Une histoire de dépôts

Une histoire de dépôts

Annales de pathologie (2010) 30, 314—316 CAS POUR DIAGNOSTIC Une histoire de dépôts A story of immun deposits Jérôme Verine a,∗,b,c, Wissam Sandid a...

875KB Sizes 9 Downloads 187 Views

Annales de pathologie (2010) 30, 314—316

CAS POUR DIAGNOSTIC

Une histoire de dépôts A story of immun deposits Jérôme Verine a,∗,b,c, Wissam Sandid a, Imad Abboudd d a

Service d’anatomie pathologique, hôpital Saint-Louis, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b Inserm, U728, 75010 Paris, France c Université Paris-Diderot, Paris-7, institut universitaire d’hématologie, 75010 Paris, France d Service de néphrologie, hôpital Saint-Louis, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Accepté pour publication le 21 avril 2010 Disponible sur Internet le 29 juillet 2010

Observation Une femme de 35 ans présente depuis une semaine une asthénie importante avec anorexie, sans amaigrissement. Elle consulte aux urgences de l’hôpital où l’on met en évidence un myélome à IgG␬ de stade III. Une insuffisance rénale est également découverte, caractérisée par une créatininémie à 220 ␮mol/L (N : 44—80), associée à une hypo-albuminémie à 27,7 g/L (N : 37,5—45,1) et à une protéinurie de 2,04 g/24 heures. Celle-ci est constituée en partie de chaînes légères kappa libres (protéinurie de Bence-Jones). Devant ces résultats, une biopsie de glandes salivaires accessoires (BGSA) est réalisée en janvier 2010 à la recherche d’une amylose AL (amylose dont la protéine amyloïde est dérivée des chaînes légères d’immunoglobulines, A pour amylose, L pour light dans light chain of immunoglobulin). Trois glandes salivaires accessoires sont adressées fixée dans l’alcool formol acétique (AFA) au laboratoire. Deux autres glandes salivaires accessoires sont transmises à l’état frais dans une compresse imbibée de sérum physiologique afin de permettre une étude complémentaire en immunofluorescence sur coupes congelées. Cette BGSA montre des glandes salivaires accessoires d’aspect morphologique sensiblement normal (Fig. 1a. Il n’est pas noté d’infiltrat inflammatoire significatif, ni de dépôt protéique. La coloration au rouge Congo est négative (Fig. 1b). Une étude complémentaire en immunofluorescence est réalisée sur les prélèvements congelés à l’aide des anticorps anti-chaînes légères ␬ et ␭. Cette étude met en évidence un marquage diffus et intense de tout le réseau membranaire avec l’anticorps anti-chaînes légères ␬ (Fig. 2a). L’anticorps anti-chaînes légères ␭ est strictement négatif (Fig. 2b). Devant ces résultats, l’étude en immunofluorescence est complétée par l’analyse des chaînes lourdes d’Ig (␣, ␮, et ␥). Cette dernière analyse ne met en évidence de dépôt associé de chaînes lourdes, en particulier ␥.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Verine).

0242-6498/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.04.003

Une histoire de dépôts

315

Figure 1. Biopsie de glandes salivaires accessoires ; a : glande salivaire accessoire d’aspect normal (HES × 100) ; b : absence de dépôt amyloïde (coloration au rouge Congo × 100). Biopsy of accessory salivary glands without abnormalities; a: HES × 100; b: Congo red staining × 100.

Figure 2. Étude en immunofluorescence sur coupes congelées ; a : marquage diffus de tout le réseau membranaire avec l’anticorps antichaînes légères kappa (× 100) ; b : absence de marquage du réseau membranaire avec l’anticorps anti-chaînes légères lambda (× 100). Immunofluorescence staining with anti-kappa (a) and lambda (b) light chain antibodies. Intense staining with anti-kappa light chains (× 100).

Quel est votre diagnostic ?

