© Masson, Paris, 2006.
Gastroenterol Clin Biol 2006;30:317-319
Tumeur fibreuse solitaire du pancréas CAS CLINIQUE
A propos d’un cas
Kais CHATTI (1), Kais NOUIRA (2), Meher BEN REGUIGUA (1), Haykel BEDIOUI (3), Saddik OUESLATI (1), Besma LAABIDI (4), Mohamed ALAYA (5), Nejmeddine BEN ABDALLAH (1) (1) Service de radiologie, Hôpital militaire, Tunis ; (2) Service de Radiologie, Hôpital La Rabta, Tunis ; (3) Service de Chirurgie A, Hôpital La Rabta, Tunis ; (4) Service d’Anatomie Pathologique, Hôpital militaire, Tunis ; (5) Service de Chirurgie, Hôpital militaire, Tunis, Tunisie.
RÉSUMÉ
SUMMARY
Les tumeurs fibreuses solitaires (TFS), sont des tumeurs mésenchymateuses rares, habituellement décrites au niveau de la plèvre, mais pouvant se développer dans différentes localisations extra pleurales. Elles ont été exceptionnellement décrites au niveau du pancréas. Nous rapportons le cas d’une TFS bénigne du pancréas survenant chez un homme de 41 ans qui consultait pour des douleurs épigastriques. Les aspects à l’imagerie, anatomopathologiques et immunohistochimiques sont détaillés.
Solitary fibrous tumour of the pancreas. À case report
Une résection chirurgicale de la tumeur a été réalisée, mais le malade est décédé de complications postopératoires.
This report describes the case of a benign SFT of the pancreas occurring in a 41-year-old man who presented with a solid epigastric mass. Pathological and immunohistochemical findings are presented.
Kais CHATTI, Kais NOUIRA, Meher BEN REGUIGUA, Haykel BEDIOUI, Saddik OUESLATI, Besma LAABIDI, Mohamed ALAYA, Nejmeddine BEN ABDALLAH (Gastroenterol Clin Biol 2006;30:317-319)
Solitary fibrous tumour (SFT), a rare mesenchymal neoplasm usually arising from the pleura, may also occur in many other extra pleural sites. It has exceptionally been described in the pancreas.
Imaging features on ultrasonography, CT, MRI, and arteriography are widely detailed. Surgical resection of the tumour was performed, and the patient died from postoperative complications.
À l’imagerie par résonance magnétique (IRM), la masse paraissait en hyposignal T1, hypersignal T2 et se rehaussait de façon hétérogène après injection de produit de contraste. Les zones de nécrose étaient en hypersignal spontané T1. Le diagnostic évoqué était celui d’une tumeur neuroendocrine du pancréas bien que la cinétique de rehaussement par le produit de contraste aussi bien à la TDM qu’à l’IRM ne soit pas typique. Le bilan d’extension locorégional et à distance était négatif. L’exploration chirurgicale, moyennant un décollement colo-épiploïque, a permis de retrouver une tumeur du corps du pancréas, bien limitée, encapsulée, de couleur blanchâtre, faisant 13 cm de diamètre, pédiculée, dont la base d’implantation sur la face antérieure du pancréas faisait 1 cm. Le parenchyme pancréatique semblait de couleur et de consistance normales. Cette tumeur contractait des adhérences intimes, d’allure inflammatoire, très vascularisées, avec le mésocolon transverse et la face postérieure de l’estomac. La libération de la masse était laborieuse et très hémorragique nécessitant de ce fait une transfusion peropératoire et imposant d’écourter la durée de l’intervention. Devant l’installation d’une instabilité hémodynamique et de troubles de la crase sanguine, le geste opératoire s’est résumé en une simple énucléation de cette tumeur au niveau de sa base loin du canal pancréatique principal. Les suites opératoires immédiates ont été marquées par la persistance des troubles de la coagulation avec un syndrome hémorragique diffus avec décès du malade au 3e jour post-opératoire. L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire retrouvait, sur le plan macroscopique, une masse solide bien encapsulée, d’aspect blanchâtre, d’allure fibreuse, contenant par endroits de larges plages de nécrose. L’examen histologique montrait une prolifération tumorale bien limitée, de densité variable, alternant des zones denses et des zones lâches. Les cellules tumorales étaient fusiformes et régulières, intimement mêlées aux fibres de collagène, s’agençant en faisceaux courts sans architecture définie. Elles ne présentaient ni atypie cytonucléaire, ni mitose. La vascularisation était bien développée de type hémangiopéricytaire (figure 2). Une étude immunohistochimique a été réalisée utilisant un panel d’anticorps regroupant la vimentine, l’EMA, la cytokératine (KL1), la PS100, le CD34, le CD99, l’actine α muscle lisse, le Bcl-2 et le CD117. Elle montrait la positivité intense et diffuse des cellules tumorales
Introduction La tumeur fibreuse solitaire est une tumeur mésenchymateuse de diagnostic difficile, de plus en plus fréquemment rapportée dans des localisations intra abdominales, mais exceptionnellement décrite au niveau du pancréas [1].
