Histoire de la chirurgie
Une histoire de la thyroïde et de ses éponymes O. Laccourreye, A. Werner Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, Hôpital Européen Georges Pompidou, Université René Descartes-Paris V – Paris. Correspondance : Ollivier Laccourreye, Service d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervicofaciale, hôpital européen Georges Pompidou, F 75015, Paris. e-mail :
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Introduction
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C’est à l’anatomiste anglais Thomas Wharton que l’on doit le terme de « thyréoide » avant que le temps ne modifie définitivement cette appellation en : « thyroïde ». Si pour certains auteurs, ce nom provient des boucliers grecs qu’utilisaient les guerriers spartiates, nombreux sont ceux qui pensent que cette dénomination est en réalité secondaire à la proximité de cette glande avec le cartilage thyroïde sous-jacent. Jusqu’à la Renaissance, la thyroïde est supposée servir de lubrifiant et d’humidificateur du larynx et de nombreuses théories quant à son fonctionnement, en général sans aucun fondement, vont se succéder avant que Bichat, au début du XIXe siècle, n’écrive « la thyroïde est l’un de ces organes dont les usages nous sont absolument inconnus… ». Ainsi, Thomas Wharton, comme les médecins égyptiens du temps des pharaons, pense que cette glande sert à régulariser et embellir le cou. L’anatomiste italien Vercelloni la considère comme un réceptacle pour des vers qui gagnaient ensuite l’œsophage par des canaux spécifiques alors que pour le français Lalouette, elle module l’expression de la voix au moyen du liquide qu’elle élabore et que pour Meckel, elle est la répétition de la matrice au cou c’est-à-dire une espèce de miroir de l’utérus. Au décours du XIXe siècle, les connaissances scientifiques concernant le rôle et le fonctionnement de la thyroïde s’accumulent avec la synthèse de la forme cristalline de la thyroxine par Kendall (1915), la synthèse de l’hormone thyroïdienne par Harington (1927), la découverte de la TSH (1929), la première étude du métabolisme thyroïdien, au moyen d’iode radioactif (1938), la synthèse de la T3 par Roche (1952), et la mise en évidence des anticorps anti-thyroïdiens (1956). Ce seront ensuite l’invention des dosages radio-immunologiques par Yalow et Berson (1959), la découverte de la TRH par Schally et Guillemin (1960), la description des récepteurs T3 et de leurs mutations génétiques en (1972 et 1989) et le clonage du gène de la TSH et de son récepteur (1988-1989). En dépit de ces progrès scientifiques, de la tendance à la normalisation de la langue commune utilisé et de la volonté scientifique d’éliminer les éponymes du langage médical, de nombreux noms de médecins restent toujours utilisés dans les comptes-rendus, opératoires, anatomopathologiques et d‘hospitalisations en pathologie chirurgicale thyroïdienne. Cet article se propose de rendre hommage à ces médecins qui ont laissé leur nom à un élément anatomique, un symptôme, une maladie ou à un instrument utilisé lors de la chirurgie de cette glande endocrine, en retraçant leur carrière ainsi que certains faits marquants de leur vie. Pour éviter la réalisation d’un abécédaire ces éponymes sont groupés en deux grandes familles : symptomatique et physiopathologique d’une part, anatomique et chirurgicale de l’autre. J Chir 2007,144, N°3 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Éponymes en séméiologie et physiopathologie thyroïdienne [1-7] Si c’est vers 2800 avant Jésus Christ, en Chine, que l’histoire de la pathologie thyroïdienne débute avec la première mention des goitres, suivie par la description en 1596 avant JésusChrist dans un ouvrage de Li His Chin intitulé « Pen Tsao » de leur traitement au moyen du varech et/ou d’éponges marines calcinées, ce n’est qu’au début du XVIe siècle que le médecin suisse Paracelse établit une relation entre le crétinisme et la présence d’un goitre. Par la suite ces observations de Paracelse sombrent dans