Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique

Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique

MÉMOIRE ORIGINAL Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique S. BARBERA PERA (1), A. DAILLIET (2) Résumé. La présente étud...

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MÉMOIRE ORIGINAL

Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique S. BARBERA PERA (1), A. DAILLIET (2)

Résumé. La présente étude a pour objet de comparer des groupes de personnes ayant commis ou ayant tenté de commettre un homicide, en fonction des diagnostics qui leur sont assignés dans le contexte de la Défense sociale, système belge de prise en charge des criminels reconnus comme atteints d’un trouble mental. À partir d’un échantillon de 99 criminels, répartis en 5 groupes diagnostiques (type schizophrène, schizophrène avec trouble de la personnalité du cluster B, trouble de la personnalité du cluster B sans psychose, groupe hétéroclite, groupe avec trouble délirant) ayant commis 111 faits qui ont touché 132 victimes, nous avons étudié diverses variables : l’âge au moment du premier homicide, la comorbidité avec les problèmes de substances au cours de la vie (en particulier l’alcool), le caractère instrumental ou émotionnel de l’acte violent, et le statut des victimes. Nous avons constaté que chaque groupe se distingue des autres par les caractéristiques suivantes : groupe schizophrène : âge de délit aux environs de la trentaine, faible comorbidité avec les problèmes de substances, caractère plutôt émotionnel de l’acte, les victimes sont préférentiellement connues ou accidentelles ; groupe mixte : âge de délit aux environs de la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère plutôt instrumental de l’acte, victime inconnue dans une plus grande proportion de cas que dans les groupes 1 et 5 ; groupe des troubles de la personnalité du cluster B : âge de délit aux environs de la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère émotionnel ou instrumental de l’acte, agresse plus souvent une victime inconnue que les psychotiques (groupes 1 et 5) ; groupe « hétéroclite » : âge de délit aux environs de la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère émotionnel ou instrumental de l’acte, victime plus fréquemment inconnue que pour les psychotiques (groupes 1 et 5) ; groupe trouble délirant : âge au moment du délit significativement plus élevé que les autres groupes, faible comorbidité avec les problèmes de subs-

tances, caractère exclusivement émotionnel de l’acte, les victimes sont préférentiellement soit connues, soit accidentelles. Cette première étude de délinquants internés homicidaires nous encourage à poursuivre dans la compréhension et l’élaboration d’une typologie des meurtres par des personnes malades mentales. Mots clés : Homicide ; Psychose ; Troubles mentaux ; Victimes.

Homicide by mentally ill : clinical and criminological analysis Summary. The present study analysed the characteristics of homicide in internees according to the Social Defence system in Belgium. The Social Defence system was inaugurated in 1930, following the ideas of Adolphe Prins, a Belgian specialist in the criminal law. The Social Defence system concerns those offenders who are considered as mentally ill at large. The concept of mental illness encompasses the classical notion of « dementia » but also those people with mental unbalance as personality disordered offenders and mentally retarded persons.In the present study, we considered all those internees who committed a homicide or a homicide attempt and whose cases were examined by the review board between September 1998 and June 2000. We collected 99 cases and studied the age at the time of the offence (mean : 32.2 years), their diagnoses, the status of victims. These 99 murderers committed 111 « facts », a fact being a murder or murder attempt on one or several person(s) without arrest between the different phases of the commitment. These facts provoked 132 victims (72 men and 60 women) ; 61.36 % deceased. There was no significant difference in the characteristics of homicide versus homicide attempt.The results showed that, in our population, 59.6 % of the patients

(1) Assistante en psychiatrie, Centre de Recherche en Défense sociale (CRDS), CHP « Les Marronniers », 94, rue Despars, 7500 Tournai, Belgique. (2) Médecin Chef, CHP « Les Marronniers » (à l’adresse ci-dessus). Travail reçu le 21 octobre 2003 et accepté le 3 juin 2004. Tirés à part : A. Dailliet (à l’adresse ci-dessus). L’Encéphale, 2005 ; 31 : 539-49, cahier 1

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endorsed a diagnosis of psychosis (37 cases of paranoid schizophrenia, 2 schizophrenias of other types, 7 schizoaffective disorders, 1 autistic disorder, and 12 delusional disorders). Other axis I disorders were 3 intermittent explosive disorders, 2 major depressive disorders, 2 paraphilias and 1 bipolar disorder. The 32 offenders with no axis I major mental diseases presented such diagnoses, alone or comorbid, as antisocial personality disorder (n = 17), borderline personality disorder (n = 8), paranoid personality disorder (n = 4), and schizoid personality disorder (n = 2), 14 were mentally retarded and 5 presented a cerebral damage or an epilepsy. The age of the offender at the first homicide was not significantly different between the different diagnoses : group 1 : schizophrenia-type group (29.63 years) ; group 2 : comorbid diagnoses of schizophrenia and cluster B personality disorder (31.64 years) ; group 3 : cluster B personality disordered people (without psychosis) (27.90 years) ; and group 4 : the mixed group of residual diagnoses (32.63 years). Only the persons with a delusional disorder (group 5) significantly committed their homicide at an older age (47,06 year).We found no significant differences between group 2 (54.55 %), 3 (69.23 %), and 4 (50 %) in the proportion of offenders having substance problems. The group 1 (schizophreniatype without comorbid personality disorder) presented significantly less problems with substances (13.83 %) than the three former groups. The group 5 (20.0 % prevalence) exhibited only a significant difference with group 3.We distinguished instrumental and emotional violence. Instrumental violence was more represented in the facts committed by group 2, 3 and 4 versus group 5. Group 1 differed also significantly from groups 2 and 3.The status of the victim(s) was divided in : 1) members of the family ; 2) specifically known persons (outside the family) ; 3) specifically chosen victims (chosen, searched or followed because of their status, gender, profession, social role) ; 4) opportunity victims (victims present at the time and having sufficient characteristics to be attacked, e.g. being a woman, suspected to have some money) ; and 5) accidental victims. We demonstrated in our sample that victims of murderers in their family or specifically known were more frequently victims of pure psychotic offenders (groups 1 + 5) than of offenders of the mixed group (groups 2, 3 and 4) (21.97 % vs 10.61 % ; 16,67 % vs 13.64 %, respectively). On the contrary, specifically chosen (2.27 % vs 8.33 %) and opportunity victims (3.03 % vs 11.36 %) were more frequently attacked by the « mixed group ». Accidental murders were almost only committed by psychotics (10.61 % vs 0.76 %), often in the context of a spree murder.In conclusion, we discuss that, from such a biased sample, the interest resides in the study of the comparison of the homicidal behaviour between psychotics (schizophrenia-type or delusional disordered), « mixed » and non-psychotics in terms of age at murder (older in delusional disorder), substance problems (more problems in non-psychotics), motivation (more emotional offences in psychotics) and statutes of victims (more family and known victims in psychotics). We are encouraged to precise our data on a larger sample and a longer period in future studies.

