C. R. Acad. Sci. Paris, t. 332, Série I, p. 295–298, 2001 Algèbre homologique/Homological Algebra
Un modèle algébrique de la suite spectrale de Leray David CHATAUR Département de mathématique, chemin du cyclotron, 2, 1348 Louvain-La-Neuve, Belgique Courriel :
[email protected] (Reçu le 22 septembre 2000, accepté après révision le 4 décembre 2000)
Résumé.
À partir de la notion de formes différentielles sur une opérade, on construit une suite spectrale du type Leray. Une application de cette suite spectrale est la détermination du modèle de la fibre d’une application simpliciale, dans le cadre des E∞ -algèbres. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
An algebraic model of the Leray spectral sequence Abstract.
Thanks to the notion of differential forms over an operad, we build a spectral sequence of Leray type. An application of this spectral sequence is the determination of the model of the fiber of a simplicial map, in the framework of E∞ -algebras. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
1. Le foncteur des formes différentielles généralisées pour les algèbres sur une opérade Formes différentielles sur une opérade. – On considère une opérade O dans la catégorie RMdg des R-modules différentiels Z-gradués [3,4,7,8]. On a montré [1] que sous des hypothèses raisonnables (essentiellement de cofibrance de l’opérade), on peut associer à O un foncteur ΩO , de formes différentielles généralisées, des ensembles simpliciaux vers les O-algèbres. La propriété fondamentale de ΩO (X) est d’être homotopiquement équivalente à C∗ X, l’algèbre des cochaînes singulières de X. Préfaisceaux sur les ensembles simpliciaux. – Soit X un ensemble simplicial ; on lui associe une catégorie que l’on note X. Les objets de X sont les p-simplexes de X. Les morphismes de X correspondent aux applications α : ∆[p] −→ ∆[q] au-dessus de X. À toute application simpliciale f : X −→ Y est associé un foncteur f : X −→ Y. Un préfaisceau sur X à valeurs dans une catégorie C est un foncteur contravariant de X dans C. On note F(α, x) : F(α∗ x) −→ F(x) l’application induite par α : ∆[p] −→ ∆[q]. Les préfaisceaux que l’on considère sont à valeurs dans RMdg . Ils forment une catégorie abélienne. Une suite de préfaisceaux 0 −→ F −→ G −→ H −→ 0 Note présentée par Jean-Pierre S ERRE. S0764-4442(00)01809-7/FLA 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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est exacte si, pour tout p-simplexe xp de X, la suite 0 −→ F(xp ) −→ G(xp ) −→ H(xp ) −→ 0 est exacte. Exemples. – 1. Les foncteurs formes différentielles généralisées sont des préfaisceaux. Les cochaînes singulières sont aussi un exemple de préfaisceau. 2. Un exemple important est le cas des préfaisceaux à valeurs dans la catégorie SC des objets simpliciaux de C. Soit F un préfaisceau à valeurs dans SC. Une section s du préfaisceau F est la donnée pour tout q-simplexe x ∈ Xq d’un ensemble simplicial s(x) tel que, pour toute application α : [p] −→ [q], on ait F(α, x) s α∗ (x) = α∗ s(x) . Un préfaisceau constant F sur X est tel que, pour tout q-simplexe x ∈ Xq , F(x) = M avec M un objet de SC ; une section de F est une application simpliciale de X dans M . 