Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475-86 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448701000889/FLA
MÉMOIRE ORIGINAL
Dangerosité criminologique, psychopathologie et co-morbidité psychiatrique M.L. Bourgeois1*, M. Bénézech2 1 2
IPSO, Institut Pitres et Régis, CH Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France ; SMPR, maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan, BP 109, 33173 Gradignan cedex, France
(Reçu le 17 avril 2001 ; accepté le 5 mai 2001)
Résumé – La dangerosité criminelle est souvent associée à une pathologie psychiatrique. Les publications les plus récentes – utilisant les instruments diagnostiques standardisés et se référant aux catégories diagnostiques psychiatriques actuelles – sont venues confirmer les données anciennes. Les recherches ont porté : 1) sur les taux (plus élevés) d’arrestation des patients sortis d’institutions psychiatriques ; 2) sur la fréquence des troubles mentaux chez les personnes incarcérées ; 3) sur la psychopathologie (fréquente et grave) des auteurs d’homicide ; 4) sur les actes de violences observés dans le suivi au long cours de larges cohortes ; 5) sur la prévalence du comportement violent dans les grandes enquêtes épidémiologiques psychiatriques de la population générale ; et 6) sur la co-morbidité psychiatrique proprement dite : plus le nombre de diagnostics psychiatriques augmente chez un patient, plus le risque de violence augmente. La co-morbidité psychiatrique, qu’elle soit catégorielle (diagnostic de trouble mental) ou dimensionnelle et comportementale transnosographique (dyscontrôle comportemental et passage à l’acte agressif), augmente considérablement les risques de violence, d’auto-agression et d’hétéro-agression (suicide et homicide). Par ailleurs, il existe une corrélation démontrée entre homicide, idéation suicidaire, tentative de suicide et suicide. Enfin, les études empiriques ont confirmé l’existence de perturbations biologiques (au niveau des neurotransmetteurs) chez les sujets violents, en particulier une dysrégulation du système sérotoninergique. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS agression / co-morbidité psychiatrique / criminologie / dangerosité / homicide / violence
Summary – Criminal dangerousness, psychopathology and psychiatric comorbidity. Criminal dangerousness is frequently associated to psychiatric diagnoses. Recent studies using standardised psychiatric instruments confirmed more ancient data. Arrest rate of patients discharged from psychiatric facilities is significantly higher. Jailed detainees have prevalence rate of psychiatric diagnosis three times that of the general population. Schizophrenia, antisocial personality disorder, alcoolism increase the odds-ratio to commit homicide. In community samples (ECA and NCS Studies) most axes I & II disorders increase the prevalent rate of violent behavior by at least several times. Furthermore, the higher the psychiatric comorbidity the higher the risk of aggressive behavior. Finally, there is a correlation between suicidal ideas and attempts and homicidal behavior. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS aggression / criminology / dangerousness / homicide / psychiatric comorbidity / violent behaviour
Malgré les réticences de certains auteurs et les tabous de la pensée politiquement correcte, il y a un lien incontestable entre la dangerosité criminologique et les troubles mentaux. On a souligné les dangers et les limites de
*Correspondance et tirés à part.
la « criminalisation des malades mentaux » (ils sont dangereux et il faut s’en protéger), aussi bien que de la « psychiatrisation des criminels » (ils sont tous malades mentaux). Il n’en demeure pas moins que les procédures d’hospitalisation sans consentement en psychiatrie (HO et HDT) de la loi de 1990, héritière de la loi de 1838 (avec les mesures d’internement, PV et PO),
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reposent essentiellement sur la dangerosité pour soi et / ou pour autrui, et que les études les plus récentes confirment la fréquence plus élevée des comportements criminels violents parmi les personnes souffrant de troubles mentaux graves, tout comme la fréquence élevée des troubles mentaux chez les criminels (incarcérés ou non), quelle que soit l’interprétation de ces données. DÉFINITIONS DE LA DANGEROSITÉ Il n’y a aucune définition médico-légale valable de la dangerosité [8]. Il existe cependant des « critères classiques », « critères généraux » (antécédents judiciaires, psychiatriques, possession et goût des armes, abus d’alcool et de drogue, conduite automobile dangereuse etc.) (cf. annexe). Il y a diverses formes de dangerosité. Nous nous limiterons ici à la dangerosité criminologique avec agression physique, tout en rappelant que les critères de définition du crime sont variables, étant toujours formulés par rapport à la loi qui évolue dans le temps. Diverses définitions de l’état dangereux ont été proposées. Senninger et Fontaa [37], rappellent celle de Grispini (1920) : « État créant pour le sujet la possibilité de devenir l’auteur d’un méfait » ; celle de Dublineau (1953) : « État où un individu présente des virtualités particulièrement marquées de passage à l’acte coïncidant avec une situation sociale difficile. » La définition la plus claire est sans doute celle de Bénézech et al. [9] : « État, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction ». Avec Kinberg [25] les recherches se sont centrées sur « les situations pré-criminelles », la dangerosité du délinquant se révélant lors de la mise en situation (et l’acte lui-même épuisant souvent la dangerosité). On a distingué ainsi les situations spécifiques ou dangereuses, les situations « amorphes » non spécifiques et les situations intermédiaires ou mixtes. Leyrie (cité par Senninger et Fontaa [37]) soulignait la valeur scientifique contestable de la notion de dangerosité, et la faible valeur prédictive du concept. Il a d’ailleurs repris cette notion [28]. Pour Landry (1976) (cité par Senninger et Fontaa [37]), il faut abandonner la notion de potentialité criminogène, le diagnostic d’état dangereux ne reposant que sur le comportement présent et passé de l’expertisé « et sur l’idée, très largement partagée, selon laquelle un homme qui a commis un crime doit être considéré a priori comme plus dangereux qu’un homme qui n’en a pas commis ». Zagury (cité par Senninger et Fontaa [37]) propose cependant de conserver la notion d’état dangereux à condition de la reconsidérer par une