l’oubli, peut être en raison de la réputation sulfureuse de leur auteur qui n’hésita pas à brûler publiquement les œuvres de Galien et d’Avicenne qu’il critiquait, et ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’il est établi que la thyroïde déverse dans le sang une ou plusieurs « substances » dont l’insuffisance est responsable des signes cliniques rassemblés sous le nom de myxœdème. La découverte du lien entre le déficit en iode et le myxœdème est une des conséquences du blocus continental imposé par Napoléon Premier pour abattre la puissance commerciale et militaire de l’Angleterre de l’époque. Cette action prive l’Angleterre de ses débouchés commerciaux, mais prive aussi l’Europe continentale de plusieurs produits d’importation et en particulier du salpêtre, indispensable pour fabriquer de la poudre à canon. Les chimistes de l’empire tentent alors de fabriquer du salpêtre par l’action d’acide sulfurique sur des extraits d’algues. L’un d’eux, Courtois, remarque l’apparition d’un gaz violet qu’il condense en cristaux vers 1810 et auquel Gay-Lussac donne le nom d’iode qui signifie en grec couleur violette. Onze ans plus tard, en 1821, un médecin suisse, Coindet, démontre que l’iode « en gouttes » est efficace pour traiter certains goitres mais aussi, qu’administré en excès, il peut entraîner l’apparition de signes d’hyperthyroïdie. Parmi les éponymes en rapport avec les goitres, la « maladie de Basedow » est un des plus connus. Karl Adolph von Basedow (1799-1854) est né à Dessau, en Allemagne, d’un père professeur de théologie. Il fait sa médecine à l’université de Halle, exerce en tant que généraliste à Merseburg et décède en 1854 des suites d’une fièvre éruptive (vraisemblablement le typhus ou une méningite cérébro-spinale) contactée alors qu’il effectuait une dissection anatomique. Si Basedow (figure 1) décrit en 1840 l’exophtalmie puis l’ensemble de signes ophtalmiques notés dans certaines hyperthyroïdies, c’est à un médecin irlandais Robert James Graves (1797-1853) qu’est officiellement attribuée la description, en 1835, de la totalité de cette affection et la « maladie de Graves » est aux anglo-saxons l’équivalent de la « maladie de Basedow ». Graves (figure 2) est né et a fait ses études de médecine à Dublin.
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Figure 1 : Karl Adolf von Basedow. Figure 3 : Fritz de Quervain.
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Figure 2 : Robert JamesGraves.
Docteur en médecine en 1818, il voyage et étudie pendant trois ans à Berlin, Göttingen, Hambourg et Copenhague avant de s’installer dans sa ville natale. Dans le monde médical anglo-saxon, Graves est aussi reconnu comme un enseignant qui a transformé l’enseignement de la médecine en Irlande en introduisant l’enseignement clinique au lit du patient, l’enseignement en anglais et non en latin et l’activité de recherche. Graves a enfin été l’ami du peintre anglais William Turner avec lequel il a voyagé et peint à de nombreuses reprises. Si ce sont surtout Basedow et Graves qui ont laissé leur nom au goitre exophtalmique avec hyperthyroïdie, il faut cependant savoir que, huit cent ans avant Graves, un médecin perse, Sayyid Ismail Al Jurjani, avait mentionné l’association goitre – exophtalmie dans un ouvrage intitulé « Thesaurus du Shah de Khwarazm ». De même, le tableau clinique de cette affection avait été décrit dans le monde occidental, en 1802, par le chirurgien italien Giuseppe Flajani (1741-1808) docteur en médecine et en philosophie de l’université de Rome et médecin personnel du pape Pie VI, puis en 1825, dans un ouvrage post mortem, par l’anglais Caleb Hillier Parry (1755-1822), docteur en médecine d’Édimbourg, médecin de l’hôpital général de Bath et père du grand amiral Parry qui explora l’Arctique. Parry fut aussi l’ami et le condisciple de Jenner qui, en 1798, lui dédie le travail qui le rendra mondialement célèbre intitulé : « An Enquiry Into The Causes And Effects Of The Variolae Vaccinae ».
Figure 4 : Emil Theodor Kocher.
