UN NOUVEAU MESSIE (Note sur Georges ROUX, de Montfavet, à propos du comportement pathologique d’un de ses adeptes). par J. ALLIEZ, M. BAUDRY et R. PUJOL
On sait le retentissement qu’ont eu dans l’opinion publique les poursuites judiciaires engagées contre les adeptes d’une secte nouvelle, à l’occasion de plusieurs décès d’enfants, conséquence du refus délibéré de soins médicaux. Ce mouvement, né récemment dans la région d’Avignon, s’est étendu maintenant bien au-delà du Sud-Est et la personnalité du fondateur de « l’Église Chrétienne Universelle », ancien postier se disant le Christ revenu sur terre, n’a guère donné lieu jusqu’ici qu’à des appréciations répandues par la presse quotidienne ou hebdomadaire. Le cas d’un sujet, néophyte de cette secte et dont nous rapportons d’abord l’observation, nous fournit l’occasion de préciser dans quelle mesure, à notre avis, son comportement morbide peut être considéré comme lié à la doctrine professée. Les éléments de cette doctrine sont développés par Georges Roux, le « Christ de Montfavet », dans une série d’ouvrages dont la lecture suggère le caractère pathologique des conceptions qu’il y expose. L’étude de ces livres « divins », dont nous donnerons de nombreuses citations, nous paraît convaincante à ce point de vue. Observation n° 25.1751. – Le malade nous est conduit par l’un de ses proches le 10 septembre 1954 pour des troubles du comportement d’apparition récente. La physionomie frappe par une expression de béatitude calme et très légèrement moqueuse. Depuis huit jours environ nous dit-on, le malade se désintéresse de ses occupations familiales les plus élémentaires et passe son temps en prières ou s’abandonne à une sorte de rêverie heureuse. Dès notre première question, il nous dit : « Le Christ est revenu sur la terre, il est à Montfavet, il apporte le bonheur pour tout le monde, il faut que tout le monde le sache, si chacun voulait le croire, il serait heureux comme moi. Je ne suis pas malade, ce sont mes parents qui m’amènent ici parce qu’ils ne veulent pas croire que le Christ est revenu. » Puis il se met à genoux, levant les bras au-dessus de sa tête, les yeux fermés dans une attitude extatique. Envisageant la possibilité d’hallucinations auditives, nous lui demandons si Dieu lui parle en ce moment. « Non, je ne l’ai jamais entendu, il est dans mon cœur, je pense tout le temps à lui. Je suis heureux, Monsieur, le Christ est revenu sur la terre. » Il n’y aurait jamais eu non plus aucune apparition et on nous dit n’avoir jamais vu Dieu ni le Christ. Le sujet est seulement tout imprégné de cette heureuse certitude intérieure. C’est vers le mois de février 1954 qu’il a commencé à entendre parler du « Christ de Montfavet » par une voisine guérisseuse qui fait du prosélytisme dans son quartier. À cette époque, notre malade se sentant fatigué, cette voisine le traita par impositions des mains et l’éclaira sur la nouvelle venue du Christ. Les séances d’imposition des mains lui firent grand bien, nous dit-il. Avec la « paix et l’épanouissement de l’âme, il retrouva la santé du corps ».
1. Nous supprimons toute indication de sexe, d’âge et de lieu, de manière à éviter toute identification.
51
L’encéphale, 1955 : 155-169
L’Encéphale, 2011 ; 37
On lut les trois livres de Georges Roux, indispensables et suffisants pour acquérir le don de guérison et pénétrer dans une vie nouvelle, heureuse parce que régénérée. On modifia le régime alimentaire, recherchant des crudités « vivantes », s’abstenant de vin et de café ainsi que de conserves (usage recommandé par le Maître à qui veut avoir la Vie). Il fut essayé timidement d’engager les proches à suivre la même voie. Cependant, à cette époque, aucun trouble du comportement domestique ne se manifestait. Vers le mois d’août, le sujet s’en fut passé quelque temps auprès de sa mère. Celle-ci tomba malade. Il voulut la guérir et la convertir. La mère refusa, traitant toutes ces idées de folie. C’est peu de temps après que le comportement devint franchement anormal et qu’on se montra de plus en plus indifférent à ce qui n’était pas ses préoccupations intérieures, manifestant de fréquentes attitudes de prière et de bonheur extatique, telle qu’on a été présenté à nous pour la première fois. La négligence absolue manifestée à son domicile constituait pour l’entourage l’attitude la plus préoccupante. Placé en maison de santé, le sujet demeure aussi calmement euphorique. On ne proteste pas une seule fois contre l’isolement. On passe la journée entière à genoux : ceux-ci présentent bientôt deux plaies atones et suintantes. Docile, on ne refuse pas les soins mais on les déclare tout à fait inutiles : « C’est Dieu qui guérit et d’ailleurs il n’est pas malade, il ne peut plus être malade, la maladie n’est qu’une suite de l’endurcissement de l’âme. » Les pansements des genoux sont enlevés et on se remet aussitôt en prière, complètement indifférent aux plaies. Force nous fut pour obtenir la