Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 132–137 www.elsevier.com/locate/annfar
Mise au point
Un rôle nouveau pour les polynucléaires neutrophiles au cours du sepsis : cible et source d’interleukine-12> A new role for neutrophils during sepsis: target and source of interleukin-12 F. Ethuin a,b,*, S. Chollet-Martin b, L. Jacob a a
b
Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Laboratoire d’hémato-immunologie et unité Inserm, 479, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France Reçu le 6 juin 2003 ; accepté le 26 novembre 2003
Résumé La réponse immunitaire face à une agression bactérienne fait intervenir les monocytes–macrophages et les polynucléaires neutrophiles (PN) comme première ligne de défense. Cette immunité naturelle ou innée permet de contrôler la prolifération des micro-organismes en attendant le développement d’une immunité spécifique liée aux lymphocytes. Faisant le lien entre l’immunité innée et l’immunité spécifique, l’interleukine-12 (IL-12) est une cytokine essentielle de la réponse inflammatoire. Dans un premier travail in vitro, nous avons montré que l’IL-12 potentialisait l’effet du LPS sur la production par les neutrophiles d’IL-8, principale cytokine chimiotactique et activatrice des PN. L’IL-12 favoriserait donc le recrutement local des polynucléaires via une boucle d’amplification autocrine. Dans un second travail in vivo chez des patients septiques, nous avons constaté un défaut de production pulmonaire et systémique de l’IL-12, suggérant une dysrégulation de l’immunité innée au cours de la réponse inflammatoire. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The immune response against a bacterial aggression involves the monocytes–macrophages and polymorphonuclear neutrophils (PMN) in the first line of defense. This natural or innate immunity controls the proliferation of micro-organisms while waiting for the development of a specific immunity related to lymphocytes. Establishing a link between innate and specific immunity, interleukin-12 (IL-12) is an essential cytokine of the inflammatory response. In a first in vitro study, we showed that IL-12 potentiates the effect of LPS on the production of IL-8 by stimulated PMN, the main chemotactic and activating cytokine of neutrophils. IL-12 would thus support the local recruitment of PMN via an autocrine loop of amplification. In a second in vivo study in septic patients, we noted a defect in the pulmonary and systemic production of IL-12, suggesting a dysregulation of innate immunity during the course of sepsis. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Sepsis ; Interleukine-12 ; Polynucléaire neutrophile Keywords: Sepsis; Interleukine-12; Polymorphonuclear Neutrophil
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Ethuin). >
Ce travail a fait l’objet d’un contrat de recherche clinique de la Société française d’anesthésie et de réanimation et d’un contrat de recherche et d’innovation clinique de l’AP-HP (1999). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2003.11.014
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1. Introduction La réponse immunitaire face à une agression bactérienne fait intervenir des éléments cellulaires (phagocytes, lymphocytes...) et des éléments solubles (protéines du complément, anticorps, protéines de la coagulation...), agissant en synergie pour lutter contre l’infection. Certains facteurs sont dits non spécifiques car dépourvus de mémoire et de capacité de reconnaissance spécifique de déterminants antigéniques, mais agissent rapidement : par exemple, la lactoferrine sécrétée par les polynucléaires neutrophiles (PN) inhibe la croissance bactérienne, l’activation du système du complément par la voie alterne engendre le dépôt de C3b sur la paroi et favorise la phagocytose par les PN ou les macrophages (opsonisation), la libération de C3a et de C5a augmente la perméabilité capillaire, favorisant la migration des PN vers le site infecté grâce également à la libération de facteurs chimiotactiques comme l’interleukine (IL)-8. Cette immunité naturelle ou innée permet de contrôler la prolifération des micro-organismes en attendant le développement d’une immunité spécifique adaptative humorale (sécrétion d’anticorps par les lymphocytes B) et cellulaire (prolifération des lymphocytes T mémoires et cytotoxiques qui lysent les cellules infectées exprimant à leur surface des antigènes bactériens en association avec les antigènes du complexe majeur d’histocompatibilité...). Ces éléments spécifiques sont cependant mis en jeu avec un temps de latence, plus ou moins long selon qu’il s’agit d’une réponse primaire ou secondaire. Faisant le lien entre l’immunité naturelle et l’immunité spécifique, l’interleukine-12 est une cytokine essentielle de la réponse inflammatoire. D’une part, elle est chimiotactique pour les polynucléaires neutrophiles et stimule leurs fonctions phagocytaires, d’autre part, elle induit la production par les lymphocytes T helper d’interféron c (IFNc) qui vient renforcer l’activité bactéricide des cellules phagocytaires et stimuler la production d’anticorps par les lymphocytes B. Dans cette mise au point, nous ferons un rappel sur l’IL-12 et son rôle dans l’inflammation. Nous verrons en particulier que nos travaux ont permis pour la première fois la description d’une boucle d’amplification et de coopération entre l’IL-8, chimiokine majeure, et l’IL-12. La mise en évidence de ces nouveaux mécanismes de régulation in vitro sera ensuite confirmée ex vivo chez des patients en sepsis sévère. Notre double modèle d’étude des interactions entre phagocytes et cytokines apporte donc des arguments supplémentaires au concept de dysrégulation de l’immunité innée au cours du sepsis.