316

Maladie des dépôts de chaîne légère d’immunoglobuline La maladie des dépôts de chaîne légère d’immunoglobuline (Ig) (ou LCDD pour light chain deposition disease) est une maladie systémique caractérisée par le dépôt dans les tissus d’une chaîne légère monoclonale libre, le plus souvent kappa (80 % des cas). Cette maladie s’intègre dans le cadre de la maladie des dépôts d’immunoglobuline monoclonale (MDIM), initialement connue sous le terme de « syndrome de Randall » [1], aux côtés de la maladie des dépôts de chaîne légère et de chaîne lourde (LHCDD pour light heavy chain deposition disease) et de la maladie des dépôts de chaîne lourde (HCDD pour heavy chain deposition disease) ; cette dernière entité étant exceptionnelle [2,3]. Par convention, l’amylose AL est exclue de cet ensemble lésionnel en raison de son affinité tinctoriale pour le rouge Congo et de mécanismes physiopathologiques distincts. La LCDD est une maladie de l’adulte avec des âges extrêmes de 28 et 94 ans. Il existe une petite prédominance masculine (1,7 homme pour une femme) [2]. La LCDD est associée dans 50 % des cas à un myélome ; la LCDD étant souvent découverte avant le diagnostic de myélome. Elle est ainsi détectée à l’autopsie chez environ 5 % des patients atteints de myélome, tandis que la prévalence de l’amylose AL est de 11 % [2]. La LCDD complique plus rarement une macroglobulinémie de Waldenström, une leucémie lymphoïde chronique ou un lymphome. Elle peut enfin survenir en l’absence de tout processus hématologique malin. En revanche, une population plasmocytaire monoclonale est presque toujours détectable par l’examen immuno-histochimique de la moëlle osseuse. Le diagnostic de LCDD doit être discuté chez tout patient présentant une Ig monoclonale ou une chaîne légère monotypique, devant l’apparition de signes d’atteinte viscérale, et plus particulièrement rénale ; celle-ci étant en effet quasi constante et souvent au premier plan de la symptomatologie clinique. Néanmoins, il convient de noter que chez environ 25 % des patients, aucune protéine monoclonale n’est mise en évidence à l’immunofixation ou à l’immunoélectrophorèse des protéines sanguines ou urinaires [4]. L’atteinte rénale apparaît sous la forme d’un syndrome néphrotique impur (avec insuffisance rénale) ou d’un tableau de néphropathie tubulo-interstitielle rapidement progressive. La LCDD peut également se révéler par des signes d’atteintes cardiaque (signes échocardiographiques de dysfonction diastolique), hépatique (altérations souvent modérées des tests hépatiques et hépatomégalie), ou plus rarement neurologique, pulmonaire, endocrine, etc. L’atteinte des glandes salivaires accessoires a été exceptionnellement rapportée, et peut simuler un syndrome de Goujerot-Sjögren [4]. Le diagnostic de LCDD, et de fac ¸on plus générale de MDIM, repose sur l’examen en immunofluorescence d’un échantillon tissulaire congelé. En effet, comme pour la caractérisation des amyloses, la mise en évidence de la chaîne légère libre monoclonale, déposée dans les tissus, est en effet très difficile et relativement peu reproductible sur une coupe tissulaire fixée ; cela pouvant conduire

J. Verine et al. à un résultat faussement négatif. Par ailleurs, cette analyse doit être systématique car, comme c’est le cas dans notre observation, l’étude histologique standard peut révéler être strictement normale. Cette étude en immunofluorescence révèle un dépôt monotypique de chaîne légère le long des membranes basales, responsable d’un marquage pseudo-linéaire et classiquement très intense de tout le réseau membranaire du tissu étudié. L’intérêt d’analyser également les chaînes lourdes d’Ig (␣, ␮, et ␥) est de ne pas omettre le dépôt associé (LHCDD) ou plus rarement isolé (HCDD) d’une chaîne lourde. L’étude en microscopie électronique, lorsqu’elle est réalisée, montre des dépôts granulaires osmiophiles denses aux électrons, disposés le long du versant externe des membranes basales. La LCDD, et de fac ¸on plus générale la MDIM, se distinguent de l’amylose par la négativité de la coloration au rouge Congo et l’absence de dépôts fibrillaires en microscopie électronique. Il convient de noter que dans de rares cas, ces maladies de dépôts peuvent être associées chez un même patient [2,3]. Le pronostic de la LCDD reste incertain, car les dépôts extra-rénaux de chaîne légère, déterminants pour le pronostic du patient, peuvent être totalement asymptomatiques ou causer des atteintes d’organes sévères et potentiellement mortels. Ainsi, la survie depuis le début des symptômes varie d’un mois à dix ans. Comme pour l’amylose AL, le traitement a pour objectif de diminuer la production d’Ig. Il repose généralement sur une chimiothérapie intensive suivie d’une greffe de moelle osseuse ou de cellules souches sanguines chez les patients jeunes ayant un myélome sous-jacent, alors que l’association de melphalan et de dexaméthasone semble être le meilleur choix pour les patients de plus de 70 ans [2]. Au total, la LCDD est une maladie rare dont seule l’analyse en immunofluorescence d’un prélèvement congelé permet d’en affirmer le diagnostic.

Conflit d’intérêt Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

Références [1] Randall RE, Williamson Jr WC, Mullinax F, Tung MY, Still WJ. Manifestations of systemic light chain deposition. Am J Med 1976;60:293—9. [2] Ronco P, Plaisier E, Mougenot B, Aucouturier P. Immunoglobulin light (heavy)-chain deposition disease: from molecular medicine to pathophysiology-driven therapy. Clin J Am Soc Nephrol 2006;1:1342—50. [3] Ronco P, Mougenot B, Aucouturier P. Dépôts non amyloïdes de chaînes légères et de chaînes légères et de chaînes lourdes d’immunoglobulines. Actual Nephrol 2006:91—103. [4] Foguem C, Kantelip B, Deconinck E, Hafsaoui C, Meaux-Ruault N, Gil H, et al. Maladie de Randall, simulant une maladie de Gougerot-Sjögren, traitée avec succès par chimiothérapie et autogreffe de moelle osseuse. Rev Med Interne 2009;30:49—52.