cicatrisation, de maintenir le sujet fixé à son lit pendant une huitaine. Il ne se plaint pas, ne se débat pas, reste souriant : « Je pense tout le temps à Dieu, je lui parle, je suis heureux. » Quand on lui fait remarquer ce qu’avait d’anormal son comportement à la maison ou quand on lui dit que de penser à Dieu et de croire au Christ de Montfavet n’aurait pas dû l’empêcher de s’occuper de soins nécessaires et élémentaires, on répond : « oui, ils ne sont pas malheureux, Dieu donne ce qu’il faut à tous, j’aime mieux penser à Dieu, c’est si beau, le Christ est revenu pour que tout le monde s’aime. » Quant à son avenir, il déclare : « Je suis à la clinique pour annoncer la venue du Christ, je le dis à toutes les infirmières, je rentrerai chez moi et je ferai la mission, le Christ est revenu pour supprimer le mal. La première fois on n’a pas suivi sa doctrine. Maintenant il a dû revenir parce que les hommes sont menacés du déluge de feu, de la bombe atomique, il dit qu’on s’aime, il nous guérit, il n’y a pas de mal, pas de péché, il suffit de croire que le Christ est revenu. » Les antécédents ne comportent pas d’épisode mental antérieur non plus que de maladie organique grave. Le sujet se présente actuellement très amaigri et débilité. On ne constate pas de fièvre, l’examen somatique ne révèle aucun symptôme particulier. L’urée est à 0,31, le Bordet-Wassermann négatif, la tension artérielle à 10 1/2-5. L’école a été suivie jusqu’à treize ans, mais sans obtenir le certificat d’études ; de famille catholique, l’enfant fut quelque temps élève d’un pensionnat religieux mais par la suite, il ne pratiqua plus régulièrement. Son comportement actuel et ses idées mystiques marquent une coupure nette avec la personnalité passée, d’après les dires de sa famille. Le sujet n’est ni désorienté ni confus ; il ne présente pas de dépression ni d’excitation intellectuelle, sa mémoire est bonne. Les grands instincts ne sont pas perturbés, il s’alimente et dort régulièrement.
Comment juger ce cas au point de vue psychiatrique ? Nous pensons que le terrain est légèrement débile. Sur ce fond, les symptômes qui nous ont paru les plus pathologiques sont constitués par l’état de béatitude constante, le repliement sur soi et l’indifférence pratique à sa famille, les attitudes mystiques un peu spectaculaires dans lesquelles nous percevons une tonalité de discrète provocation 52
L’Encéphale, 2011 ; 37
L’encéphale, 1955 : 155-169
ironique. Quand aux idées exprimées, elles sont assez pauvres, très stéréotypées dans leur présentation et nous paraissent entièrement induites, comme la simple répétition de la « doctrine » que Georges Roux expose dans ses livres. Notre malade n’a rien construit, il ne développe pas la doctrine, il ne la paraphrase pas et il la présente à peine dans son aspect dogmatique. Sa religion n’est pas du tout cérébrale, elle est purement un élan du cœur et une tonalité durable de la sensibilité, un sentiment intime de paix et de béatitude. C’est pourquoi nous ne parlerons pas dans ce cas de « délire mystique » (s’il y a des idées délirantes elles sont toutes empruntées à l’extérieur) mais plutôt de « comportement mystique pathologique ». Ce qui constitue la maladie c’est avec la pauvreté du fond, le rétrécissement de la conscience autour d’une seule modalité affective et surtout l’apragmatisme. Ce ne sont pas les idées exprimées qui nous font dire qu’un tel sujet est malade mais son attitude actuelle. Il a pu être au début un adepte de cette secte sans être alors un malade mental et s’il n’était pas toujours si hasardeux de faire de telles suppositions, nous dirions peut-être que même s’il n’avait pas connu la doctrine de Georges Roux, il aurait pu faire un épisode mental de forme analogue sur un autre thème. Notre observation est trop récente pour que nous puissions juger l’évolution du cas. Devant la persistance de la même attitude et après une quinzaine de jours d’isolement, une cure de Sakel est instituée qui amène une transformation favorable du comportement, sans modifier ses convictions. Cette observation a été pour nous l’occasion de lire les trois livres doctrinaux de Georges Roux, c’est-à-dire la portion de sa production littéraire qu’il intitule luimême « ouvrages divins » et qui porte son message ainsi que quelques échantillons de « Messidor » Revue de la Vie Totale, qu’il édite. L’un de nous a aussi été favorisé d’un entretien assez long avec le « maître ». Il résulte de cet ensemble d’éléments recueillis, que tant les écrits que la présentation actuelle de Georges Roux sont du domaine strict de la pathologie mentale. Il n’en est peut-être pas entièrement de même de l’extension de « l’Église chrétienne universelle », du recrutement de ses adeptes, de leur psychologie et du phénomène sociologique que constitue cette nouvelle secte. Nous touchons ici à des questions de psychologie religieuse où le psychiatre a certes son mot à dire mais qui ne relèvent pas seulement de sa