analyse clinique rigoureuse, centrée sur un sujet abordé à travers sa singularité… Ces réserves sont probablement justifiées et incitent à nuancer les théories criminologiques, mais elles risquent d’entraver, par des considérations purement idéologiques, les recherches dans le domaine de la prévision de la criminalité et de son récidivisme. On a pu distinguer l’état dangereux permanent (trait) et l’état dangereux imminent (état), ainsi que la dangerosité criminologique (facteurs étiologiques généraux) et la dangerosité psychiatrique (facteurs étiologiques mentaux) [8]. Turvey [45] consacre quelques lignes au problème de la dangerosité (dangerousness) des délinquants (offenders). Elle est fondée sur une analyse soigneuse concernant les habitudes, fantasmes, traits de personnalité, état mental de l’offender permettant de faire des inférences sur la probabilité de violences ultérieures, le type et éventuellement l’identité des victimes potentielles, le type de situations à haut risque pour l’agresseur aussi bien que les victimes. « La valeur de ces informations est inestimable », car elle permet de protéger le public et de réduire le risque d’agression ultérieure. En réalité tout le livre de Turvey [45], consacré au « profilage criminel » (criminal profiling), porte sur cette dangerosité. TROUBLES PSYCHIATRIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIE DES VIOLENCES CRIMINELLES On peut, à la suite de Asnis et al. [2], et avec la permission de ces auteurs pour la présentation de certaines de leurs données, aborder ainsi le problème de relation entre pathologie psychiatrique et violences criminelles dans divers types de population : – les taux d’arrestation chez les patients sortis d’institution psychiatrique ; – l’épidémiologie des troubles mentaux chez les sujets en prison, que l’on peut désormais comparer avec la prévalence de ces troubles mentaux dans la population générale ; – la prévalence des troubles mentaux chez les auteurs d’homicide ; – les études de cohortes longitudinales avec un suivi depuis la naissance ; – les études d’épidémiologie psychiatrique dans la population générale avec prévalence respective de divers troubles mentaux, et prévalence des comportements violents dans chacune de ces catégories psychiatriques ; – la co-morbidité psychiatrique proprement dite. Dans les mêmes études sus-citées, on peut vérifier le poids de la co-morbidité qui augmente parallèlement avec le risque croissant de violence (proportionnellement au nombre des diagnostics psychiatriques co-morbides) ; Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
Criminologie, psychopathologie, co-morbidité psychiatrique
– la prévalence des agressions criminelles chez les patients psychiatriques ambulatoires. On ne devrait d’ailleurs plus se contenter de faire une évaluation purement clinique. Les données psychobiologiques, bien que parcellaires, sont suffisantes pour que soit exigé un bilan neurologique, neuroradiologique (IRM) et biologique dans les situations de violences criminelles. Certaines données biologiques constituent des facteurs de risque établis (pour la violence suicidaire, homicide et destructrice) [13, 15, 16, 32]. NOTION DE CO-MORBIDITÉ PSYCHIATRIQUE La co-morbidité est un concept récent, initialement développé en médecine interne. En psychiatrie, où il n’y a pratiquement pas de donnée étiopathogénique ou pathophysiologique, cette notion est à la fois importante et difficile [4]. Il convient tout d’abord de rappeler que les concepts psychopathologiques et les catégories diagnostiques ne sont pas encore établis scientifiquement. Comme le précise clairement l’introduction des DSM-III (1980), III-R (1987) et IV (1994), la définition des troubles mentaux est relativement conventionnelle, fondée sur un consensus de cliniciens avec des catégories diagnostiques qui privilégient la fiabilité au détriment de la validité. Les limites entre les diverses catégories nosologiques entre elles, aussi bien que les limites entre le normal et le pathologique, sont incertaines. Ces réserves étant posées, il n’en demeure pas moins que les recherches depuis vingt ans reposent sur des catégories diagnostiques fondées sur des critères cliniques (symptômes) opérationnalisés, utilisant des instruments de recherche récents. Ainsi, la clinique psychiatrique a été complètement renouvelée, et la criminologie apporte maintenant de nouvelles données fondées sur cette nouvelle clinique. Les deux grands systèmes internationaux de classification des maladies mentales utilisés actuellement sont la CIM-10 (Classification internationale des maladies, 10ème édition) de l’OMS (1993) et le DSM-IV (Manuel diagnostique et statistique, 4ème édition) de l’APA (1994), ce dernier étant compatible avec la précédente. Ainsi, les grandes enquêtes épidémiologiques en population générale, Epidemiologic Catchment Area (ECA) study, [36] et National Comorbidity Survey (NSC) [24] reposent sur ces critères et peuvent servir de base de comparaison pour les travaux criminologiques. À la suite de Kaplan et Feinstein (1974) [4], on distingue « co-morbidité pathogénique », (la deuxième maladie étant étiologiquement liée à la première), « comorbidité diagnostique » (co-occurrence symptomatique), permettant le diagnostic catégoriel de deux ou plusieurs catégories diagnostiques, et « co-morbidité pronostique », qui comprend la notion de risque relatif Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