2. Interleukine-12 L’IL-12, isolée en 1989, a été initialement décrite comme un natural killer cell stimulatory factor (NKSF) [1]. Il s’agit d’une cytokine synthétisée principalement par les monocytes–macrophages, et d’autres cellules présentatrices d’anti-
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gène comme les cellules de Langerhans et les cellules dendritiques [2]. Des travaux récents ont également mis en évidence la capacité de production de l’IL-12 par les PN humains [3,4]. Les bactéries, les produits bactériens (endotoxine, acide lipoteïchoïque, ADN bactérien), les parasites intracellulaires (Toxoplasma, Leishmania, Listeria...), les mycobactéries et les virus sont des inducteurs directs de la sécrétion d’IL-12 [2]. L’IL-10, le tumor growth factor (TGF)-b et l’IL-4 sont les principales cytokines inhibitrices de sa production [5]. L’IL-12 est une cytokine glycosylée constituée de deux sous-unités, p40 (IL-12p40) et p35 (IL-12p35). La forme biologiquement active de l’IL-12 est la protéine hétérodimérique de 70 kDa (IL-12p70). La chaîne lourde p40 est produite en plus grande quantité que la forme hétérodimérique p70, dans un rapport allant de 10 à 100 [2]. Chez la souris, les monomères p40 sont antagonistes de l’IL-12 probablement par compétition au niveau du récepteur à l’IL-12 [6]. En revanche, chez l’homme, seul l’homodimère p40/p40 aurait une activité antagoniste, de faible puissance et seulement à forte concentration [7]. L’IL-12 module la réponse immunitaire dans le sens d’une différentiation des lymphocytes T (LyT) vers la souspopulation LyT helper type 1 (Th1), et favorise la sécrétion d’IFNc, de TNFa, d’IL-10 par les LyT, les cellules natural killer (NK) et les macrophages [8], dont elle stimule également l’activité cytotoxique et la prolifération. L’IL-12 joue aussi un rôle essentiel en pathologie infectieuse. Au cours du sida, la synthèse d’IL-12 par les cellules mononuclées du sang stimulées in vitro par Staphylococcus aureus, est diminuée et pourrait jouer un rôle dans la susceptibilité à certaines infections de ces patients [9]. L’apport exogène d’IL-12 à des cultures de cellules mononuclées du sang de patients contaminés par le VIH entraîne une prolifération des LyT et la sécrétion d’IFNc, restaurant en partie l’immunité à médiation cellulaire [10]. Des auteurs ont récemment décrit que le déficit héréditaire en IL-12p40 par les monocytes ou dans la sous-unité b1 du récepteur à IL-12 était associé à une sensibilité aux infections par les mycobactéries et les salmonelles [11,12]. Plus en rapport avec l’anesthésie et la réanimation, dans une étude prospective portant sur 184 patients de chirurgie digestive, il a été montré que la synthèse d’IL-12 par les monocytes était altérée chez les patients développant un sepsis postopératoire, cette diminution étant corrélée avec la sévérité de ce sepsis [13]. La concentration d’autres cytokines synthétisées par les monocytes (TNFa, IL-1b) était augmentée en faveur d’une dysrégulation propre d’IL-12 et non pas d’une désactivation monocytaire globale. Ce défaut de synthèse d’IL-12 constituerait un marqueur prédictif d’infections postopératoires. Ainsi, il a été. ont montré ex vivo chez des patients de soins intensifs, une diminution de la production d’IL-12 et d’IFNc du sang total en présence de LPS [14]. En outre, in vitro, les monocytes humains rendus tolérants à l’endotoxine ont une production diminuée d’IL-12 [15].
