Une cause inhabituelle de cyanose

Une cause inhabituelle de cyanose

© Masson, Paris Ann Fr Anesth R6anim, 7 : 515-516, 1988 CAS CLINIQUE Une cause inhabituelle de cyanose An unusual cause for cyanosis M. HASSENFORDER...

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© Masson, Paris Ann Fr Anesth R6anim, 7 : 515-516, 1988

CAS CLINIQUE

Une cause inhabituelle de cyanose An unusual cause for cyanosis M. HASSENFORDER, D. S C H W E N C K Service d'Anesth6sie-R6animation, Centre Hospitalier R6gional de Metz-Thionville, 1, place Philippe-de-Vigneulles, F 57038 Metz Codex

RC:SUM¢:: L'observation rapporte un cas de cyanose, originale par ses aspects clinique, biologique et 6tiologique. La nature des 16sions, une anesth6sie prolong6e sans accident, une chirurgie exsangue et des gaz du sang normaux expliquent le diagnostic tardif: m6th6moglobin6mie aigu~ secondaire h une intoxication transcutan6e au dinitrobenz6ne.

Mots-cl6s : I N T O X I C A T I O N : aigu~, dinitrobenzOne ; S A N G : m#th#moglobin#mie.

Les blessures par engin explosif entrent le plus souvent dans un cadre pr6cis: brfilures, blast, 16sions traumatiques ou chimiques (gaz de combat). L'observation d6crite se situe hors du sch6ma nosologique habituel. OBSERVATION Monsieur X., victime de l'explosion d'un obus, est dirig6, apr6s intubation orotrach6ale, en ventilation contr616e et diazanalg6sie profonde, vers le Centre de traitement des brtil6s le plus proche. Le bilan 16sionnel n'authentifie ni brfilure cutan6e, ni brfilure des voies a6riennes, mais constate un tatouage tr6s dense de l'ensemble des parties d6couvertes de la face ant& rieure du corps ; des microincrustations noires criblent la face, le cou, les mains et les jambes. Les r6gions les plus touch6es (paupi6res, 16vres, langue, oreiUes, mains) ont un aspect ecchymotique ardois6. Les 16sions ophtalmiques sont s6v~res. H6modynamique et diur6se sont respect6es. L'anesth6sie g6n6rale est maintenue afin de r6aliser un large brossage t6gumentaire et une 6pidermabrasion faciale. L'aspect anormalement fonc6 des sOrosit6s provoqu6es par ce geste suscite l'inqui6tude sur l'efficacit6 de l'h6matose. Mais l'utilisation massive de polyvidone iod6e (B6tadine®), l'6clairage rudimentaire de la salle de bain, la stabilit6 h6modynamique et surtout la gazom6trJe sanguine art6rielle (Pao2 ~t 13(1 mmHg pour une FIo2 de 0,35) rassurent. Le traitement des 16sions ophtalmiques se d6roule sans incident. A 0 heure, apr~s six heures d'anesth6sie g6n6rale, le bless6 est extub6. Son aspect globalement cyanos6 frappe sans inqui6ter : le r6veil 6volue normalement ; les frissons et la temp6rature centrale de 35,5 °C sont de nature h apaiser le doute dans ce c0ntexte 16sionnel. Six heures plus tard, l'6tat clinique du patient stagne : somnolence persistante et franche cyanose des t6guments 6pargn6s. Le sang art6riel est 6pais, tr~s fonc6, contrastant avec une Pao2

Re~u le 10 mai 1988 ; accept6 apr6s r6vision le 22 juillet 1988.

de 65 m m t t g et une saturation de 92 %. La radiographic pulmonaire et l'h6modynamique sont normales. Ce paradoxe suscite l'6vocation d'une h6moglobinopathie toxique et l'enqu6te suit deux directions: d'une part, la biochimie recherche les formes d'h6moglobine incapables de v6hiculer l'oxyg~ne ; d'autre part, les Services r6gionaux du d6minage et la gendarmerie alert6s pr6cisent le toxique incrimin6. Le diagnostic est pos6: m6th6moglobin6mie s6v~re (40 %), secondaire ~t une intoxication percutan6e au dinitrobenz6ne ; ce produit entre dans la composition de l'explosif de la bombe de tranch6e de fabrication allemande (1917 - calibre 17 cm) et participe aux 16sions d6crites. La th6rapeutique par bleu de m6thyl~ne ~t la dose de 2 m g . kg ~ et oxyg6noth6rapie est aussit6t appliqu6e. Dans l'espoir d'une meilleure 61imination du toxique et compte tenu d'une h6moglobin6mie plasmatique 61ev6e (210 m g . 1 1), deux s6ances d'6changes plasmatiques sont r6alis6es. Cet ensemble de mesures r6duit le taux de m6th6moglobine de 44 % ~ 5 %, alors que l'h6moglobine plasmatique n'atteint plus que 155 m g • 1 t.

