Un arrêt cardiaque brutal à l’induction anesthésique

Un arrêt cardiaque brutal à l’induction anesthésique

Annales de pathologie (2013) 33, 426—428 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Un arrêt cardiaque brutal...

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Annales de pathologie (2013) 33, 426—428

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS POUR DIAGNOSTIC

Un arrêt cardiaque brutal à l’induction anesthésique A sudden cardiac arrest during the anesthesia induction Arielle Chapelet a, Gérard Audibert b, Franc ¸ois Plénat c, Jean-Michel Vignaud a, Guillaume Gauchotte a,∗ a

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Central, CHU de Nancy, 29, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 54000 Nancy, France b Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Central, CHU de Nancy, 54000 Nancy, France c Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpitaux de Brabois, CHU de Nancy, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France Accepté pour publication le 17 octobre 2013 Disponible sur Internet le 20 novembre 2013

Observation Un homme de 46 ans, sans antécédents médicaux notables, consulte aux urgences pour cellulite du membre supérieur droit. Le patient est fébrile, tachycarde, normotendu et présente au bilan biologique un syndrome inflammatoire (CRP : 445 mg/L). L’ECG objective une tachycardie sinusale avec de rares extrasystoles ventriculaires. Un parage chirurgical de son membre supérieur droit sous couverture antibiotique est prévu. Dix minutes après l’induction anesthésique, le patient passe brutalement en asystolie. Après 45 minutes de réanimation, le décès est constaté. Une autopsie médico-scientifique est réalisée. Le péricarde ne présente pas d’épanchement significatif. Le cœur, pesant 360 g, est parcouru d’artères coronaires siège de lésions minimes d’athérome. À la coupe, la paroi libre du ventricule droit (VD) présente de fac ¸on multifocale un aspect adipeux (Fig. 1). La paroi du septum est normale. Il n’y a pas de lésion évocatrice d’atteinte ischémique. Il n’y a pas d’embolie pulmonaire. On retrouve par ailleurs une dermo-hypodermite suppurée du membre supérieur droit. Histologiquement, la paroi libre du VD présente une infiltration adipeuse s’associant à des remaniements fibreux, sous forme de plages mal limitées, parfois pan pariétales (Fig. 2). Il existe dans ces zones une raréfaction et des dystrophies des cardiomyocytes, ceux-ci se disposant alors en faisceaux désorganisés (Fig. 3). L’échantillonnage des autres organes est sans particularité.



Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (A. Chapelet), [email protected] (G. Audibert), [email protected] (F. Plénat), [email protected] (J.-M. Vignaud), [email protected] (G. Gauchotte). 0242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.006

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Figure 1. Aspect adipeux de la paroi libre du ventricule droit. Fatty appearance of the right ventricular free wall.

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Figure 3. Présence de cardiomycytes dystrophiques dans les plages fibro-adipeuses (hématoxyline, éosine et safran, ×200). Presence of dystrophic cardiomyocytes in the fibro-fatty areas (hematoxylin, eosin and saffron, ×200).

Quel est votre diagnostic ?

Figure 2. Infiltration adipeuse de la paroi du ventricule droit s’accompagnant de plages de fibrose (hématoxyline, éosine et safran, ×25). Adipose infiltration of the right ventricular free wall associated with fibrosis (hematoxylin, eosin and saffron, ×25).

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Diagnostic proposé Dysplasie arythmogène du ventricule droit.