Key words : Homicide ; Mental disorders ; Psychosis ; Victims. 540

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INTRODUCTION Dangerosité des malades mentaux Dans les décennies 1970-1980, il était habituel de penser que les malades mentaux n’étaient pas plus violents que la population générale. Les études à l’époque souffraient de biais trop nombreux pour permettre d’en tirer des conclusions valides (7, 11). Depuis, des études méthodologiquement mieux conçues ont montré que les personnes atteintes d’un trouble mental, d’un trouble lié à un abus ou une dépendance à une substance ou d’un trouble de la personnalité étaient plus susceptibles de présenter des comportements violents. Ainsi Hodgins et al. (9) ont analysé une cohorte de naissance de plus de 320 000 personnes et montré que le risque de délit violent est multiplié par 2,5 à 4,5 pour les hommes atteints de trouble mental majeur (schizophrénie, autres psychoses et troubles de l’humeur), par 6 à 8,5 en cas de problèmes de drogues et par 5,5 à 7 pour les hommes présentant un trouble de la personnalité antisociale. Rasanen et al. (16) ont précisé et distingué le risque de comportement violent chez le schizophrène non dépendant de l’alcool (risque multiplié par 3,6 par rapport à la population générale masculine) de celui du schizophrène alcoolodépendant (25,2 fois le risque de la population générale masculine). De plus, certaines études ont rapporté que la criminalité des malades mentaux était à la fois plus grave et plus récidivante (8). Modestin et Ammann (13) ont démontré que l’alcoolisme et l’abus de drogues contribuaient significativement au comportement criminel. Si une criminalité plus élevée a été trouvée par Modestin et al. (14) chez les hommes atteints de trouble de l’humeur, cette augmentation ne concernait que, d’une part les troubles bipolaires, d’autre part les troubles dépressifs mineurs, avec pour ces derniers une comorbidité importante avec les troubles de la personnalité. La comorbidité de divers troubles mentaux semble de toute manière mener à une augmentation de la dangerosité (19). L’homicide constitue l’une des formes criminelles les plus craintes et les plus médiatisées. Schipkowensky (18) a rapporté que, dans les pays où l’homicidalité est insignifiante ou faible (c’est-à-dire moins de 50 assassins par million d’habitants) (Italie, France, Allemagne…), on trouve une proportion d’homicides commis par des malades mentaux proportionnellement plus élevée que dans le reste de la population. Il est, d’une manière générale, difficile d’évaluer le risque spécifique de comportement homicide chez les malades mentaux par rapport à la population générale. En Finlande, où la police identifie la grande majorité des meurtriers et où des évaluations psychiatriques standardisées ont été menées dans le cadre de l’expertise pré-sentencielle, Eronen et al. (7) ont rapporté que le diagnostic de schizophrénie multiplie le risque d’homicide par 8 chez l’homme et le trouble de la personnalité antisociale le multiplie par 10. Aucune augmentation n’est constatée pour les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et le retard mental. Dans une autre étude, cette équipe montre que la différenciation entre schi-

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zophrènes non dépendants à l’alcool et dépendants à l’alcool multiplie respectivement le risque d’homicide par 7 et 17.

et le délinquant poursuit le reste de sa peine en prison. La période d’internement est comptabilisée dans la période de peine.

Cadre de la Défense sociale

Typologie de l’homicide

Le concept de Défense sociale a été développé par Adolphe Prins à la fin du XIXe siècle. Il s’inscrit dans la lignée de l’École de la dégénérescence de Morel et Magnan et du courant anthropologique, dont Lombroso fut le représentant le plus connu. Prins y a ajouté cependant l’idée qu’une prise en charge thérapeutique et éducative peut améliorer le sort des criminels et diminuer leur dangerosité, en tout cas pour certains d’entre eux qu’il qualifie de curables. S’opposant à Beccaria et à l’École classique en criminologie, pour lesquels l’individu est pleinement responsable et donc doit être puni en fonction de son acte, et à l’École sociologique du XIXe siècle qui voit dans les conditions sociales les causes du crime, l’École de la Défense sociale privilégie la dangerosité comme critère d’enfermement. Pour l’École de la Défense sociale, certains individus sont, de par leur personnalité ou leur pathologie, portés au crime et donc dangereux. La source du mal pour Prins résidait donc dans la dégénérescence ou l’anormalité de certains individus, et la société doit s’en protéger. Mais leur prise en charge, éducative et thérapeutique, doit se faire selon une approche scientifique. En France, seuls les criminels psychotiques ou dépressifs graves peuvent bénéficier d’un non-lieu et sont reconnus irresponsables. Le criminel psychopathe est, quant à lui, déclaré pénalement responsable. La loi belge ne parle pas d’irresponsabilité, mais d’une « incapacité du contrôle des actions » en raison soit d’un état de démence (qui abolit le jugement), soit d’un état grave de débilité ou de déséquilibre mental (qui atténue le jugement). En Belgique, depuis 1930, le système de Défense sociale (internement) a été instauré pour la prise en charge des délinquants malades mentaux. Cette loi a été refondue entièrement en 1964. Il s’agit d’une prise en charge de type médico-pénitentiaire au sein d’institutions spécialisées pour des personnes reconnues démentes, ou dans un état grave de débilité mentale ou de déséquilibre mental, au sens de la loi. Il s’agit d’une mesure à durée indéterminée prise en lieu et place d’une peine en vertu d’un principe de protection de la société à l’égard d’individus considérés comme dangereux du fait de leur état mental. C’est lorsque l’interné réunit les conditions d’amélioration de son état mental, de diminution significative de sa dangerosité et de possibilités correctes de réinsertion sociale que sa libération, en général à l’essai, peut être envisagée. Les établissements de Défense sociale sont aussi amenés à recevoir des délinquants condamnés et incarcérés qui présentent une décompensation psychique grave et doivent bénéficier de soins adéquats (article 21 de la loi). Ce deuxième type d’internement peut se poursuivre audelà de la durée normale de la peine. Si l’état mental est jugé satisfaisant, la mesure d’internement peut être levée