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(ou odd-ratio, OR), de grande importance en psychiatrie. Un syndrome peut favoriser l’apparition d’autres troubles que le premier, par exemple, maladie dépressive et alcoolisme. On distingue encore « co-morbidité d’épisode » et « co-morbidité longitudinale » (sur la vie). La co-morbidité est donc un concept issu de la médecine interne dans laquelle les diagnostics sont beaucoup plus facilement assurés qu’en psychiatrie (par les examens de laboratoire : biologie, imagerie, etc.). Il s’agit de co-morbidité catégorielle. On pourrait aussi envisager une co-morbidité dimensionnelle. En effet, l’approche catégorielle en psychopathologie est actuellement complétée par une approche dimensionnelle fondée sur la psychopathologie quantitative. Elle est trans-nosographique et sûrement très heuristique en matière de comportement violent. Par exemple, la dimension anxieuse peut être retrouvée et mesurée dans de nombreuses classes diagnostiques, de même que l’agressivité, l’impulsivité, la perte d’estime de soi, la dépressivité, etc. [6]. On pourrait encore, avec Kutcher [26], distinguer : – co-morbidité vraie ou valide (deux troubles psychiatriques clairement distincts surviennent concurremment) ; – co-morbidité « développementale » (un trouble psychique conduit au développement d’un deuxième trouble psychique tout en continuant sa propre évolution, soit que ce deuxième trouble résulte de la même causalité étiopathogénique que le premier, soit qu’il résulte des modifications internes ou externes causées par la première pathologie) ; – la « fausse co-morbidité », qui est un artéfact lié à la superposition de symptômes communs au deux troubles psychiatriques, comme par exemple les troubles bipolaires type I et trouble de l’attention avec hyper activité (ADHD) chez les enfants et les adolescents. Le comportement criminel, comme la dangerosité, peut ainsi être envisagé comme une dimension transnosographique objectivable et mesurable. Il existe par ailleurs des données sur certains aspects biologiques concomitants des comportements dangereux (suicide, homicide, agressivité), en particulier les troubles du métabolisme sérotoninergique et des autres neurotransmetteurs [11]. On centrera ce travail sur la co-morbidité psychiatrique des comportements dangereux criminels. Il peut exister aussi une co-morbidité avec des pathologies neurologiques et médicales. Leur recherche fait partie du bilan organique systématique, tout comme certains examens de laboratoire qui devraient devenir de routine en criminologie [5, 11, 32].
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PSYCHOBIOLOGIE DES COMPORTEMENTS AGRESSIFS CRIMINELS Il existe depuis longtemps des modèles animaux de comportements agressifs. Les travaux de Virkkunen et al. (1994) [46] sur les incendiaires et ceux de Linnoila [32] ont montré le rôle des troubles du métabolisme de la sérotonine (5-HT). Par ailleurs, depuis les travaux de Van Praag et al. (1973) et Asberg et al. (1976) [11], de nombreuses études contrôlées ont confirmé le rôle de ce dysfonctionnement sérotoninergique dans la violence agressive, qu’il s’agisse de l’auto-agressivité (suicide, mutilation) et de l’hétéro-agressivité (homicides et agressions physiques). On trouvera dans Linnoila [32] les nombreux travaux concernant les problèmes d’alcoolisme et de violence. Plus d’une trentaine d’études ont démontré que chez les déprimés unipolaires ayant un taux bas d’acide hydroxyindol-acétique (5-HIAA) dans le liquide céphalorachidien (LCR), le risque de suicide violent s’avérait nettement plus élevé : « Cette donnée est une des plus solide en psychiatrie et la valeur du p est astronomique. » On a retrouvé ce même trait biologique chez des Marines américains réformés en raison de bagarres répétées, avec un taux effondré de 5-HIAA du LCR, ce taux étant fortement corrélé négativement au nombre d’agressions commises (plus il y avait d’agressions, plus le 5-HIAA était bas) avec des données similaires pour les taux de MHPG, métabolite de la noradrénaline. En ce qui concerne la génétique et les sous-types d’alcoolisme, il existe un sous-groupe chez qui le turnover de la 5-HT centrale est réduit. Ces sujets sont à risque élevé d’hétéro-agression et de suicide. Linnoila [32] rappelle les travaux de Cloninger sur les deux types d’alcoolisme : type I et type II. Le type II, uniquement masculin, s’accompagne de bagarres, d’arrestations et de violences. Il correspond à un effondrement du 5-HIAA du LCR, donnée retrouvée par d’autres auteurs. Ce trait est familial. Par ailleurs, Linnoila [32] mentionne 19 études de suivi (follow-up) pour lesquelles on disposait « d’autopsies psychologiques ». Sur ce total de 23 773 patients, 18,7 % avaient reçu avant leur décès un diagnostic d’alcoolisme. Les études de Linnoila sur les primates non humains (singes rhésus) montrent que le turn-over général de la 5-HT centrale est hautement hérité, c’est un trait. Quand le taux est bas, ces singes, à partir de la puberté, finissent très bas dans la hiérarchie sociale du fait de leur manque « d’habilités sociales ». Quand ces mâles pubères doivent quitter leur groupe d’origine (pour éviter l’endogamie), ils doivent s’intégrer à d’autres groupes, période de stress intense et d’épreuve d’adaptation. Les jeunes singes ayant un taux bas de 5-HIAA dans le LCR meurent beaucoup plus souvent dans les