Trois noms sont encore très fréquemment cités lors des thyroïdites : « Hashimoto, de Quervain et Riedel ». Ces trois médecins ont vécu à la jonction du XIXe et du XXe siècle. Le chirurgien japonais Haraku Hashimoto (1881-1934), est né dans une famille de médecins. Docteur en médecine de l’université de Kyushu en 1907, il se forme pendant trois ans à Berlin, Göttingen et Londres mais doit retourner au Japon lors de la première guerre mondiale (figure 3) où il décède atteint de la typhoïde. Fritz de Quervain (18681940), chirurgien suisse né à Sion dans une famille huguenote d’un père pasteur qui eut dix enfants, fait ses études de médecine à l’université de Berne, devient l’assistant de Kocher, s’installe dans le canton de Neuchâtel, est nommé professeur à Bâle (figure 4) puis succède à Köcher à Berne en 1907. Il a publié plus de trois cents articles, la plupart d’entre eux consacrés aux maladies de la thyroïde, avant de décéder atteint d’une pancréatite aiguë et ayant pratiqué sa dernière intervention chirurgicale trois jours avant sa mort. Le médecin allemand Bernhard Moritz Carl Ludwig Riedel (1846-1916) fait ses études de médecine à Iéna et à Rostock. Il rejoint l’armée allemande avec le grade de caporal lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et termine sa médecine à la fin des hostilités. Il a été professeur de chirurgie à Göttingen en 1877 puis à Iéna en 1888. On raconte qu’il aimait répéter à ses élèves : « L’anatomie et encore l’anatomie est l’essence de la chirurgie. ». Il décède atteint d’un cancer du poumon.
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La pathologie tumorale de la glande thyroïde a aussi son lot d’éponymes. Ainsi l’adénome thyroïdien toxique est parfois dénommé dans les comptes-rendus « adénome de Plummer » du nom d’un endocrinologue nord-américain Henry Stanley Plummer (1874-1936) qui, né dans le Minnesota, devient docteur en médecine de la North Western university en 1898, puis exerce avec son père avant de rejoindre la Mayo Clinic à Rochester dans l’état du Minnesota pour finir sa carrière comme professeur à l’école de médecine de cet état. De même, la « tumeur à cellules de Hürthle » (oncocytome) tire son nom d’un anatomiste et histologiste allemand Karl Hürthle, né en 1860, docteur en médecine de l’université de Tubingen en 1884 travaille dans cette ville puis à Breslau et décède en 1945. L’adénome trabéculaire thyroïdien est aussi parfois dénommé « adénome de Wölfler » du nom du médecin tchéque Anton Wölfler (1850-1917) qui a été l’élève de Billroth avant de devenir professeur à Graz puis à Prague. Enfin, l’association d’un carcinome médullaire thyroïdien, d’un phéochromocytome et d’un adénome parathyroïdien, aussi dénommée néoplasie endocrinienne multiple de type 2A, a pour éponyme le « syndrome de Sipple » du nom de celui qui, le premier en 1961, décrit cette association, le médecin américain John Sipple, né dans l’Ohio en 1930, diplômé des universités de Cornell et de Syracuse avant de pratiquer au célèbre « Johns Hopkins » de Baltimore, et de devenir le président du collège de médecine de l’état de New York aux États-Unis.
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Éponymes en anatomie et chirurgie de la glande thyroïde [2, 8-14] Si les premiers dessins de la glande thyroïde sont dus à Léonard de Vinci qui, alors que cette pratique était condamnée par l’église, obtint du pape Jules II, l’autorisation de disséquer une trentaine de cadavres, c‘est le médecin flamand, André Vésale, qui dans son traité dans « De Humani Corpore Fabrica » décrivit pour la première fois les deux lobes de la thyroïde puis, l’anatomiste italien Bartolomeo Eustachi, qui, vingt ans plus tard, décrivit l’isthme thyroïdien dans « Opuscula Anatomica », alors que l’on croyait que les deux lobes étaient séparés. Les noms de Vésale et d’Eustachi ne sont pas restés attachés à une structure anatomique thyroïdienne mais plusieurs anatomistes ont cependant un éponyme « thyroïdien ». Ainsi 1e reliquat embryonnaire qui part de l’isthme thyroïdien couramment dénommé « pyramide de Lalouette » tire son nom du français Pierre Lalouette (1711-1792) qui le décrit en 1743 alors que l’ébauche de cette pyramide est aussi dénommée « canal lingual de Bochdalek » en l’honneur de l’anatomiste tchèque Vincent Alexander Bochdalek (1801-1883). De même, la lame fibreuse qui amarre latéralement la glande thyroïde à la trachée est dénommée « ligament de Berry » par les auteurs anglo-saxons du nom du chirurgien canadien sir James Berry (1860-1946) et « ligament de Gruber » en France en l’honneur, semble-t-il (car il existe de très nombreux anatomistes se nommant Gruber), de l’anatomiste russe Wenceslas Leopold Gruber (1814-1890) qui a enseigné à Saint Pétersbourg et a fondé dans cette ville un musée anatomique. Enfin, l’inconstante artère thyroïdienne moyenne, issue du tronc artériel brachio céphalique ou de la crosse de l’aorte, est aussi dénommée « artère de Neubauer » du nom de l’anatomiste allemand Jean Ernest Neubauer (1742-1777) qui a été
