexualité et les psychonévroses qui se caractérisent par des symptômes qui sont l’expression symbolique de conflits infantiles [11]. Les névroses actuelles regroupent la neurasthénie, la névrose d’angoisse et l’hypochondrie, les psychonévroses rassemblent l’hystérie, les obsessions et les phobies. Le système théorique et nosographique freudien demeura la seule référence susceptible de donner une unité et une cohérence interne au concept de névrose. Cependant au cours des années 1970 le modèle psychodynamique prédominant jusqu’alors est remis en cause dans les classifications (ICD 9 et DSM III). Cette évolution est la résultante de phénomènes divers. La multiplication des travaux épidémiologiques et cliniques, l’émergence de nouvelles formes de psychothérapies actives sur les symptômes, le développement de la psychologie quantitative et les progrès de la psychopharmacologie vont bouleverser le cadre nosographique du concept de névrose et aboutir à son démembrement. Le schéma (fig. 1) résume les transformations nosographiques entre le modèle psychanalytique et les classifications actuelles DSM IV et ICD 10. La catégorie des troubles somatoformes résulte essentiellement de l’éclatement du concept d’hystérie. Celui ci se

Système Nosographique « Psychanalytique » Névrose d’angoisse Névrose phobique

décline alors en trouble de conversion, trouble somatisation et trouble douloureux. Aujourd’hui, la situation demeure indécise. Si la catégorie des troubles somatoformes reste équivalente dans les classifications DSM III, III-R et IV ainsi que dans la CIM 9 et 10, ces systèmes nosographiques font l’objet de nombreuses critiques. Le cadre nosographique des névroses subit les apports multiples et souvent contradictoires de la recherche. Les travaux épidémiologiques, les instruments psychométriques et les progrès dans le champ des neurosciences contribuent à l’actualité du débat. Cependant, l’évolution du concept de névrose au fil du temps est marquée par l’empreinte des anatomopathologistes du e XIX siècle à savoir l’idée d’un trouble défini par défaut en l’absence de lésion somatique. Conception que résume ainsi Pierre Janet : « … déclarer que l’unité de la classe des névroses ne repose que sur notre ignorance de la lésion, c’est admettre, en réalité, que cette unité n’existe pas et que ce groupement de symptômes dépend uniquement du hasard, d’une ignorance égale pour tous… ». Systèmes nosographiques actuels : caractéristiques et correspondances Les termes nosographiques désignant les troubles somatoformes sont variables dans le temps et selon le système nosographique employé. La différence essentielle entre la CIM 10 et le DSM IV concerne le trouble conversion qui appartient à la catégorie des troubles somatoformes dans le

DSM IV/CIM 10

Trouble Anxieux TP*/TAG** Phobie TOC***

Névrose obsessionnelle Névrose hystérique Troubles Somatoformes Hypochondrie Trouble de conversion Trouble somatisation Trouble douloureux Hypochondrie Figure 1. *TP = Trouble Panique. **TAG = Trouble Anxieux Généralisé. ***TOC = Trouble Obsessionnel Compulsif.

Douleurs, 2005, 6, 1

18 DSM IV et à la catégorie des troubles dissociatifs dans la CIM 10. La question de ces troubles se pose aussi pour les enfants et les adolescents. Il existe une classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA R 2000) [12] spécifique de la psychopathologie infanto juvénile. Cette nosographie conserve les concepts de névrose et d’hystérie, absentes de la CIM et du DSM. Le tableau suivant regroupe sous l’appellation troubles à expression somatique les troubles psychofonctionnels d’expressions équivalentes aux troubles douloureux et hypochondriaques (encadré 1). Encadré 1. Troubles à expression somatique

8.0 Affections psychosomatiques 8.1 Troubles psyconctionnels 8.2 Trouble hypochondriaque

8.3 Énurésie 8.4 Encoprésie 8.5 Trouble du sommeil 8.6 Retard de croissance psychogène

céphalées psychogènes. Il est intéressant de remarquer le caractère tautologique de la définition de trouble psychofonctionnel qui renvoie à la notion de manifestation psychogène… Le schéma (fig. 2) suivant reprend les principaux systèmes nosographiques actuels et établit les formes de correspondances d’un système à l’autre. Au final, les aléas du terme de névrose apparaissent liés à certains évènements de l’histoire médicale. On citera plus particulièrement l’influence du discours des anatomo-pathologistes du XIXe siècle. Celui-ci définit la névrose comme un trouble sans lésion associé à l’idée d’un diagnostic porté par défaut. Ce mode de pensée est encore fortement présent dans le discours médical actuel. Le récent éclatement de la nosographie Freudienne qui donnait la cohérence interne au terme de névrose, au profit de nosographies descriptives (CIM 10 et DSM IV), est source de confusion pour les cliniciens non spécialistes. Ainsi, le terme de trouble somatoforme, dernier avatar nosographique du concept de névrose, hérite de son prédécesseur sa fragilité théorique et sa difficulté de maniement. INTÉRÊT CLINIQUE DE LA DÉTECTION ET DE LA PRISE EN CHARGE DES TROUBLES SOMATOFORMES

Parmi les manifestations les plus fréquentes figurent : torticolis psychogène, crampe des écrivains, spasme du sanglot, hoquet et toux psychogènes, syndromes douloureux psychogènes, troubles cardio-vasculaires fonctionnels psychogènes, prurit psychogène, aérophagie, vomissements psychogènes, dysménorrhées psychogènes, migraines et

DSM IV (1994 ) Trb somatoformes

• Trouble douloureux • Hypochondrie • Trouble somatisation (S de Briquet)

• Trouble conversion

Figure 2. Principaux systèmes nosographiques.