combats qui accompagnent ces migrations. Il est notable que ce trait hérité est aggravé par la négligence ou la privation parentale, qui abaissent aussi le taux de 5-HIAA. Il existe donc des facteurs génétiques et épigénétiques pour cette vulnérabilité biologique. Par ailleurs, dans les familles d’alcooliques violents les sujets normaux et abstinents ont aussi ce trait biologique (abaissement du 5-HIAA et du MHPG). Ils ne présentent pas d’alcoolisme ni de comportements violents mais se signalent par une certaine agressivité verbale… Ces recherches sont politiquement sensibles : Goodwin a perdu son poste de directeur du NIMH (National Institute of Mental Health) pour des propos journalistiques jugés politiquement incorrects quand il évoquait l’hypothèse d’une similitude entre les comportements violents dans les banlieues et les modèles d’agressivité des primates supérieurs… Ainsi, dans la pathologie de la colère et de l’agressivité, on a mis en évidence le rôle favorisant des perturbations des neurotransmetteurs [19, 20]. Pour l’inhibition de ces comportements agressifs interviendraient le GABA, la sérotonine et la noradrénaline ; inversement, ils seraient stimulés par la dopamine et le glutamate. CO-MORBIDITÉ NEUROPSYCHIATRIQUE On cite régulièrement, comme facteurs organiques associés à l’agressivité violente et impulsive, les états de démence, la maladie de Huntington, le « syndrome psycho-organique » (OBS) et les lésions cérébrales, le syndrome de Korsakoff, les tumeurs cérébrales, l’arriération mentale, les troubles de l’attention avec hyperactivité (ADHD), les toxicomanies, les épisodes maniacodépressifs, la maladie dépressive récurrente, la dysthymie, les états psychotiques, le trouble panique, l’anxiété généralisée, le PTSD, la dysphorie prémenstruelle (Axe I), les états limites-borderlines et les autres troubles de la personnalité (Axe II). Autant dire que de nombreuses maladies neurologiques et presque toute la pathologie psychiatrique augmentent le risque des passages à l’acte. En conséquence, de nombreuses médications psychotropes ont été proposées, dont certaines ont fait la preuve de leur action antiagressive : neuroleptiques et antipsychotiques atypiques (clozapine), antidépresseurs, lithium, carbamazépine, dépamide et acide valproïque, propanolol, buspirone, agonistes 5-HT1, méthylphénidate etc. En congruence avec l’importance reconnue des perturbations sérotoninergiques, les médications à action 5-HT (antidépresseurs, inhibiteurs spécifiques de la Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
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recapture de la sérotonine ou ISRS) semblent les plus utiles et les plus utilisées. FACTEURS DE RISQUE ET PRÉDICTIVITÉ CRIMINELLE Malgré l’assertion de Dyer [17] « la violence peut être prédite chez les malades psychiatriques », il n’est pas assuré que l’on puisse réellement prédire les comportements violents en particulier chez les personnes qui ne sont pas connues comme malades mentaux. Il existe des listes de facteurs de risque comme par exemple celle de Bénézech et al. [9] et celle de Tardiff [39] (cf. annexe). L’existence de facteurs de risque largement acceptés par les spécialistes ne permet pas pour autant une bonne prédictivité (il en est de même pour le suicide). La comparaison avec le comportement suicidaire est légitime puisque les deux comportements (suicide et homicide) sont souvent associés. On s’accorde sur un certain nombre de facteurs de risque suicidaire, mais toutes les études systématiques ont échoué à démontrer des facteurs prédictifs utilisables car il y a beaucoup trop de faux positifs et de faux négatifs [10, 13]. Pouget et Costeja, qui avaient écrit le « Rapport de médecine légale » consacré à la dangerosité, récusent la dangerosité des malades mentaux et attribuent cette croyance au phénomène du « bouc émissaire » [1]. Pour argument, ils citent les chiffres de la police judiciaire en France (1974-1983) : 393 malades mentaux auteurs d’homicides ou de tentatives d’homicides ont représenté respectivement 1,52 % et 6,25 % des 12 228 auteurs de ces mêmes actes, soit en moyenne 3,21 % [33]. Ils citent aussi l’étude de Yesavage et al. [48] concernant 50 incendiaires criminels pour qui le risque de récidive est d’environ 3 %… Ces études sont anciennes et les données récentes confirment l’association des troubles mentaux et des violences criminologiques reconnues et sanctionnées. C’est l’interprétation de ces données qui reste problématique [34]. TROUBLES MENTAUX ET VIOLENCES CRIMINELLES Avec Asnis et al. [2], on peut faire l’inventaire des divers échantillons venant attester cette association. Arrestations des patients sortis d’institutions psychiatriques Plusieurs études ont porté sur le taux d’arrestations des sujets récemment sortis d’institutions psychiatriques. Le tableau I montre l’augmentation du risque chez les malades psychiatriques. Les études de Link et al. [29-31] résument 13 études (1965–1989) révélant un risque multiplié par trois par rapport à la population générale ; Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
Tableau I. Arrestations des patients sortis d’institutions psychiatriques. Risque Link et al. (1987 ; 1994) : 13 études (19651989) (contre population générale) Rabkin (1979) : crimes violents +++ Harry et al. (1988) : seul prédicteur = personnalité antisociale Ahr (1988) : alcoolisme et toxicomanie
×3
