Un purpura diffus

Un purpura diffus

La revue de médecine interne 25 (2004) 934–935 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/ Image Un purpura diffus Scurvy A. Bouyon a, N. Costedoat-Ch...

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La revue de médecine interne 25 (2004) 934–935 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/

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Un purpura diffus Scurvy A. Bouyon a, N. Costedoat-Chalumeau a,*, S. Barete a, A. Guyot a, N. Limal a, B. Wechsler a, F. Le Pelletier b, J.-C. Piette a a b

Service de médecine interne, CHU Pitié-Salpêtrière, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France Service d’anatomopathologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France Reçu le 4 mai 2004 ; accepté le 24 mai 2004 Disponible sur internet le 28 juillet 2004

Mots clés : Purpura ; Scorbut Keywords: Purpura; Scurvy

1. L’histoire Un homme de 35 ans était hospitalisé pour purpura extensif. Ce patient n’avait pas d’antécédent personnel ni familial notable, hormis un tabagisme à 20 paquets-années sevré. Il était célibataire, ancien intermittent du spectacle et depuis deux ans en rupture complète avec sa famille et son ancien tissu social. Il ne travaillait plus et vivait avec environ 60 Q par mois ayant refusé toutes les aides sociales auxquelles il aurait eu droit. Il menait ainsi une vie ascétique dans un petit studio à Paris et occupait ses journées par la lecture de livres empruntés en bibliothèque. Il ne prenait aucun traitement et n’était pas toxicomane. Il se présentait aux urgences pour des lombalgies importantes et un purpura localisé initialement aux membres inférieurs, évoluant depuis dix jours en s’étendant au tronc et aux membres supérieurs. Cliniquement, le poids était de 68 kg pour une taille de 1,93 m (BMI : 18). Le patient était en bon état général, apyrétique. Le purpura était très prononcé sur les membres inférieurs et s’étendait aux membres supérieurs, au tronc et au visage. Il était périfolliculaire (Fig. 1), pétéchial, avec quelques éléments nécrotiques. Des ecchymoses multiples étaient présentes, notamment sur les faces latérales des deux pieds (Fig. 2). Il existait également un œdème des chevilles et quelques arthralgies des mains et des chevilles. Le patient se plaignait surtout * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Costedoat-Chalumeau). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2004.05.005

d’une douleur lombaire intense d’horaire mécanique, avec à l’examen une raideur lombaire isolée. Enfin, des gingivorragies étaient signalées par le patient et l’examen stomatologique retrouvait un mauvais état dentaire. Le reste de l’examen était sans particularité. Il existait un syndrome inflammatoire modéré (CRP : 24 mg/l) une anémie normocytaire modérée (hémoglobine : 11 g/dl) et des stigmates d’hémolyse (bilirubine totale : 48 µmol/l, haptoglobine : 0,23 g/l). Le chiffre de plaquettes, le bilan d’hémostase, le bilan infectieux, la fonction rénale, la recherche de protéinurie et les examens immunologiques

Fig. 1. Purpura pétéchial des membres inférieurs, nettement périfolliculaire.

A. Bouyon et al. / La revue de médecine interne 25 (2004) 934–935

Fig. 2. Ecchymoses sur les faces latérales des deux pieds associées au purpura et à l’œdème des chevilles.

étaient normaux ou négatifs. Une biopsie du purpura était réalisée.