discipline. Les trois « ouvrages divins » de Georges Roux forment une suite qui s’ouvre par le « Journal d’un guérisseur », se continue par « Paroles du guérisseur » et s’achève avec « Mission divine ». L’auteur lui-même, à la page 96 de « Mission divine » indique l’enchaînement et les buts de ses trois livres : « Par le miracle du « journal d’un guérisseur » je redonne le Contact de Dieu à toute la terre. Et tout homme qui le lit, s’il le veut, s’il fait confiance à la Préface, à l’Auteur, se trouve être instantanément guérisseur. Par le miracle des « Paroles du guérisseur » si le « Journal » est accepté, tout homme, toimême donc, peut devenir mon disciple. Par le livre qui t’enseigne en ce moment tout homme, donc toi-même peut devenir mon Apôtre. Et cela sans m’avoir jamais vu, sans me connaître autrement que par les livres. C’est la plus grande « chance » qui, jamais fut donnée à l’homme de retrouver le Créateur. Et c’est pourquoi ce peut être la dernière. »
53
L’encéphale, 1955 : 155-169
L’Encéphale, 2011 ; 37
Le « journal » se présente sous la forme d’un roman dans lequel l’auteur se met en scène sous les traits de son héros Jean Lunel. Celui-ci est un jeune paysan qui montre d’emblée un caractère indépendant et peu sociable. Il est vite dégoûté de la religion catholique à cause de l’indignité du curé de son village dont il a découvert la liaison avec une de ses paroissiennes ! Il devient une espèce de philosophe campagnard à tendances religieuses mais détaché de toutes « superstitions », s’isole fièrement et bientôt entre par hasard en contact avec une vieille femme qui répond au nom charmant de Lucile et au sobriquet de « la Grélée », décrite comme très belle et attirante malgré son grand âge. C’est une guérisseuse, considérée par tous comme sorcière, tenue à l’écart, à la fois redoutée et toujours consultée pour les malades sur qui elle opère des guérisons merveilleuses par des impositions de mains, des prières et des tisanes. Cette vieille le prend en affection, l’éduque ; à son exemple, il devient guérisseur et, juste avant de mourir, elle lui transmet son secret : son pouvoir de guérison ne lui vient que de la droiture de sa vie et de la ferveur de ses prières au Père Céleste : « fais confiance au Père... crois purement en sa bonté et sa Bonté s’épandra sur « toi et sur ceux de ta volonté ... Attends tout de lui en homme libre ; en homme libre, son Fils soucieux de bâtir son bonheur avec celui des autres. Le cœur pur, l’âme libérée tu peux tout demander : Dieu te l’accordera. Voilà, Jean, tu as ma science et tu peux dès maintenant consoler et guérir. » (Journal, pp. 61-62). En mourant, elle lui lègue sa maisonnette isolée dans la garrigue, une cassette pleine d’or et une bibliothèque remplie d’un fatras de livres grecs et hébreux. Il obtient vite des guérisons appréciées de tout le pays et bientôt le voici appelé à soigner Florence, la fille du châtelain. Il entre alors en rivalité avec M. de Beauvoir, le médecin, jeune homme séduisant et secrètement fiancé à la jeune fille. Et il obtient vite un plein succès sur tous les plans ! La malade se rétablit et en même temps devient amoureuse de lui sans qu’il s’en doute. Coquette, elle réclame des soins quotidiens, s’offre, se refuse, lui-même est bientôt épris mais, hésitant, il traverse une dure épreuve, se sent menacé de perdre son don dans ce vertige charnel ! Dépitée, Florence retourne à M. de Beauvoir. Du haut d’un petit escarpement qui surplombe les bords riants d’un cours d’eau, il les surprend enlacés ; son saisissement est tel qu’en s’enfuyant, il ébranle un rocher qui, dans sa chute, vient malencontreusement écraser la pauvre Florence à deux pas de son amant ! Rappelé malgré tout à son chevet il est impuissant à la guérir et s’enfuit désespéré ! !... Il mène alors quelque temps une vie errante de gardien de chèvres ; descendant avec son troupeau la vallée du Rhône il arrive près de Marseille et campe dans les collines de l’Étoile. Il reprend goût à une vie simple et très « naturaliste », a quelques fraîches aventures féminines et dans cette simplicité agreste s’apaise et retrouve ses dons. Un jour, il sauve de la noyade une mystérieuse étrangère qui, de désespoir, s’était jetée à la mer avec sa petite fille. La mère ne peut être rappelée à la vie mais l’innocente enfant est sauvée par sa prière miraculeuse. C’est là qu’il est vraiment comme illuminé et qu’il mesure toute l’étendue et la signification de son don de guérison : « Alors j’eus comme un vertige, il me sembla sentir dans mon dos, en moi, Lucile qui me poussait, qui me criait des choses indistinctes. Je me débattis aveuglé de fausse honte. Enfin vous appeler, mon Père, à mon secours, je l’osai. Et la lumière pour la première fois m’inonda tout l’être de sa chaleur divine » (p. 200). Un peu plus tard il est encore affermi et beaucoup moins modeste : devant une autre malade, il s’exprima ainsi : « toutes les simagrées de Lucile je les abandonnai. Inutiles. Je connaissais la volonté de Dieu. La prière suffisait ; la Prière d’Amour : Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et par-dessus toutes choses, vous qui êtes toute Lumière et Beauté, Miséricorde infinie. Je vous aime en fils bien aimé qui souffre de la souffrance de tous ses frères et qui intercède pour celui qui n’a pas su trouver la Voie. J’implore pour lui votre Lumière. Qu’elle descende en moi, me pénètre et le pénètre, que ma volonté par Votre Volonté soit faite, qu’il soit guéri. » « Et je sus pour toujours que si l’heure n’était pas venue pour une âme de remonter à son essence, je pouvais tout sur les corps qui m’étaient confiés. » 54