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Au total, l’IL-12 est une cytokine essentielle dans la défense anti-infectieuse et dans la coopération entre l’immunité « naturelle », innée (non antigène-spécifique) et l’immunité acquise (antigène-spécifique). Elle semble jouer, par ailleurs, un rôle central dans la réponse inflammatoire du sepsis par ses capacités à moduler les fonctions des PN. 3. Les polynucléaires neutrophiles : cibles et sources de cytokines. Une propriété nouvelle pour l’interleukine 12 La présence d’une bactérie, de produits d’origine bactérienne (endotoxine ou LPS) ou de certaines substances chimio-attractantes (IL-8, C5a...) stimulent la diapédèse des PN vers le site d’agression. Les PN adhèrent dans une première étape réversible et transitoire à l’endothélium activé, grâce aux L-sélectines (CD62-L), puis dans une deuxième étape d’adhérence stable, grâce à l’augmentation de l’expression des b2-intégrines (CD11/CD18b) et de leur affinité pour leur ligand ICAM-1 [16]. Les bactéries opsonisées par des immunoglobulines (Ig) ou par certaines fractions du complément subissent une endocytose (ou phagocytose) puis se retrouvent dans un phagosome, à l’intérieur duquel se déverse le contenu des granules, c’est-à-dire des enzymes lyti-
ques (hydrolases, protéinases...) et des peptides antimicrobiens (défensines...) [17]. La production de formes réactives de l’oxygène (FRO) ou explosion oxydative est générée par un système enzymatique, la NADPH-oxydase ; les anions superoxydes libérés sont hautement réactifs et instables et conduisent à la production de peroxyde d’hydrogène, du radical hydroxyle et d’acide hypochloreux, composés microbicides par une action de déstructuration des lipides membranaires bactériens [17]. Ces mécanismes sont résumés sur la Fig. 1. À côté de ces mécanismes bactéricides classiques de défense antimicrobienne, les PN agissent également en coopération avec les autres cellules de l’immunité grâce à des messagers intercellulaires que sont les cytokines. En effet, les capacités de synthèse d’ARN et de protéines par les polynucléaires ont été démontrées il y a quelques années. Les PN peuvent produire des cytokines pro-inflammatoires comme l’IL-1b ou le TNFa, des cytokines régulatrices comme le récepteur antagoniste de l’IL-1 (IL-1RA) ou l’oncostatine M (OSM), des chimiokines comme l’IL-8, des facteurs de croissance comme le GM-CSF ou l’hepatocyte growth factor (HGF) [18–21]. Ils semblent, en revanche, incapables de synthétiser chez l’homme deux cytokines antiinflammatoires majeures, l’IL-10 et l’IL-13 [21].
Fig. 1. Une réponse inflammatoire sous contrôle. Les polynucléaires neutrophiles (PN) avec les monocytes–macrophages sont les leucocytes impliqués dans l’immunité naturelle. Ils jouent un rôle essentiel comme première ligne de défense anti-infectieuse. Dans leur lutte antibactérienne, les PN sont d’abord recrutés au site d’agression par les macrophages (chimiotactisme de l’IL-8) puis activés (rôle du TNFa et IL-1b). Ils exercent leurs propriétés bactéricides par la phagocytose, la production de formes réactives de l’oxygène, et la libération d’enzymes protéolytiques (élastase...). Le recrutement secondaire des cellules de l’immunité spécifique, comme les lymphocytes T, grâce à la production de messagers intercellulaires (IL-12) et des cellules présentatrices d’antigène (macrophage), permet une optimisation de la défense de l’hôte contre les micro-organismes par la production d’IFNc et d’anticorps par les lymphocytes B. Dans le compartiment sanguin, l’IL-10, cytokine anti-inflammatoire, permet de limiter la réponse pro-inflammatoire au seul site infecté. Ly, lymphocytes ; NF-jB, facteur de transcription nucléaire-jB ; TLR, récepteur de type Tol ; IL, interleukine ; IFN, interféron ; TNF, tumor necrosis factor ; FRO, formes réactives de l’oxygène ; CD, classe de différentiation
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4. Dysrégulation de la réponse phagocytaire au cours du sepsis : l’IL-12, un acteur supplémentaire ?