Observation Un homme âgé de 41 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, se plaignait de douleurs abdominales depuis deux ans, initialement soulagées par un traitement symptomatique. L’examen clinique trouvait un malade apyrétique, à l’état général conservé. La palpation abdominale révélait la présence d’une masse épigastrique ovalaire, de consistance molle, sensible, fixe par rapport aux plans profonds. Le reste de l’examen était sans particularité. Le bilan biologique était normal et en particulier la glycémie, la calcémie, l’amylasémie et la vitesse de sédimentation. L’échographie a mis en évidence une masse pancréatique corporéocéphalique, ovalaire, bien limitée, hypoéchogène, hétérogène, mesurant 13 cm de grand axe. La tomodensitométrie (TDM) retrouvait la masse pancréatique qui était de densité tissulaire, de contours réguliers, rehaussée de façon hétérogène après injection de produit de contraste et siège de multiples zones de nécrose. Cette masse présentait un développement exophytique et refoulait l’antre gastrique et le duodénum en avant, le lobe gauche du foie en haut, ainsi que les structures vasculaires adjacentes (tronc cœliaque et artère splénique) sans signe d’envahissement (figure 1).
Tirés à part : K. NOUIRA, 5, Rue Ibn Messaoud El Menzeh 6, 2091, Tunis, Tunisie. E-mail :
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Les TFS peuvent s’observer à tout âge, sans prédominance de sexe [5]. Leur manifestation clinique dépend essentiellement de leur topographie. Au niveau du pancréas, elles se manifestent par des douleurs abdominales ou par une masse palpable comme ce fut le cas chez notre malade [1, 6]. Des accidents hypoglycémiques ont été également décrits associés aux TFS [7]. L’imagerie permet de faire le diagnostic d’une masse tissulaire pancréatique et d’en faire le bilan d’extension locorégionale et à distance. Elle ne permet pas d’évoquer le diagnostic d’une TFS du pancréas du fait de l’absence de spécificité des lésions observées. À l’échographie, la TFS se présente comme une masse bien limitée, arrondie ou ovalaire, hypoéchogène, souvent hétérogène en rapport avec la présence de foyers d’hémorragie ou de nécrose [1]. La TDM montre une formation de densité tissulaire, bien limitée et rehaussée de façon intense après injection de produit de contraste du fait d’un important contingent vasculaire [8]. Des foyers de nécrose dans les TFS de grande taille peuvent se voir lui conférant un aspect hétérogène [7]. Des calcifications sont possibles.
Fig. 1 – Coupe TDM axiale après injection de produit de contraste. Masse pancréatique corporéo-céphalique à développement exophytique, bien limitée et rehaussée de façon hétérogène après injection de produit de contraste. Axial Ct-scan with contrast medium showing an heterogeneous mass of the body and the head of the pancreas.
L’IRM présente les mêmes caractéristiques morphologiques que la TDM. Ces tumeurs apparaissent en hyposignal ou de signal intermédiaire en pondération T1. Le signal en pondération T2 est variable, fonction de la nature histologique de la tumeur : hypersignal T2 lorsqu’il existe un important contingent cellulaire et hyposignal T2 en cas de fibrose importante [8].
à la vimentine, au CD34 (figure 3) et au Bcl-2 et focale au CD99, au CD117 et à l’actine α muscle lisse. Les cellules tumorales étaient en revanche négatives aux marqueurs épithéliaux (EMA et cytokératine) et au PS100. Le diagnostic de TFS a été ainsi retenu.
L’étude anatomopathologique reste la clef du diagnostic des TFS. Macroscopiquement, il s’agit d’une tumeur solide, à surface lisse, souvent volumineuse, avec des foyers de nécrose centrale, des zones kystiques ou plus rarement des calcifications. Cette tumeur bien circonscrite, n’infiltre pas le parenchyme sain [1, 3-5].