L’Encéphale, 2011 ; 37
L’encéphale, 1955 : 155-169
Confirmé dans sa mission de guérisseur il adopte l’enfant sauvée, Florilène, une fillette de 7 ans. Il retourne avec elle et ses chèvres dans son village et à sa maisonnette et vit heureux, guérissant chaque jour de nombreux malades qui accourent de toute part. On commence à le respecter et à l’aimer. Il donne tous ses soins à sa fille adoptive, tenue par tous pour sa vraie fille. Pour ne pas la mettre à l’écart il permet qu’elle soit baptisée et élevée dans la religion chrétienne traditionnelle se réservant de lui donner au-delà de ses superstitions le vrai sens de Dieu. L’enfant grandit et devient une gracieuse jeune fille. Mais le voilà alors, à son contact, assailli de bien pénibles tentations qu’il ne sait comment vaincre et qui, prosaïquement s’apaisent pour un temps dans la fréquentation du lupanar local. Mais la délicieuse enfant, à la fois éveillée et candide, perce à jour l’amour de son père adoptif, elle n’en est point du tout troublée ; au contraire, ses vœux sont comblés, elle s’en ouvre à sa bonne marraine, la châtelaine, en même temps qu’elle dévoile le secret de sa naissance ; tout pourra s’arranger, le bon curé est d’accord, et, après un petit stage de quelques mois où elle va vivre au château, le grand jour des noces arrive. C’est l’apothéose du héros qui, au milieu de l’allégresse de tous, dans la douceur du soir se retire avec la jeune femme dans une belle maison que lui a édifiée la reconnaissance publique ! !
Le ton change avec les deux autres livres. Notre auteur embouche alors la trompette dogmatique et prophétique. La prose devient parfois rythmée, la pensée se délaye en méandres nombreux, en formules d’oracle souvent simplettes ; surtout dans le dernier ouvrage, il y a une recherche de dispositions typographiques pastichant mal un style claudélien (voir en particulier le chapitre de Mission Divine sur les lois de Dieu, pp. 117 et suivantes). Beaucoup de mots s’alourdissent de majuscules. « Paroles du guérisseur » est flou, verbeux, désordonné, assez chargé au début de détails biographiques personnels qui seraient très intéressants pour l’étude de l’auteur lui-même, mais la doctrine n’est pas encore très facilement saisissable dans sa forme achevée. Ce livre contient plutôt la « philosophie naturelle » de Georges Roux. Après avoir raconté comment il s’était détourné à l’adolescence de la religion catholique et avoir décrit une période d’activité intellectuelle d’autodidacte brouillon terminée, nous dit-il, par une « congestion méningée » il vient à dire comment il ressentit en lui le besoin de Dieu. Il commence par quelques considérations très ordinaires sur l’aspiration au bien que tout homme ressent intérieurement et qu’il appelle « la Voix Haute ». Tout cela est accompagné de quelques idées très banales sur la liberté sur laquelle il revient avec prédilection à tout instant, et aussi sur sa conception du mal, qui n’est que le mauvais usage de la liberté, et qui peut être supprimé par négation ; comme la maladie et la mort, lesquelles n’ont pas d’existence réelle. Puis il passe à la création qui est toute bonne, toute parfaite. Le mal n’est que le mauvais usage de la liberté. Par son inspiration intérieure il a retrouvé la loi de Dieu et celle-ci lui fait tout voir sous un jour nouveau. Cette loi de Dieu est une garantie de bonheur et de perfection sur cette terre. Dès lors le centre véritable de ses pensées est cet univers édénique immédiatement et très simplement réalisable où tous les êtres sont parfaits, où il n’y a pas de mal, pas de souffrance. Dieu est invoqué à chaque instant comme législateur et Père de cette création mais le vrai intérêt va à la vie terrestre parfaite. Le fond de la doctrine est un naturalisme très optimiste et très simpliste : « Dieu déteste la souffrance. Sa création est un hymne de Joie. Et la souffrance naît hors des lois de la création, contre ces lois » (p. 88). La maladie, la mort ne sont rien : « As-tu compris maintenant l’adorable Vérité ? « Tu reprends pied dans l’amoureuse Création et montes vers le Père dès lors qu’à son image tu détestes la souffrance » (p. 94). « Déteste la souffrance et plus encore celle qui peut monter vers Lui. Offre tes joies, non plus tes déchéances » (p. 96).