celle de Rabkin [35] montre l’augmentation pour les crimes violents, celle de Ahr (1988, cité par Asnis et al. [2] ) insiste sur l’alcoolisme et la toxicomanie, alors que Harry et al. (1988, cités par Asnis et al. [2]) ne trouvent qu’un seul prédicteur, la personnalité antisociale. On doit remarquer que le comportement inadapté des malades mentaux peut les exposer à être plus souvent arrêtés que des sujets normaux dont le comportement serait plus conforme. D’autre part, les malades psychiatriques sont plus souvent hospitalisés (que les personnes non malades mentales) quand leur comportement est menaçant. Troubles mentaux chez les sujets en prison Les études sont plus facilement réalisables dans les institutions fermées telles que la prison, les unités pour malades difficiles (UMD), etc. Le tableau II résume les travaux récents reposant sur des instruments validés tels que le Diagnostic interview schedule du National Institute of Mental Health (DIS-NIMH) permettant des diagnostics DSM-III, comme dans les études de Teplin et al. et Lamb et al. [27, 42-44]. On rappellera la grande étude de Bénézech et al. [7] portant sur 547 patients médico-légaux internés au service de sûreté de Cadillac. Auteurs d’homicide Les études, essentiellement scandinaves, montrent un Odds-Ratio (OR ou RR risque relatif) considérablement élevé, en particulier pour la schizophrénie, la personnalité antisociale et l’alcoolisme (tableau III). L’homicide est la deuxième cause de mort chez les jeunes aux États-Unis. Il est responsable de 1 % de l’ensemble des décès. Eronen et al. [18] ont comparé la pathologie mentale des meurtriers homicides et celle de la population générale en Finlande (où 96,9 % des cas d’homicide ont pu être résolus). La schizophrénie et les autres pathologies multiplient entre quatre et dix fois le risque de commettre un homicide. Chez les femmes, ce risque est multiplié par 40 et 50 en cas d’alcoolisme et de personnalité antisociale. Il y a beaucoup moins de risque pour la dépression, la dysthymie et le retard mental. Les Danois Gotlieb et al. [21] ont recensé en
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Tableau II. Troubles mentaux chez les sujets en prison (Teplin, 1990, 1994, 1996) (Lamb et Grant, 1982) [27]. Risque relatif et comparaison avec la population générale Teplin (1990 ; 1994)
627 hommes diagnostics DIS NIMH contre X2 épidémiologie-ECA (EDM, manie, schizophrénie)
Prévalence ponctuelle
EDM manie schizophrénie total toxicomanie personnalité antisociale anxiété + somatoforme
3,9 % contre 1,1 1,4 % contre 0,1 2,7 % contre 0,9 6,4 % contre 1,8 29,1 % 48,2 % 11,6 %
Prévalence sur la vie
EDM manie schizophrénie total toxicomanie personnalité antisociale anxiété + trouble somatoforme
5,8 % contre 3,2 2,5 % contre 0,3 3,7 % contre 1,7 9,5 % contre 4,4 61,2 % 48,2 % 21,0 %
Teplin et al. (1996)
1 272 femmes (période = 3ans) diagnostics DIS -DSM-III un diagnostic psychiatrique vie entière six derniers mois toxicomanie EDM personnalité antisociale dysthymie manie schizophrénie TAG trouble panique
70 % 80 % 70 % 17 % 14 % 10 % 30 % 20 % 2% 20 %
Significativement plus élevé que ECA excepté pour schizophrénie et trouble panique Lamb et Grant (1982) 102 prisonniers adressés pour évaluation psychiatrique
violence physique si antécédents de violences physiques : troubles psychiques majeurs évident : 80 % trouble affectif majeur ; 75 % schizophrénie
Abréviations : DIS-NIMH = Diagnostic interview schedule - National Institute of Mental Health (Washington DC) ; ECA = Epidemiologic Catchment Area study. EDM = État dépressif majeur ; TAG = trouble anxieux généralisé.
25 ans (1959–1983) 251 cas d’homicide : 23 % étaient le fait de psychotiques (schizophrènes et déprimés). La plupart des victimes étaient de la même famille, alors que chez les non psychotiques la victime était étrangère à la famille. Pour Taylor [41], 20 % des violences psychotiques sont dues aux idées délirantes et hallucinations, 80 % aux troubles du jugement. Études de cohortes longitudinales Ces études ne sont possibles que dans les pays tenant méthodiquement des registres de police et des registres d’hospitalisation psychiatrique, ce qui limite pratiquement ces travaux aux pays scandinaves, en particulier au Danemark. Les études de Hodgins et al., entre 1992 et
1996 [22, 23], portant sur 350 000 cas nés entre 1944 et 1947 montrent, après un suivi de 43 ans, une augmentation du risque criminel pour tous les diagnostics psychiatriques, et tous les crimes violents et non violents (tableau IV). Études épidémiologiques dans la population générale La grande étude épidémiologique ECA [36] portant sur près de 20 000 personnes a donné lieu à d’innombrables analyses. Swanson et al. [38] ont analysé les données concernant le comportement violent dans trois des six sites de l’étude ECA : Baltimore, Raleigh-Durham et Los Angeles, ce qui représente plus de 10 000 sujets Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
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Criminologie, psychopathologie, co-morbidité psychiatrique Tableau III. Les auteurs d’homicide DSM-III et DSM -IV
Risque d’homicide OR (RR)
Eronen et al. (Finlande) (1996)
schizophrénie personnalité antisociale
×4 × 10
Femmes
alcoolisme personnalité antisociale schizophrénie EDM, dysthymie, retard mental
× 40 × 40-50 × 6,5 NS
Gotlieb et al. (1987) Copenhague (1959–1985) Homicides (n = 251)
25 % sont psychotiques
Taylor (1985) [41] Violences psychotiques
20 % liées à des délires et hallucinations 80 % liées aux troubles du jugement
schizophrénie et dépression : homicide intrafamilial non psychotiques : extrafamilial
Abréviations : OR : odd-ratio ; RR : risque relatif ; EDM : état dépressif majeur.