Dès lors que nous concevons différents types de profils pathologiques présentant une dangerosité homicidaire spécifique, il apparaît utile de les distinguer en fonction des caractéristiques de l’acte criminel. En effet, il semble que les malades mentaux homicidaires agressent deux fois plus souvent des victimes de leur famille (12). Les études se sont accordées pour dire que les victimes les plus exposées appartiennent à l’entourage familial (4). Bénézech et al. (2) ont distingué la dangerosité particulière des schizophrènes pour leurs ascendants et celle des paranoïaques pour leur conjoint et voisins. Bénézech (3) a fait la différence entre le meurtrier psychopathe, dont le comportement est rationnel, et le meurtrier psychotique qui est fortement perturbé et présente un état dissociatif ou délirant au moment de l’acte. Pham et al. (15), étudiant les comportements violents en fonction de l’échelle de psychopathie de Hare (PCL-R) ont montré que, parmi une population d’internés, le score à la PCL-R n’était pas spécifiquement prédictif du comportement homicidaire, alors qu’il l’était pour d’autres comportements violents (coups et blessures, vol avec violence, violence à l’intérieur de l’institution). Il convient aussi de noter que l’acte violent lui-même, y compris l’acte homicidaire, peut revêtir différentes significations. Diverses tentatives ont été faites pour établir une typologie de l’acte violent. Nous avons retenu la typologie simple établie par Reis, cité par Eichelman (6), qui différencie la violence affective (ici nommée émotionnelle) de la violence prédatrice (ici nommée instrumentale). Nous avons défini la violence instrumentale comme celle dont l’objectif premier était l’obtention d’un bénéfice particulier : biens, autorité ou contact sexuel, par exemple, ou qui se justifiait par une motivation rationnelle : le fait d’éliminer un témoin gênant ou une personne qui s’opposait à une exigence. Par opposition, nous avons défini dans la présente étude la violence émotionnelle comme celle qui était avant tout motivée par des émotions, telle que la colère, la rage, la tristesse, la vengeance, la jalousie, ou encore la peur. Il s’agit d’un jugement subjectif, et bien qu’une dominante ait été imputée à chaque acte, il apparaît clairement que ces motivations peuvent être présentes simultanément. L’objectif de notre étude est de montrer que les caractéristiques diagnostiques s’associent avec des caractéristiques cliniques (présence ou non d’un trouble lié aux substances) ou criminologiques distinctes (âge du criminel au moment de l’homicide, caractère réactionnel ou instrumental de l’acte), et de montrer que le lien qui existe entre victime et homicidaire varie selon la catégorie psychopathologique du délinquant. 541

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MATÉRIEL ET MÉTHODE Agresseurs Il s’agit une étude descriptive réalisée à partir d’une revue de 475 dossiers de patients masculins internés ou libérés à l’essai de l’Établissement de Défense sociale (EDS) de Tournai. Ces 475 patients se sont présentés devant la Commission de Défense sociale entre septembre 1998 et juin 2000, c’est-à-dire au cours de 2 saisons judiciaires. Parmi ces 475 patients, 363 étaient encore internés au moment de la récolte des données pour cette étude, et 112 étaient des personnes libérées à l’essai, c’est-à-dire vivant hors de l’établissement, mais soumises à des conditions spécifiques (suivi médical, suivi judiciaire et social) et à certaines interdictions particulières (interdiction de consommation d’alcool par exemple) de libération et toujours suivies par les commissions de Défense sociale. Nous appellerons dans cette étude : « homicidaires », les patients ayant commis ou ayant tenté de commettre un homicide. Les délits étant notés de manière systématique sur les rapports établis par notre centre pour le passage en Commission de Défense Sociale, nous avons retenus les patients pour lesquels un délit d’homicide ou de tentative d’homicide était signalé. Parmi les 363 patients internés, nous avons noté 71 homicidaires ; parmi les 112 libérés à l’essai, il y en avait 28. Nous avons étudié les caractéristiques de ces 99 patients. Les diagnostics ont été établis de manière clinique en adoptant la terminologie du DSM IV (1). Les diagnostics que nous avons retenus se basaient sur ceux établis par les psychiatres de notre Établissement de Défense sociale au cours du séjour du patient. Ces diagnostics sont repris de manière systématique dans le rapport à la Commission. Dans cette analyse, nous avons cependant séparé les diagnostics d’abus et de dépendance aux substances des diagnostics de l’axe I, étant donné l’influence spécifique de cette problématique. Nous les avons repris sous la dénomination générale de « problèmes avec les substances ». En effet, la dépendance à l’alcool ou aux substances est difficilement observable dans le contexte protégé de la Défense sociale. De plus, les classifications actuellement pertinentes dans le domaine de la violence (alcoolisme de type I versus alcoolisme de type II, définis par Cloninger, ou A et B de Babor) distinguent différents modes de consommation alcoolique. Nous pouvons supposer que selon la personnalité, la pathologie, et les affinités personnelles, chaque type particulier de substance provoquant un abus ou une dépendance exerce son action spécifique sur le délinquant, tant sur le plan psychique que sur celui du comportement criminel. Cependant, plusieurs délinquants étaient polytoxicomanes et la relation de l’histoire personnelle dans ce domaine est en général confuse et pauvre en information. Nous n’avons pas analysé ici cette problématique spécifique. Les diagnostics sont ceux retenus en juin 2000. Certains diagnostics restent provisoires, vu la durée d’observation. Par ailleurs, les diagnostics n’ont pas été posés 542