Discussion La TFS ou mésothéliome fibreux solitaire ou localisé, est une tumeur conjonctive rare décrite initialement au niveau de la plèvre et longtemps considérée comme ayant une origine mésothéliale [2]. La découverte d’autres localisations extrapleurales et la précision de ses caractéristiques immunohistochimiques la font classer actuellement parmi les tumeurs d’origine mésenchymateuse [1-3]. Les localisations extrapleurales des TFS, peuvent être soit thoraciques : pulmonaires, péricardiques ou médiastinales, soit extra-thoraciques intéressant essentiellement les tissus mous, la sphère ORL et l’abdomen [4]. La localisation pancréatique primitive est exceptionnelle puisque décrite une seule fois, à notre connaissance, dans la littérature par Lüttges et al. [1].
Sur le plan histologique, la TFS réalise typiquement une prolifération tumorale faite de cellules fusiformes monomorphes agencées en faisceaux entrelacés se disposant d’une façon anarchique au sein d’un stroma fibrocollagénique focalement hyalinisé et renfermant un riche réseau vasculaire souvent de type hémangiopéricytaire. La TFS alterne dans la majorité des cas des zones hypo et hypercellulaires. Des zones myxoïdes et des palissades sont parfois observées. Sur le plan histologique, le diagnostic de TFS se pose principalement avec l’hémangiopéricytome. Il ressort cependant qu’une positivité intense et diffuse des cellules tumorales au CD34 et au Bcl-2 comme dans notre observation est en faveur de la TFS ; l’hémangopériytome étant plus rarement et plus focalement positif à ces deux anticorps. En
Fig. 2 – Prolifération tumorale, bien circonscrite, d’architecture hémangiopéricytaire. (HE X 10). Well circumscribed tumour with hemangiopericytic pattern (HE X 10).
Fig. 3 – Cellules fusiformes régulières marquées intensément et diffusément par le CD34. (CD34 X 25) Regular spindle cells diffusely and intensely marqued with CD34 (CD34 X 25).
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effet sur le plan immunohistochimique, le CD34 est un marqueur hautement caractéristique des TFS. Sa positivité associée à celle de la bcl-2, conforte le diagnostic [1-3].
RÉFÉRENCES
1. Luttges J, Mentzel T, Hubner G, Kloppel G. Solitary fibrous tumour of the pancreas: a new member of the small group of mesenchymal pancreatic tumours. Virchows Arch 1999;435:37-42.
Les TFS sont souvent bénignes, mais peuvent être malignes surtout pour les localisations pleurales, avec extension locorégionales, métastases à distance et récidives [5]. Les critères de malignité les plus reconnus sont l’atypie cytonucléaire, l’activité mitotique élevée, la haute cellularité, le pléomorphisme, l’importance de la nécrose et de l’hémorragie [2, 5]. Le traitement des TFS du pancréas est chirurgical. Il consiste en une résection pancréatique emportant la tumeur du fait du risque de malignité.
2. Chan JK.Solitary fibrous tumour--everywhere, and a diagnosis in vogue. Histopathology 1997;31:568-76.
3. Hanau CA, Miettinen M. Solitary fibrous tumor: histological and immunohistochemical spectrum of benign and malignant variants presenting at different sites. Hum Pathol 1995;26:440-9.
4. Goodlad JR, Fletcher CD. Solitary fibrous tumour arising at unusual sites: analysis of a series. Histopathology 1991;19:515-22.
5. Gold JS, Antonescu CR, Hajdu C, Ferrone CR, Hussain M, Lewis JJ, et al. Clinicopathologic correlates of solitary fibrous tumors. Cancer 2002;94:1057-68.
Conclusion
6. Adachi T, Sugiyama Y, Saji S. Solitary fibrous benign mesothelioma of the peritoneum: report of a case. Surg Today 1999;29:915-8.
Les TFS sont des tumeurs mésenchymateuses à potentiel de malignité variable. La localisation pancréatique est exceptionnelle. Son diagnostic préopératoire est difficile du fait de l’absence de spécificité clinique, biologique et radiologique. La ponction guidée par échoendoscopie pourrait, dans certains cas, permettre un diagnostic préopératoire, en cas risque chirurgical important.
7.
Fuksbrumer MS, Klimstra D, Panicek DM. Solitary fibrous tumor of the liver: imaging findings. AJR Am J Roentgenol 2000;175: 1683-7.
8. Cannard L, Debelle L, Laurent V, Béot S, Leclerc JC, Régent D. Imagerie des tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre. Feuillets de Radiologie 2001; 41:317-24
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