55
L’encéphale, 1955 : 155-169
L’Encéphale, 2011 ; 37
Nous voyons apparaître alors le thème du « guérisseur » qui est vraiment le cœur de la doctrine (c’est, croyons-nous, l’intuition délirante tout à fait primitive autour de laquelle tout le reste a été construit). Celui qui, inspiré de Dieu, a retrouvé les lois de la Création et cette vision béate de toute chose que nous venons de décrire est en même temps un guide pour tous les hommes et un « guérisseur ». Parlant de lui-même il dit : « Ami, celui-là est un homme qui Sait, qui trouva la royale route du savoir en ébranlant justement les traditions, sans respect inutile, sans crainte, les écartant pour dégager l’Esprit écrasé sous la Lettre. Et celui-là Sait justement par son horreur de la souffrance. As-tu compris ? C’est l’horreur, la révolte que m’inspire toujours toute souffrance qui m’éleva pantelant vers Lui et fit de moi le “guérisseur” (p. 94). Toujours le Père a suscité des guérisseurs, fondateurs de religion. Puis leur doctrine et leur influence se perdent et il faut un nouvel envoyé Il y a ainsi plusieurs cycles. Le dernier a commencé avec Jésus-Christ. Jésus ! Homme ou Dieu que t’importe ! Homme il l’était puisque son cœur lançait du sang d’homme dans des membres de chair. Dieu ? et pourquoi pas puisqu’il se disait Fils de Dieu et que nous sommes nous-mêmes, toi-même, tous des fils de Dieu. Sotte querelle qui joue sur des mots alors que ces mots eux-mêmes sont d’essence divine comme tout ; la création, tout est d’essence divine. Alors !... » (pp. 104-105).
Suivent des chapitres bien divertissants, mais que nous ne pouvons pas résumer : des Civilisations, du Gouvernement des hommes, des Sciences, de la Guerre, des Arts, des Fausses Nourritures, des Nourritures humaines. Visions optimistes, monde parfait, grandiloquence des formules creuses sur l’Amour, la Beauté, Dieu, conseils hygiéniques, diététiques, naturistes, c’est un fatras sans importance ni originalité sinon celle du style : « Ne quittons pas le champ des légumes sans tordre un peu le col à la pomme de terre, cette erreur. Sans trop m’avancer je puis prétendre que loin d’être un bienfaiteur, l’honnête Parmentier est à l’origine de la plus vive décadence française... » (p. 211, Nourritures humaines).
Extrayons encore d’un des derniers chapitres sur les Guérisseurs ces précieuses précisions : « Le Guérisseur n’étant que l’homme retourné ou parvenu à la pureté originelle, l’homme imprégné de divinité, l’homme “parfait”. Faillible, ô liberté ! mais parfait. Ne souris pas et vois comme je suis en réalité sans orgueil ni vanité si je te donne mon propre exemple. Car en effet, je suis redevenu parfait comme le sont chacun dans sa race, le scarabée, le ver, l’oiseau ! Et c’est bien cette perfection que je t’offre et que je t’offre facilement » (p. 224). Et nous pourrons fermer les “Paroles” sur cet avertissement : Prends garde, tu sais l’Essentiel. Tu sais Tout. Je souffle sur ton Aile et j’ai lâché ta Main, bonne chance, mon Ami, mon Frère, à Dieu. »
Après sa « religion naturelle », Georges Roux nous donne son « Histoire sainte », c’est « Mission Divine » où tout est mieux systématisé dans une vision totale du temps. Les thèmes de grandeur y ont pris toute leur ampleur. 56
L’Encéphale, 2011 ; 37
L’encéphale, 1955 : 155-169
Il se présente de suite comme la « Perche » (sic) tendue par Dieu à tous les hommes pour les rendre parfaits dans les lois de Dieu. Dieu tend la « perche individuelle » à chaque conscience, mais elles ne peuvent la saisir, il la tend surtout par ses grands Envoyés : l’actuel est Georges Roux. Il a été suscité à cause des échecs antérieurs. « Le nombre des égarés nécessitant l’intervention d’une « perche collective », l’Envoyé de Dieu survenait, mais pour une action elle-même limitée » (p. 22). C’est ainsi qu’avant lui sont venus Moïse puis Jésus-Christ. Leur message s’est perdu, a été déformé surtout parce qu’ils ne l’avaient pas écrit eux-mêmes. Georges Roux, le nouvel envoyé, est à l’abri de ce genre d’échec. « ... Pèse surtout, médite sur la Raison qui fait que pour la première fois depuis le dernier Déluge l’envoyé de Dieu grave lui-même son message » (p. 22). « ... Donc, Jésus mort, non pas sur la Croix, ce qui n’avait ni signification ni importance, mais dans ses disciples il fallait un miracle encore pour que revive sa mission... » (p. 45). Jésus n’était, comme Georges Roux actuellement qu’en envoyé de Dieu, Guérisseur qui ramènerait avec les lois de Dieu la perfection sur la terre. « ... Faute du désir ardent d’y atteindre, l’on prétend la Perfection impossible en ce monde, alors que le spectacle réel de la Nature la démontre partout » (p. 49). Heureusement qu’un « nouveau Témoin du Père s’est donné » (p. 50). Quel est son But ? « Nourrir la Vie dans les Hommes ». « Afin qu’elle devienne en toi le brasier dévorant ou le mal, tout le mal ira rejoindre son néant et toi la Perfection » (p. 57). C’est pourquoi : « Quiconque croit en moi, voit son âme éveillée. » « Quiconque croit en moi est imprégné de Dieu » « Quiconque croit en moi et veut ce que j’annonce est aussitôt doté du don de Guérison Et tous les hommes sont Guérisseurs » (p. 68). « Car désormais ne peut plus prétendre parler au nom de Dieu Qui n’apporte la preuve du don de guérison, premier contact de Dieu » (p. 71). Et cet enseignement, pour que jamais il ne se perde dans la mauvaise mémoire des hommes, j’en dresse moi-même le monument » (p. 77).
