Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 40 (2012) 536–537
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www.sciencedirect.com
Me´decine sexuelle fe´minine
Tribune libre : nous sommes tous des exciseurs ! Opinion: We all are excisers !
Au beau milieu de notre monde soi-disant moderne, le sexe fe´minin est devenu l’enjeu d’un combat. Dans ce combat est entre´, presque par hasard, le dernier acteur, qui n’avait au de´part a` peu pre`s rien a` y faire, « le me´decin ». Et le mode de contact fut exemplaire, bien loin d’une quelconque enqueˆte, encore moins d’une inge´rence. « Le me´decin a e´te´ requis » pour une catastrophe humanitaire a` l’e´chelle mondiale, dont on va voir qu’elle est en partie secondaire aux pratiques mutilatoires. Il s’agit des complications obste´tricales et de l’e´tat de la natalite´ en Afrique. L’Organisation mondiale de la sante´ a fort justement pointe´ ce drame, touchant et tuant des millions de femmes et d’enfants a` naıˆtre, jusqu’a` multiplier par vingt les chiffres de mortalite´ pe´rinatale. En abordant le proble`me, le me´decin a de´couvert l’ampleur et l’horreur. Accouchements tuant une fois sur quatre, fistules du postpartum rendant ces jeunes me`res incontinentes, donc rejete´es hors du clan parce qu’impures, exclusion du village et condamnation a` mort par suppression de l’acce`s a` la subsistance commune, sentences e´tendues aux enfants directs. Ces accidents ont des causes multiples, mais une des principales est certainement la se´quelle directe de l’excision, qui scle´rose et de´truit la souplesse de la filie`re pe´rine´ale. Le me´decin a donc e´coute´, et dans ce premier dialogue singulier, il a entendu la ve´rite´ jamais dite : l’atroce re´alite´ de l’acte mutilatoire, ses conse´quences imme´diates avec le saignement, l’infection qui dure des mois, mais aussi la mort directe, bien plus fre´quente que ne le pre´tendent les exciseuses, allant jusqu’a` huit pour cent. Puis, et ce fut la premie`re revendication, « la douleur permanente », la cicatrice au pire des endroits, responsable de rapports sexuels a` la limite du supportable pour une proportion me´connue de victimes. Ensuite, et comme toujours masque´es, les « se´quelles psychologiques », immenses si l’on se donne la peine de les explorer. Les lobbys exciseurs pre´sentent toujours des femmes qui ne se plaignent de rien, n’ont rien senti, et se sentent tre`s bien comme c¸a. Mais la re´alite´ du terrain s’ave`re diffe´rente, ce qui peut sembler e´vident a` notre culture occidentale, encore faut-il le dire. La` intervient le deuxie`me devoir du soignant de terrain : il doit te´moigner, dire ce qu’il voit et constate. De cette simple demande a` de´coule´ une ide´e de re´paration, simple reme`de a` la blessure dans un premier temps. 1297-9589/$ – see front matter ß 2012 Publie´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2012.07.021
Mais ce de´but d’inte´reˆt pour une pathologie cre´e´e par l’homme a bien vite suscite´ une « re´action violente de la communaute´ exciseuse », avec des menaces claires puis directes contre ces femmes demandeuses, mais bien vite e´galement contre les e´quipes me´dicales. Apre`s la phase africaine, nous avons continue´ en France l’e´tude et la recherche de la prise en charge des mutilations sexuelles fe´minines. Premie`re surprise, de telles techniques re´paratrices « n’ont jamais e´te´ tente´es ». La bibliographie, marque tre`s exacte du passe´ me´dical, re´ve`le des centaines de re´fe´rences pour la chirurgie du sexe masculin, qui, depuis trois sie`cles, fait l’objet de toutes les attentions, comme si la survie de l’espe`ce e´tait en jeu. Rien de tel pour le clitoris, que personne n’a jamais pense´ re´parer ou soigner en dehors de quelques cancers ou pathologies dermatologiques. Non seulement personne ne semble s’eˆtre pose´ la question, mais l’existence meˆme de l’organe paraıˆt nie´ me´dicalement parlant. Nous entrons ici dans une autre symbolique, « la ne´gation moderne d’une partie de la re´alite´ fe´minine ». Ici, point de tradition ancestrale, le clitoris n’existe pratiquement pas dans les re´fe´rences bibliographiques. Une sorte « d’excision scientifique » universellement reconnue. Dans ce contexte, il a fallu reparti de ze´ro, comme si l’on inventait la chirurgie esthe´tique du mammouth laineux. Tre`s peu de re´fe´rences physiologiques ou anatomiques, un profond de´sinte´reˆt des communaute´s scientifiques et des socie´te´s savantes. Il fallu aller jusqu’a` de´montrer « qu’il pouvait y avoir proble`me », meˆme aupre`s de praticiens a priori re´ceptifs comme les sexologues ou les gyne´cologues. « La deuxie`me de´couverte fut la re´action des femmes excise´es » lorsqu’elles apprirent qu’une re´paration e´tait faisable. Si la nouvelle a pu interpeller, l’e´ve´nement re´el fut qu’elles purent enfin eˆtre rec¸ues en temps que victimes et de´voiler leur ve´cu dans un dialogue singulier qui n’avait jamais e´te´ possible. Ce dialogue singulier, sorti du contexte africain, a re´ve´le´ brutalement l’autre versant du non-dit, la perte d’identite´, l’exclusion de la condition fe´minine, l’immense frustration de la blessure cache´e. Ont imme´diatement e´merge´ de tre`s fortes revendications a` l’acte re´parateur, de´passant de loin celle de la douleur formule´e sur le terrain.
Me´decine sexuelle fe´minine / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 40 (2012) 536–537
« Revendication cosme´tique » d’abord, amplifie´e par la pression des partenaires maˆles, africains ou non, qui, ayant eu d’autres expe´riences, leur reprochent leur statut de « non-femme ». L’excision qui faisait d’elles, disaient-ils, des vraies femmes dans leur village, les prive chez nous de ce qualificatif. « Revendication sexuelle » enfin, apre`s l’immersion culturelle dans le monde de la presse fe´minine et du droit a` l’orgasme. L’intensite´ de la souffrance re´ve´le´e et l’extraordinaire espoir d’un retour en arrie`re sont le ve´ritable e´ve´nement de cette histoire, ou` finalement la chirurgie ne tient qu’une toute petite place. Quel immense chemin parcouru depuis la case sanglante de l’exciseuse ! En fait, il ne s’est presque rien passe´, mais on a enfonce´ une immense porte ouverte. Oui, l’excision fait mal, oui, c’est une mutilation, oui « cela » manque a` la femme, oui messieurs, cet organe est vital pour la femme. Mais le plus choquant est « qu’on ait a` crier ces ve´rite´s », car elles ne sont malgre´ tout pas encore e´videntes, signe que notre e´poque est finalement encore tre`s proche d’un village Soninke´. En fait, le clitoris est unique en ce qu’il est dans l’espe`ce humaine « le seul organe exclusivement sexuel », ce que ne sont ni le vagin, ni la verge, du fait de leur participation aux fonctions reproductrice ou excre´toire. La nature a chez la femme se´pare´ le sexe et le genre, mais les a laisse´s confondus chez le maˆle. L’orgasme masculin est donc lie´ a` l’acte reproducteur, inne´, implicite, et automatique.
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Rien de tel chez la femme ou` la reproduction est une fonction autonome. L’orgasme fe´minin, en grande partie lie´ au clitoris, est un e´ve´nement additionnel, qui peut eˆtre conside´re´ comme un acquis de la civilisation. Cet organe est donc tabou, pour nous meˆmes, occidentaux du e ` cle. XXI sie Bien loin de n’eˆtre qu’un simulacre de pe´nis, il repre´sente tout au contraire l’exclusif fe´minin, et en cela les modernes rejoignent les anciens. Il est donc la cible reˆve´e de l’imaginaire initiatique primitif car il symbolise dans le sexe fe´minin la partie non directement utile pour l’homme. Il est encore de nos jours l’objet d’un tre`s puissant rejet et sa place reste tre`s marginale.
De´claration d’inte´reˆts L’auteur de´clare ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. P. Foldes De´partement d’urologie, centre hospitalier intercommunal de Saint-Germain-en-Laye, 4, place Louis XIV, 78100 Saint-Germain-en-Laye, France Adresse e-mail :
[email protected] (P. Foldes) ˆ t 2012 Disponible sur Internet le 21 aou