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professeur d’anatomie et de chirurgie à Iéna, tout en étant conseiller de la cour de Saxe-Weimar. C’est au bloc opératoire, au décours de l’exérèse partielle ou totale de la glande thyroïde, que les éponymes sont le plus fréquemment utilisés lorsque l’opérateur demande une pince un ciseau ou un écarteur. À l’exception de l’écarteur de Jolle, ces instruments et ces éponymes ne sont pas spécifiques de la chirurgie de la glande thyroïde car ils sont couramment de par le monde quelque soit l’acte chirurgical réalisé. Les pinces de « Kocher, Halsted et Kelly » sont les plus utilisées. Le chirurgien suisse Emil Theodor Kocher (18411927) est né à Berne d’un ingénieur civil. Il étudie à Zurich, Londres, Paris, Berlin, Vienne avec entre autres Paget, Lister, Hutchinson, Pasteur, Billroth, Wölfler, et Langenbeck. Professeur de chirurgie à l’université de Berne en 1872 (figure 5), Kocher a été l’un des huit chirurgiens du XXe siècle à se voir attribuer le prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 1909 pour ses travaux sur la pathologie et la chirurgie de la glande thyroïde. Avec l’anglais Joseph Lister, père de l’asepsie, et l’américain William Halsted, il fut un des très grands chirurgiens de l’époque préconisant l’hémostase systématique du champ opératoire dont les travaux permirent de réduire la morbidité et la mortalité chirurgicale tout en faisant disparaître le dogme qui laissait croire qu’un chirurgien n’était bon que si il était rapide. L’américain William Steward Halsted (1852-1922), après des études à l’université de Yale, se perfectionne en Europe au contact de Kocher et Langenbeck avant de réaliser la première mastectomie et de devenir professeur (figure 6) au « Johns Hopkins Hospital » de Baltimore où il a comme collègues Cushing et Dandy. En 1881, il réalise une des premières transfusions bras à bras et sauve la vie de sa sœur qui faisait une hémorragie gravissime du post-partum, Il inaugure aussi en 1890 les gants de latex, qui remplacèrent les gants en coton introduits par le chirurgien polonais Jan
Figure 5 : Four doctors : Tableau peint en 1906 par John Singer Sargent avec de droite à gauche : le Dr. William H. Welch, Dr. William Osler, le Dr. William Halsted et le Dr. Howard Kelly (considérés à l‘époque comme les quatre principaux enseignants de la Johns Hopkins School of Medicine).
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Mikulickz, et qui ont été mis au point, à sa demande, par la « Goodyear Rubber Company », afin de protéger les mains fragiles de sa panseuse et future épouse, Caroline Hamptom, atteinte de dermatite secondaire à l’usage intensif de produits chimiques pour la désinfection cutanée pré opératoire. Halsted a aussi été un ami proche du chirurgien français René Leriche et sa vie fut malheureusement marquée par une dépendance à l’égard de la cocaïne, de la morphine et de l’alcool. Toxicomanies provoquées par des auto expérimentations menées pour confirmer les travaux du médecin viennois Karl Koller quant aux possibilités d’anesthésie locale qu’offrait la cocaïne. Quant à la « pince de Kelly », il semble que ce soit un des collègues proche de Halsted, le gynécologue américain Howard Atwood Kelly (1858-1943), diplômé de l’université de Pennsylvanie, auteur de « Operative Gynecology » et chef de service au « Johns Hopkins » (figure 6), qui en soit l’inspirateur. Parmi les écarteurs, ce sont les écarteurs de « Farabeuf, Jolle et Langenbeck » qui sont les plus cités lors de la chirurgie de la glande thyroïde. Louis Hubert Farabeuf (1841-1910) est le fils de paysans briards. Élève de Velpeau, à Paris, il office à l’hôpital Saint-Antoine lors du siège de 1871. Chef de travaux anatomiques, il a contribué à la rénovation de l’enseignement pratique de l’anatomie, de l’instrumentation chirurgicale (d’où son éponyme) et a rédigé un célèbre précis de médecine opé-