Il appelle tous les hommes à marcher sur ses traces. Les moyens ? Lire ses livres avec foi : on est Guérisseur et Parfait. « Ce miracle que seul, au Nom du Père, je pouvais rendre universel doit suffire pour affermir ta foi et te permettre de me suivre » (p. 98). « Je t’appelle au Nom du Père, à me seconder pour chasser le mal de la terre. »
Plus loin, au chapitre des Guérisseurs, une petite mise en garde contre une interprétation inintelligente du don : « La guérison venant de Dieu tu peux tout demander au Bien, mais, de celui qui en effet peut tout, tu ne peux attendre qu’il aille contre ses propres lois et tu sais que jamais tu n’iras contre Dieu et donc contre la Mort ou ce qu’on nomme ainsi, car en vérité ce qu’on nomme mort est Vie et tu ne peux aller contre la Vie » (p. 109). « Ne t’attends pas à voir renaître ce qui, déjà avant ta venue, était mort. Ne t’attends pas à voir repousser le membre mutilé, à voir revivre l’œil éteint, l’organe sclérosé. » « Ne l’oublie jamais, le don de guérison ne t’est donné que pour faciliter l’épanouissement de l’âme » (p. 111). « Et voici que je te vais consacrer en Guérisseur de l’Âme » (p. 113).
57
L’encéphale, 1955 : 155-169
L’Encéphale, 2011 ; 37
Et il proclame à cet effet les Lois de Dieu : Amour, Bien, Liberté et les lois Humaines : la « Perfection » en deux espèces de poèmes d’une phraséologie absolument creuse, pleine de redites, d’un style et d’une présentation ébouriffants que nous ne pouvons citer vu leur longueur. Ainsi est fondée la « Cité de Dieu » où tous sont également prêtres, guérisseurs et disciples. « Ayant la perfection en toi, et tu sais combien cela fut facile sachant le Père en toi de n’avoir plus que le désir du bien, cette perfection, ce seul désir du bien tu le rendras visible par ta douceur, la bonté, ta patience devant l’erreur et ta joie » (p. 188). Les disciples doivent tout gouverner (du Pouvoir, p. 198). « Celui qui vient à moi ... aussitôt le voici Fils de Dieu et capable aussitôt de gouverner dans le bonheur, la Vie, car je viens assurer l’avènement de Dieu sur la terre comme dans l’Univers et c’est pourquoi j’apprends à prier nouvellement à mes disciples selon la vérité dont je suis le messager ».
Et c’est le nouveau Pater (qui est un des points les plus curieux du livre et qui éclaire bien sur la « valeur religieuse » de Georges Roux, on y voit un renversement tout à fait naïf de la situation de l’homme vis-à-vis de Dieu) : « Et c’est pourquoi tu ne diras plus “Notre Père qui êtes aux Cieux” puisqu’il veut être en toi comme partout. “Que votre nom soit sanctifié”, car tu ne dois plus le révérer comme saint, car tu dois l’être et ne dois plus prier son nom alors qu’il veut en toi sa présence, “Que votre règne arrive”, alors que le pouvoir t’est donné de réaliser ce qui n’était qu’un vœu, “Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel”, pour la même raison ; “Donnez-nous aujourd’hui le pain de chaque jour”, alors que tu sais à présent qu’il veut que tu le crées, “Pardonnez-nous nos offenses”, alors que tu sais à présent qu’il ne veut ni pardonner ni condamner mais que tu vives, ce que tu ne peux faire dans l’offense. “Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé”, alors que tu sais à présent que nul ne peut t’offenser toi, mais seulement celui qui te fit et que tu portes. “Ne nous laissez pas succomber à la tentation”, alors que tu sais à présent ce qu’elle est et qu’il ne dépend que de toi de la détruire, “Délivrez-nous du mal” alors que tu sais à présent qu’il ne dépend que de toi de le chasser. Tu diras : “Notre Père qui êtes partout ; que votre présence soit adorée, que votre Lumière nous inonde, que notre bonne Volonté soit faite sur la terre comme la vôtre en l’univers. Nous ferons aujourd’hui le pain de chaque jour. Nous éviterons toute offense et nous agirons devant vous guidés par votre amour, bénissant votre Loi, nous nous efforcerons seulement vers le bien afin que soit chassé tout le mal de la terre, ainsi soit-il ! !” » (pp. 199, 200, 201).