3. Systèmes de coefficients : un système de coefficients locaux L sur un ensemble simplicial X est un préfaisceau sur X à valeurs dans Ab tel que, pour tout opérateur de face δi : ∆[p + 1] −→ ∆[p] et pour tout p-simplexe x ∈ Xp , les morphismes L(δi ; x) : L(δi x) −→ L(x) soient des isomorphismes. Pour tout 0-simplexe x ∈ X on a une action de π1 (X, x) sur le groupe abélien L(x). Le système de coefficients est dit simple si l’action des groupes fondamentaux est triviale. De plus, si X est connexe et si le système de coefficients est simple, alors les groupes L(x) sont isomorphes. On fixe un préfaisceau F sur X à valeurs dans RMdg . On lui associe un préfaisceau noté ΩO (X; F) sur X à valeurs dans SRMdg . Ce préfaisceau associe à x ∈ X le module différentiel gradué simplicial O O O ΩO ∗ ⊗ F(x). On rappelle que Ω∗ est une O-algèbre simpliciale telle que Ωn = Ω (∆[n]). O On construit un foncteur Ω (X; −) : FMMdgX −→ SFMMdgX de la catégorie des préfaisceaux sur X à valeurs dans RMdg vers la catégorie des préfaisceaux sur X à valeurs dans SRMdg . D ÉFINITION 1. – Une section du préfaisceau ΩO (X; F) s’appelle une forme différentielle généralisée sur X à valeurs dans le préfaisceau F. On note ΩO (X; F) l’ensemble de ces sections. L’objet ΩO (X; F) est bigradué de manière naturelle. L’ensemble des éléments de bidegré (r, s) est noté Ω (X; Fs ). Le degré s est donné par le degré différentiel de F, et le degré r par celui de ΩO ∗ . On définit ainsi un foncteur ΩO,∗ (X; F∗ ) de la catégorie des ensembles simpliciaux vers la catégorie des R-modules différentiels bigradués. O,r
Intéressons-nous au cas où F est un préfaisceau constant noté M (M est vu comme un R-module différentiel gradué concentré en degré 0 avec différentielle nulle). Alors une forme différentielle généralisée à valeurs dans F est une application simpliciale de X dans ΩO ∗ ⊗ M . En particulier, si M = R, alors ΩO (X; R) = ΩO (X). P ROPOSITION 1. – Soit X un ensemble simplicial et M un préfaisceau constant, avec M un R-module plat, alors on a l’isomorphisme : π ∗ ΩO (X; M ) ∼ = H ∗ (X; M ). Ce résultat est encore vrai pour L un système de coefficients locaux R-plats. On remarque que ΩO (X; −) est un foncteur de la catégorie des préfaisceaux dans la catégorie des Rmodules différentiels bigradués. On montre que ce foncteur est exact, on en déduit le résultat suivant : P ROPOSITION 2. – On a π s (ΩO (X; F)) ∼ = ΩO (X; Hs (F)), où π s (ΩO (X; F)) est la cohomologie de Ω (X; F) calculée avec la différentielle de F. O
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Un modéle algébrique de la suite spectrale de Leray O Les formes différentielles généralisées pour les bisimplexes. – Le R-module différentiel ΩO ∗ ⊗ Ω∗ est O O bisimplicial et bigradué ; un élément de bidimension (p, q) est un élément de Ω (∆[p]) ⊗ Ω (∆[q]). O On note ΩO bi (X) l’ensemble des formes différentielles généralisées pour le bisimplexe X, Ωbi (X) = O O HomBiS (X, Ω∗ ⊗ Ω∗ ). Une forme différentielle généralisée de bidimension (p, q) sur un ensemble bisimplicial X est une O application bisimpliciale de X dans ΩO p ⊗ Ωq . O O De plus, Ω∗ ⊗ Ω∗ possède une autre bigraduation donnée par le degré différentiel. Une forme différentielle généralisée de bidegré (, m) sur un ensemble bisimplicial X est une application O,m bisimpliciale de X dans ΩO, . ∗ ⊗ Ω∗
On définit un foncteur β : S −→ BiS de la catégorie des ensembles simpliciaux dans la catégorie des ensembles bisimpliciaux par : (βX)p,q = Xp O pour tout q. On vérifie aisément que, pour tout ensemble simplicial X, on a : ΩO bi (βX) = Ω (X).