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de manière structurée, mais l’ont été de manière clinique par les deux auteurs, en tenant compte des critères proposés par le DSM IV. L’âge moyen du criminel homicidaire au moment du premier homicide était de 32, 2 ans (16,45 à 77,5 ans). Les diagnostics posés sont repris dans le tableau I. Pour les analyses statistiques, nous avons généré 5 groupes diagnostiques. Le groupe 1 (n = 36), groupe « schizophrène », était constitué par des délinquants présentant un diagnostic de schizophrénie (paranoïde dans 93,6 % des cas) ou de trouble schizo-affectif. Nous y avons adjoint le seul cas de trouble autistique, quelque peu arbitrairement. Le groupe 2 (n = 11), groupe « mixte », était constitué par les cas de personnes présentant à la fois un diagnostic de schizophrénie (paranoïde dans 100 % des cas) ou de trouble schizo-affectif, qui présentaient également un trouble de la personnalité du cluster B du DSM IV (antisociale, n = 10 ; borderline n = 1). Le groupe 3 (n = 26), groupe « trouble de la personnalité du cluster B », était constitué par les personnes ne présentant pas de trouble de la lignée psychotique, mais auquel nous avions assigné un diagnostic de trouble de la personnalité du cluster B (antisociale, n = 16 ; borderline, n = 6 ; 4 sujets présentaient les deux diagnostics). Dans ce groupe, nous observions cependant des pathologies de l’axe I : trouble explosif intermittent (n = 2), paraphilie (n = 1) ; trouble dépressif majeur (n = 1) ; 7 présentaient un retard mental léger à modéré. Le groupe 4 (n = 14), dénommé « hétéroclite », était constitué des cas ne présentant ni diagnostic de psychose, ni de trouble de la personnalité du cluster B. Nous avons observé que 9 (64,3 %) personnes présentaient un retard mental léger à modéré, dont 4 avaient un problème d’alcool et 3 personnes présentaient également un trouble de la personnalité paranoïaque. Il est à noter que, parmi les 3 cas souffrant d’un trouble de la personnalité paranoïaque dans notre échantillon, 2 se révélèrent être des récidivistes d’homicide. Le groupe 5 (n = 12) était constitué par les personnes qui s’étaient vues poser le diagnostic de « trouble délirant ». Ce groupe présentait moins de comorbidité avec d’autres troubles de l’axe I ou de l’axe II du DSM IV. Les âges au moment du 1er homicide ont fait d’abord l’objet d’une analyse ANOVA. Une comparaison des groupes 2 à 2 au moyen d’un test t a ensuite été effectuée. Lorsque le test de Levene montrait une non-homogénéité des variances, un test U de Mann-Whitney a été appliqué. L’âge moyen au moment du premier délit d’homicide était de 31,98 ans (minimum = 16,45 ans ; maximum = 77,47 ans). Délits L’homicide est l’action de tuer un être humain. Le meurtre est un homicide volontaire. L’assassinat est un meurtre avec préméditation.

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2 7

8 8 0 (21,6 %) (21,6 %) 0 0 0 0 0 3 2 1 (42,9 %) (28,6 %) (14,3%) 1 TDM 0 0 0

0 0

0

0

0 0

0 0

Trouble délirant

12

Trouble autistique • Total groupe P

1 59

0 0

0 0 0 11 10 1 (18,6 %) (16,9 %) (1,7%)

Diagnostics de type non psychotique Diagnostics de l’axe I Trouble explosif intermittent

3

0

Paraphilie

2

0

Trouble dépressif majeur (TDM)

2

0

Trouble bipolaire

1

0

3 1 1 1 (100 %) (33,3 %) (33,3 %) (33,3 %) 1 1 0 0 (50 %) (50 %) 2 1 1 0 (100 %) (50 %) (50 %) 0 0 0 0

23



9



40

0

Pas de diagnostic de l’axe 1 Trouble de la Personnalité (TP) Pas de TP • Total groupe non P

0

0

0

0

2 (100 %) 0

0

0 0

1 (100 %)

0 0

Drogues

0 0

2 1 (5,4%) (2,7%) 1 (50 %) 0 0 1 (14,3%) 1 0 (8,3 %) 1 (100 %) 0 5 2 (8,5%) (3,4%)

Alcool seulement

0

Lésion cérébrale Épilepsie

0

Retard mental

TP borderline

TP antisociale

un TP au moins

0

TP schizoïde

Schizophrénie, autres types Trouble schizo-affectif

37

TP parano

Diagnostics de type psychotique Schizophrénie paranoïde

Autre diagnostic de l’axe 1

Pathologie principale (axe I)

N

TABLEAU I. — Diagnostics présentés par les internés homicidaires. Les diagnostics de troubles de la personnalité peuvent être cumulés. Aucun interné n’a présenté aucun diagnostic.

4 5 (10,8%) (13,5%) 0 0 3 1 (42,9%) (14,3%) 2 0 (16,7 %) 0 0 9 6 (15,3%) (10,2%)

1 (33,3 %) 0 2 (100 %) 0

0 0 0 0

23 17 8 (34,8 4 (17,4%) 2 (8,7%) 7 (30,4%) 2 (8,7%) 9 (39,1%)7 (30,4%) (71,9 %) (73,9%) %) 0 0 0 0 0 7 3 5 1 (77,8 %) (33,3 %) (55,6 %) (11,1 %) 29 20 10 5 2 17 5 17 8 (72,5 %) (50 %) (25%) (12,5%) (5%) (42,5%) (12,5%) (42,5%) (20,0%)