La mise en évidence de facteurs psychogènes dans l’origine, le maintien voire la majoration du phénomène douloureux est une constatation fréquente chez les douloureux chroniques. Cependant si la mise en évidence d’un épisode dépressif majeur ou d’un trouble anxieux associé à un syndrome

CFTM EA-R

CIM 10 (1993 )

Trb à expressions somatiques

Trb somatoformes douloureux • Spersistant

•Trb

psychofonctionnels

•Trb

• Trb hypochondriaque

hypochondriaque

• Somatisation

Trb Névrotiques •

Trouble dissociatif (de conversion)

Trb névrotique à dominante hystérique (S de Briquet)

Douleurs, 2005, 6, 1 douloureux chronique se révèle généralement aisé, les troubles somatoformes sont d’un diagnostic et d’une prise en charge beaucoup plus difficiles. La détection d’un trouble somatoforme représente un intérêt clinique réel dans la prise en charge du patient douloureux chronique qui va bien au delà des considérations nosographiques et des discussions purement théoriques. Il est pertinent d’énoncer certains points essentiels dans la prise en charge de tels patients, ainsi que l’intérêt thérapeutique que peut représenter un tel investissement

19 cence, cure, établissement de soins psychiatriques…) mais aussi dans le lien avec le monde du travail (cotorep, mitemps thérapeutique…).

Que peut-on attendre d’une prise en charge adéquate ? La détection, le diagnostic et la prise en charge des troubles somatoformes sont d’un intérêt majeur pour les patients. En effet la morbidité associée à ce type d’affection est relativement importante. Les principaux risques susceptibles de survenir au décours de ce type d’affections sont multiples : Conduite à tenir 1. surconsommation médicale avec risque de iatrogénie L’examen clinique complet est essentiel afin d’éliminer une médicamenteuse ou chirurgicale ; pathologie somatique susceptible de donner un tableau simi2. risque d’abus médicamenteux dans un contexte de toxilaire, plus particulièrement certaines maladies de système ou comanie voire d’alcoolisme ; neurologiques [13]. Cet examen médical complet et soigné 3. décompensation psychiatrique sous forme d’épisode conditionne aussi la possibilité de prolonger la prise en dépressif ou de trouble anxieux, où le passage à l’acte auto charge vers des interlocuteurs psychiatres ou psychologues. agressif peut alors survenir ; En effet, un examen trop rapide ou incomplet peut être res4. risques en rapport avec les troubles de la personnalité frésenti par le patient comme un manque de considération. Dans quemment associés aux troubles somatoformes [14], on ce contexte, la proposition de rencontrer un psychiatre ou un peut citer : psychologue a toute les chances d’être – le règlement préalable d’un litige mal vécu et d’échouer. Il est d’ailleurs médico-légal chez la personnalité paraimportant de rappeler que pour les L’abord pluridisciplinaire noïaque, patients la participation psychologique de la consultation douleur – la prescription d’examens multiples et dans l’expression de leur douleur reste permet de présenter invasifs chez les personnalités pathologiune notion délicate, souvent interprétée le psychiatre au patient. ques présentant une symptomatologie comme synonyme de douleur imaginaire. hypocondriaque (états limites, obsesDans ce contexte le médecin cherchera sionnel…), après l’indispensable « temps somatique » – les abus médicamenteux (états limites, hystérie…), à aborder avec le patient, les facteurs psychologiques. – les éventuels bénéfices secondaires (hystérie, états limiOutre la détection d’une éventuelle dépression ou trouble tes…) ou résistances à la prise en charge (passifs dépenanxieux, il s’agit d’infléchir l’entretien vers un abord dant, passifs agressifs…) ; « psychosomatique » où la plainte douloureuse est porteuse 5. surcoût économique. de sens. L’histoire du patient, les événements de vie familiaux ou professionnels doivent être explorés. L’abord pluridisciplinaire de la consultation douleur permet alors de présenter le psychiatre au patient voire d’organiser une consultation commune psychiatre/somaticien. La mise en œuvre d’un suivi psychiatrique ou psychologique spécifique, nécessite le maintien d’un suivi par le somaticien sous peine de voir émerger un sentiment d’abandon. Il est en effet primordial d’éviter de réintroduire un fonctionnement médical clivé psyché/soma source d’échec dans la prise en charge de tels patients. En pratique la prise en charge psychiatrique ou psychologique qu’elle soit sous forme de psychothérapies et/ou de traitements psychotropes doit être accompagnée de consultations par le somaticien, consultations non nécessairement fréquentes mais régulières. Enfin le volet social de la prise en charge sera initié si besoin. L’aide de l’assistante sociale se révélera alors pertinente dans une perspective de soins (séjour en convales-