2. Le diagnostic Un scorbut.

3. Les commentaires L’hypothèse d’un scorbut était évoquée devant le tableau clinique et le régime alimentaire du patient. Le traitement consistait dès les premiers jours en une supplémentation vitaminique (polyvitamines + vitamine C) et un traitement antalgique pour les lombalgies. L’amélioration était rapide avec une disparition du purpura, des douleurs lombaires et une normalisation du bilan biologique. Le dosage de la vitamine C (Ascorbate), pourtant prélevé après trois jours de supplémentation, mais dans les conditions d’acheminement rapides et adéquates était à 8,8 µmol/l (valeurs normales : 26,1 à 84,6 µmol/l). Les autres dosages de vitamines étaient normaux. Parallèlement, l’anatomopathologiste évoquait le diagnostic de scorbut (devant une kératose péripilaire) et éliminait celui de vascularite leucocytoclasique sur la biopsie cutanée. Le scorbut, secondaire à une carence en vitamine C, est une maladie très ancienne dont on trouve la trace sur des papyrus du XVIIe avant J.-C. et dans les écrits d’Hippocrate ou ceux de Pline l’Ancien [1]. Actuellement le scorbut fait encore de nombreuses victimes dans les pays du Tiers Monde, notamment pendant la saison sèche. Dans les pays industrialisés, cette pathologie est devenue rare et atteint principalement les personnes vivant dans des conditions socioéconomiques précaires ou les patients atteints de malabsorption, de maladies néoplasiques, de maladies psychiatriques ou d’alcoolisme chronique [2,3]. Le tableau clinique se

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constitue progressivement en un à trois mois. Il associe une asthénie, des manifestations hémorragiques (purpura à distribution périfolliculaire, ecchymoses principalement des membres inférieurs, rarement hémarthroses [4] ou hématomes spontanés [5]), des œdèmes, une atteinte stomatologique (gingivorragies, parodontolyse), des anomalies de la peau et des phanères (dystrophie pilaire en « tire-bouchon », alopécie, hyperkératose palmoplantaire, cicatrisation lente) et/ou un syndrome sec buccal et oculaire. La fragilité capillaire et tissulaire du scorbut a été attribuée à un défaut dans la biosynthèse du collagène [3]. L’évolution peut être fatale par cachexie, hémorragies, infections, insuffisance cardiaque et mort subite. Biologiquement, on note souvent une anémie multifactorielle (carences associées en fer et acide folique, saignements). Une hémolyse modérée peut être présente. Les marqueurs de l’inflammation (VS, CRP) peuvent être légèrement augmentés [3,6]. Le diagnostic différentiel est essentiellement celui d’une vascularite devant le purpura, les arthralgies et l’altération de l’état général. La biopsie cutanée peut permettre de proposer le diagnostic. Le dosage effondré de la vitamine C dans le sang est, avec les signes cliniques, l’autre élément clé du diagnostic. Le traitement curatif simple repose sur l’apport de vitamine C, purifiée par Albert SzentGyörgyi qui reçut, pour cette découverte, le prix Nobel en 1937. Les apports quotidiens recommandés sont de 60 à 70 mg. La réponse au traitement, même chez les sujets avec une maladie avancée, est spectaculaire, constituant ainsi un test thérapeutique. Chez ce patient, les douleurs lombaires semblaient sortir du cadre du scorbut et correspondre à un lumbago banal. Cependant nous avons retrouvé la description de lombalgies aggravées lors des mouvements rapides, d’effort de toux, d’éternuement ou d’inspiration profonde chez les patients atteints de scorbut [3], ces lombalgies pouvant être très intenses. Ces violentes douleurs pourraient être liées à des hématomes intramusculaires ou dans les autres tissus mous [5]. Cette symptomatologie avait également rapidement disparu après traitement par vitamine C. Références [1] [2] [3] [4]

[5]

[6]

Mellinkoff SM. James Lind’s legacy to clinical medicine. West J Med 1995;162:367–9. Aubry P. Le scorbut, une maladie des marins du XVe au XVIIIe siècle toujours d’actualité. Med Trop 2001;61:478–80. Hirschmann JV, Raugi GJ. Adult scurvy. J Am Acad Dermatol 1999; 41:895–906. Gabay C, Voskuyl AE, Cadiot G, Mignon M, Kahn MF. A case of scurvy presenting with cutaneous and articular signs. Clin Rheumatol 1993;12:278–80. Boudon P, Malbec D, Poiraud S. Scorbut révélé par une hématurie et de volumineux hématomes pariétaux et pelviens. Rev Méd Interne 1997;18:340–1. Adelman HM, Wallach PM, Gutierrez F, Kreitzer SM, Seleznick MJ, Espinoza CG, et al. Scurvy resembling cutaneous vasculitis. Cutis 1994;54:111–4.