À ce monument de suffisance, notre auteur ajoute dans un dernier chapitre « Communion » une curieuse transposition de l’Eucharistie : « Jésus, le Sauveur, était le pain de Vie et les fous ne surent que faucher son Apparente Vie bien avant que les Fruits aient passé la promesse des Fleurs ; Fruits et Fleurs viennent de la terre, Or Terre tu es Mais la Terre ne porte Fruits que fécondés par les trois éléments : Air, Eau, Lumière conjuguant leur amour pour féconder la Terre, et l’absence d’un seul de ces trois éléments détruirait la moisson. 58
L’Encéphale, 2011 ; 37
L’encéphale, 1955 : 155-169
Ouvre les yeux et lis le signe de mon nom et dis-moi si je ne suis pour toi l’R l’O l’UX ou Lumière. Depuis l’an 1950 je suis « décomposé » en ces trois éléments qui te sont nécessaires et ces trois éléments tu les retrouveras en mes trois livres : les trois livres de la Mission. » « Tu peux trouver aussi dans ce nom si commun de Roux le symbole de la « roue » couronne de lumière », et si, jusqu’à l’an 1950, je devais garder les rayons en dedans, depuis l’heure sacrée il me faut rayonner et prendre pour toi, pour ton cœur, ton esprit, ton âme l’apparence du Soleil » (p. 231).
Ces citations pourraient, nous semble-t-il, se passer de commentaires. Il n’est pas douteux qu’il s’agit d’un délire religieux et de grandeur dont la racine est d’abord un sentiment d’hypertrophie du moi, d’euphorie, de perfection se traduisant dans l’intuition convaincue du don de guérir, complétée ensuite par la certitude de l’inspiration divine et la mission de réformation religieuse totale. Le délire est très systématisé et, malgré des redites nombreuses et beaucoup de détours emphatiques et oiseux, exposé logiquement. L’intuition centrale du don de guérison est une absurdité évidemment imperméable à l’expérience, parce que délirante. La pauvreté intellectuelle du fond, des idées principales, des arguments, d’un fatras de notions hétéroclites dispersées le long des pages est certaine. Ces trois livres sont un monument de sottise prétentieuse. Peut-on parler de mysticisme vrai ou faux à propos de Georges Roux ? À notre sens, non. Sa doctrine, en effet, n’est nullement centrée sur Dieu ; c’est un naturalisme optimiste visant à la Perfection terrestre sous les lois de Dieu. La référence constante au Père, à son Amour est toute verbale ; jamais la contemplation de Dieu en lui-même n’est proposée, on ne recherche pas à la connaître, à l’aimer, on se contente d’en parler et d’appeler « Voix de Dieu » la certitude intérieure de sa propre force et de sa propre vision édénique du monde. Si un certain sentiment religieux élémentaire peut être invoqué à la base de cette construction, il nous semble bien partiel et surtout très vite déformé par les idées de grandeur. Certes, le sentiment de joie, de confiance devant l’harmonie de l’œuvre de Dieu, qui est ici au premier plan, est un sentiment religieux primitif authentique, de même la certitude intérieure de la paternité divine et de son amour, l’impression d’être un libre enfant de Dieu. Mais ceci est inséparable dans une âme vraiment religieuse du sentiment de dépendance totale, de crainte respectueuse, de l’absence complète de commune mesure entre Dieu et l’homme, du sentiment d’adoration véritable. Un homme vraiment religieux ressent enfin sa propre faiblesse et le besoin de faire un effort pour correspondre à la grâce de Dieu ; il sait que tout vient de Dieu, que tout est don, même sa bonne volonté, mais qu’il ne peut être d’emblée parfait, qu’il a toujours un long chemin à parcourir marqué d’actes concrets de charité, de luttes, de chutes, de ressaisissements. Les grands mystiques, même sûrs d’être inspirés, se sentent toujours indignes, gratuitement comblés, infiniment éloignés de comprendre Dieu. Rien de tel chez notre auteur qui détient d’emblée toute la perfection divine, lit les Lois de Dieu en Dieu lui-même. Le défaut total d’humilité, d’abandon à Dieu, de lents et difficiles progrès dans la vie religieuse, cette perfection immédiate, n’ont plus rien de religieux, ni même seulement de vraisemblable. Ces schémas de conduite ne correspondent évidemment à rien de réellement vécu ni viable mais sont marqués
59
L’encéphale, 1955 : 155-169
L’Encéphale, 2011 ; 37