Nous avons considéré comme « fait » un acte ou des actes, provoquant une ou plusieurs victimes, marqués par une même intention délictueuse, et n’étant pas séparés par plus de 24 heures. Tout homicide et tentative d’homicide commis par un même agresseur, après un intervalle de plus de 24 heures entre les événements, ont été considérés comme « récidive ». Cent onze faits ont été commis par 99 hommes. Le délit a été qualifié d’homicide ou de tentative d’homicide sans intention de tuer dans 5 cas. Dans 23 cas, nous avons retenu la préméditation dont 11 cas ont conduit au décès d’au moins une victime. La majorité des crimes ont donc été qualifiés d’homicide ou tentative d’homicide avec l’intention de tuer (83 cas). Nous avons enregistré 11 récidivistes, dont 10 ont commis une récidive d’homicide ou de tentative d’homicide et 1 a commis 2 récidives. L’âge moyen au moment du 1er fait était de 26,48 + 8,19 ans. L’âge moyen au moment de la 1re récidive était de 35,32 + 8,50 ans. L’écart moyen entre l’homicide précédent et les 12 récidives était de 8,11 + 10,56 ans. À noter cependant que l’observation des données laissait apparaître une certaine bimodalité dans la répartition

des écarts entre les récidives : d’une part, 4 récidives avaient été commises à quelques jours d’intervalle (durée moyenne entre les récidives : 0,025 an, soit 9,1 jours), dont 3 présentaient le diagnostic de schizophrénie paranoïde, et d’autre part 8 cas pour lesquels l’écart entre les faits était d’un an ou plus (durée moyenne entre les récidives : 12,15 + 10,92 ans). Dans ce dernier groupe, nous retrouvions 2 des 3 diagnostics de « trouble explosif intermittent » diagnostiqués dans notre population. Victimes Est définie comme victime toute personne agressée pour laquelle la qualification d’homicide ou de tentative d’homicide a été retenue. Il existe différentes classifications des victimes : Cormier et al. (5) distinguent les meurtres spécifiques (famille), semi-spécifiques (amis et relations) et les non spécifiques (inconnus). Nous avons classé les victimes selon la classification établie par Bénézech (3), basée sur la relation entre l’agresseur et sa victime. La victime spécifique connue (type 2) est celle antérieurement connue de son agresseur (parent, voisin, ami, 543

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proche, relation). Il nous a cependant semblé utile de séparer les victimes appartenant à la famille de celles qui étaient connues mais n’entretenaient pas de lien de parenté direct (type 1). Épouses et compagnes habituelles ont été considérées comme faisant partie de la famille. La victime spécifique sélectionnée (type 3) est a priori inconnue, mais choisie et ciblée après surveillance ou recherche. La victime aléatoire d’opportunité (type 4) est inconnue et rencontrée par hasard mais ciblée sur le lieu du crime. La victime aléatoire accidentelle (type 5) est inconnue et purement situationnelle (une personne se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment, comme un passant). Sur les 132 victimes, 83 étaient des victimes spécifiques connues (dont 42 sur 83, soit 50,6 % appartenaient à la famille du délinquant), 21 étaient des victimes spécifiques sélectionnées, 24 victimes aléatoires d’opportunité, 15 aléatoires accidentelles (pour 4 faits, dont 14 victimes pour 3 faits seulement).

RÉSULTATS Agresseurs Dans une population d’internés, nous relevions que l’homicide n’est pas caractéristique d’un diagnostic particulier. Dans notre population, à savoir les internés amenés à se présenter devant la commission de Défense sociale (n = 99) dont ils dépendent au cours de 2 années judiciaires (de septembre 1998 à juin 2000), nous avons relevé 59 (59,6 %) patients présentant un diagnostic de psychose (voir définition supra), et 40 (40,4 %) ne présentant pas de diagnostic de psychose. Une première analyse montre que psychotiques et non-psychotiques agressent des hommes ou des femmes dans les mêmes proportions. Il y a eu 132 victimes, soit 72 hommes et 60 femmes (sex ratio : 1,20). Quatre-vingt-une victimes (61,36 %) sont décédées suite à l’agression (sex ratio : 1,13). Nous avons également noté que les victimes de psychotiques ne décèdent pas plus fréquemment que les victimes de non-psychotiques. En ce qui concerne l’âge moyen au moment du premier délit d’homicide, il était de 31,98 + 11,83 ans en moyenne pour l’ensemble de l’échantillon (n = 99). Les moyennes d’âge au moment de l’homicide dans chaque groupe étaient : 1) schizophrénie, trouble schizo-affectif, trouble autistique, sans trouble de personnalité antisociale ou borderline associé (n = 36) : 29,63 + 9,09 ans ; 2) schizophrénie ou trouble schizo-affectif avec trouble de la personnalité du cluster B (n = 11) : 31,64 + 6,58 ans ; 3) trouble de la personnalité du cluster B sans diagnostic de l’axe I (n = 26) : 28,60 + 9,49 ans ; 4) groupe « hétéroclite » (n = 14) : 31,67 + 10,11 ans ; 5) trouble délirant (n = 12) : 47,06 + 18,02 ans. Une analyse de variance (ANOVA à un facteur) a laissé apparaître une différence significative entre les groupes [F (4) = 7,234 ; p < 0,001]. Les tests post hoc effectués selon la procédure de Bonferroni révèlent une différence 544

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significative entre, d’une part, le groupe des meurtriers présentant un trouble délirant et, d’autre part, les autres groupes, qui ne différaient pas significativement entre eux. Par ailleurs, les variances s’étant révélées significativement non homogènes entre le groupe délirant et les autres groupes, nous avons comparé ce groupe avec les quatre autres au moyen du test non paramétrique de Mann-Whitney (tableau II). Le groupe constitué par les patients ayant un diagnostic de trouble délirant commettait son premier homicide à un âge moyen significativement supérieur aux autres groupes, lesquels ne différaient pas significativement entre eux. TABLEAU II. — Résultat de la comparaison des âges moyens au premier délit entre les groupes 1 à 4 et le groupe 5 selon la procédure de Mann-Whittney.

Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3 Groupe 4

UMann-Whitney

P

85 28 53 36

< 0,005 < 0,02 0,001 < 0,02

Étant donné l’importance de la littérature montrant l’effet de l’alcool, nous avons pris en considération cette variable spécifique dans nos analyses sous la forme du diagnostic de « problème d’alcool ou d’autres substances ». Nous avons ainsi qualifié des agresseurs ayant au cours de leur vie manifesté tant une dépendance importante à l’alcool qu’une tendance répétée aux abus, sur la base d’un jugement clinique. Trente-huit agresseurs, soit 38,38 % de notre échantillon, se sont vus assigner un tel diagnostic. Une comparaison a été effectuée entre les différents groupes diagnostiques au moyen du test du χ2. Le résultat a montré des différences significatives entre les groupes (χ2 = 24,00 ; p < 0,001). Le tableau III reprend les comparaisons groupe par groupe : les groupes diagnostiques 2, 3 et 4 ne différaient pas significativement entre eux. En revanche, le groupe diagnostique de la schizophrénie différait significativement de ces trois groupes, ces patients ayant présenté nettement moins de problèmes liés aux substances. Le groupe des troubles délirants ne se différenciait significativement que du groupe 3 (cluster B), mais nous avons pu noter une tendance (p < 0,1) à se différencier également du groupe 2. Le tableau III résume les résultats. Il est à noter dans ce domaine que le groupe mixte des schizophrénies présentant un trouble de la personnalité antisociale se comporte plutôt comme le groupe des troubles de la personnalité que comme celui des schizophrènes sans trouble de la personnalité associé. Faits Les 111 faits pouvaient avoir une caractéristique émotionnelle ou instrumentale. Les auteurs ont classé de commun accord les faits selon cette distinction. L’analyse de

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Homicide par des malades mentaux : analyse clinique et criminologique

TABLEAU III. — Comparaison de la prévalence des problèmes avec l’alcool et les substances entre les différents tests diagnostiquesselon la procédure du χ2. Pourcentage de problèmes de substances dans le groupe

Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3

Groupe 4

Groupe 5

13,89 % 54,55 % 69,23 % 50,00 % 20,00 %

– – – – –

p < 0,02a – – – –

p < 0,001 ns – – –

p < 0,05a ns ns – –

ns ns (0,1 > p > 0,05)a p < 0,005 ns –

Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3 Groupe 4 Groupe 5 a.Test exact de Fischer.

cette caractéristique entre les différents groupes diagnostiques a fait apparaître qu’il existait des différences significatives (χ2 = 13,435 ; p < 0,01) (figure 1). Les comparaisons groupe à groupe ont laissé apparaître des différences significatives entre psychotiques de la lignée schizophrène (groupe 1) et psychotiques mixtes (groupe 2) (χ2 = 6,495 ; test exact de Fisher : p < 0,02), les faits commis par ces derniers présentant plus souvent un caractère instrumental que chez les schizophrènes. Nous avons également noté que les faits commis par le groupe 3 (cluster B) avaient plus fréquemment un caractère instrumental que les faits commis par le groupe schizophrène (χ2 = 3,869 ; p < 0,05). Nous avons également trouvé une différence significative entre le trouble délirant d’une part, et le groupe psychotique mixte (χ2 = 9,455 ;

test exact de Fisher : p < 0,005), le groupe des troubles de la personnalité du cluster B (χ2 = 6,681 ; test exact de Fisher : p < 0,01), et le groupe hétéroclite (χ2 = 5,735 ; test exact de Fisher : p < 0,05), d’autre part. Les personnes atteintes d’un trouble délirant dans notre échantillon ne commettent en effet jamais d’homicide à caractère instrumental.

Victimes D’un point de vue victimologique, les groupes diagnostiques préalablement définis (groupes 1 à 5) s’avérèrent trop faibles pour permettre une comparaison selon les cinq statuts des victimes que nous avons définis : membre de

120,00 %

100,00 %

80,00 %

Émotionnel Instrumental

60,00 %

40,00 %

20,00 %

0,00 % Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3 Groupe 4 Groupes diagnostiques

Groupe 5

FIG. 1. — Pourcentage de faits ayant un caractère émotionnel versus pourcentage de faits ayant un caractère instrumental dans chaque groupe diagnostique. 545

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la famille, spécifique connue, spécifique sélectionnée, aléatoire d’opportunité et aléatoire accidentelle. Dans une première étape, nous avons rassemblé les groupes 1 et 5 (n = 72), ceux-ci étant assez proches sur le plan des variables préalablement explorées (à l’exception de l’âge) pour constituer un groupe « psychotique ». Nous avons également rassemblé en un seul groupe les groupes diagnostiques 3 et 4 (n = 49). Un troisième groupe intermédiaire était constitué par le groupe mixte (groupe 3 ; n = 11). Cependant, alors que le groupe mixte se différenciait significativement du groupe psychotique en ce qui concerne le type de victimes (χ2 = 13,805 ; p < 0,01), il ne se différenciait pas significativement du groupe non psychotique (χ2 = 1,829). Nous avons donc décidé de grouper pour nos comparaisons sur le plan victimologique, le groupe mixte avec le groupe non psychotique (n = 60) au sein du groupe « non-psychotique ». L’analyse χ2 comparant les deux groupes diagnostiques avec les cinq types de victimes a montré qu’il existait des différences significatives (χ2 = 27,534 ; p < 0,001). Nous avons alors effectué une comparaison 2 à 2 entre le groupe psychotique (groupes 1 et 5) et le groupe « mixte

et non psychotique » (groupes 2, 3 et 4), à forte composante antisociale, et chaque statut des victimes. Les résultats des observations sont résumés sur la figure 2. En résumé, les victimes appartenant à la famille de l’agresseur (type 1) et celles qui lui sont spécifiquement connues (type 2) ne semblent pas se différencier significativement les unes par rapport aux autres quant au fait d’être agressées par un patient appartenant à l’un ou l’autre groupe. De même, les victimes spécifiquement sélectionnées (type 3) ou aléatoires d’opportunité (type 4) ne se distinguent pas en ce qui concerne la proportion d’homicidaires psychotiques ou non psychotiques qui les agressent. La pertinence de ces sous-groupes ne semble donc pas ici corroborée, la distinction s’opérant plutôt entre le groupe des victimes connues de l’agresseur d’une part (types 1 et 2), et inconnues ou tout juste rencontrées par lui (type 3 et 4), d’autre part. En revanche, les victimes des types 1 et 2 se différenciaient significativement dans toutes les comparaisons effectuées avec les groupes 3 et 4, donnant ainsi un sens à une distinction entre « victimes connues » et « victimes inconnues » en ce qui concerne le diagnostic de l’agresseur. Les victimes du type