Fig. 2. Effet dose de l’IL-12 sur la production d’IL-8 par les polynucléaires neutrophiles. * p < 0,05/LPS seul
Le récepteur à l’IL-12 (IL-12R), constitué de deux sousunité, b1 et b2, est présent sur les PN humains [22]. L’IL-12 a un effet stimulant direct, concentration-dépendant, sur la production de formes réactives de l’oxygène (FRO) par les PN, effet plus puissant que celui de l’IL-8. L’IL-12 est également un facteur chimiotactique pour les PN humains in vitro, mais n’induit pas la migration des monocytes [23]. Cet effet existe aussi in vivo car l’injection intraveineuse unique d’IL-12 à des chimpanzés induit une polynucléose neutrophile et une activation de ces cellules avec la libération du contenu granulaire [24]. Enfin, in vitro, l’IL-12 stimule la production de platelet activating factor par les PN, de façon dose-dépendante mais ne semble pas modifier la production d’autres médiateurs tels que l’IL-6, l’IL-1b ou l’IL-1 RA [25]. Nous avons voulu approfondir ces données en étudiant les interactions de l’IL-12 avec les PN via une cytokine chimioattractante, l’IL-8. Dans un travail publié récemment, nous avons étudié l’effet de l’IL-12 in vitro sur la production d’IL-8 par les neutrophiles humains [26]. Des PN sanguins de témoins sains ont été purifiés et cultivés (2 106/ml, entre 4 et 24 heures) en présence de LPS (100 ng/ml) et avec différentes concentrations d’IL-12 (0,5 à 100 ng/ml). L’IL-8 produite a été dosée par méthode Elisa dans les surnageants de culture. L’IL-12 seule n’a pas d’effet sur la production d’IL-8 par les PN. En revanche, on observe un effet synergique de l’IL-12 avec le LPS tant au niveau de la production de la protéine (Fig. 2), qu’au niveau de l’ARNm. L’étude cinétique a montré que cet effet additif apparaissait après 18 heures de culture, sans être lié à une augmentation importante de l’expression de IL-12R, mais était bloqué par l’addition à la 16e heure de culture d’actinomycine-D (inhibiteur de la transcription de l’ARNm), en faveur d’une synthèse de novo d’IL-8. Cet effet additif de l’IL-12 est maximal à 24 heures de culture, mais reste inférieur à l’effet potentialisateur de l’INFc, du TNFa, ou du GM-CSF. L’IL-10 et la dexaméthasone antagonisent cet effet de l’IL-12. En conclusion de ce travail, in vitro l’IL-12 potentialise l’effet du LPS sur la production d’IL-8 par les PN et pourrait donc jouer un rôle dans le recrutement local des PN via une boucle d’amplification autocrine.
Le SIRS (systemic inflammatory response syndrome) au cours du sepsis est l’expression clinique de la réaction immunitaire complexe de défense de l’hôte face à l’agression bactérienne, sans être spécifique de l’agent pathogène en cause [27]. Elle résulte de la liaison d’un composant bactérien (LPS pour les bactéries Gram négatif, acide lipotéïchoïque pour les bactéries à Gram positif) avec une protéineligand de l’hôte (LPS-binding protein) sur les CD14 et les Toll like receptors (TLR) des cellules immunitaires (TLR4 et 2 respectivement) [28]. L’activation du facteur de transcription nucléaire jB (NF-jB) est à l’origine de la production de cytokines, avec en chef de file, le TNFa (Fig. 1). Individuellement, certains polymorphismes génétiques déterminent en partie l’intensité de la réponse inflammatoire globale. Par exemple, le génotype 238 G→A dans le gène du TNFa, associé avec une production élevée de TNFa est un facteur de risque indépendant de décès dans la pneumopathie communautaire [29]. La réponse inflammatoire résulte en partie d’une cascade de cytokines. Le TNFa est un médiateur clé dans la pathogénie des états septiques graves, autant à germes à Gram négatif que positif, en induisant la libération secondaire de nombreux autres médiateurs (NO, molécules d’adhérence, PAF, IL-2, IL-6, IL-8, IFNc...) [30]. Une production excessive de ces médiateurs de l’inflammation par les monocytes–macrophages, les polynucléaires neutrophiles ou les lymphocytes participe à l’atteinte de la microcirculation avec activation de la coagulation, augmentation de la perméabilité endothéliale et formation d’œdème majorant la dysfonction d’organes [31]. Une réponse inflammatoire exagérée a donc été évoquée comme facteur responsable de la mortalité encore élevée du choc septique et a conduit à proposer des traitements immunomodulateurs à visée anti-inflammatoire : anticorps monoclonaux anti-TNF, IL-1RA, anti-bradykinine, antiPAF, anti-prostaglandine... [32]. De façon décevante, ces études n’ont pas montré d’amélioration du pronostic. Une des explications est la complexité de la réaction pro-inflammatoire