évalués par le Diagnostic DSM-III (DIS). Le diagnostic de personnalité antisociale a été exclu (puisqu’il comporte la violence comme critère diagnostique). La présence d’un diagnostic psychiatrique sur l’axe I multiplie par cinq les taux de prévalence du comportement violent. On trouvera dans le tableau V le détail des diagnostics. Co-morbidité psychiatrique proprement dite et comportement violent La co-morbidité psychiatrique proprement dite implique la coexistence de deux ou plusieurs diagnostics psychiatriques (catégoriels) chez le même sujet. On trouvera dans le tableau VI le pourcentage de violence comparant les sujets recevant un diagnostic avec ceux recevant deux, trois et quatre diagnostics. Il est clair que
le pourcentage de violence croît avec le nombre des diagnostics psychiatriques et le degré de co-morbidité. Patients psychiatriques ambulatoires Après l’étude de Tardiff et Koenigsberg (1985) [40] portant sur des institutions privées, avec des résultats paraissant très minorés quant au risque d’agression criminelle (3 %), ce sont les travaux de Asnis et al. [2, 3] qui apportent le plus d’éléments (tableau VII). Cinq cent dix-sept sujets, patients se présentant pour un traitement psychiatrique, ont rempli plusieurs instruments d’auto-évaluation : le Harcavy-Asnis Suicide Survey (HASS) (1989) in Anis et al. [2, 3], le Symptom CheckList 90R (SCL 90R) de Derogatis (1977–1983) [2, 3], et le Homicidal Behavior Survey de Asnis (HBS) [2]. La prévalence des tentatives homicides était de 4 %, comparable au 3 % de Tardiff et Koenigsberg
Tableau IV. Études de cohortes longitudinales. Hodgins et al. (Danemark) (1992, 1996)
350 000 cas (nés entre 1944–1947) – registres de police – registres psychiatriques Suivi : 43 ans Patients psychiatriques : – troubles psychiatriques majeurs (schizophrénie, PMD) ; – retard mental, troubles psychoorganiques, personnalité antisociale, toxicomanie, alcool, autres. Sujets psychiatriques contre non psychiatriques : augmentation du risque criminel, pour tous les diagnostics psychiatriques et tous les crimes, violents et non violents
Abréviation : PMD = psychose maniaco-dépressive. Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
Tableau V. Étude ECA : Violence (année passée) et diagnostics psychiatriques DIS (Swanson et al., 1990). Diagnostic psychiatrique Aucun Phobies TOC Trouble panique Dépression majeure Dépression majeure + deuil Manie ou trouble bipolaire Schizophrénie, schizophréniforme Cannabis (abus ou dépendance) Alcool (abus et dépendance) Autres drogues (abus ou dépendance)
N
Violence (%)
7870 1323 182 90 282 308 30 114 191 586 99
2,05 4,97 10,66 11,56 11,68 10,70 11,02 12,69 19,25 24,57 34,74
Abréviation : TOC : trouble obsessionnel compulsif.
0,0020 0,0077 0,0303 0,0425 0,0224 0,0210 0,0582 0,0319 0,0428 0,0225 0,0651
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Tableau VI. Violence (année passée) et diagnostics DIS (Swanson et al., 1990). Diagnostic
N
Violence (%)
Aucun diagnostic
8066
2,05
Un diagnostic Trouble anxieux Trouble affectif Schizophrénie Toxicomanie
1160 142 26 533
2,37 3,45 8,36 21,30
36 99 119 10 29 3
4,29 11,09 20,25 21,09 29,19 30,33
23 24 12 1
15,22 16,71 17,09 100,0
5
28,75
Deux diagnostics Schizophrénie et anxiété Trouble affectif et anxiété Toxicomanie et anxiété Schizophrénie et trouble affectif Toxicomanie et trouble affectif Schizophrénie et toxicomanie Trois diagnostics Schizophrénie, toxicomanie et anxiété Trouble affectif, toxicomanie et anxiété Schizophrénie, trouble affectif et anxiété Schizophrénie, toxicomanie et trouble affectif Quatre diagnostics Schizophrénie, toxicomanie, Trouble affectif et anxiété
(40). Tardiff et Sweillam (1980) [2] donnaient un chiffre de 10 % chez des patients hospitalisés et, chez ces mêmes auteurs (1982), un taux de 7 % chez des patients chroniques pendant les trois premiers mois d’hospitalisation. Plus récemment, Kaplan et Asnis (non publié) ont comparé comportements suicidaires et homicides pour 250 patients ayant rempli l’autoquestionnaire HBS, et rapporté un taux de 2 % de tentatives homicides. L’idéation homicide est plus fréquente (22 %) que les tentatives d’homicides. Elle chute à 8 % quand elle est persistante, à 7 % quand il y a un plan spécifique. Par ailleurs, il y a une relation forte entre les comportements homicides passés et présents. Enfin, pour l’auteur, les comportements homicides ne sont pas essentiellement associés avec certaines catégories diagnostiques particulières, encore que l’alcool, la toxicomanie et la schizophrénie soient sur-représentés. Le comportement violent n’est pas propre à une catégorie diagnostique. En revanche, il est fortement corrélé avec des troubles du métabolisme sérotoninergique, comme on l’a vu plus haut. D’autre part, l’intensité des symptômes repérés par le SCL-9 R est plus grande chez les homicides que chez les non homicides, avec en particulier des scores élevés pour l’hostilité, l’idéation paranoïde (les gens sont inamicaux, épiant et parlant à propos du patient qu’ils n’aiment pas) et la sensitivité