Victimologie 30,00 % ns (a) P < 0,001 P < 0,005

25,00 %

P = 0,005 P < 0,05

Pourcentage

20,00 % P < 0,05

P < 0,001

15,00 %

P < 0,001 10,00 %

5,00 %

0,00 % Famille

Spécif. Connue

Spécif. Sélectionnée

Aléat. d’Opportunité

Aléat. Accidentelle

Type de Victime Groupe psychotique Groupe mixte + non psychotique FIG. 2. — Comparaison par χ2 du pourcentage de victimes de chaque type ayant été agressé respectivement par un psychotique ou un agresseur du groupe « mixte + non-psychotique ». (a) Test exact de Fisher. 546

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« aléatoire accidentel » (type 5) se différenciaient quant à elles en termes de proportion d’agresseurs psychotiques et non psychotiques (groupes 2, 3 et 4), mais non significativement du type 1 (victimes de la famille). Il faut cependant rappeler que ces victimes ont été pour la plupart (92,9 %) agressées au cours de 4 faits, dont 2 commis à quelques jours d’intervalle par le même agresseur et selon le même modus operandi, commis par 3 psychotiques (2 schizophrènes et 1 trouble délirant) prenant le caractère d’un meurtre de masse (Spree Murder).

DISCUSSION Notre étude a posé le problème des différences au plan des variables criminologiques et victimologiques entre les meurtres commis par des délinquants responsables d’homicides ou de tentatives d’homicide, en fonction du diagnostic de trouble mental posé chez l’agresseur. Cependant une telle approche comporte des biais divers. Des biais de sélection sont à noter : en effet, nous nous sommes penchés sur une population internée, à savoir des hommes hospitalisés dans un hôpital psychiatrique de haute sécurité, soit qu’ils y aient été placés comme une mesure alternative à une peine, eu égard à leur état mental, soit qu’ils s’y trouvaient après avoir été condamnés, parce qu’ils avaient présenté une décompensation de leur état mental, qui justifiait leur placement et leur traitement dans une institution spécialisée. Les résultats de cette étude ne peuvent donc être considérés en quoi que ce soit comme le reflet de la prévalence des troubles mentaux dans la population des délinquants homicidaires en général. Ce biais est d’autant plus accentué qu’il existe deux établissements de Défense sociale qui accueillent des délinquants pour la partie francophone de la Belgique : l’un de ces établissements dépend directement du ministère de la Justice (Paifve), l’autre, l’Établissement de Défense sociale de Tournai, ayant le ministère de la Région wallonne comme pouvoir de tutelle. En conséquence, la décision des commissions de Défense sociale de placer dans l’un plutôt que dans l’autre établissement peut amener un biais de sélection supplémentaire, les caractéristiques des deux établissements étant quelque peu différentes. Cependant, Tournai accueillant 340 patients et Paifve 120, l’importance de l’échantillon tournaisien le rend probablement plus représentatif de la population des internés belges francophones. Il convient d’ajouter que, dans certains cas, les internés peuvent être directement placés dans des institutions psychiatriques de type classique. Il est cependant peu probable que des délinquants homicidaires soient d’emblée admis dans de telles institutions. Enfin, les internés ont commis leur homicide à des époques très différentes. En effet, les conditions de sorties du système de la Défense sociale sont telles, tant en termes de dangerosité que de conditions de réinsertion sociale, que certains y séjournent beaucoup plus longtemps que d’autres, voire y reviennent à diverses reprises lorsque les conditions extérieures le leur imposent. Le plus ancien homicide avait été commis en 1949 par un patient ayant récidivé en 1983. Le plus ancien homi-

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cide, qui faisait toujours l’objet d’un suivi de la commission, datait de 1955. La pratique psychiatrique expertale révèle la fréquence des personnalités prépsychotiques chez les auteurs d’homicide. « Il n’est donc pas étonnant que des scènes de crime se situent dans un continuum entre l’organisation et la désorganisation » (17). Cependant, des soins psychiatriques étant dispensés en prison, il est probable qu’un certain nombre de diagnostics de psychose soient posés après condamnation, sans qu’il soit fait appel à la procédure d’internement par application de l’article 21, c’est-à-dire lorsque la psychose répond bien au traitement proposé en milieu pénitentiaire. Au plan des diagnostics, il y a lieu de tenir compte que certains diagnostics peuvent encore changer, ainsi Vielma et al. (20) ont signalé que 27 % des délinquants homicidaires devenaient psychotiques après l’acte. Une récente étude américaine montrerait que 75 % des délinquants homicidaires seraient déprimés. La faiblesse de la prévalence de la dépression dans notre échantillon peut s’expliquer par le fait que la plupart des délinquants qui en font partie ont commis leur acte longtemps avant l’établissement du diagnostic actuel. Par ailleurs, d’une part, il se peut que le diagnostic de dépression soit sous-évalué chez des personnes présentant un diagnostic de type psychotique, et d’autre part, qu’une partie de notre échantillon étant des individus qualifiés d’antisociaux, ceux-ci pourraient être moins sensibles à la dépression. Les études divisent les schizophrènes en type paranoïde et autres types. Les schizophrènes paranoïdes sont plus violents que les autres types de schizophrènes (2). Plus de 95 % de nos schizophrènes ont été diagnostiqués paranoïdes, ce qui va dans le sens de cette notion. Vielma et al. (20) affirment que le schizophrène qui tue est peu souvent halluciné, ce qui devrait être confirmé par une analyse ultérieure portant sur l’état mental au moment du délit. Une des conclusions clairement établie dans notre étude est la propension à consommer des substances, laquelle est plus présente chez les personnes homicidaires présentant un trouble de la personnalité, avec ou sans psychose, ou un diagnostic de trouble non psychotique. Un de nos cas ne présentait d’ailleurs comme seul diagnostic que les problèmes avec les substances. Dès lors, il nous semble qu’en première analyse nous puissions faire l’hypothèse que le seuil pour commettre un acte violent chez un patient psychotique est abaissé par rapport aux patients non psychotiques. Comme ces derniers abuseraient plus de substances, en particulier de l’alcool, ces substances étant alors des facilitateurs du passage à l’acte, le seuil d’agression s’en trouverait de ce fait aussi abaissé. Le facilitateur constitué par des substances serait donc moins nécessaire chez le psychotique délirant ou halluciné. Ce constat rejoint les études de Langevin et al. (10) et de Millaud (12) qui affirment qu’une population psychiatrique homicidaire consomme moins d’alcool que la population non psychiatrique violente (à laquelle peut s’apparenter notre population non psychotique). Cependant cette conclusion devrait pouvoir être validée par des études sur l’ensemble des homicidaires d’une région 547