qui est normalement limitée au site d’infection et assure la clairance bactérienne. Les PN jouent un rôle majeur dans la défense anti-infectieuse mais leur activation massive peut être à l’origine de lésions tissulaires importantes, comme celles observées par exemple au cours du SDRA [33]. Le maintien in situ de cette réaction proinflammatoire est donc contrôlé par une réaction antiinflammatoire « périphérique » du compartiment sanguin, dominée par la sécrétion d’IL-10 par les monocytes. Les effets potentiellement néfastes de l’activation des cellules phagocytaires sont ainsi limités au seul niveau du site infecté. L’activation des phagocytes est donc régulée par une réponse anti-inflammatoire systémique (Fig. 1). On parle d’immunoparalysie du compartiment sanguin, c’est-à-dire d’un certain niveau de déficit immunitaire acquis souvent observé après une chirurgie majeure, des brûlures graves, un poly-
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traumatisme ou au cours du sepsis lui-même [34,35]. Des tests ex vivo montrent une « tolérance à l’endotoxine » par défaut de production de TNFa par les monocytes–macrophages et une diminution de l’expression du CMH de classe II (HLA-DR) induisant un défaut de présentation des antigènes aux LyT et une diminution de la réponse immune spécifique [36,37]. Un autre mode de régulation de la réponse inflammatoire peut être une désactivation cellulaire des autres lignées sanguines. Par exemple, il a été montré une diminution de la production d’IL-8 par les neutrophiles [38]. Notre groupe a également mis en évidence des anomalies d’expression de molécules d’adhérence comme le CD11b (marqueur de l’activation des PN) et la L-sélectine (en faveur d’une diminution du clivage intra-vasculaire de CD62-L et d’un défaut d’extravasation des PN) [39]. Sur un modèle murin de péritonite par ligature–ponction cæcale puis instillation intratrachéale de Pseudomonas aeruginosa, une désactivation des macrophages alvéolaires, en partie médiée par l’IL-10, a pu être corrélée à un défaut de clairance bactérienne au niveau pulmonaire et à la mortalité [40]. Ce modèle est en faveur d’une diminution de l’immunité systémique et « à distance » lors d’un sepsis localisé au péritoine par exemple. Enfin, une désactivation des LyT au cours du sepsis peut être mise en évidence par l’anergie aux tests de sensibilité cutanée retardée [41]. Nous avons donc fait l’hypothèse que l’IL-12 d’origine phagocytaire pouvait également être dysrégulée au cours du sepsis. Nous avons donc étudié les PN et les monocytes– macrophages à la fois sanguins et tissulaires de patients en sepsis sévère. Les cellules ont été cultivées en présence de LPS + IFNc L’IL-12p40 et p70 ont été dosées dans les surnageants de culture par méthode Elisa. Les résultats préliminaires semblent montrer que l’isoforme d’IL-12 synthétisée (IL-12p70 biologiquement active ou IL-12p40 antagoniste) dépendait du type cellulaire et du lieu de synthèse, avec, en particulier un défaut de production pulmonaire et systémique de l’IL-12p70 [42].
drome de défaillance multiviscérale. Plus tardivement dans l’évolution d’un sepsis, une réponse anti-inflammatoire prolongée du compartiment sanguin est source d’immunodépression acquise, puis souvent d’infections nosocomiales. La modulation de la réponse inflammatoire à la phase aiguë et/ou de l’immunodépression plus tardive restent des voies de recherche thérapeutique. L’IL-12, cytokine assurant un lien entre l’immunité innée et l’immunité spécifique, est une cible potentielle d’immunomodulation.
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5. Conclusion Au cours du sepsis, l’activation des phagocytes et les cytokines sont des acteurs importants de la défense immunitaire innée, initiateurs de la réaction inflammatoire, normalement restreinte à un compartiment dans le temps et dans l’espace. C’est la levée de cette restriction et/ou le déséquilibre dans l’intensité de la réponse pro- et anti-inflammatoire qui sera responsable des tableaux cliniques de sepsis sévère ou de choc septique, influencée dans son intensité par certains polymorphismes génétiques codant les protéines-clés de l’inflammation. Notre modèle d’étude des interactions entre les phagocytes et l’IL-12 à la fois in vitro et ex vivo chez des patients, est un exemple d’anomalie de la réponse immunitaire innée. La coagulation intravasculaire disséminée, la dysfonction endothéliale, l’apoptose sont alors d’autres acteurs intervenant dans la physiopathologie du syn-
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