interpersonnelle (sentiment d’inéquation et d’infériorité). Agressivité, irritabilité, rage et ressentiment sont liés aux tendances homicides. Ainsi, la prédictivité homicide est mieux assurée par une approche dimensionnelle que catégorielle (co-morbide). Enfin, les corrélations entre idéation et comportement homicide d’une part et idéation et comportement suicidaire (tentative de suicide [TS]) d’autre part, sont très fortes (tableau VIII). Quatre-vingt-onze pour cent des tentatives d’homicide correspondaient à des TS. Quatre-vingt-six pour cent des idéations homicides étaient associées à des idéations suicidaires. L’association auto-agressivité et hétéro-agressivité est connue et documentée depuis longtemps [6]. PRÉDICTIVITÉ DES COMPORTEMENTS CRIMINELS VIOLENTS Les auteurs, dans leur grande majorité, insistent sur les difficultés de prédiction du comportement criminel violent. Pour autant, ils énumèrent une série de facteurs de risque, soit d’ordre proprement psychiatrique (les troubles mentaux), en particulier les psychoses délirantes [14, 47], soit facteurs de personnalité, situationnels, psychosociaux, etc. On ne peut désormais exclure les facteurs biologiques, bien qu’ils ne soient pas systématiquement recherchés en pratique criminologique. La situation est comparable à celle du suicide. Pour ce comportement « statistiquement rare », il y a un relatif accord sur les facteurs de risque mais les chercheurs montrent qu’il n’y a pas réellement de prédictivité possible du suicide, toutes les études prospectives ayant échoué à prédire ce comportement autodestructeur (il y a beaucoup trop de faux positifs quand on utilise les facteurs de risque communément admis, ainsi que beaucoup de faux négatifs [10, 12, 13]). Homicide et suicide sont souvent associés chez les mêmes sujets. Et l’on retrouve la même difficulté de prédiction pour ces deux comportements (tableau IX). CONCLUSION Le comportement violent est statistiquement lié à la présence chez son auteur de perturbations mentales avérées. Les personnes à haut risque criminel sont celles qui souffrent de la sommation de handicaps médicopsychologiques (trouble de la personnalité, pathologie de l’humeur, symptômes psychotiques, addictions, etc.) et de handicaps sociaux (familles abusives, échec scolaire, absence d’emploi, marginalité). La dangerosité dite « criminologique » est donc étroitement corrélée à la dangerosité dite « psychiatrique », Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
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Criminologie, psychopathologie, co-morbidité psychiatrique Tableau VII. Patients psychiatriques ambulatoires. Tardiff et Koenigsberg (1985)
Asnis et al. (1994, 1997)
2916 patients ambulatoires 2 institutions privées, comportement agressif quelques jours après l’évaluation Agressions physiques Arriération mentale Troubles psychiques enfance et adolescence Ni schizophrène ni manie, ni psychose ?? Homicide (N=517) Idéation homicide Idéation homicide persistante Plan homicide spécifique Tentative homicide
3%
22 % 8% 7% 4%
Évaluation : HASS (suicide) 1988, 1989 SCL –90- R (Derogatis, 1977,1983) HBS (homicide) Patients ambulatoires (N=251) Recherche sur le suicide HBS (Homicide) Tentatives d’homicide Patients de haut niveau de fonctionnement Idéations suicidaires Antécédents tentatives homicide Plan homicide Asnis et al. (1994)
2% 33 % 30 %
Pas d’effet diagnostique catégoriel sur idéation et tentative d’homicide Toxicomanie alcoolisme = idéation suicidaire Schizophrénie tentative homicide Pas de différence diagnostique du groupe homicide versus non-homicide Symptômes psychiatriques : Majoration des scores SCL 90 R : (Groupe homicide > non homicide) Toutes échelles Échelle hostilité (Agression, irritabilité, rage, ressentiment) Échelle idéation paranoïde (autres vécus comme inamicaux, méprisants, médisants) Échelle sensitivité interpersonnelle (sentiment d’inadéquation, d’infériorité) Suicidalité : 91 % des tentatives homicides Idéation suicidaire = TS ??? TS : 86 % idéation homicide Tentative homicide > idéation homicide ou absence de tendance homicide (agressivité, impulsivité) + + TS Familiarité + + rôle de la génétique
Abréviations : SCL 90 R : Symptom CheckList 90 Revised (Derogatis, 1983) ; HASS : Harcavy-Asnis Suicide Survey (1989 ; in Asnis et al., 1994-1997) ; HBS : Homicidal Behaviors Survey (Asnis et al., 1997). Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
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M.L. Bourgeois, M. Bénézech
Tableau VIII. Antécédents d’idéation homicide et tentatives d’homicide chez 517 patients ambulatoires (Asnis et al., 1994). Diagnostic
Idéation n
%
Dépression majeure (n=172) Trouble bipolaire (n=39) Dysthymie (n=31) Trouble panique (n=38) Trouble anxiété généralisée (n=34) Schizophrénie (n= ) Trouble psychotique non spécifié (n=29) Trouble de l’adaptation (n=56) Trouble de la personnalité (n=14) Abus de substance (n= 38) Trouble mental
29 8 6 7 1 9 5 8 2 12 3
17 21 19 18 3 20 17 15 14 32 25
Tentative d’homicide n % 7 2 1 1 0 5 0 4 1 1 0
4 5 3 3 – 11 – 7 7 3 –
Tableau IX. Association entre tentative d’homicide et tentative de suicide. Service de psychiatrie : patients ambulatoires (Asnis et al., 1997).