de l’irréalisme des projections délirantes. Il est bien certain pour nous que la valeur religieuse de ces ouvrages est nulle. Georges Roux n’est certainement pas un vrai mystique. C’est un délirant mystique dans le sens où mystique signifie délire à thème religieux mais avant tout et originellement son délire est à thème de grandeur. Si la littérature de Georges Roux permet à un lecteur tant soit peu averti d’affirmer le délire, son contact impose la conviction qu’il s’agit bien d’un malade. D’un abord courtois bien que marqué d’une certaine condescendance paternelle, le « maître » est beaucoup plus ému qu’il ne voudrait le laisser paraître. Des barrages nombreux au début de l’entretien s’atténuent ensuite pour laisser place à une extraordinaire diffluence qu’il justifie ainsi : « Vous n’avez pas lu le Message et il est bien difficile de tout expliquer en une fois, c’est une longue histoire, je vais m’efforcer de trouver les raccourcis. » À aucun moment, il n’est possible d’obtenir de lui une réponse simple, clairement et pragmatiquement adaptée. Georges Roux se tient dans des propos vagues tellement généralisateurs qu’ils sont dépourvus de sens. Parfois même, ils sont ambivalents lorsqu’on essaie de le serrer sur sa conception du bien et du mal, de la Liberté, du péché et du rachat. La conviction d’être à la source de toute vie est absolue ; il n’est plus seulement l’envoyé de Dieu, mais le Christ lui-même réincarné et finalement Dieu lui-même permettant toutes les actions humaines ou les interdisant à sa guise. Les affirmations suivantes sont typiques : « Je suis dans le cœur de Malenkov et c’est moi qui ai fait promulguer à Pie XII une encyclique sur la bombe atomique et qui ai fait suspendre les expériences atomiques américaines dans le Pacifique. » « Depuis 1850, début de l’ère christique actuelle j’ai permis les progrès de la science et les travaux de Pasteur pour que les hommes puissent être tentés de ne pas croire au bouleversant message que je leur apporte. » Interrogé sur son enfance et sur sa prise de conscience, assez tardive après tout, de sa nature divine, Georges Roux élude nos questions d’un air ennuyé : il a toujours su qu’il était JésusChrist, il a eu un père et une mère comme tout le monde ; ce à quoi il se refuse en tout cas formellement c’est à laisser les hommes s’emparer de lui et commettre à nouveau « le crime affreux d’il y a 2.000 ans ! Durant l’entretien qu’il prolonge volontiers, Georges Roux se montre aimable, assez conscient des distances sociales puisqu’il renonce à nous tutoyer et à nous appeler par notre prénom pour nous dire vous et Docteur de façon un peu cérémonieuse. Aucune agressivité ne se manifeste dans ses propos : il est trop sûr de lui pour pouvoir s’irriter ou s’emporter contre quiconque. À aucun moment de l’entretien nous n’avons pu relever de symptômes proprement psycho-sensoriels ou d’automatisme mental. Il semble s’agir d’un vaste délire d’imagination à thème mégalomaniaque.
Nous nous sommes attachés à l’exposé de la « doctrine de l’Église Chrétienne Universelle » à l’occasion d’un cas franchement pathologique, non pas tant à cause du caractère particulier et pittoresque que peut présenter l’observation d’un délire de grandeur religieuse, mais à cause du retentissement étonnant que de telles élucubrations ont rencontré dans des secteurs étendus du public. L’étude du développement de la secte qui nous occupe est de l’ordre de la sociologie plus que de la psychiatrie. La médiocrité intellectuelle du fondateur se retrouve souvent parmi les disciples mais tous ne sont pas des débiles. Un besoin diffus de religiosité, des inquiétudes insatisfaites trouvent un aliment dans l’exposé optimiste et naïvement confiant qui leur est proposé. Nous ne dirons certes pas que tous les adeptes sont des psychopathes. Il se peut même que des sentiments religieux valables et une conduite authentiquement charitable soient éveillés parfois par la prédication de Georges Roux chez des esprits simples qui ne seraient pas arrêtés par la vanité effarante de l’auteur, mais seulement 60
L’Encéphale, 2011 ; 37
L’encéphale, 1955 : 155-169
sensibles aux exhortations à l’amour fraternel et à la confiance en Dieu. Mais ce qui est plus fréquent, ce qui est grave et navrant c’est que ce rêve de perfection, d’absence de mal et de guérison facile enchante, en toute bonne foi, des esprits naïfs et les aveugle au point qu’ils ne voient pas sa nocivité quand ils refusent les soins médicaux à leurs enfants et les laissent mourir. Et ce faisant, ils ont à chaque instant des mots d’Amour dans la bouche et prétendent agir pour le bien. Toutes leurs possibilités religieuses et charitables sont détournées de la vie réelle et se dissolvent en goût du merveilleux, formules creuses, attrait des cérémonies touchantes, fatalisme béat et parfois satisfaction inavouée de se donner en exemple et en spectacle. Il y a certes une psychologie et une inter-psychologie particulières qui constituent un terrain de choix pour la diffusion de telles « conduites parareligieuses ». Cet aspect de la question dépasse le cadre de notre étude. Il relève de la psychologie collective et concerne plus particulièrement celle de la propagation des courants d’idées et de doctrines. Dans cette note nous avons voulu surtout, à partir d’un cas clinique, attirer l’attention sur le caractère pathologique des conceptions du protagoniste d’un mouvement dont l’extension singulière illustre à sa manière le désarroi de notre époque. (Clinique des maladies nerveuses de la Faculté de Médecine de Marseille, Dir. Prof. Y. Poursines.)
61