CONCLUSION Les liens entre psyché et soma, peuvent s’exprimer sous forme de manifestations pathologiques. Ces troubles observés dès le début de l’histoire de la médecine, sont à l’origine de réflexions scientifiques et de théories médicales qui tentent d’en donner un modèle de compréhension cohérent. Ainsi de la théorie des maladies nerveuses au concept de névrose, jusqu’aux systèmes actuels dits « athéoriques » (CIM 10 et DSM IV), la question reste d’actualité. Il n’existe ce jour aucune théorie ou système nosographique pouvant prétendre décrire et expliquer en totalité ces manifestations pathologiques. Cependant si le débat demeure, il existe sur le plan clinique et thérapeutique un intérêt indéniable à détecter et à prendre en charge ce type de trouble. Les troubles somatoformes, dénomination actuelle de ces manifestations, échappent au modèle biomédical classique.

20 Dans ce contexte, les consultations d’évaluation et de traitement de la douleur du fait de leurs organisations pluridisciplinaires et pluriprofessionnelles sont susceptibles d’être un lieu d’élaboration clinique et thérapeutique pertinent. ■

Douleurs, 2005, 6, 1 deration of the many different nosographic systems employed. Diagnosis of somatoform disorders should lead to better management of these patients by avoiding the specific risks of this type of disorder. Key-words: pain, somatoform disorders, psychopathology, nosography.

RÉFÉRENCES 1. American Psychiatric Association. Mini DSM-IV. Critères Diagnostiques (Washington DC, 1994). Traduction française par J.-D Guelfi et al., Masson, Paris, 1996:394. 2. CIM 10/ICD 10. Classification Internationale des Maladies. 10e révision. Chapitre V (F). Troubles mentaux et troubles du comportement. Descriptions cliniques et directives pour le diagnostic. OMS. Traduction de l’anglais par C.B. Pull. 1994; 2e tirage : 336. 3. Boureau F. Pratique du traitement de la douleur. Paris, Doin, 1988. 4. Turck DC. Biopsychosocial perspective on chronic pain. In: Gatchel RJ and Turk DC: Psychological approaches to pain management. A practionner’s handbook. New york, Guilford Press, 1996:3-32. 5. Atkinson JH, Slater MA, Patterson TL, Grant I, Garfin SR. Prevalence, onset and risk of psychiatric disorders in men with chronic low back pain: a controlled study. Pain, 1991;45:111-21. 6. Smith GR. The epidemiology and treatment of depression when it coexists with somatoform disorders, somatization, or pain. Gen Hosp Psychiat, 1992;14:265-72. 7. Fischbain DA. Approaches to treatment decisions for psychiatric comorbodity in the management of the chronic pain patient. Medical Clinics of North America, 1999;83:737-60. 8. Fink P. Psychiatric illness in patients with persistant somatisation. Brit J Psychiat, 1995;166:93-9. 9. Allaz A-F. Le Messager Boiteux : Approche pratique des douleurs chroniques. Éditions Médecine et Hygiène, 2003. 10. Georget EJ. Névroses. In : “Dictionnaire de médecine” Vol XXV, Paris, Béchet 1840:27-41. 11. Laplanche J, Pontalis J-B. Vocabulaire de la Psychanalyse. pp 267-270. 11e Édition PUF, 1992. 12. Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent version révisée 2000. R. Misès et al. 13. Kaplan HI, Sadock BJ. Synopsis de Psychiatrie. Editions, Pradel Paris 1998:792-802. 14. Folks DG, Ford CV, Houck CA. Somatoforms disorders, factitious disorders and malingering. In Clinical Psychiatry for Medical Student, A Stoudemire, editor, Philadelphia 1998:233.

Résumé la participation de facteurs psychologiques ou psychopathologiques aux cours d’un syndrome douloureux est fréquente. L’utilisation de la notion de trouble somatoforme dans le cadre d’une consultation douleur requiert une réflexion spécifique. Cette réflexion nécessite de replacer les troubles somatoformes dans une perspective historique et dans la pluralité des systèmes nosographiques employés. Le diagnostic de trouble somatoforme doit alors conduire à une meilleure prise en charges des patients en évitant les risques spécifiques à ce type de troubles. Mots-clés : douleurs, troubles somatoformes, psychopathologie, nosographie.

Summary: Somatization, conversion, and somatoform disorders Psychological and psychopathological factors often participate in painful syndromes. Using the notion of somatoform disorder in pain consultation requires a specific approach. Somatoform disorders must be placed in the historical context and in consi-

Tirés à part : P. ROUBY, Département interdisciplinaire de Soins de support aux patients en oncohématologie, Institut Gustave Roussy, 39, rue Camille Desmoulins, 94800 Villejuif Cedex.