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déterminée, sur une période déterminée, à savoir tant ceux frappés par une mesure d’internement que les condamnés à une peine. Il y aurait lieu aussi d’analyser et d’évaluer la consommation et l’imprégnation réelle au moment du délit. La comorbidité au sein de notre échantillon était également importante : 19 de nos 67 patients avec un diagnostic de l’axe I avaient un autre trouble de l’axe I (la plupart du temps « problème d’alcool ou de drogues »). Cette comorbidité a été également constatée entre les troubles de l’axe I et de l’axe II ; 17 patients (25,4 %) diagnostiqués sur l’axe I avaient au moins un trouble de la personnalité. Vingt-trois patients (27,5 %) sans diagnostic sur l’axe I (sauf problèmes de substances) présentaient aussi au moins un trouble de la personnalité. En outre, 18 patients (26,9 %) présentant une pathologie de l’axe I et 25 patients (62,5 %) sans autre diagnostic de l’axe I avaient également un « abus/dépendance à une substance ». Cette problématique complexe ne peut faire l’objet que d’une analyse partielle sur un échantillon aussi restreint et hétérogène sur le plan du diagnostic. Mais il y a lieu de penser que la comorbidité entre les troubles joue un rôle dans la gravité de la pathologie, laquelle pourrait se répercuter sur la dangerosité criminelle. Notre étude a aussi confirmé nettement la tendance des psychotiques à s’attaquer à des proches, en particulier à des membres de leur famille. Nous notons que 30 des 83 victimes de psychotiques (groupes diagnostiques 1, 2 et 5) appartenaient à la famille de leur agresseur (36,1 %) : 14 épouses, compagnes ou ex-compagnes, 2 pères, 3 mères, 5 fils ou filles, 3 frères ou sœurs, 1 tante, 1 beaupère et 1 belle-fille. Vingt-sept des 83 victimes (32,5 %) de psychotiques étaient par ailleurs spécifiquement connues de l’agresseur. Nous avons noté que le groupe des psychotiques qui présentaient aussi un trouble de la personnalité du cluster B se comportaient, en matière de substances, ainsi qu’en matière de type de victimes, comme le groupe « nonpsychotiques ». Nous avons également constaté que, dans certains cas, il s’agissait de victimes aléatoires accidentelles (15,7 % des victimes de psychotiques), dans le cadre de faits peu nombreux mais prenant l’allure de meurtres de masse (4,3 victimes en moyenne par meurtrier psychotique). Les victimes spécifiques sélectionnées et aléatoires d’opportunité ne représentaient que 14,5 % des victimes de psychotiques, alors qu’elles constituaient 43,3 % des victimes de non-psychotiques. Ces deux derniers types de victimes font probablement plus facilement l’objet d’attaques « prédatrices ». Il y a lieu de mettre en parallèle ces résultats avec le fait que les non-psychotiques sont plus susceptibles de commettre des faits de type instrumental que les psychotiques, dont les agressions sont plutôt réactionnelles et liées à la colère, à la jalousie, à la vengeance ou à un sentiment de persécution. Ici aussi le groupe diagnostique « Psychose schizophrénique et trouble de la personnalité du cluster B » se comporte de manière plutôt instrumentale qu’émotionnelle, à l’image des groupes non psychotiques. 548

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Enfin, il y a lieu de noter que, pour les cinq agresseurs récidivistes, le diagnostic de trouble explosif intermittent a été posé pour 2 cas, alors qu’il n’a été posé qu’une fois pour les homicidaires non récidivistes. La puissance statistique n’est pas suffisante, mais nous avons considéré que ce fait devait être signalé.

CONCLUSION En résumé, les groupes diagnostiques se distinguent de la manière suivante. – Groupe schizophrène : âge de délit autour de la trentaine, faible comorbidité avec les problèmes de substances, caractère plutôt émotionnel de l’acte, victimes préférentiellement connues ou accidentelles. – Groupe mixte : âge de délit autour de la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère plutôt instrumental de l’acte, victime inconnue dans une plus grande proportion de cas que dans les groupes 1 et 5. – Groupe des troubles de la personnalité du cluster B : âge de délit aux environs de la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère tant émotionnel qu’instrumental de l’acte, agression plus fréquente d’une victime inconnue. – Groupe hétéroclite : âge de délit dans la trentaine, forte comorbidité avec les problèmes de substances, caractère émotionnel ou instrumental de l’acte, victime plus fréquemment inconnue que les psychotiques (groupes 1 et 5). – Groupe des troubles délirants : âge de délit significativement plus élevé (dans la cinquantaine), faible comorbidité avec les problèmes de substances, caractère exclusivement émotionnel de l’acte, victimes préférentiellement connues, ou accidentelles. En conclusion, notre étude est l’ébauche d’une recherche sur la typologie du crime en fonction des diagnostics de troubles mentaux posés chez l’agresseur. Elle valide des constatations faites par ailleurs dans la littérature. Cependant, elle doit être poursuivie, d’une part par la collecte de nouvelles données portant sur d’autres saisons judiciaires, voire d’autres établissements, d’autre part en testant d’autres types de données : nous pensons par exemple aux diagnostics posés (ou non posés) avant l’homicide, aux soins reçus avant l’homicide, au parcours criminel avant l’acte de meurtre, etc. Une véritable typologie obtenue par exemple par analyse factorielle ou en grappe ne pourra être effectuée qu’après un élargissement sensible de cette base de données. Ce travail sera donc poursuivi au vu de l’intérêt des premiers résultats présentés ici.

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