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ratoire. Bernhard Rudolf Konrad von Langenbeck (18101887) est né en Allemagne à Honeburg. Il fait ses études à Göttingen où il obtient sont doctorat en 1835 avec une thèse sur la structure de la rétine avant de devenir professeur à Kiel puis de diriger l’institut clinique de chirurgie et d’ophtalmologie à l’hôpital « la Charité » de Berlin. Il a été un grand spécialiste du traitement des blessures par arme à feu (figure 7) et a servi lors du conflit de 1848 avec le Danemark, à la suite duquel il est anobli, puis lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Les modèles de ciseaux sont légion mais deux d’entre eux : les ciseaux « de Mayo » et « de Metzembaum » sont parmi les modèles les plus utilisés lors de la chirurgie de la glande thyroïde. Si l’éponyme « ciseaux de Metzembaum » se perd dans la nuit des temps, celui de « ciseaux de Mayo » est en rapport direct avec une famille de chirurgiens nord-américains sans que l’on sache réellement auquel, en particulier, attribuer cet éponyme. Le père, Charles Horace Mayo (1819-1911), originaire de Manchester en Angleterre, titulaire d’un diplôme de chimiste, émigre aux États-Unis en 1845 et suit avec nombre d’autres pionniers le mouvement de la « Conquête de l’Ouest ». Il poursuit ses pérégrinations en pratiquant toute une série d’occupations (pharmacien, droguiste, journaliste, juge de paix, vétérinaire) avant d’être en 1850 docteur en médecine de l’université d’Indiana et de s’installer à Rochester dans le Minnesota. Avec ses deux fils William James (1861-1939), l’ainé, spécialisé dans la chirurgie abdominale et rénale, et le cadet, William Worral (1865-1939), spécialisé dans la neurochirurgie et la chirurgie des goitres thyroïdiens, il travaille (figure 8), au St Mary hospital ouvert en 1889 qui devient en 1919 la célèbre Mayo Clinic. En 1915 les deux frères Mayo font un don d’un montant de 1 500 000 $ à l’université du Minnesota pour créer la « Mayo Foundation for Medical Education and Research ». Par la suite, un des fils de William Worral, Charles Horace (1898-1968), fera lui aussi sa médecine, se spécialisera en chirurgie et travaillera à la Mayo Clinic dont il sera le « Chairman » avant de représenter en 1953 les États-Unis à l’Organisation des Nations Unies. Enfin, si l’on ne ferme plus les cervicotomies pour thyroïdectomie à « la Reverdin », nombreux sont les chirurgiens qui mettent en place un « drain de Redon » lors
Figure 6 : Louis Hubert Farabeuf.
Figure 7 : Bernhard Rudolf Konrad von Langenbeck.
Figure 8 : La famille Mayo avec de droite à gauche : Willam
James, Charles Horace et William Worral.
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Figure 9 : Jacques-Louis Reverdin.
Figure 10 : Henri Redon.
de ce temps opératoire. Issu d’une famille originaire du Dauphiné, établie en Suisse pour raisons religieuses, Jacques-Louis Reverdin (1842-1929) réalise de brillantes études médicales à Paris. Il est chirurgien de l’ambulance suisse du collège Chaptal durant le siège en 1870. De retour à Genève, il crée la première clinique privée en Suisse (trois ans après que la faculté de médecine de Genève ait été fondée), occupe le poste de chirurgien adjoint à l’hôpital cantonal puis celui de professeur à la faculté de médecine (figure 9). Il travaille avec Kocher et réussit la première greffe autologue de peau en 1869. En modifiant l’aiguille de Von Burns, il invente l’aiguille à suture qui porte son nom. Son cousin, Auguste Reverdin (18481908), qui opérait avec lui, apporte divers perfectionnement à cette invention qui obtient la médaille d’or en 1896 lors de l’exposition nationale suisse à Genève. Bien plus tard, en 1954, le français Henri Redon (1899-1974), chirurgien des hôpitaux de Paris en 1924 (figure 10), décrit avec Jost et Torques, dans les Annales de Chirurgie, le système de drainage sous aspiration qui a remplacé les fameux drains de Penrose jusque là utilisés par ses confrères.
tivité de ces grands précurseurs qui restent des modèles dont la mémoire doit être honorée.
Conclusion L’utilisation d’une langue commune facilite la compréhension et les échanges scientifiques et il est certain que la mémorisation de noms propres n’améliore pas le caractère scientifique des études médicales. Il n’en reste pas moins que l’évocation de ces noms en médecine et en chirurgie, permet d’apprécier les progrès accomplis, l’évolution de notre pratique mais aussi le dynamisme, la mobilité et l’inven-
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