COMMENTAIRES

La m6th6moglobine, forme oxyg6n6e et r6versible de l'h6moglobine, n'a aucun pouvoir oxyphorique [2, 3]. La pr6sence de m6th6moglobine augmente l'affinit6 pour l'oxyg6ne de l'h6moglobine restante; cette perturbation entrave la lib6ration d ' O 2 a u niveau tissulaire ; h l'hypox6mie s'ajoute l'hypoxie tissulaire [3]. Pr6sente h l'6tat normal dans les h6maties, la m6th6moglobine est aussit6t r6duite par la NADH-cytochrome b5 r6ductase. Lorsque cette capacit6 r6ductrice est submerg6e, la cyanose apparait, au taux de 1,5 g de m6th6moglobine Tires a part : D. Schwcnck.

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M. HASSENFORDER, D. SCHWENCK

cutan6e sont prouvdes [1]. L'observation relat6e d6crit tr6s bien ce phdnom6ne par l'aggravation clinique et le caract6re durable des signes biologiques. La th6rapeutique suit deux orientations [4] : utilisation d'un r6ducteur puissant et 61imination du toxique. Dans t o u s l e s cas, l'oxyg6noth6rapie est appliqude afin de rdduire l'hypoxie tissulaire. Le bleu de mdthyl6ne, ta la dose de 1 h 2 m g - k g -~, diminue rapidement la m6th6moglobin6mie en activant la voie des pentoses. A forte dose, ce colorant peut &re toxique et produire lui-m6me une oxydation de l'hdmoglobine et une hdmolyse [2]. I1 est dangereux et inefficace en cas de d6ficit enzymatique en glucose-6-phosphate d6shydrog6nase. L'acide ascorbique, agent r6ducteur moins puissant mais d6nu6 d'effet secondaire, peut 6tre suffisant en cas de m6thdmoglobindmie bdnigne. Le toxique non absorb6 est 6vacu6 par lavages gastrique ou cutan6. Dans notre observation, l'6pidermabrasion et le brossage des tdguments ont contribu6 tt l'61imination du dinitrobenz6ne. Le diagnostic de cyanose, en l'absence de d6faillance technique et de signes respiratoires ou cardiovasculaires explicites, devient al6atoire quand tdguments et muqueuses souffrent de 16sions sp6cifiques (brfilures) ou inhabituelles. Le paradoxe d'une gazom6trie du sang art6riel normale ou acceptable, contrastant avec la couleur - brun-chocolat ~ du sang prdlev6, est sp6cifique de la m6th6moglobin6mie. Fig. 1. - - Aspect du patient ~t son admission.

pour 100 ml de sang, soit 10 % d'hdmoglobine totale [2]. Le dinitrobenz6ne est utilis6 dans l'industrie des colorants et des explosifs. I1 ddveloppe une triple toxicit6: mdthdmoglobinisante, h6patotoxique et h6rnolysante [4]. Sa p6ndtration et sa r6sorption

BIBLIOGRAPHIE 1. ISHIHARAN, KANAYAA, IKEDA M. Dinitrobenzene intoxication due to skin absorption, lnt Arch Occup Environ Health, 3 5 : 161-168, 1976. 2. KAPLAN JC, LABIE D. LCS m6th6moglobinSmies. Encycl Mdd Chir (Paris), Sang, 13007 D m, 12-1983. 3. KELLEIT PB, COPELAND CS. Methemoglobinemia associated with benzocaine-containing lubricant. Anesthesiology, 5 9 : 463-464, 1983. 4. VARET B, PHILBERT M. H6mopathies toxiques en milieu professionnel. Encyd Mdd Chir (Paris), Intoxications, 16530 A 111, 5-1983.

ABSTRACT: A case is reported of a 37 year old man who was involved in an accidental shell blast. He was admitted with black tattooing of his face, forearms, hands and legs. Repair of the severe ocular lesions and the surgical debridement of his burns required general anaesthesia. This lasted for 6 h ; throughout, haemodynamic and respiratory parameters remained stable. The Paoz was 130 mmHg. During recovery, cyanosis was noted despite a Pao2 of 65 mmHg with 92 % Sao2, a normal chest X-ray and stable normal haemodynamic parameters. This paradoxical situation suggested a toxic haemoglobinopathy. Biochemical investigations revealed severe methaemoglobinaemia (40 %) due to percutaneous absorption of dinitrobenzene (DNB), a constituent of the 1917 bomb. The amount of DNB absorbed had been unknowingly reduced by the surgical brushing of the burned skin. The classical treatment of methaemoglobinaemia, associated with two plasmaphereses to remove the toxic substance, were successful. Normal arterial blood gases associated with chocolate brown coloured arterial blood should make one suspect methaemoglobinaemia.