Soit f : E −→ B une surjection simpliciale. À ce morphisme on associe un ensemble bisimplicial S·,· f . O On peut montrer que S·,· f et βE sont quasi-isomorphes [2]. Comme ΩO bi (βE) = Ω (E) on en déduit la proposition : P ROPOSITION 3. – Soit f : E −→ B une surjection simpliciale, alors on a l’isomorphisme suivant : ∼ ∗ π ∗ ΩO bi (S·,· f ) = H (E; R). Le bisimplexe S·,· f permet de définir un système de coefficients locaux sur B, que l’on note F. P ROPOSITION 4. – On a H∗ ΩO,r (B; Fs ); dF ∼ = ΩO,r (B; Hs (F)). De plus, si f : E −→ B est une fibration de Kan et si le système de coefficients locaux F est simple, alors : H∗ ΩO,r B; Fs ; dF ∼ = ΩO,r B; Hs (F) . 2. Formes différentielles et suites spectrales de Leray Dans ce paragraphe on donne une construction de la suite spectrale de Leray à partir des formes différentielles généralisées. T HÉORÈME 1. – Soit f : E −→ B une application surjective entre ensembles simpliciaux. (i) On a une suite spectrale qui converge vers H∗ (E; R), telle que : O,r B; Fs , Er,s 0 =Ω O,r B; Hs (F) , Er,s 1 =Ω r s Er,s 2 = H B; H (F) , où F est le système de coefficients local sur B défini précédemment. (ii) On suppose que f est une fibration de Kan, que B est connexe et que le système de coefficients local Hs (F) est simple (ce qui est le cas si B est 1-connexe). Alors r s Er,s 2 = H B; H (F ; R) avec F la fibre de f . Modèle d’une fibration. – L’existence de la suite spectrale de Leray–Serre associée aux formes différentielles généralisées pour les E∞ -algèbres nous permet de décrire un modèle algébrique des fibrations. Ce résultat complète les travaux récents de M. Mandell sur l’homotopie p-adique [9]. Au préalable nous avons besoin de résultats concernant le coproduit des E∞ -algèbres (noté ). On se donne
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une opérade E∞ qui est un modèle cofibrant de Comm (dans [5] une théorie homotopique pour les opérades est mise en place, les propriétés des algèbres sur une opérade cofibrantes sont étudiées dans [6]). V. Hinich a démontré la proposition suivante [6] : P ROPOSITION 5. – Soient B et C deux E∞ -algèbres cofibrantes, alors il existe un quasi-isomorphisme de R-modules différentiels gradués : B ⊗ C −→ B C. Ceci nous permet de prouver le résultat suivant : P ROPOSITION 6. – Soient A une E∞ -algèbre quasi libre 1-connexe et A −→ A τ E∞ (V ) un morphisme quasi libre. Alors on a une suite spectrale de second terme : p q Ep,q 2 = π A ⊗ π E∞ (V ) qui converge vers π p+q (A τ E∞ (V )) dès que A et E∞ (V ) sont connexes. Soit maintenant p : X −→ Y une fibration de fibre F , Y est 1-connexe. On se donne un modèle cofibrant MY de ΩE∞ (Y ). On fixe p : MY −→ MY τ MF un modèle quasi libre de p∗
φY
MY −→ ΩE∞ (Y ) −→ ΩE∞ (X). On montre que la E∞ -algèbre MF est un modèle cofibrant de F . Considérons le diagramme suivant : ΩE∞ (Y )
p∗
φY
MY
ΩE∞ (X)
i∗
ΩE∞ (F ) α
φX p
MY τ MF
i
MF
Comme MF est la cofibre de p on en déduit l’existence d’un morphisme α : MF −→ ΩE∞ (F ). Un théorème de comparaison de Zeeman entre la suite spectrale du théorème 1 et la suite spectrale de la proposition 6 permet de prouver : P ROPOSITION 7. – Le morphisme α : MF −→ ΩE∞ (F ) est une fibration triviale. Références bibliographiques [1] Chataur D., Formes différentielles pour les algèbres sur une opérade, C. R. Acad. Sci. Paris, Série I 329 (1999) 939–942. [2] Grivel P.P., Formes différentielles et suites spectrales, Ann. Inst. Fourier (Grenoble) 29 (1979) 17–37. [3] Fresse B., Cogroupes dans les algèbes sur une opérade, Thèse, Institut de recherche mathématique, Université de Strasbourg, 1996. [4] Ginzburg V., Kapranov M., Koszul duality for operads, Duke J. Math. 76 (1) (1994) 203–272. [5] Hinich V., Homological algebra of homotopy algebras, Comm. Algebra 25 (10) (1997) 3291–3323. [6] Hinich V., Virtual operad algebras and realization of homotopy types, Preprint. [7] Kriz I., May J.P., Operads, Algebras, Modules and Motives, Astérisque, Vol. 233, 1995. [8] Loday J.L., La renaissance des opérades, in : Séminaire Bourbaki 1994–1995, Astérisque, Vol. 236, 1996, pp. 47– 74. [9] Mandell M., E∞ -algebras and p-adic homotopy theory, Topology 40 (1) (2001) 43–94.
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