Discussion La dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD), dont la prévalence est estimée à 1/5000, est une cardiomyopathie héréditaire à pénétrance partielle et à expression variable, le plus souvent autosomique dominante. Il existe de rares syndromes récessifs, par exemple la maladie de Naxos associant à la DAVD une atteinte cutanée avec une kératodermie palmoplantaire et une atteinte des phanères, avec des cheveux laineux. Les gènes impliqués sont responsables d’altération des desmosomes. Il en résulterait un défaut d’adhésion des cardiomyocytes, favorisant leur apoptose. Actuellement 12 gènes ont été identifiés dans la DAVD : ␣T-caténine (CTNNA3), desmine (DES), plakoglobine de jonction (JUP), desmoplakine (DSP), lamine A/C (LMNA), plakophiline2 (DSC2), phospholamban (PLN), desmogleine-2 (DSG2), desmocolline-2 (DSC2), titine (TTN), TGFˇ3 et TMEM43 [1]. Les manifestations cliniques de la DAVD sont variables. Le plus souvent asymptomatique, elle peut être responsable de mort subite essentiellement chez l’adulte jeune (moins de 35 ans), notamment à l’effort, de troubles du rythme à type d’arythmie ventriculaire ou d’insuffisance cardiaque. Les remaniements fibro-adipeux engendrent des troubles de la conduction et de la repolarisation, mais peuvent également entraîner une dilation anévrismale [2]. Le diagnostic pré-mortem est difficile, et repose sur un ensemble de critères : dysfonction ou malformation acquise cardiaque, anomalies histologiques, troubles de la repolarisation, troubles de la conduction, arythmies et histoire familiale [2]. La confirmation diagnostique définitive est histologique, sur biopsie endomyocardique, mais inconstamment contributive, compte tenu de la nature segmentaire de l’atteinte. Elle est donc à pratiquer en zone pathologique repérée préalablement par cartographie électro-anatomique ou IRM [3]. Le diagnostic est donc plus simple en post-mortem. Les principaux diagnostics différentiels sont les autres causes de mort subite, en particulier cardiaques (ischémie myocardique, myocardites aiguës, troubles du rythme), ou pulmonaires (embolie pulmonaire). La DAVD est suspectée à l’examen macroscopique devant la constatation d’un aspect adipeux de la paroi libre du VD. En microscopie, on retrouve des anomalies pouvant toucher toute l’épaisseur de la paroi ventriculaire droite. Le myocarde est atrophique, remplacé par du tissu adipeux associé à une fibrose interstitielle séparant des îlots de cardiomyocytes. Ceux-ci sont alors plus ou moins dystrophiques, parfois en apoptose, et sont préférentiellement disposés sous l’endocarde formant des bandes continues ou des colonnes charnues [4]. Un infiltrat inflammatoire secondaire à la mort cellulaire peut être observé. Le diagnostic

A. Chapelet et al. repose sur une série de critères majeurs ou mineurs [2]. En histologie, le critère majeur correspond à moins de 60 % de myocytes résiduels avec présence de fibrose sur au moins un prélèvement intéressant la paroi libre du VD. Si la proportion au sein du prélèvement est comprise entre 60 et 75 %, il s’agit d’un critère mineur, qui est à prendre en compte avec l’ensemble des autres éléments. L’infiltration adipeuse seule n’est pas suffisante au diagnostic : elle n’est pas pathognomonique de cette pathologie, et peut être présente sur un cœur normal [2]. Dans le cas présenté, le diagnostic est certain, mais on ne peut affirmer avec certitude que le décès soit imputable à la DAVD. Compte tenu de l’absence de trouble tensionnel, le choc septique ne peut être retenu. La tachycardie secondaire au sepsis de ce patient pourrait être assimilée à celle d’un effort sportif, favorisant ainsi l’arrêt cardiaque chez un patient porteur d’une DAVD. Aucune autre étiologie n’est évoquée après l’autopsie, la dissection n’ayant pas mis en évidence d’autre atteinte létale. Dès qu’il existe un contexte d’arythmie, de syncope ou de mort subite familiale, des investigations sont nécessaires pour établir le diagnostic de DAVD ou d’autre pathologie cardiaque héréditaire favorisant les morts subites, comme les maladies des canaux ioniques (nécessitant des prélèvements congelés) [5]. Le diagnostic de ces pathologies est indispensable, permettant ainsi un dépistage familial des apparentés et une prévention de la mort subite chez des sujets souvent jeunes. En fonction des anomalies constatées, cette prévention pourra reposer sur un traitement médicamenteux, voire nécessiter la mise en place d’un défibrillateur automatique implantable.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Campuzano O, Alcalde M, Allegue C, Iglesias A, Garcia-Pavia P, Partemi S, et al. Genetics of arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathy. J Med Genet 2013;50:280—9. [2] Marcus FI, McKenna WJ, Sherrill D, Basso C, Bauce B, Bluemke DA, et al. Diagnosis of arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathy/dysplasia: proposed modification of the task force criteria. Circulation 2010;121:1533—41. [3] Chimenti C, Pieroni M, Maseri A, Frustaci A. Histologic findings in patients with clinical and instrumental diagnosis of sporadic arrhythmogenic right ventricular dysplasia. J Am Coll Cardiol 2004;43:2305—13. [4] Loire R, Tabib A. [Arrhythmogenic right ventricular dysplasia and Uhl disease. Anatomic study of 100 cases after sudden death]. Ann Pathol 1998;18:165—71. [5] Basso C, Burke M, Fornes P, Gallagher PJ, de Gouveia RH, Sheppard M, et al. Guidelines for autopsy investigation of sudden cardiac death. Virchows Arch 2008;452:11—8.