Tentative de suicide Aucune tentative de suicide
Tentative d’homicide N
Aucune tentative d’homicide N
20 2
107 388
les prédicteurs d’actes criminels étant, en pratique, communs à ces deux catégories classiques « d’état dangereux ». ANNEXE Selon Tardiff [39], le taux d’homicide a évolué de la façon suivante aux États-Unis : 9,7 pour 1 000 personnes (1933), déclin dans les années 1950, puis pic à 10,7 (1980), 7,9 (1985), 9,5 (1993). En revanche les agressions non mortelles selon le National Victimization Survey n’ont pas suivi les mêmes fluctuations. Ainsi, c’est la violence mortelle qui a progressé, possiblement liée à la facilité d’accès aux armes à feu, avec une augmentation des homicides chez les jeunes adultes masculins. Leurs victimes étaient surtout des étrangers plutôt que des membres de leur famille. La diffusion de la cocaïne et du crack est probablement liée avec cette hausse qui concerne plus les Afro-Américains et les Latinos-Américains, avec pour facteurs invoqués la pauvreté, les faibles qualifications professionnelles et les quartiers défavorisés et violents. Les hommes sont les principales victimes de ces violences criminelles, les femmes étant plutôt victimes des agressions sexuelles et des viols. En 1994 il y eut 5 100 agressions non mortelles pour 100 000 hommes et 3 500 pour 100 000 femmes âgées de plus de 12 ans. Les taux d’homicides étaient de 18
pour 100 000 hommes et de 4 pour 100 000 femmes. Les vols concernaient 800 pour 100 000 hommes et 400 pour 100 000 femmes. Quant aux viols et agressions sexuelles, ils concernaient 400 pour 100 000 femmes et 20 pour 100 000 hommes. Il y a cependant une augmentation du nombre de femmes victimes de crimes violents depuis 20 ans. Elles sont souvent attaquées par des hommes, des proches et des parents. Cependant selon le FBI, les agressions violentes seraient en diminution ces dernières années, y compris les meurtres (p. 1901). Tardiff invoque, comme facteurs étiologiques, les facteurs socio-économiques, la pauvreté, l’éclatement des familles, la discrimination, les frustrations, etc. D’autre part, la concentration dans les villes et plus particulièrement dans les logements et les zones de hautes densité correspondrait à une violence accrue. On évoque aussi les facteurs biologiques, génétiques (encore que les études scandinaves portant sur les jumeaux homozygotes ne permettent pas de conclure à une base génétique pour les homicides, contrairement aux autres crimes. Les anomalies chromosomiques spécifiques auraient été controuvées. En revanche, il est établi que les taux abaissés de sérotonine et de CRF dans le cerveau ainsi que l’élévation de la testostérone libre dans le LCR sont associés avec la violence épisodique). Plusieurs études rétrospectives et une recherche prospective ont montré que les abus dans l’enfance prédisposeraient au comportement d’abus physique chez l’adulte, comme le fait d’avoir assisté à des violences intra-familiales, en particulier les violences entre époux. D’autres facteurs interviennent : les troubles psychiatriques, l’alcoolisme, les toxicomanies, la pauvreté, le chômage, l’absence d’éducation et de culture chez les parents. Enfin, la violence croissante dans les programmes de télévision, les films et autres médias (jeux vidéo) est régulièrement incriminée. Le diagnostic différentiel selon Tardiff doit être fait avec : – le trouble explosif intermittent ; – la personnalité antisociale ; – la personnalité borderline ; – le trouble des conduites ; – les troubles psychotiques (idées délirantes, hallucinations, désorganisation grave du comportement, hyperexcitabilité et agitation, impatience akathisique liée aux neuroleptiques) ; – le trouble bipolaire type I, avec des accès soudain de graves épisodes de violence ; – les troubles liés aux substances toxicomaniaques ; – les troubles cognitifs, en particulier ceux correspondant à l’épilepsie du lobe temporal ou des perturbations neurophysiologiques infracliniques. Les diverses Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
Criminologie, psychopathologie, co-morbidité psychiatrique
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encéphalopathies peuvent induire la violence, de même que les affections médicales avec hypoxie, déséquilibre électrolytique, maladies hépatiques, maladies rénales, carences vitaminiques (B 12, folate, thiamine), infections systémiques, maladie de Cushing, hypoglycémie, hyper ou hypothyroïdie, lupus érythémateux, empoisonnement (métaux lourds, insecticides), porphyrie… Tardiff insiste sur les examens de laboratoire. Pour lui, l’IRM doit être systématiquement utilisée dans l’évaluation des patients violents, en particulier pour détecter une pathologie du lobe temporal (voir tableaux ci-dessous).
Prédicteurs criminologiques de la commission d’une infraction pénale et de sa répétition (Bénézech et al., 1997)
Prédicteurs de dangerosité pour autrui habituellement cités (Tardiff, 2000)
RE´FE´RENCES
Forte intentionnalité de faire mal Présence d’une victime Menaces ouvertes et fréquentes Plan concret Accès à des instruments de violence Antécédent de perte de contrôle Colère, hostilité ou ressentiment chroniques Plaisir à regarder ou infliger des sévices Absence de compassion Se considérer comme une victime Mépris de l’autorité Brutalités ou frustrations pendant l’enfance Absence de chaleur affective et d’attention à la maison Perte précoce d’un parent Pyromanie, énurésie, et cruauté envers les animaux Actes violents antérieurs Conduites dangereuses Prédicteurs importants d’un état dangereux (critères médicopsychologiques de dangerosité) (Bénézech et al., 1997) Les antécédents personnels et familiaux de violences physiques Usage de drogue et d’alcool Menaces de mort Personnalité psychopathique Caractère hyperémotif État dépressif Comportement imprévisible, irrationnel Impulsivité pathologique (intolérance à la frustration, peur, colère, angoisse) Intensité des symptômes (dépression, agitation, angoisse, hallucinations) Délire à thèmes de persécution, mystique, de jalousie Apparition récente d’un état de stress (séparation, rupture, affaire judiciaire, perte d’emploi, décès) Mauvaise relation avec l’entourage personnel et soignant Absence, refus ou inefficacité d’une chimiothérapie psychotrope Prédicteurs criminologiques de la commission d’une infraction pénale et de sa répétition (Bénézech et al., 1997) Le milieu familial brisé et abusif L’éducation froide, hostile et permissive L’échec scolaire Le jeune âge du criminel (précocité de la délinquance) Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 475–86
Le sexe masculin Les addictions Les antécédents judiciaires (policiers, pénaux) Les tendances agressives et incendiaires La conduite automobile dangereuse Le port d’armes ou d’objets dangereux La fréquentation des délinquants L’immaturité psychologique, intellectuelle et morale Le caractère extraverti avec anxiété et déficit verbal L’inadaptation socio-familiale L’instabilité au travail
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